tion héréditaire au cancer du sein aura une implication
importante dans la pratique du conseil génétique, en permet-
tant d’informer plus précisément les patients sur leur risque de
cancer et de leur recommander une prise en charge adaptée.
Nous nous proposons de faire le point sur l’état des connais-
sances actuelles, les perspectives de recherche et les impli-
cations futures.
Gènes connus de prédisposition héréditaire
au cancer du sein
Le cancer du sein, avec plus de 33 500 nouveaux cas estimés
par an en France [16], est le cancer le plus fréquent chez la
femme dans nos pays industrialisés. Parmi les facteurs de
risque connus, et hormis l’âge, une histoire familiale de
cancer du sein constitue un facteur majeur, avec un risque
relatif variable de 1,5 à 5,3 selon le nombre de sujets atteints,
leur âge au diagnostic et le degré de parenté [17, 18]. Ce
risque s’élève chez les sujets de moins de 50 ans. Si une
majorité de cas de cancers du sein sont sporadiques, surve-
nant en l’absence de tout contexte familial, une concentra-
tion familiale est retrouvée dans environ 20 à 30 % des cas
[19]. L’observation de certains clusters familiaux a suggéré
depuis longtemps une composante héréditaire dans la surve-
nue de ces tumeurs. Ainsi, le chirurgien Paul Broca dans son
Traité des tumeurs de 1866 rapporte, dans une même généa-
logie, une dizaine de femmes atteintes d’un cancer du sein
sur plus de trois générations [20]. Les premières études d’épi-
démiologie génétique (annexe) par l’intermédiaire des analy-
ses de ségrégation ont apporté la preuve d’une hérédité
autosomique dominante, liée à la transmission d’un gène
majeur de fréquence allélique rare et de forte pénétrance [21,
22]. Il a été estimé que5à10%descancers du sein
survenaient dans un tel contexte [23].
Les analyses de liaison entreprises grâce à la collaboration de
familles à haut risque ont permis la localisation de deux gènes
de prédisposition, BRCA1 et BRCA2, en 1990 et 1994, situés
respectivement sur les chromosomes 17q21 et 13q12 [1, 3].
Une méthode de clonage positionnel a permis par la suite
leur identification [2, 4]. Être porteur d’une mutation germi-
nale de l’un de ces gènes confère un risque cumulé élevé de
développer un cancer du sein, estimé entre 60 et 85 % à
70 ans pour une femme, auquel s’associe un risque de cancer
de l’ovaire estimé entre 40 et 60 % pour BRCA1 et 10 à 30 %
pour BRCA2 [24].
D’autres gènes de prédisposition, responsables de syndromes
autosomiques dominants plus rares et comportant un risque
élevé de cancer du sein, ont également été identifiés. Ainsi, le
syndrome de Li-Fraumeni, lié essentiellement à une mutation
germinale du gène p53, associe chez l’enfant et l’adulte jeune
principalement des sarcomes (sarcomes des tissus mous et
ostéosarcomes), des tumeurs cérébrales, des corticosurréna-
lomes et des cancers du sein préménopausiques [25]. Le
risque de cancer du sein est estimé à environ 45 % [26]. La
maladie de Cowden, liée à une mutation germinale du gène
pTEN, se caractérise par de multiples lésions hyperplasiques,
hamartomateuses et tumorales impliquant de nombreux or-
ganes, avec fréquemment une atteinte cutanéomuqueuse,
digestive, thyroïdienne et mammaire. Le cancer du sein tou-
che environ 30 % des femmes porteuses du gène pTEN muté
[27].
De façon plus controversée, il pourrait exister un risque
augmenté de cancer du sein chez les patientes atteintes d’un
syndrome de Muir-Torre (forme clinique du syndrome de
prédisposition héréditaire au cancer du colon non polyposi-
que), lié à une mutation des gènes hLMH1 ou hMSH2 et
associant des cancers colorectaux précoces et des tumeurs
cutanées (kératoacanthome, tumeur des glandes sébacées,
cancer spinocellulaire) [28], ainsi que chez les patients at-
teints d’un syndrome de Peutz-Jeghers, lié à une mutation
germinale du gène STK11 et associant principalement des
polypes gastro-intestinaux hamartomateux et une lentiginose
de la muqueuse buccale, de la sphère anale et des doigts [29].
Au-delà de ces syndromes autosomiques dominants, il faut
mentionner l’excès de risque de cancer du sein retrouvé chez
les femmes porteuses à l’état hétérozygote d’une mutation du
gène ATM dans les familles atteintes d’ataxie-télangiectasie,
syndrome autosomique récessif rare associant chez les sujets
homozygotes une ataxie cérébelleuse, des télangiectasies
occulo-cutanées, une immunodéficience, une instabilité
chromosomique, une hypersensibilité aux rayonnements io-
Lexique
•Clonage positionnel. Stratégie de recherche d’un nouveau
gène impliqué dans une maladie, en localisant d’abord une
région du génome susceptible de le contenir (par analyse de
liaison par exemple) puis en analysant la région sur le plan
moléculaire pour permettre l’isolement du gène.
•Fréquence allélique. Fréquence en population d’un allèle d’un
gène donné (un gène peut exister sous plusieurs formes : allèles
du gène ; par exemple gène bi-allélique : allèle muté et allèle
normal).
•Gène majeur. Contribution substantielle d’un gène au
développement d’une maladie donnée (exemple : cancer du
sein) parmi l’ensemble des facteurs impliqués dans le
déterminisme de cette maladie.
•Gènes modificateurs. Facteurs génétiques modulant
l’expression d’une maladie héréditaire (exemple : gènes
influençant le risque de cancer conféré par une mutation
germinale de BRCA1 ou BRCA2). Peuvent expliquer en partie
les variations phénotypiques observées chez les sujets atteints
d’une maladie héréditaire (variabilité phénotypique intra et
interfamiliale).
•Liaison (analyse de).Éutude de la ségrégation conjointe d’un
marqueur génétique (séquence d’ADN de localisation connue
sur le génome) et d’une maladie afin de confirmer l’existence
d’un gène de susceptibilité et de le localiser sur le génome.
•Locus. Emplacement sur un chromosome d’un gène donné.
•Pénétrance. Probabilité d’être atteint de la maladie quand on
est porteur d’un génotype donné (exemple : probabilité de
développer un cancer du sein quand on est porteur d’une
mutation d’un gène de prédisposition).
•Phénocopie. Sujet atteint de la maladie (exemple : cancer du
sein) alors qu’il n’est pas porteur d’une mutation d’un gène de
prédisposition.
•Polymorphisme. Variant allélique d’un gène dont la fréquence
en population est supérieure ou égale à 1 %.
•Ségrégation (analyse de). Étude de la distribution des cas de
maladie dans les familles visant à déterminer la pertinence d’un
modèle génétique qui explique au mieux l’agrégation familiale.
•Transmission desequilibrium test (TDT).Éutude de la
transmission des allèles d’un locus gène candidat entre un
parent hétérozygote pour ce locus et son enfant atteint de la
maladie étudiée. On compare pour chacun des allèles le
nombre de fois où ils ont été transmis et où ils n’ont pas été
transmis (test statistique du chi 2). Si les allèles sont transmis
avec la même fréquence, il n’existe pas d’association
préférentielle. Si un des allèles est plus souvent transmis, il
existe une association entre cet allèle et la maladie. Seuls les
parents hétérozygotes sont informatifs pour tester l’hypothèse de
transmission de chacun des allèles avec une même fréquence à
l’enfant atteint.
V. Bonadona, C. Lasset
Bull Cancer 2003 ; 90 (7) : 587-94
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