Améliorer la qualité et la typicité des vins à l’aide des nouveaux outils biologiques (Craft in fair Qual & T Project) V I N I F I C AT I O N FUSTER A., KRIEGER S.(1), RÉJALOT J.(2), (1) Lallemand s.a, 130 route d’Espagne, B.P. 1021, 31023 Toulouse. (2) Les Vignerons de Buzet, 47160 Buzet. 28 Etat des lieux : pour les vinificateurs européens, la fermentation malolactique (FML) est de plus en plus une étape nécessaire à l’optimisation de la quasi-totalité des vins de qualité rouges comme blancs. Jusqu’à présent, cette étape fondamentale du processus de vinification n’est pas toujours maîtrisée, ce qui peut conduire : • à des altérations organoleptiques (diminuant la qualité, la typicité et la valeur du vin), • à des risques d’instabilité, • à des vins comportant un risque pour la santé humaine (amines biogènes, carbamate d’éthyle). Les solutions actuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes. En effet : • Le chauffage des vins afin d’aider les bactéries indigènes à démarrer la FML est une approche coûteuse qui n’offre aucune garantie de succès. De plus, cette technique comporte le risque d’aider au développement d’un microorganisme indigène indésirable. • L’inoculation d’un vin récalcitrant avec un autre vin en cours de FML ne permet pas d’assurer avec certitude le démarrage rapide de la FML ou la qualité du vin. En effet, le résultat obtenu pourra être différent de celui souhaité du fait de variations de la flore bactérienne. • Actuellement, on trouve sur le marché mondial une dizaine de souches d’Œnococcus œni sélectionnées différentes, certaines étant disponibles sous une forme permettant l’ensemencement direct. Bien que retenues pour leur polyvalence, ces bactéries n’offrent pas une totale garantie de succès. De plus, le faible nombre de préparations commerciales disponibles ne permet pas aux vinificateurs de disposer de solutions spécifiquement adaptées à chacun de leurs problèmes. • La production d’acidité volatile par les bactéries indigènes et les conséquences fâcheuses de leur métabolisme sur les qualités organoleptiques du vin sont imprévisibles et peuvent conduire à une perte de valeur des vins. 1 Le projet CRAFT Qual & T, un projet de longue haleine. 1.1- Le projet CRAFT Il s‘agit d’un programme financé par des fonds européens qui associe des P.M.E. à des instituts et à un partenaire industriel. En l’occurrence, ce projet regroupe : Des producteurs de différents pays, de façon à assurer la plus grande bio-diversité : • la Cave Coopérative de Buzet qui est leader du projet, et la Maison Bouchard Père & Fils (France), • CVNE et Contino (Espagne), • Primavera (Portugal), • Tollo et Ruffino (Italie), • Lenz Moser (Autriche). Des instituts : • I.T.V. France (station de Beaune) avec ses sélections sur vins de Chardonnay et de Pinot noir de Bourgogne. • Université de Vérone (Italie). Sélections sur vins du Venetto. • Université de Valence (Espagne). Sélection sur vins de la Rioja, • Weinbauamt d’Eisenstadt (Autriche). Sélection sur vins du Burgenland. Un partenaire industriel : • Lallemand 1.2- Objectif fondamental Contrôler la FML à l’aide d’outils biologiques innovants et ce afin d’améliorer la qualité et la typicité des vins. 1.3- Stratégie du projet Les moyens envisagés consistaient en la sélection, à l’échelle européenne, puis le développement de nouvelles collections de bactéries lactiques caractérisées sur la base de critères œnologiques. Ainsi : • une collection A a été constituée à partir des bactéries lactiques performantes isolées par les instituts partenaires. • une collection B a été constituée avec les bactéries isolées dans les caves partenaires du projet au cours du premier millésime suivant le démarrage du programme. 1.4- Risques du projet Ils sont, comme pour tout projet innovant, de trois ordres : • scientifique : ne sélectionner que des bactéries n’apportant pas plus que celles déjà proposées, et qui ne pourront donc pas aider les vinificateurs à atteindre leurs objectifs, • technologique : ne pas avoir de corrélation entre les résultats obtenus au laboratoire et ceux observés dans la pratique, • industriel : dans la mesure où les caractères - notamment physico-chimiques - du vin peuvent être très différents d’un millésime à l’autre, on peut craindre qu’ils n’atteignent parfois des valeurs rendant impossible l’utilisation efficace des bactéries sélectionnées. 2 Résultats De l’ordre de 100 bactéries (collections A + B) ont été caractérisées lors d’une étude systématique en milieu modèle ainsi que dans des vins représentatifs de chacune des situations terroir. Cette étude a porté sur différents paramètres de la FML. Chacun des résultats obtenus (soit plus de 60 000 données) est compilé dans une banque de données. La collection caractérisée au cours de ce programme est la première au monde permettant : • de garantir l’achèvement de la FML dans les vins des caves associées, • de proposer une gamme de bactéries très bien caractérisées du point de vue de leur métabolisme et de leurs effets sur le profil sensoriel des vins obtenus. Cette banque de données permettra aux praticiens associés de choisir la bonne bactérie pour résoudre leurs problèmes de FML, mais aussi de mener à bien de nouvelles approches de vinification. Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2002 - N° 193 2.1- Etude écologique extrêmement importantes d’amines biogènes. Elles n’ont bien sûr pas été retenues pour les étapes ultérieures du programme (figure 2). Amines biogènes (mg/l) 8 Histamine Tyramine Phenethylamine 3-5 diaminobutane Isoamylamine 3-5 diaminopentane 7 Les interactions entre micro-organismes du vin (bactérie-bactérie et bactérie-levure) ont aussi été étudiées sur vin et sur milieu modèle. 2.2.1- Conditions physico-chimiques du vin A partir des premiers travaux de tri, basés sur les performances fermentaires dans les conditions les plus difficiles (pH, alcool, température et SO2) 20 bactéries sont apparues comme étant particulièrement intéressantes, par rapport à celles déjà disponibles dans les réseaux commerciaux. 2.2.2- Métabolisme des bactéries L’évaluation du métabolisme des hydrates de carbone a mis en évidence l’importante bio-diversité des bactéries des deux collections. En effet : • Certaines bactéries ne dégradent pas l’acide citrique, ou seulement dans une faible proportion, et ne produisent pas de diacétyle. • D’autres produisent moins d’acide acétique à partir du glucose et du fructose, • Certaines se sont avérées produire de très fortes quantités de glycérol (les résultats présentés ci-dessous ont été obtenus sur milieu synthétique) (figure 1). Glycérol (g/l) 4 3 2 1 1 BC 2 Ba ct 3 Ba ct 5 Ba ct 1 Ba ct 7 0 Bactéries Figure 2- Bactéries lactiques et amines biogènes 2.2.3- Facteurs microbiologiques Les interactions entre levures et bactéries furent étudiées au moyen de deux LSA commerciales (BC1 et BC2) : une Saccharomyces cerevisiae var. bayanus et une Saccharomyces cerevisiae var. cerevisiae ainsi qu’avec une Brettanomyces indigène. Les résultats ont clairement démontré que, dans le vin, les bactéries sont inhibées par Brettanomyces bruxellensis. Il est intéressant de noter que quelques bactéries ont montré des tolérances supérieures se traduisant par une phase de latence plus courte. En ce qui concerne les vins fermentés par les LSA commerciales, dans les deux cas un développement précoce de la bactérie a été observé. Cependant, avec la S. cerevisiae var. cerevisiae les bactéries ont atteint un niveau de population supérieur à celui qui a été observé avec la S. cerevisiae bayanus. 2.2.4- Effets qualitatifs des bactéries Les effets des bactéries sur le profil des vins (couleur et arômes) ont permis de mettre en évidence des différences d’une bactérie à l’autre sur la couleur (anthocyanes, polyphénols totaux, et intensité colorante) : certaines bactéries semblent mieux protéger la couleur que d’autres. En ce qui concerne le diacétyle, l’acétoïne et le 2,3-butanediol nous avons observé de grandes différences au sein de chaque série (figure 3). Diacétyle / acétoïne (mg/l) 400 0,45 0,4 350 0,35 300 0,3 250 0,25 Diac tyle [mg/l] Acé ïne [mg/l] 200 0,2 150 0,15 100 0,1 50 0,05 ind ig è BC 1 -B a Vin ct 8 3Bac t9 9.1 Vin 3- 2Vin Vin 3 2 -B act 10 BC Vin 3 igè 1Vin 9.1 ind Bact 17 1- Bact 20 Bact 13 Vin Bact 16 Bac Bac Bact 19 Bact 9 1- Bact 18 Bact 15 Vin Bact 14 Bact 8 Vin Bact 1 t9 t8 0 0 1- 0,5 5 Ba ct 6 Les bactéries ont été caractérisées en ce qui concerne : • leur comportement dans le vin selon les paramètres physicochimiques (tolérance aux pH bas, aux basses températures, aux hauts degrés alcooliques et aux hauts niveaux de SO2 dans le vin), • leur activité métabolique (dégradation des sucres et des acides organiques, production de glycérol, d’éthanol, d’amines biogènes, de polysaccharides) et leur production de composés aromatiques (diacétyle, acétoïne, alcools supérieurs), • les conséquences de leur métabolisme sur le profil des vins (couleur, caractéristiques sensorielles et organoleptiques). 6 Ba ct 11 2.2- Evaluation, au laboratoire, des effets qualitatifs des bactéries en collection. BC Toutes les bactéries ont été caractérisées par leur empreinte ADN au niveau de l’espèce (PCR) et au niveau de la souche (PFGE et RAPD-PCR). Un dendrogramme a été obtenu à partir de la comparaison des profils RAPD-PCR. Il a permis d’effectuer un tri des bactéries les plus intéressantes. Figure 3- Teneur en diacétyle et acétoïne de différents vins selon la bactérie lactique ayant réalisé la FML Figure 1- Variabilité de la production de glycérol • La production de polysaccharides est également une donnée extrêmement variable d’une bactérie à l’autre. • Quelques bactéries produisent des quantités importantes à Du point de vue de l’analyse sensorielle, certaines bactéries ont entraîné d’importantes teneurs en diacétyle. Le niveau de diminution du diacétyle semble être sous la dépendance de la souche. Les variations de teneurs en autres composés fermentaires étaient homogènes ou non mesurables. Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2002 - N° 193 29 2.3- Vinifications comparatives Les études menées sur milieu modèle et sur vins témoins ont permis de retenir un groupe de bactéries présentant une forte tolérance envers les facteurs limitants du vin, ainsi que des bactéries dotées d’activités métaboliques particulièrement intéressantes. A partir de ce groupe, des bactéries permettant de répondre aux besoins spécifiques exprimés par les différentes caves partenaires du projet ont été retenues pour des microvinifications ainsi que pour des vinifications à grande échelle. Ceci a permis de retenir un petit nombre de bactéries pouvant être utilisées dans le cadre de besoins spécifiques des vinificateurs. Selon la structure de vinification, les critères de choix de la bactérie étaient : 1. Forte tolérance au SO2. 2. Pas ou peu de modification de la couleur et pas de déviation aromatique. 3. Pas de production d’amines biogènes, ou de diacétyle. Meilleur volume en bouche et contribution à la qualité et la complexité aromatique du vin. Résistance aux basses températures (< 15 °C) , ainsi qu’à une acidité élevée. 4. Faible diminution de l’acidité, faible variation du pH après la FML, faible production de volatile. 5. Cinétique de FML lente, stabilité microbiologique du vin, et résistance aux fortes teneurs en alcool (> 14 vol %). Un ou deux vins par site ont été retenus pour les vinifications pilotes et en grand volume. Sur chaque site, plusieurs bactéries de la collection A et B produites sous forme MBR (procédé permettant l’ensemencement direct) étaient comparées à 2 bactéries commerciales (BC 1 et BC 2) qui ont servi de témoin. Il s’agissait de rechercher, en conditions réelles, le ou les couples vin/bactérie les plus proches des besoins des vinificateurs. Des échantillons ont été prélevés avant inoculation (directe) des bactéries, ainsi qu’au cours de la FML et après l’achèvement de celle-ci afin de vérifier l’implantation des bactéries dans le vin, ainsi que leurs performances fermentaires du point de vue de leur résistance aux conditions du vin, de la cinétique de FML, comme de celui de l’effet de la bactérie sur le profil du vin. Les conditions expérimentales standard étaient les suivantes : • Réhydratation (eau minérale) des bactéries pendant 20 minutes, à 20-30°C. • Ensemencement direct à population contrôlée : 2 106 cfu/ml. • Pas de contrôle de la température de FML. • Comptage de la population de bactéries (cfu/mL) et suivi de l’acide malique (g/L). Nous avons observé une grande variabilité des performances, qui s’explique par une non moins grande variabilité des vins selon leurs terroirs d’origine, leurs caractéristiques physicochimiques, ainsi que par l’effet du millésime (essais réalisés en 1999 et 2000). Les exemples les plus démonstratifs, pour les deux millésimes, ont été obtenus sur les deux sites français. A titre d’exemple, aux Vignerons de Buzet, les vins du millésime 1999 étant propices à la FML, les cinétiques y ont été rapides et peu de différences de cinétique ont pu être observées d’une bactérie à l’autre. Cependant, les profils aromatiques étaient, eux, discriminants (figure 4). En revanche, les vins bourguignons avaient des conditions de FML plus défavorables aux bactéries , et les FML y furent plus lentes, mais avec des différences importantes selon les bactéries comparées. Une bactérie ( 99.1) a été, de façon répétée, la plus performante. En revanche, les essais 2000 à la Maison Bouchard Père et fils, ont été réalisés sur des vins plus tolérants aux bactéries lactiques : les FML ont donc été plus rapides. Les essais comparatifs, en petit volume, ont cependant montré des différences significatives : en effet, sur Pinot noir les durées ont varié de 19 jours pour la plus rapide des bactéries de la collection, à 80 pour la plus lente (flore indigène). Sur Chardonnay, les durées de FML ont varié de 39 à 60 jours. Aux Vignerons de Buzet, pour le millésime 2000, le vin 2 a permis de comparer les bactéries suivantes : Flore indigène, BC 1, BC 2, ainsi que 1, 2 et 3 (collection 2000). Les cinétiques de FML grâce à ces différentes bactéries sont les suivantes (figure 5). Acide malique (g/L) BC 1 BC 2 Bact rie 1 Bact rie 2 Bact Flore indigène 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0,0 0 5 10 25 30 35 Les mêmes observations sont faites sur les vins Buzet 1 et Buzet 2. A savoir : • les deux préparations commerciales et la bactérie 3 donnent les cinétiques les plus rapides (durée totale de FML de l’ordre de 15 jours), • les bactéries 1 et 2 ont des cinétiques comparables et un peu plus lentes que les 3 bactéries précédemment citées, • la flore indigène finit sa FML en dernier (35 jours). Par ailleurs, du point de vue organoleptique, une différence significative de la qualité générale du vin Buzet 2, en faveur des bactéries sélectionnées, a été mise en évidence (particulièrement grâce à une nette réduction de l’astringence du vin) (figure 6). Fruits rouges Longueur Corps 18 1,8 Floral Végétal 1 0,8 Bactérie commerciale 1 11,88 Bactérie 99.1 14 1,4 Foin 20 Durée (jours) Figure 5- Buzet 2 - FML : cinétiques comparées. Merlot - pH 3,59. TAV 12,9 %, AT 4,4 g/l H2SO4. Bactéries indigènes Boisé 15 Acidité Epices Banane 1 Sueur Astringence/ Amertume Longueur Epices Lactique Réduit Oxydé / Acétaldéhyde Indigènes Cassis 30 BC 2 Amertume/Astringence Figure 4- Analyse sensorielle, Pinot noir, 1999 Figure 6- Dégustation Merlot 2000 (Buzet) Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2002 - N° 193 Bact 8 40 3 Conclusion 3.1- Résultats des vinifications En 1999, il a mis en évidence que : • 99.1 s’est remarquablement comportée dans chaque modalité, quels que soient les vins et les conditions de FML (utilisée en grand volume, au cours du millésime 2000, elle a confirmé ses bons résultats de 1999). • deux autres bactéries utilisées en 1999 se sont également montrées intéressantes, l’une d’entre elles ayant de très bons résultats d’implantation. En 2000, si l’on fait abstraction des deux bactéries déjà commercialisées, 3 autres bactéries se sont montrées particulièrement intéressantes tant du point de vue de leur cinétique fermentaire que de la qualité des vins obtenus (figure 7). bactéries B7 ☺ ☺ ☺ B6 B3 B5 B4 B2 B 19 MBR 2 MBR 1 indig 5 10 15 Duré 25 30 35 40 45 Figure 7- Millésime 2000, durée moyenne de FML, 8 essais (micro vinifs) (MBR = procédé permettant l’ensemencement direct). 3.2- Conséquences pratiques Dans un premier temps, 5 bactéries ont été sélectionnées sur la base des résultats obtenus en micro-vinification et en grand volume. Toutes ont d’excellents résultats du point de vue de leur implantation dans les vins, sont très tolérantes aux conditions limitantes du vin et, enfin, font la preuve de propriétés organoleptiques intéressantes. Ce premier groupe de 5 bactéries est, en termes de cinétique, au moins aussi performant que les préparations commerciales actuellement proposées sur le marché mondial, et présente de plus des caractéristiques novatrices notamment au niveau sensoriel ainsi que sur les aspects santé et résistances à certaines conditions extrêmes rencontrées dans le vin. En conséquence, trois d’entre elles ont été multipliées à l’échelle industrielle, de façon à être mises à disposition des partenaires dès le millésime 2001. Remerciements Le projet Qual & T “Amélioration de la qualité et la typicité des vins européens par l’utilisation de nouveaux outils biologiques” était soutenu par la communauté européenne dans le cadre du programme CRAFT in Fair (FAIR-CT98-96401). Mots clés : vinification, fermentation malolactique, bactéries. 31 Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2002 - N° 193