Wittgenstein et le motif esthétique- 16 -
arguments: formalisme, volontarisme, émotionalisme, intellectualisme, intuition-
nisme ou organicisme. Après avoir plaidé pour l’abandon du problème 11, il s’emploie
à démontrer ce qu’elles ont de défectueux. Selon lui, chacun des défenseurs de
ces théories aurait pu constater, pour la même raison, l’échec de chacune d’entre
elles. «Unless we know what art is, they say, what are the necessary and su cient
properties, we cannot begin […] to say one work is good or better than another 12.»
L’art, selon Weitz, est un concept ouvert au même titre que, dans les Recherches
philosophiques, le concept de jeu. Les di érents jeux ne partagent pas la même
essence, mais ils peuvent être rapprochés par des ressemblances familiales et, ajoute
Weitz, il en irait de même des di érentes œuvres d’art. Il peut alors avancer sa
première conclusion: «Knowing what art is is not apprehending some manifest or
latent essence but being able to recognize, describe and explain those things we call art
in virtue of this similarities 13.»
L’article de Kennick ne se laisse pas aussi facilement résumer. Il s’occupe de
recenser les diverses malfaçons a ectant les fondations de l’esthétique tradition-
nelle. Il montre que la recherche d’une dé nition de l’art repose sur l’idée d’une
nature commune aux di érentes œuvres d’art. La volonté d’identi er cette nature
commune, véri able par la formulation de conditions nécessaires et su santes, est,
pour lui, la première erreur. Après avoir énuméré de nombreuses œuvres d’art entre
lesquelles il lui paraît di cile d’établir des liens, il tend à penser qu’il ne peut y
avoir aucune nature commune entre elles. Il dit ensuite que nous sommes face aux
œuvres d’art dans la même position que saint Augustin face au temps. Commence
alors ce qui peut sembler la partie la plus faible de son argumentation. Décidant
que chacun peut distinguer par son propre usage du langage ce qui est de l’art et ce
qui n’en est pas, il imagine l’exemple d’un immense entrepôt (very large warehouse)
où se trouveraient toutes sortes d’images, de partitions, de machines, de bateaux,
de maisons, d’églises et de temples, de statues et de vases, etc. S’il était demandé à
quelqu’un d’en rapporter toutes les œuvres d’art, celui-ci y parviendrait sans trop
de di culté. Ce serait, en revanche, mission impossible si cette personne devait
• 11 – «In this essay I want to plead for the rejection of this problem» (p.27).
• 12 – Op.cit., p.27: «À moins que nous ne sachions ce qu’est l’art, disent-ils, ce que sont ses
propriétés nécessaires et su santes, nous sommes incapables de dire si une œuvre est meilleure
ou moins bonne qu’une autre.» Ou, de façon moins littérale: Nous serons incapables de dire si une
œuvre est meilleure qu’une autre, aussi longtemps que nous ne parviendrons pas à savoir ce qu’est l’art
et quelles sont ses propriétés.
• 13 – Op.cit., p.31: «Savoir ce qu’est l’art, ce n’est pas appréhender une essence, manifeste ou
latente, mais être capable de reconnaître, décrire et expliquer ce que nous appelons art en vertu
de ces similitudes.» Weitz défendra ultérieurement l’idée que les théories esthétiques sont des
théories évaluatives destinées aux critiques, pour leur permettre de motiver leurs jugements sur la
production artistique.
[« Wittgenstein et le motif esthétique », Bertrand Goyet]
[ISBN 978-2-7535-1371-6 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]