Université Paris IV – Sorbonne
ECOLE DOCTORALE CONCEPTS ET LANGAGES
THESE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS IV – SORBONNE
Discipline : Philosophie
Présentée et soutenue publiquement par Monsieur
Rémy LEMEE
Le 7 Mars 2014
L’esthétique dans la philosophie des jeux de langage de Wittgenstein
La directrice de la thèse :
Madame le professeur OUELBANI Mélika
Les membres du jury :
Madame le professeur Lichtenstein Jacqueline Paris IV Sorbonne
Madame le professeur Lescourelt Université de Strasbourg
Monsieur le professeur Ali Benmakhlouf Université de Paris Créteil
POSITION DE LA THESE
Pourquoi une thèse sur Wittgenstein ?
Ce choix répond à plusieurs raisons tant philosophiques qu’historiques et artistiques.
D’abord, par comparaison avec les autres philosophes, Wittgenstein occupe une place
particulière au sein de ceux-ci. Il a, en effet, ce qui est rare, développé deux philosophies
complémentaires reposant, la première, sur le Tractatus logico philosophicus et la seconde,
sur les Recherches philosophiques. Il divise sa première philosophie en logique et mystique
tout en proposant un langage unique et interprète dans sa seconde philosophie un langage plus
proche de l’authenticité, celui de la diversité des jeux. Ce contraste nous a semblé à la fois
suffisant et fascinant pour nous interroger sur sa conception du monde.
La seconde raison de notre curiosité est l’art. Dans sa jeunesse, Wittgenstein évolue au milieu
d’œuvres d’art tant en peinture qu’en sculpture et musique. Alors qu’il naît au moment
l’art se transforme et s’exposent les Nabis avec Gauguin, l’expressionnisme avec Van
Gogh, le cubisme avec Cézanne, il connaît à la veille de 1914, l’art abstrait et l’abstraction
géométrique annoncés par le cubisme et le futurisme. L’art abstrait n’est plus une imitation
mais un sujet autonome qui obéit à une nécessité intérieure. Or, après les horreurs de la
première guerre mondiale est imprimé en 1919 le Tractatus. L’expérience mystique de
Wittgenstein est alors de réenchanter le monde par l’acceptation de ce qu’il est et par sa
contemplation de ce qu’il nous offre. Comment ne pas être intrigué par ce philosophe pour le
moins original au sein de ces mouvements tant littéraires que picturaux.
Ces raisons nous ont conduit bien évidemment à nous poser de nombreuses questions à son
sujet.
La thèse a, en effet, pour objectif de réfléchir sur la possibilité d’appliquer la conception du
langage développé par Wittgenstein dans sa philosophie des jeux de langage au langage
esthétique. Cet intérêt pour la philosophie tardive du philosophe ne pouvait aboutir sans une
confrontation avec la philosophie du Tractatus, l’auteur lui-même n’envisageant la possibilité
de la seconde partie de sa philosophie qu’à la lumière de la première. En effet, le Tractatus
détermine une conception du langage unique, dans laquelle ce dernier a pour rôle de
représenter le réel, en en partageant la structure. Par conséquent, tous les jugements normatifs,
y compris les jugements esthétiques seront éjectés du domaine du sens dans celui de
l’ineffable et du mystique dans la mesure toute vraie proposition, c’est-à-dire sensée, par
opposition aux pseudo-propositions doit impérativement porter sur des objets.
Cette restriction du sens et donc du dicible l’a conduit à une aporie.
Que pouvons nous dire, en effet, et que pouvons nous seulement montrer ?
La première question pose le problème du sens et de la signification. Aussi, avons nous
indiqué que dans la première philosophie, les mots n’ont pas de sens mais ont la signification
de l’objet qu’ils désignent et que seules les phrases ont un sens en fonction du rapport des
mots entre eux. Le dire implique donc à la fois des questions de syntaxe et de sémantique.
La deuxième question porte sur l’esthétique et par voie de conséquence sur l’éthique et la
logique. Aussi, nous nous sommes posés la question de savoir pourquoi, selon Wittgenstein,
l’esthétique ne pouvait être dite mais seulement montrée ? Comme nous l’avons vu
précédemment, le fait est ce que la proposition décrit. C’est une description d’objets réels.
Donc, l’esthétique ne peut être un fait bien qu’elle soit descriptive. En effet, cette description
n’est pas celle d’objets réels mais celle de notre rapport au monde. Ce rapport consiste à
identifier l’œuvre et à la décrire par sa forme, sa couleur, le rapport entre les éléments qui la
composent. Ceci conduit à un discernement qui nous donne, d’une part, une connaissance de
ce qui est observé et, d’autre part, un plaisir d’où une évaluation. On voit par là que
l’esthétique ne répond pas à un jugement de goût mais à un état affectif. L’œuvre a des
propriétés esthétiques qui conduisent à une appréciation et c’est dans le lien entre les
propriétés et l’appréciation que se trouve l’explication causale.
Nous nous sommes donc appliqués à montrer que l’esthétique ne peut porter sur des choses
contingentes mais sur des choses qui ne peuvent être autrement. Elle relève ainsi d’une
volonté métaphysique. C’est en sorte une application obscure de l’idéalisme transcendantale
de Schopenhauer le monde est celui de ma représentation. Il ne peut être pensé. Il est donc
une donnée immédiate de ma conscience. Sans cette conscience, le monde n’est rien d’autre
qu’une illusion.
C’est dans l’opposition violente entre la fascination du monde en tant qu’il est, que
Wittgenstein appelle l’expérience mystique, et cette volonté aveugle s’affirme le toujours
vrai que surgit l’esthétique dont le fondement est l’attitude de l’homme.
Nous avons voulu savoir ce qu’entend Wittgenstein par expérience mystique ? C’est un
enchantement de ce qui est et cet enchantement peut être trouvé dans l’acceptation de ce qu’il
est et par la contemplation de ce qu’il nous offre.
Il faut cependant préciser et nous avons essayé de le montrer, qu’il existe entre ce qui est hors
du monde et notre monde d’une apparente réalité, une frontière propre à chacun de nous. La
représentation dont nous venons de parler est soumise au principe de raison. Et l’essence de
cette représentation se dévoile à partir de l’expérience interne de chacun. Cette frontière
particulière est vraie comme l’esthétique qui se trouve au-delà de celle-ci. Il s’ensuit que les
frontières du monde de chacun s’accroissent ou se restreignent. C’est le déplacement des
limites de mon monde qui ne peut être dit parce qu’il ne peut être autrement que ce qu’il est.
Finalement, en étudiant l’esthétique de la première philosophie, nous avons essayé de montrer
que le sens du Tractatus se situait à deux niveaux à savoir que, d’une part, le langage utilisé
chaque jour dans l’intention de représenter le réel, n’exprime que du factuel et, d’autre part,
l’essence de la représentation est : le monde est mon monde. Il s’ensuit que l’esthétique, pour
Wittgenstein, relève de l’éducation. Il distingue le beau intelligible de Platon du beau relatif et
changeant identifié par nos sens. Par ailleurs, le beau répond à des sensations que nous
éprouvons, sensations qui ont besoin de raison en amont des phénomènes. C’est avoir
l’intention de …qui correspond à la propriété de l’esprit d’être orienté vers un objet qui peut
exister ou non d’où la description d’une chose. Ce n’est qu’à la suite des sensations que
l’imagination et l’entendement oeuvrent sous l’autorité de la raison. Il y a des intentions qui
engagent vers une action mais aussi qui engagent dans la situation j’éprouve moi-même
des émotions d’où un certain type de comportement.
Ayant été conduit à une aporie, Wittgenstein va déterminer une autre conception du langage,
plutôt complémentaire de la première et ce progressivement à partir des années trente dans
laquelle le langage devient pluriel parce que tributaire de plusieurs paramètres extra
linguistiques en relation avec le contexte, la culture, la forme de vie… et c’est justement le
concept de jeux de langage qui va en montrer le fonctionnement de la signification comme
usages. De là, Wittgenstein a eu un nouveau rapport à l’esthétique qui jusqu’alors ne pouvait
être dite. Aussi, l’esthétique va désormais se déterminer surtout par le comportement de celui
qui regarde et par son impuissance à dire autre chose que cette expression commune « c’est
beau ». Il va renoncer à cette idée de l’ineffabilité de la valeur esthétique au profit de la
compréhension, qui ouvre le chemin de la satisfaction en fonction des propres idéaux de celui
qui observe. Mais il est évident que la compréhension d’une œuvre nécessite de la replacer
dans un contexte qui fait appel à des arrière-plans, à une perception des aspects et à des
formes de vie. Il considère, en effet, que nous avons des illusions d’optique connues sous le
nom d’aspects qui changent avec le temps et qui se situent entre la pensée et la vision, réalité
humaine prolongeant le monde naturel. Il en ressort un jugement qui crée à l’œuvre une
relation intentionnelle d’où une relation esthétique qui ne peut qu’améliorer la
compréhension. Aussi, avons-nous traité dans la seconde philosophie de Wittgenstein le rôle
des aspects et des formes de vie. Mais il a également donné une nouvelle signification aux
mots, signification qui ne correspond plus à l’objet mais est déterminé par son usage gouverné
par des règles parce qu’un mot peut très bien désigner plusieurs choses selon la place qui lui
est assignée par la grammaire. Ne pouvant plus rattacher un nom à un objet une fois pour
toute, Wittgenstein a alors privilégié ce qui se passait dans l’esprit du locuteur.
A partir de quelques exemples de tableaux, nous montrerons de quelle manière la peinture, sa
compréhension et son interprétation se plient à cette conception de langage mais aussi du sens
de la philosophie post-Tractatus. Pour ce faire nous avons choisi
La charrette de foin (1821) de Constable qui exprime une forme logique c’est-à-dire que les
éléments du tableau ont les mêmes possibilités combinatoires que les objets de la réalité.
Le radeau de la Méduse (1819) de Géricault qui nous donne une forme de représentation d’un
événement vrai mais représenté de façon imaginaire.
Le carré blanc sur blanc (1918) de Malévitch qui est l’expression d’une pure imagination,
celle d’un monde sans objet mais qui traduit, en fait, les grands bouleversements de l’époque.
Pour chacun de ces tableaux, nous avons sitle sujet dans son contexte puis nous avons
donné une explication de la signification, fait une interprétation et posé le statut de
l’esthétique dans chacune de ses œuvres.
l’art fonctionne comme un langage sans pour autant traduire obligatoirement la réalité. L’art a
une mission de dévoilement qui donne une vision nouvelle de quelque chose. C’est une sorte
de conversion.
Enfin, quelles ont été les difficultés que nous avons rencontrées ?
Les premières difficultés ont été la lecture du Tractatus et le vocabulaire utilisé par
Wittgenstein d’autant qu’ayant élaboré deux philosophies, la signification de son vocabulaire
a changé, ce qui a donné lieu, tout au moins au début, à des erreurs d’interprétation.
Difficile aussi a été de concevoir une esthétique indicible, enfermé dans l’erreur par
l’habitude de l’environnement, que l’esthétique reposait sur le qualificatif de beau.
Il y a, également, quelques ambiguïtés difficiles à lever :
Quand Wittgenstein parle d’expérience mystique, cette fascination du monde en tant qu’il est,
nous ne sommes pas sûr qu’il parle seulement du monde matériel. Il reste flou en ne précisant
pas de quel monde il s’agit d’autant qu’il en parle après avoir lu les évangiles de Tolstoï.
De même d’où viendrait son éblouissement de la création ? Il ne dit rien à ce sujet.
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