JUSTIN, Abrégé, XLIII, 4-5 Marseille devient l’amie des Romains (390 av. J.-C.) Après la mort du roi Nannus, qui avait donné aux Phocéens le sol de leur ville, un Ligurien annonce à Comanus, son fils et son successeur, que Marseille doit un jour renverser ses voisins, et qu'il faut l'écraser à sa naissance, de peur que, bientôt plus forte, elle ne le détruise lui-même . Il ajoute encore cette fable, qu'une chienne pleine supplia un berger de lui prêter une place où elle pût mettre bas ; que, l'ayant obtenue, elle lui demanda plus tard de l'y laisser nourrir ses petits ; qu'enfin ceux-ci ayant pris des forces, elle s'arrogea, avec leur appui, la propriété de ce lieu ; que de même ces Marseillais se rendraient maîtres un jour de cette terre, qu'ils n'occupaient encore qu'à titre de colons. Excité par ces conseils, le roi tend un piège aux Marseillais. Le jour de la fête des Florales, il envoie dans la ville un grand nombre d'hommes braves et résolus, qui viennent y réclamer l'hospitalité ; d'autres y sont transportés dans des chariots couverts de joncs et de feuillage. Le roi lui-même se poste avec son armée dans des montagnes voisines, afin de se trouver devant la ville à l’heure même où ses émissaires lui ouvriraient les portes, et de fondre à main armée sur les citoyens plongés dans le vin et le sommeil. Mais une femme, parente du roi, trahit le secret de cette conspiration. Touchée de la beauté d'un jeune Grec, son amant, elle lui révéla le péril, en le pressant de s'y soustraire. Celui-ci court aussitôt avertir les magistrats : le piège ainsi découvert, on arrête les Liguriens épars dans la ville ; on va saisir les autres sous les joncs qui les cachent. Tous sont égorgés, et au piège du roi on oppose d'autres embûches. Il périt avec sept mille des siens. Les Marseillais ont depuis gardé l'usage, même aux jours de fêtes, de fermer leurs portes, de veiller, de couvrir leurs remparts de sentinelles, de reconnaître les étrangers, et de se garder au sein de la paix avec le même soin qu'en temps de guerre. C'est ainsi que les sages institutions se perpétuent chez eux, moins par la nécessité que par l'habitude de bien faire. V. Ils eurent ensuite de grandes guerres avec les Liguriens et les Gaulois, leurs nombreux succès rehaussèrent leur gloire, et rendirent le nom des Grecs fameux parmi leurs voisins. La prise de quelques barques de pêcheurs fit éclater une guerre entre eux et Carthage, dont ils battirent souvent les flottes, et à qui ils donnèrent la paix après leur victoire. Ils lièrent amitié avec les Espagnols, observèrent fidèlement le traité conclu par eux avec Rome naissante, et, dans toutes les guerres de leurs alliés, s'empressèrent de leur fournir des secours. Ainsi s'augmenta pour eux la confiance de leurs forces ; ainsi leurs ennemis n'osèrent troubler leur repos. Marseille florissait par la renommée de ses exploits, par la grandeur de ses richesses, par la gloire toujours croissante de ses forces, lorsque les peuples voisins se liguèrent tout à coup pour la détruire, comme pour étendre un incendie qui les menaçait tous. D'un accord unanime, ils prennent pour chef Catumandus, un des petits rois de ce pays, qui assiégeait la ville avec une nombreuse armée de soldats d'élite, lorsque, dans son sommeil, une femme d'une figure menaçante, qui disait être une déesse, l'épouvanta, et lui fit faire la paix avec les Marseillais : il demanda à entrer dans leurs mers pour y adorer leurs dieux ; arrivé au temple de Minerve, il aperçut sous le portique la statue de cette divinité qu'il avait vue en songe, et s'écria que c'était là cette déesse qui l'avait épouvanté dans la nuit, celle qui lui avait ordonné de lever le siège. Il félicita les Marseillais de la faveur que leur accordaient les dieux, offrit un collier d'or à Minerve, et jura aux habitants une éternelle amitié. Cette paix étant conclue et la sécurité rétablie, les députés de Marseille, à leur retour de Delphes où ils étaient allés faire une offrande à Apollon, apprirent que Rome était prise et brûlée par les Gaulois. Quand les Marseillais reçurent cette nouvelle, un deuil public régna parmi eux : ils rassemblèrent l'or et l'argent, tant du trésor que des particuliers, pour compléter la somme exigée par les Gaulois et destinée à acheter la paix. En reconnaissance de ce service, Rome les exempta de tout tribut, leur assigna, dans les spectacles, une place parmi les sénateurs, et conclut avec eux une alliance où elle les traitait comme des égaux. Traduction de la collection Panckoucke, 1833