Compte-rendu de la journée thématique de Résodys : « Neuropsychologie de l’attention et hyperactivité » Profitant de la venue à Marseille du Dr Revol, pédopsychiatre lyonnais spécialiste de l’hyperactivité de l’enfant, dans le cadre du Diplôme d’Université sur les troubles d’apprentissage, et devant l’intérêt particulier que présentait la thématique, Résodys a choisi d’élargir le public à tous les adhérents du réseau. Pas moins de 350 personnes s’étaient déplacées de tous les coins de la région pour assister à cet événement, assurément une réussite de ce point de vue. Une réussite également quant à la performance des intervenants, unanimement appréciée de tous, à en juger par les commentaires élogieux que chacun d’eux a reçus après la réunion. Après une présentation de la journée par le Dr Marie-Odile Livet, neuropédiatre à Aix et Marseille, et spécialiste reconnue de longue date de ces troubles, qui a en particulier insisté sur la fréquence et l’importance de la pathologie en question, la journée a commencé par un exposé de Mme Barbara Joly-Pottuz, neuropsychologue au centre de référence de la Timone, qui a présenté de façon très complète et systématique les différents modèles de l’attention, incluant les modèles neuroanatomiques de Mesulam, de LaBerge et de Posner, de même que celui, plus orienté vers la remédiation comportementale, de Barkley. Puis furent abordés les principes généraux de l’attention et de ses troubles, sous la forme d’un inventaire, qui sera très précieux pour les professionnels, de tous les concepts sous-jacents au terme d’attention, terme souvent galvaudé et généralement utilisé de façon imprécise. On nous apprend ici à bien définir et bien différencier : éveil et alerte, attention sélective et focalisée, attention maintenue ou soutenue, attention partagée ou diversifiée… La notion de fonctions exécutives, très liées à l’attention, est ensuite développée, sous l’angle principalement des conceptions de Barkley. Puis sont présentés quelques éléments concernant l’évolution des capacités attentionnelles au cours du développement normal de l’individu, montrant en particulier que les fonctions d’inhibition comportementale et de gestion du conflit (lorsque deux informations contradictoires sont présentées) commencent à se développer à partir de 3 ans, mais que les fonctions dépendant de la mémoire de travail verbale, comme l’utilisation d’un discours interne pour réguler ses comportements, ne se développent complètement que vers 9-12 ans. Enfin, la conférencière nous présente de manière très élégamment illustrée, les principaux outils qu’elle utilise lors des tests neuropsychologiques auprès d’enfants hyperactifs, mettant l’accent sur les tests de type « Stroop » dans lesquels ces enfants sont typiquement en difficulté. Lors de la discussion qui a suivi, le Dr Livet a insisté sur l’importance de l’examen neuropsychologique dans la prise en charge moderne des troubles d’apprentissage en général et des troubles de l’attention en particulier, surtout sur deux points : la contribution aujourd’hui indispensable au diagnostic, et la production d’un « état de base » auquel comparer ultérieurement les performances du sujet après traitement, pour juger de l’efficacité de ce dernier. À cet égard, les épreuves de type Stroop seraient les plus sensibles, et donc les plus utiles. La deuxième intervention a été celle du Dr David Dafonseca, pédopsychiatre à l’hôpital Sainte Marguerite, et responsable d’une unité dévolue aux troubles d’apprentissage et à leurs conséquences psychopédagogiques. Après un bref rappel historique, l’orateur rappelle les principaux éléments du diagnostic du point de vue pédo-psychiatrique : l’hyperactivité, l’impulsivité et l’inattention, en insistant sur les variations possibles entre individus et chez un même sujet. La question de la comorbidité est alors abordée (pour la première fois dans la journée, mais sera ré envisagée à plusieurs reprises). En effet, dans plus de la moitié des cas, le TDAH est associé à une autre entité, soit un trouble comportemental (trouble des conduites, trouble opposant avec provocation, mais aussi trouble anxieux, dépressif), soit un trouble d’apprentissage, en particulier du langage (retard de langage, dyslexie). Puis le Dr Dafonseca propose un abord original du sujet en envisageant les problèmes spécifiques posés par chaque tranche d’âge : la petite enfance, avec un bébé « difficile et actif », qui prend déjà des risques dans son comportement ; la maternelle et le primaire, où le comportement et les apprentissages deviennent deux problèmes permanents, enfin le collège, période cruciale où le trouble peut soit se stabiliser, soit au contraire évoluer de façon péjorative avec un risque social évident, en particulier en fonction du contexte psychosocial dans lequel l’adolescent évoluera. La prise en charge est avant tout multidisciplinaire et l’orateur a particulièrement insisté sur le rôle de chacun des protagonistes et sur le caractère obligatoire de la prise en charge psychothérapeutique, associée ou non au traitement médical (voir ci-après). Des programmes de prise en charge des parents, individuels ou en groupe, ont été élaborés dans le département que dirige le Dr Dafonseca, qui souligne l’importance d’apprendre aux parents certaines techniques pour gérer leur enfant. Enfin, des conseils à l’intention des enseignants ont été particulièrement appréciés par les quelques enseignants présents dans la salle. L’intervenant suivant fut le Dr Robert Nguyen, neuropédiatre marseillais bien connu pour son implication dans ce type de pathologie. Le traitement médicamenteux du TDAH a été une véritable révolution pour la prise en charge de ces enfants, en raison d’une efficacité indubitable. Pourtant l’histoire de la Ritaline a été particulièrement agitée, déclenchant alternativement passion et rejet, oscillations à la mesure de son efficacité. Rappelant que la molécule est connue depuis les années 1930, le Dr Nguyen remarque que ce n’est qu’en 1995 qu’elle a reçu l’autorisation de mise sur le marché en France, ce qui déjà en soi peut paraître étrange. Mais on comprend beaucoup mieux ce délai lorsqu’on apprend que cette molécule a fait l’objet de violentes attaques médiatiques, que l’orateur attribue à des excès de prescription outre-atlantique, eux-mêmes sans doute à rapprocher d’une plus grande importance de la conformité comportementale aux modèles dominants en Amérique qu’en Europe (du moins du Sud). Quoi qu’il en soit, comme le dit le Dr Nguyen « ça marche, et ça marche remarquablement » : 75% des enfants sont significativement améliorés par le traitement. Diverses autres molécules peuvent être utilisées, mais la Ritaline (Méthylphénidate) est de loin la prescription la plus répandue. « Comment ça marche » s’interroge ensuite l’orateur. Un schéma très clair nous rappelle le parcours intracérébral des voies dopaminergiques, précisément celles sur lesquelles agissent les molécules stimulantes, par inhibition, pense-t-on, du recaptage présynaptique de la substance naturelle, donc en augmentant leur densité dans la fente synaptique, lieu d’efficacité de cette dernière. Un élément capital de l’action de la Ritaline est le parallélisme entre les taux sanguins et son efficacité clinique au cours de la journée, justifiant 2 à 3 prises par jour, lorsque le produit est choisi sous sa forme habituelle. En fait, depuis très récemment, deux formes à libération prolongée sont disponibles, avec une efficacité sur toute la journée grâce à une seule prise matinale, ce qui est particulièrement précieux pour éviter les difficultés de délivrance aux enfants déjeunant à la cantine. Parmi les très nombreuses questions suscitées par ce brûlant sujet d’actualité, nous en retiendrons deux : celle de la continuité et de l’arrêt du traitement (il apparaît aujourd’hui préférable de ne pas stopper le traitement chaque week-end et pendant les vacances scolaires, autres que les grandes vacances, comme cela se fait souvent en France, car cela semble en réduire l’efficacité) et celle de l’évolution des enfants sous traitement : quand arrêter. D’après le Dr Nguyen, les adolescents demandent eux-mêmes à suspendre le traitement quand ils sentent pouvoir s’en passer, et quid d’une éventuelle dépendance : de l’avis général le risque de toxicomanie, connu pour être plus élevé chez les adolescents hyperactifs que dans la population générale, est plus fort chez ceux non traités que chez ceux sous traitement (médicamenteux ou non). Donc il n’y a PAS d’accoutumance ni de risque de toxicomanie liée à la Ritaline. Pour terminer, le Dr Nguyen a présenté ses données personnelles sur les quinze dernières années; sans réaliser de véritable statistique, ces données sont très instructives, montrant sur un total de 180 consultations pour diagnostic ou suspicion d’hyperactivité, 50 patients traités médicalement, dont la majorité au cours de ces 5 dernières années, ce qui semble s’expliquer par une meilleure connaissance du problème par les praticiens référents. Après une collation offerte par les Laboratoires Janssen, la journée reprend par la présentation du Dr Michel Habib, neurologue, sur « cerveau et hyperactivité ». Le Dr Habib indique que cette présentation est une revue de l’importante littérature sur le sujet, en croissance considérable depuis l’utilisation des méthodes d’imagerie cérébrale, en particulier fonctionnelle. Cette revue nécessite dans un premier temps une mise en place des structures cérébrales concernées, avant d’aborder d’une part les travaux en imagerie morphologique (IRM) et ceux en imagerie fonctionnelle. Enfin, une synthèse de ces données permettra de proposer un modèle neuroanatomique de l’hyperactivité à la lumière des connaissances actuelles. Évitant d’entrer dans des détails techniques qui risquent de rebuter l’assistance, le Dr Habib présente néanmoins les 5 structures cibles qui sont le plus souvent citées comme siège d’anomalies sur le cerveau d’hyperactifs : le cortex cingulaire (dont le rôle est réputé important dans les mécanismes cognitifs de gestion d’informations conflictuelles), le cortex frontal dorso-latéral, siège des fonctions exécutives et de la mémoire de travail si souvent en défaut chez les hyperactifs, le cervelet, dont l’altération apparaît comme non spécifique, et surtout deux structures qui s’avèrent de plus en plus déterminantes : le noyau caudé, en particulier sa partie ventrale, le noyau accumbens, qui serait le siège de l’appréciation du caractère récompensant ou punitif d’un stimulus ou d’une action, et le cortex orbito-frontal, siège de la mise en mémoire conjointe entre cette signification en terme de récompense et le contexte socio environnemental qui lui a été associé au cours de la maturation de l’individu (cf. la théorie des marqueurs somatiques de Damasio, explosée dans son ouvrage : l’Erreur de Descartes, chez Odile Jacob). En effet, il apparaît de plus en plus, au fur et à mesure des nouveaux travaux, tant anatomiques que fonctionnels chez les enfants et adolescents hyperactifs, que ces deux structures sont au centre de la dysfonction. Cela tendrait à montrer que l’hyperactivité ne serait pas primitivement une pathologie du système moteur, ou cognitif, mais bien du système de régulation émotionnelle, centré sur des parties archaïques (limbiques) de notre cerveau. Un modèle, basé sur les connaissances actuelles de l’organisation des systèmes frontaux sous forme de « boucles » cortico-sous-corticales imbriquées mais distinctes, est proposé et schématisé comme un ensemble d’engrenages dont la dysfonction d’une partie entraînerait la dysfonction des autres, chacune des boucles étant impliquée de manière variable selon la forme du trouble (hyperactif prédominant, inattentif prédominant, ou hyperactif avec trouble des conduites). Les travaux ultérieurs permettront sans doute d’approfondir ou de démentir ce modèle. Le reste de la journée à été consacré à l’intervention très attendue du Dr Olivier Revol, présenté par le Pr Josette Mancini, directrice du centre de référence et chef du Service de neuropédiatrie. Le Dr Revol a, comme à son habitude, passionné l’auditoire par une série d’exposés remarquablement documentés, clairement organisés, et surtout grâce à une capacité hors du commun à transmettre des messages simples et pertinents sur un sujet qu’il maîtrise évidemment à la perfection. L’exposé a commencé par des généralités sous la forme d’un rappel terminologique et historique en insistant une fois encore sur la question du traitement médicamenteux déjà débattue au cours de la matinée. Un élément important de ce débat : 3 millions d’enfants traités aux USA, 5000 en France seulement, une discordance qui en dit long sur les biais de comportements, ici comme là-bas, à son origine. « La vérité doit probablement se situer au milieu », conclut logiquement le Dr Revol. Le point de vue développé ensuite par le Dr Revol, a été de considérer l’hyperactivité comme un symptôme pouvant procéder de diverses étiologies qu’il propose de représenter sous la forme d’une « marguerite » dont chaque feuille correspond à un diagnostic différent, mais qui sont chacune reliées au pistil central de l’hyperactivité. Ainsi propose-t-il de distinguer les symptômes présents ‘partout et toujours’, suggérant une cause constitutionnelle : TDAH ou dysharmonie d’évolution, et les symptômes intermittents et d’apparition récente, révélant un trouble secondaire, en particulier les troubles affectifs (TOC, dépression) les carences éducatives et les troubles liés à l’environnement (échec scolaire, précocité). Tous ces cas de figure sont ensuite passés en revue un à un, illustrés de documents vidéos pour certains d’entre eux. Deux moments marquants au cours de cet exposé : le thème de l’enfant précoce, du reste assez souvent hyperactif, qui est une des spécialités du Dr Revol, dont l’expérience chaque année plus grande apporte des éléments de compréhension déterminants; et une notion émergente, celle du MDD (Multiplex developmental disorder), proche de la notion, plus classique mais floue, de dysharmonie d’évolution, qui représente un véritable diagnostic différentiel du THADA. Pour nous en convaincre, le Dr Revol nous montre une vidéo extraite d’une émission télévisée sur l’hyperactivité, où l’enfant a clairement un comportement singulier au niveau relationnel et affectif, à l’évidence distinct de celui d’un véritable hyperactif alors qu’il est présenté par le journaliste comme typiquement hyperactif!!. Pour terminer, le Dr Revol nous présente les outils qu’il utilise dans sa pratique et nous illustre ainsi sa propre démarche diagnostique face à un enfant hyperactif, ici encore illustrée de nombreux et passionnants exemples extraits de sa grande expérience, et présentés de manière toujours captivante pour un auditoire qui a apprécié en connaisseur. En définitive, une journée riche, dense, pleine d’informations qui mériteront d’être revues par chacun sur les diaporamas mis à disposition généreusement par chacun des intervenants (voir site web de Résodys, rubrique événements/diaporama des interventions).