Les langagistes et les tendances langagières : la nouvelle

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VIIIe Colloque Cuba-Canada sur la traduction, l'interprétation et la terminologie
Conseil des traducteurs, interprètes et terminologues du Canada (CTTIC)
Asociación Cubana de Traductores e Intérpretes (ACTI)
La Havane, Cuba, 11-13 décembre 2012
Thème : Enjeux et perspectives pour les langagiers d'aujourd'hui
Les langagistes et les tendances langagières :
la nouvelle orthographe et la parité linguistique
par Louise-Laurence Larivière, Ph.D.
Université de Montréal
INTRODUCTION
La société change de même que la langue qui en est le reflet. Aussi, il appartient aux langagistes de se
tenir au courant des dernières tendances en matière de langue pour s'adapter aux changements sociaux
et répondre aux demandes particulières de leur clientèle. Il y a donc nécessité d'une formation sur ces
tendances. Parmi celles-ci se trouvent la parité linguistique et la nouvelle orthographe. Aussi, dans cette
communication, je ferai part, d'abord, des règles qui régissent la parité linguistique. Ensuite, j'énoncerai
les règles qui régissent la nouvelle orthographe. Cette présentation sera accompagnée de commentaires
sur la pertinence de ces règles.
1.
LES RÈGLES DE LA PARITÉ LINGUISTIQUE
La parité linguistique est un procédé d'écriture qui établit l'égalité des femmes et des hommes
dans la langue afin que les textes soient exempts de sexisme. Cette parité se manifeste, sur le
plan morphologique, par des désignations représentant les êtres humains aux deux genres
grammaticaux, le féminin et le masculin, et, sur le plan syntaxique, par des procédés permettant
de faire coexister ces deux genres dans les phrases sans que l'un ait priorité sur l'autre.
Les règles morphologiques touchent les noms communs de personnes (et accessoirement les
gentilés, soit les noms des personnes qui habitent un lieu) dont certains sont soumis à la
variation en genre alors que d'autres ne le sont pas (v. le tableau en annexe Les règles de la
parité linguistique).
1.1
Les noms soumis à la variation en genre
Les noms soumis à la variation en genre sont de trois formations différentes.
Première formation : les noms épicènes
Les noms de la première formation sont des noms qui ont la même forme au féminin et au
masculin et sont appelés des noms épicènes. C'est le mot qui les précède, appelé déterminant
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(un ou une, le ou la, mon ou ma, etc.), qui va établir leur genre (ex. un/une linguiste, un/une
chef, un/une sans-abri, un/une PDG, un/une prof, un/une beatnik).
Deuxième formation : les doublets
Les noms de la deuxième formation ont des suffixes différents et sont appelés des doublets qui
peuvent avoir quatre types de finales :
Le premier type comporte des noms dont les finales sont identiques à l’oral et différentes à
l’écrit (ex. un élu / une élue, un colonel / une colonelle, un professeur / une professeure).
Le deuxième type comporte des noms dont les finales sont différentes à l’oral et à l’écrit.
Ces finales se terminent par une consonne prononcée, au féminin, à laquelle s’ajoute un e muet
à l’écrit (ex. un marchand / une marchande, un écrivain / une écrivaine, un doyen / une
doyenne, un boucher / une bouchère, un commis / une commise, un magistrat / une magistrate,
un cadet / une cadette).
Le troisième type comporte des noms ayant trois finales alternées majeures. La première
alternance, en -teur/-trice, constitue la formation régulière des noms venant, entre autres, de
noms latins ayant pour suffixes -tor au masculin et -trix au féminin : ex. un traducteur / une
traductrice, un auteur / une autrice. La deuxième alternance, en -eur/-euse, constitue la
formation régulière des noms venant de participes présents de verbes et de noms français : ex.
mettre > mettant > un metteur / une metteuse (en scène); réviser > révisant > un réviseur / une
réviseuse; camion > un camionneur / une camionneuse; chronique > un chroniqueur / une
chroniqueuse. La troisième alternance (en -eux/-euse) comprend des noms provenant surtout
d'adjectifs : ex. un religieux / une religieuse tout comme un rite religieux, une secte religieuse.
Le quatrième type comporte des noms ayant des finales alternées mineures telles -e/-esse :
ex. un comte / une comtesse; -eur/-eresse : ex. un bailleur / une bailleresse; -eau/-elle : ex. un
nouveau / une nouvelle; -f/-ve : ex. un sportif / une sportive, un veuf / une veuve; -x/-se : ex. un
époux / une épouse; -x/-sse : ex. un roux / une rousse).
Troisième formation : les couples ou paires
Les noms de la troisième formation sont des noms qui ont des formes différentes au féminin et
au masculin et qui constituent des couples ou des paires. Simples ou composés, ces noms se
retrouvent dans les classes de noms suivantes : les titres de civilité (ex. Monsieur / Madame),
les noms de profession (ex. un danseur de ballet / une ballerine), les noms de fonction (ex. un
garçon d'honneur / une fille d'honneur), les noms de condition (ex. un homme d'affaires / une
femme d'affaires, un confrère / une consœur), les noms de parenté (ex. un oncle / une tante).
1.2
Les noms non-soumis à la variation en genre
Les noms non-soumis à la variation en genre sont de deux formations différentes.
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Première formation
Les noms de la première formation sont soit des noms féminins, soit des noms masculins qui
s'appliquent tant aux hommes qu'aux femmes et sont de trois types.
Le premier type comporte des noms génériques tels les noms féminins personne, victime et
masculins ange, être, individu, gens :
ex. :
Anne est une personne, Paul est une personne.
Anne est un ange, Paul est un ange).
Le deuxième type comporte des noms de choses devenus, par métonymie, des noms de
personnes, tels les noms féminins autorité, connaissance, estafette, étoile, ordonnance, recrue,
relation, sentinelle, star, vedette, vigie et les noms masculins as, génie, modèle, phénix :
ex. :
Anne est une autorité, Paul est une autorité
Anne est un génie, Paul est un génie.
Le troisième type comporte des noms péjoratifs, tels les noms féminins andouille, brute,
canaille, girouette, mauviette, sainte-nitouche et masculins bandit, despote, escroc, monstre,
tyran, voyou :
ex. :
Anne est une canaille, Paul est une canaille.
Anne est un monstre, Paul est un monstre.
Deuxième formation
Les noms de la deuxième formation sont des noms féminins et masculins qui sont soit spécifiques
aux femmes (ex. une parturiente, un contralto), soit spécifiques aux hommes (ex. un ténor, une
basse chantante).
2.
LES RÈGLES DE LA NOUVELLE ORTHOGRAPHE
En 1990, le Conseil supérieur de l'éducation en France proposa des rectifications
orthographiques qui ont reçu un avis favorable de l'Académie française. Ces rectifications n'ont
commencé à être appliquées qu'en 2004 avec les travaux du groupe Renouvo qui réunissait des
spécialistes de différents pays de la francophonie. Les dictionnaires et les correcteurs ont
emboité le pas et utilisent, en tout ou en partie, ces rectifications de même que certains guides et
journaux. Les ministères de l'Éducation ont émis des directives afin que ces rectifications soient
enseignées dans les écoles.
Voici donc ces règles regroupées, dans le tableau en annexe (Les règles de la nouvelle
orthographe) autour des rectifications touchant les mots composés, les accents et le tréma, les
mots d'emprunt à d'autres langues, les consonnes doubles, certaines anomalies et les participes
passés.
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2.1
Mots composés
Certains mots composés unis par des traits d'union subissent la soudure, soit ceux formés à
l'aide des préfixes contr(e)-, entr(e)-, extra-, infra-, ultra- (ex. contrattaque, entretemps,
extraterrestre, infrason, ultraviolet), ceux composés d'éléments savants (ex. agroalimentaire,
cybercafé, minijupe, téléfilm), les onomatopées (ex. blabla, tamtam, tictac), les composés avec
bas(se)-, bien-, haut(e)-, mal-, mille- et quelques autres composés (ex. bassecour, bienfondé,
hautparleur, malfamé, millepatte, entête, portemonnaie, rondpoint, sagefemme) ainsi que les
mots composés d'un verbe et du mot tout (ex. brisetout)
Font exception les composés qui entrainent les groupements suivants : a+i (ultra-illicite), a+u
(intra-utérin), o+i (bio-industrie), o+u (pseudo-urgent), a+in/im (ultra-inapte), o+in/im (autoimmun) afin d'éviter une prononciation fautive (ex. extrautérin).
Les nombres composés écrits en lettres, qu'ils soient en bas ou en haut du nombre «cent»,
deviennent tous des composés avec trait d'union (ex. deux-mille-huit-cent-trente-cinq) (2835)
y compris ceux qui sont formés de la conjonction et (ex. vingt- et- un) (21).
2.2
Accents et tréma
L'accent aigu se change en accent grave a) dans certains noms dont le e se prononçait comme
le son è (ex. événement > évènement) avec comme exceptions les noms formés d'un préfixe (ex.
dégeler), d'une seule voyelle comme première syllabe (ex. édredon) de même que médecin et
médecine; b) dans les verbes en -er qui ont un accent aigu à la pénultième (ex. céder) devant
une syllabe muette que cette syllabe soit en position finale ou en position interne de mot (cède,
cèdera, cèderais) tout comme les verbes sans accent à la pénultième (ex. semer > sème,
sèmerai, sèmerais); c) dans les inversions (ex. dussé-je > dussè-je).
L'accent circonflexe disparait sur les i et les u (ex. paraitre, flute), sauf dans les homographes
crois/croîs, du/dû, mur/mûr sur/sûr, jeune(s)/jeûne(s) et certains temps du verbe (passé simple
et imparfait du subjonctif) nous vîmes, vous vîtes, qu'elle mît, nous eûmes, vous fûtes, qu'elle
bût), de même que sur le o du mot allo.
Le tréma se déplace dans les groupements -gue et -gui (ex. aiguë > aigüe, ambiguïté <
ambigüité). Le tréma s'ajoute dans les mots arguer > argüer et gageure > gageüre pour
s'assurer de la bonne prononciation.
2.3
Mots d'emprunt à d'autres langues
Les mots d'emprunt sont soumis aux modifications suivantes : a) à la soudure (ex. cowboy,
weekend, harakiri, statuquo); au pluriel français régulier (ex. des raviolis, des sopranos, des
flashs, des prix maximums, des Inuits, des ladys, des gentlemans); à l'accentuation des voyelles
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en conformité avec la prononciation (ex. pizzéria, faciès, à priori); à une suffixation française
-eur/-euse pour les mots anglais en -er (ex. leader > leadeur/leadeuse).
2.4
Consonnes doubles
Les verbes en -eler et -eter, qui redoublent respectivement la consonne l ou la consonne t
devant une syllabe muette finale ou interne, s'harmonisent désormais sur les verbes qui
s'écrivent avec une seule consonne précédée d'un e accent grave (ex. je ruissèle, je pellète,
j'amoncèlerai, j'empaquèterai). Il en est de même pour leurs noms dérivés (ex. ruissèlement,
amoncèlement).
Les noms en -olle ne prennent qu'un l (ex. corole, corolaire), à l'exception de colle, molle, folle,
tandis que les noms et les verbes en -ott ne prennent qu'un t (ex. frisotis, frisoter) à l'exception
des mots de la même famille qu'un nom en otte d'une syllabe (ex. botte > botté, botter).
2.5
Anomalies
Certaines anomalies sont corrigées. Ainsi, des noms de même famille sont harmonisés en
retranchant ou en ajoutant une consonne (ex. imbécilité sur imbécile, charriot sur charrue,
combattivité sur combattre, boursouffler sur boursoufflure, bonhommie sur bonhomme).
Certaines lettres non prononcées sont supprimées (ex. asseoir > assoir, oignon > ognon,
quincaillier > quincailler, serpillière > serpillère, nénuphar > nénufar).
Certains mots s'harmonisent sur des formations semblables (ex. relais > relai sur balai,
cuissot de cerf > cuisseau de cerf sur cuisseau de veau, levraut > levreau sur agneau,
éléphanteau.
2.6
Participes passés
Le participe passé du verbe laisser suivi d'un infinitif est invariable (ex. Je les ai laissé
dormir) comme le participe passé du verbe faire (ex. Je les ai fait courir) même si le
complément d'objet direct est placé devant le verbe. Ces deux verbes sont alors considérés
comme des semi-auxiliaires.
Le participe passé masculin des verbes absoudre (absous) et dissoudre (dissous) s'harmonise
sur la forme féminine (absout/absoute, dissout/dissoute).
CONCLUSION
Les règles de la parité linguistique s'articulent autour de formations en genre régulières et non sur
des constructions aléatoires au gout des utilisateurs et des utilisatrices, à quelques exceptions près : ex.
une docteure (et non * une doctrice), une ingénieure (et non *une ingénieuse), une chef (et non *une
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chève) pour des questions d'usage plus réalistes bien que ces formations soient régulières. Ainsi, la
régularité des règles de formation en simplifie l'apprentissage.
Les règles de la nouvelle orthographe qui harmonisent des données sont fort pertinentes, soit la règle
de soudure des noms composés (ex. entretemps), celle d'uniformisation des nombres (ex. deux-centtrois), celle des verbes en -eler et -eter (ex. j'amoncèle, j'empaquète), celle des verbes qui ont un accent
aigu sur la pénultième (ex. céder > cèderai, cèderais), celle des pluriels des noms composés (ex. des
sans-abris), toutes celles reliées aux noms d'emprunt (ex. des raviolis, pizzéria, cowgirl), celle
d'uniformisation des noms de même famille (ex. imbécilité). Ces règles peuvent s'appliquer facilement
puisque, sans le savoir, i.e. en commettant des fautes, on se conformait déjà à la nouvelle orthographe
(ex. écrire imbécilité avec un seul l).
Sont moins pertinentes celles qui touchent à la suppression des accents circonflexes sur les i et les u
(ex. boite, flute) ainsi qu'au déplacement et à l'ajout du tréma (ex. aigüe, ambigüité) puisqu'elles
n'entrainent pas de changements de prononciation ni d'écarts avec des mots de même famille.
Toutefois, il faut admettre qu'il est plus normal de mettre le tréma sur la première de deux voyelles
consécutives pour annoncer la prononciation distincte de ces deux voyelles comme cela se fait en
espagnol : ex. lingüistica, bilingüe.
Les règles suivantes, par contre, ajoutent des difficultés plus qu'elles n'en résolvent, comme celle de
maintenir l'accent circonflexe sur jeûne pour l'opposer à jeune, mais enlever l'accent circonflexe sur le
verbe jeûner qui est pourtant de la même famille que jeûne. Il en est de même de celle qui maintient
l'accent circonflexe sur je croîs, tu croîs, il/elle croît (du verbe «croitre») pour différencier ces formes
de leurs homographes du verbe «croire» alors que l'on supprime cet accent circonflexe sur les verbes à
l'infinitif croitre et décroitre. Ces règles mériteraient d'être repensées et révisées.
RÉFÉRENCES
Parité linguistique
LARIVIÈRE, Louise-Laurence.
■ Guide de féminisation des noms communs de personnes. Montréal : Fides, 2005. 217 p.
■ Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique ou À la recherche des mots perdus. Montréal :
Éditions du Boréal, 2000. 149 p.
Nouvelle orthographe
CONTANT, Chantal. Grand vadémécum de l'orthographe moderne recommandée. Montréal : De
Champlain, S.F. 2010. 256 p.
www.nouvelleorthographe.info
www.orthographe.recommandee.info
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