Investigations radiologiques en cardiologie : quels risques pour le

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Investigations radiologiques
en cardiologie : quels risques
pour le patient ?
Le volume des procédures diagnostiques ou thérapeutiques en
cardiologie nécessitant l’usage des radiations ionisantes ne
cesse d’augmenter. Si la plupart des examens délivrent des
doses relativement faibles et ajoutent ainsi un risque faible à
la procédure elle-même, il existe des situations où les doses
délivrées dépassent le niveau de dose où un excès de risque
de mort par cancer a pu être démontré. En outre, certaines
procédures complexes peuvent se solder par l’apparition d’effets déterministes comme une brûlure à la peau. L’objectif de
cette contribution est de donner les outils nécessaires à l’exercice de la justification de l’examen ou de la procédure en
regard du risque radiologique associé. Ce type d’information
peut s’avérer aussi utile dans le cadre de l’obtention du consentement éclairé du patient.
Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 1325-31
F. R.Verdun
A. Aroua
F. Bochud
J.-C. Stauffer
Drs Francis R.Verdun, Abbas Aroua
et François Bochud
Institut universitaire de radiophysique
Dr Jean-Christophe Stauffer
Division de cardiologie
CHUV-UNIL, 1011 Lausanne
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Cardiac radiological investigations :
what risks for the patients ?
The volume of diagnostic or therapeutic procedures in cardiology requiring the use of
ionizing radiation is continuously increasing.
While most examinations involve doses relatively low and thus add a low risk to the process itself, there are situations where the
doses exceed the dose where excess risk of
death from cancer has been statistically demonstrated. In addition, some complex procedures can result in the emergence of deterministic effects such as burns to the skin. The
aim of this contribution is to provide general
practitioners with the tools required to exercise the justification of the procedure with
regard to the radiation hazard involved. This
information may also be useful in the framework of the informed consent of the patient.
0
INTRODUCTION
La prise en charge des patients souffrant de pathologies cardiaques nécessite très souvent de recourir à des techniques
d’investigation utilisant les radiations ionisantes (rayons X ou
gamma).
A titre d’exemple, 3,85 millions de cathétérismes cardiaques et
3 millions d’examens de médecine nucléaire (investigations
cardiaques uniquement) ont été effectués aux Etats-Unis en
2002.1 En Suisse, la dernière enquête nationale sur l’exposition
de la population par la radiologie médicale a révélé que près
de 37 000 coronarographies et de 17 000 dilatations coronaires ont été effectuées
en 2005.2 Ces techniques sont considérées comme invasives puisqu’elles nécessitent la ponction d’une artère. En outre, il arrive exceptionnellement que les
doses délivrées à la peau dépassent le seuil d’apparition d’un érythème.
Actuellement, les développements technologiques du CT offrent la possibilité
d’explorer non seulement la fonction cardiaque (mesure de la fraction d’éjection
par exemple) mais aussi l’état des coronaires et des gros vaisseaux de manière
non invasive puisqu’il suffit d’une simple ponction veineuse pour procéder à
l’examen. Les angiographies des coronaires par CT (CTCA) sont à présent relativement bien standardisées et offrent une sensibilité et une spécificité élevées
ainsi qu’une valeur prédictive négative d’environ 95%. De ce fait, le CTCA est
parfois proposé en première intention lors de syndromes coronariens aigus
avant même l’obtention des résultats enzymatiques. On estime actuellement
qu’aux Etats-Unis environ 6 millions de CTCA sont effectués chaque année.1,3
L’augmentation des examens radiologiques utilisant les radiations ionisantes
est depuis plusieurs années mentionnée non seulement dans les journaux
médicaux s’adressant aux professionnels mais aussi dans la presse destinée au
grand public. A titre d’exemple, dans son édition du 17 juin 2007, Le New York
Times interpellait l’opinion publique sur la justification et le nombre croissant
d’examens CT.
Dans un tel contexte, il est nécessaire que les praticiens évaluent les risques
radiologiques associés aux investigations cardiaques pour, d’une part, appliquer
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correctement le premier principe de radioprotection, à
savoir la justification de l’examen, mais aussi pour obtenir
le consentement éclairé du patient.
Le but de cette revue est de rappeler les effets des
radiations ionisantes sur l’organisme. On introduira ensuite
les grandeurs opérationnelles couramment utilisées pour
quantifier ces risques. On terminera en donnant quelques
ordres de grandeurs afin que les praticiens puissent juger
des risques encourus lors d’une investigation radiologique.
Il est en particulier important qu’à l’issue d’une procédure
lourde, le praticien puisse exploiter les informations dosimétriques à sa disposition pour vérifier la présence ou
l’absence d’effets secondaires comme l’apparition d’érythèmes ou de brûlures.
RISQUE ASSOCIÉ À L’USAGE DES RADIATIONS
IONISANTES
Perception du risque
Chaque examen radiologique ou de médecine nucléaire
implique l’administration de radiations ionisantes et induit
un risque au patient. Cette notion de risque radiologique
mérite d'être placée dans le contexte de la vie de tous les
jours dans lequel il est courant d’ignorer des facteurs de
risque inférieurs ou égaux à un sur un million (10-6). Ceci
est justifié par le fait que chaque jour nous prenons des
risques beaucoup plus élevés. A titre indicatif, le facteur
de risque associé aux déplacements, dans l’Union Européenne, était, pour l’année 2001-2002, de 6,4 10-8 par kilomètre pour la marche, de 0,7 10-6 pour 100 km en voiture et
de 0,035 10-6 pour 100 km en avion.4 En pratique, les faits
objectifs sont souvent entachés par des aspects psychologiques. Nous avons par exemple naturellement tendance
à sous-estimer les grands risques que nous côtoyons régulièrement, comme ceux associés au tabagisme, et à surestimer des petits risques à haute composante émotionnelle,
comme celui de mourir en Suisse à la suite d’une morsure
de serpent par exemple. En outre, il semble que l’on soit
davantage disposé à prendre de plus gros risques lorsque
l’on estime avoir le contrôle de la situation, comme conduire sa voiture plutôt que de prendre l’avion.
Effets des radiations ionisantes sur l’organisme
Les rayons X ou gamma sont dits indirectement ionisants,
car l’énergie est véritablement libérée dans le tissu par le
biais des électrons, mis en mouvement par les rayons X ou
gamma, qui à leur tour vont effectuer un très grand nombre
d’ionisation. L’énergie que déposent ces électrons par unité
de masse de tissu est appelée dose absorbée et, souvent,
notée D. Il s’agit de la grandeur de base utilisée pour mesurer les effets biologiques attendus. Elle a la dimension
d’un joule par kilogramme (J x kg-1) et s’exprime en gray (Gy).
Pour tenir compte du fait que tous les types de rayonnements ne produisent pas le même effet chez l’être humain,
on a introduit la notion de dose équivalente, notée H. C’est
le produit de D et d’un facteur de pondération, wR, qui
dépend du type de radiation et exprime son efficacité.
Bien qu’ayant la même dimension que D (J x kg-1), la dose
équivalente est exprimée en sievert (Sv). Pour les rayons
X ou gamma, wR est égal à l’unité. Ainsi, une dose absor-
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bée de 1 Gy équivaut à une dose équivalente de 1 Sv.
Les effets associés à une exposition aux radiations sont
divisés en deux catégories : les effets stochastiques et les
effets déterministes.
Effets stochastiques
Les risques majeurs associés à une procédure radiologique utilisant les radiations ionisantes sont les effets stochastiques. Ils induisent un risque génétique minime sur
la descendance et surtout ajoutent un risque supplémentaire au risque naturel de développer un cancer. Ils dépendent fortement de l'âge et sont trois à quatre fois plus
importants chez l’enfant que chez l’adulte. L’un des problèmes liés aux effets stochastiques est le fait qu’ils soient
sans seuil. Il est donc nécessaire de justifier un examen
utilisant les radiations ionisantes et d’être sûr que le bénéfice de cet examen pour le patient dépasse le risque
encouru. En outre, lorsque la procédure est justifiée, la
prise en charge du patient doit être optimisée.
L’estimation des effets stochastiques se fait par le biais
d’une grandeur synthétique, appelée dose effective en Suisse,
mais dose efficace en France, et notée E. Cette grandeur ne
peut pas être mesurée directement. Elle s’obtient sur la
base de calculs qui simulent toute la procédure d’exposition pour un patient de 70 kg dont la morphologie a été
standardisée.5,6 Le principe de base de l’estimation de la
dose effective délivrée lors d’une procédure radiologique
consiste à déterminer les doses reçues par un certain
nombre d’organes et de tissus puis d’effectuer une somme
pondérée de ces doses en utilisant des facteurs de pondération, wT, qui tiennent compte de la radiosensibilité
individuelle des organes et tissus considérés. La dimension de E est la même que celle de D et H (J x kg -1) ; elle
est cependant exprimée en sievert (Sv).
L’intérêt de E est de permettre de comparer la dangerosité radiologique de différentes modalités comme la fluoroscopie, la tomodensitométrie ou la médecine nucléaire.
Cette grandeur permet aussi de comparer le risque radiologique associé à une procédure d’imagerie médicale à
celui associé à d’autres types d’expositions et, en particulier, à l’irradiation naturelle. A titre indicatif, la dose effective annuelle totale reçue en moyenne par un individu en
Suisse est de 4,1 mSv, alors que la dose effective moyenne
associée à l’exposition médicale est de 1,2 mSv.7
Lorsque l’on évalue E pour les examens médicaux, il est
important de garder à l’esprit que l’incertitude associée
est grande. Elle est de plus ou moins 50% pour un patient
dont l’anatomie est très proche du patient standard de
70 kg utilisé pour estimer la grandeur et peut atteindre plus
ou moins 100% pour un patient quelconque. De ce fait, la
dose effective ne peut pas être déterminée pour un patient lambda. Elle doit être uniquement utilisée pour déterminer si le risque radiologique stochastique associé à
une procédure est particulièrement élevé par rapport à
une autre procédure.6
Effets déterministes
Les effets déterministes (érythèmes, épilations, brûlures
à différents stades selon le degré d’irradiation de la peau…)
ne sont, en général, pas attendus à la suite d’examens carRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 mai 2008
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diologiques purement diagnostiques mais sont quelquefois rapportés lors de la prise en charge de cas particulièrement critiques après certaines procédures complexes
comme peuvent l’être certaines dilatations des coronaires
(PTCA), les recanalisations ou encore certaines thermoablations. Il est important de retenir que contrairement aux
effets stochastiques, les effets déterministes présentent
un seuil et n’apparaissent qu’au-delà d’une certaine dose
d’irradiation à la peau. Ils sont certes rares, mais ils existent.8
Pour estimer les risques déterministes, on doit connaître la dose absorbée au niveau de la peau du patient.
A partir d’une dose absorbée au niveau de la peau de 2,0 Gy,
on peut s’attendre à voir apparaître un érythème transitoire.
Il faut être attentif au fait que certains effets déterministes
n’apparaissent que quelques jours, voire quelques mois
après l’irradiation et que plus la dose reçue à la peau est
élevée plus les effets déterministes sont graves (tableau 1).
On notera que les effets déterministes ne sont pas attendus
après les examens CT.
Tableau 1. Risques déterministes et doses de seuil
à la peau
Effet
Dose de seuil (Gy)
Délai d’apparition
Erythème transitoire
2
Quelques heures
Epilation temporaire
3
3 semaines
Erythème principal
6
10 jours
Epilation permanente
7
3 semaines
Desquamation sèche
10
4 semaines
Atrophie du derme
11
L 14 semaines
Télangiectasie
12
L 52 semaines
Desquamation humide
15
4 semaines
Erythème tardif
15
6 à 10 semaines
Nécrose
18
L 10 semaines
Les grandeurs opérationnelles
Détermination de la dose effective
Pour estimer la dose effective associée à un examen
radiologique, on utilise différentes grandeurs opérationnelles qui sont facilement mesurables. Elles sont en outre
indiquées à l’issue de l’examen sur la console de l’installation radiologique.
Pour les examens de radiographie, la grandeur opérationnelle utilisée est la «dose absorbée en surface à l’entrée du faisceau dans le patient» dont l’abréviation est DES
(ESD dans la terminologie anglo-saxonne). La DES est exprimée en mGy et est convertie en dose effective, en mSv,
en la multipliant par un facteur qui vaut par exemple 0,2
pour une radiographie thoracique.
Pour les examens de fluoroscopie, on utilise une grandeur opérationnelle appelée «produit dose-surface» ou
«produit kerma-surface» dont les abréviations sont respectivement PDS (DAP dans la terminologie anglo-saxonne) et
PKS. L’unité la plus courante utilisée est le Gy.cm2. Certains
constructeurs expriment aussi le PDS en cGy.cm2 ou en
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encore en µGy.m2. Pour exprimer le PDS dans l’unité la plus
couramment utilisée, on doit se rappeler que 1 Gy.cm2 est
égal à 100 cGy.cm2 ou à 100 µGy.m2. Afin de passer du PDS
à la dose effective en mSv, dans le cas où la région pulmonaire est exposée, on multiple le PDS exprimé en Gy.cm2
par un facteur de conversion qui vaut 0,2.
Pour les examens de tomodensitométrie, la grandeur
opérationnelle que l’on utilise est le «produit dose-longueur» dont l’abréviation est le PDL (DLP dans la terminologie anglo-saxonne). L’unité de cette grandeur est le
Gy.cm. Pour passer du PDL à la dose effective en mSv, dans
le cas où la région pulmonaire est exposée, on multiple le
PDL exprimé en Gy.cm par un facteur de conversion qui
vaut environ 0,02.
Pour les examens de médecine nucléaire, la grandeur
opérationnelle de choix est l’activité administrée, notée A
et exprimée en MBq. Cette dernière est convertie en dose
effective en la multipliant par un facteur qui vaut par exemple 7 x 10-3 pour l’exploration du cœur au moyen du technétium (99Tc-MIBI).
Le tableau 2 présente les doses effectives associées à
une série d’examens courants en radiodiagnostic et en médecine nucléaire.
Détermination de la dose à la peau
L’estimation de la dose absorbée en surface de la peau
en fluoroscopie est un exercice difficile puisque l’on conduit la procédure en changeant régulièrement l’incidence
du faisceau de rayons X. Il est cependant possible d’avoir
une idée de la dose délivrée à la peau en utilisant une grandeur opérationnelle particulière, appelée «dose cumulée».
Cette dose estime la dose qu’aurait reçue la peau si la
géométrie d’irradiation n’avait pas changé tout au long de
la procédure. On peut considérer que la dose cumulée indiquée par l’installation en cardiologie surestime la dose à
la peau d’un facteur 2 à 3. Si cette grandeur opérationnelle
n’est pas disponible, on peut aussi estimer la dose à la
peau à partir du PDS sachant que l’on sera beaucoup moins
précis. Pour estimer la dose à la peau en Gy, il suffit de
diviser le PDS exprimé en Gy.cm2 par 200 ou 300 (surface
du champ à la peau en cm2).
Dose effective et risque supplémentaire
d’induction de cancer
L’inférence du risque de mort par cancer à partir de la
dose effective est un exercice périlleux. L’incertitude liée
à cette démarche est de l’ordre d’un facteur 2 à 3 selon le
domaine de dose où l’on se trouve pour un patient dont la
morphologie correspond à un patient standard. Pour un
patient moins corpulent ou plus corpulent, cette incertitude atteint un facteur 5. Pour procéder à cette inférence, on
a utilisé plusieurs cohortes dont celle de la population
d’Hiroshima-Nagasaki qui est suivie depuis 1957 par différentes commissions scientifiques.9 Les effets d’induction
de cancer par les radiations ont été largement étudiés mais,
en dépit d’être bien documentés, ils font toujours l’objet
de controverses. S’il n'y a maintenant aucun doute qu’une
dose supérieure à 100 mSv peut avoir des conséquences
néfastes telles que l’induction d’un cancer, la situation est
moins claire dans le domaine des faibles doses. L’une des
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Tableau 2. Doses effectives et risques stochastiques
Examen
Grandeur
opérationnelle
Valeur
typique
Dose
effective
(mSv)
Procédures de radiodiagnostic
Bite-Wing (dent)
DES (mGy)
2
0,01
Dentaire panoramique
DES (mGy)
0,7
0,06
Thorax PA
DES (mGy)
0,1
0,02
Bassin AP
DES (mGy)
6
0,7
Abdomen PA
DES (mGy)
Coronarographie
PDS (Gy.cm 2)
60
12
PTCA
PDS (Gy.cm 2)
80
16
RFCA
PDS
(Gy.cm 2)
130
26
CTCA (rétrospectif
sans synchronisation
ECG)
PDL (Gy.cm)
1500
25
CTCA (rétrospectif
avec synchronisation
ECG)
PDL (Gy.cm)
750
12,5
CTCA (prospectif –
«snap shot»)
PDL (Gy.cm)
180
3
Examen
Produit
radiopharmaceutique
3
1,2
Activité
Dose
administrée effective
(MBq)
(mSv)
Procédures de médecine nucléaire
Cœur (repos)
Tc-99m sestimibi
800
7,0
Cœur (stress)
Tc-99m sestimibi
800
6,0
Cœur (repos)
Tc-99m tetrofosmin
800
5,5
Cœur (stress)
Tc-99m tetrofosmin
800
Stress redistribution
Tl-201
800
Re-injection
Tl-201
800
8,5
Etude PET
F-18 FDG
800
14,0
5,5
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DES : dose absorbée en surface à l’entrée du faisceau dans le patient ;
PDS : produit dose-surface ; PDL : produit dose-longueur ; PTCA : angioplastie coronarienne percutanée ; RFCA : ablation par radiofréquence ;
CTCA : angiographie des coronaires par CT.
principales difficultés dans l’évaluation des risques associés à une faible dose d’irradiation est que le risque supplémentaire est très faible en comparaison du risque naturel de mort par cancer qui varie d’environ 1% à l’âge de 40
ans à environ 30% à l’âge de 75 ans. S'il est évident que les
risques associés aux faibles doses de radiation sont inférieurs à ceux à hautes doses, des études épidémiologiques
impliquant une population très importante, mais pratiquement irréalisables, seraient nécessaires pour obtenir une
puissance statistique suffisante. A titre d’exemple, il faudrait
une population d’au minimum 10 millions d’individus pour
analyser l’effet de l’exposition à une dose de 10 mSv.
L’état des connaissances actuelles se résume comme suit : un excès
de risque de mort par cancer a été démontré à la suite
d’une exposition aiguë à partir de 50 mSv. Cet ordre de
grandeur de dose est délivré lors de l’exécution de certains examens radiologiques comme le CTCA (en particulier au niveau de la glande mammaire ou du poumon).
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Pour les raisons indiquées ci-dessus, les études épidémiologiques sont peu susceptibles de quantifier les risques
de la mortalité par cancers solides pour des doses inférieures à 10 mSv. Ainsi, le risque de mortalité reste hypothétique
en dessous de cette valeur. Néanmoins, par application du
principe de précaution, on assure la radioprotection du patient en postulant que le risque est linéaire sans seuil (LNT).
Ainsi, chaque dose, si minime qu’elle soit, ajoute un risque
supplémentaire.
La figure 1 présente l’évolution de l’excès de mort par
cancer (excès de risque relatif (ERR) défini par l’équation
indiquée ci-dessous) en fonction de la dose où le domaine
du risque hypothétique est mentionné en pointillés.
ERR =
λR λT – λN
=
λN
λN
avec λR le facteur de risque absolu de décès par cancer du fait
de l’irradiation, λN le facteur de risque naturel absolu de décès
par cancer et λT le facteur de risque absolu total de décès par
cancer (risque naturel + effet de l’irradiation).
On notera l’importance des barres d’incertitude ainsi
que la faible probabilité de rejet de l’hypothèse nulle dans
le domaine de dose de 5 à 50 mSv (p=0,15). Ceci traduit la
difficulté d'isoler un faible nombre de cancers radioinduits
attendus parmi la grande quantité de cancers observés.
Sur cette figure, on a également présenté les doses délivrées lors d’un examen CT thoraco-abdominal (dose effective d’environ 15 mSv) ainsi que la dose correspondant à
une série d’examens délivrant au total une dose effective
de 100 mSv. Il pourrait s’agir par exemple d’un examen de
médecine nucléaire au Tl-201 (dose effective 34 mSv pour
une activité injectée d’environ 150 MBq (redistribution sous
stress : 110 MBq – re-injection : 37 MBq)) suivi d’une coronarographie, elle-même suivie d’une dilatation de plusieurs
segments de coronaires (30 mSv) puis de deux acquisitions thoraco-abdominales. L’excès relatif de mort par cancer associé à cette série d’examens est d’environ 0,04.
0,06
5-125 mSv
p l 0,05
5-50 mSv
p = 0,15
0,05
Excès de risque relatif
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0,04
5-500 mSv
p l 0,05
0,03
une scintigraphie TI-201
une coronarographie
une dilatation de plusieurs
segments (PTCA)
deux CT thoraco-abdominaux
0,02
0,01
0
0
20
40
CT thoraco-abdominal
60
80
100
120
Dose effective (mSv)
Figure 1. Excès de risque relatif (ERR) associé aux
examens radiologiques
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Probabilité de décès par cancer (%)
incertitude
20
23
22
15
21
10
73
75
77
5
ERR = 0,04 – DDREF = 1
0
45
50
55
60
65
70
75
80
85
Age
Figure 2. Surplus de risque de mort par cancer
Suite à une série de procédures radiologiques délivrant une dose effective cumulée de 100 mSv à l’âge de 40 ans.
A ce stade, et même si on ne doit pas utiliser la dose
effective pour inférer l’ajout de risque absolu (λT) de mort
par cancer au niveau individuel, il est intéressant de faire
l’exercice pour estimer l’impact de ces examens à 75 ans
lorsque les 100 mSv ont été délivrés à l’âge de 40 ans. La
figure 2 présente cette estimation par rapport à l’incidence
naturelle des décès par cancer. Cette figure a été obtenue
en utilisant l’équation exprimant le paramètre ERR et les
facteurs de risque absolu λN en fonction de l’âge pour une
valeur de ERR de 0,04. En premier lieu, on notera que cette
série d’examens ajoute un petit risque statistiquement démontré lors de l’analyse des différentes cohortes étudiées
actuellement. On notera aussi que l’incertitude associée est
très importante. Il est intéressant de noter que l’utilisation
d’un excès de risque relatif de 0,04 pour 100 mSv correspond à une situation particulière en radioprotection où le
domaine des faibles doses est dépassé. En effet, si l’on
considère que le risque absolu de décéder d’un cancer est
d’environ 25%, le risque absolu lié à une exposition de 100
mSv se traduit par un facteur de risque λR de 0,04 x 0,25 soit
0,1 pour 100 mSv ou encore 10% par Sv. Dans le domaine
des faibles doses, on divise cette valeur par un facteur de
réduction DDREF de deux pour obtenir le facteur de risque
absolu couramment utilisé en radioprotection de 5% Sv-1.
C’est ce facteur qui a été utilisé pour établir les facteurs de
risque indiqués dans le tableau 3.
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RISQUE ET INFORMATION AU PATIENT
Il existe des grandeurs opérationnelles qui permettent
de contrôler et d’optimiser la dose délivrée lors des procédures radiologiques. Ces grandeurs peuvent ensuite être
utilisées pour estimer la dose effective, grandeur très utile
pour comparer différentes situations radiologiques. Cette
dose effective n’est cependant pas la dose qu’a reçue le
patient, mais la dose qu’aurait reçu un patient standardisé
de 70 kg. A partir de cette dose effective, il est possible
d’inférer un excès de risque de mort par cancer. La démarche devient alors périlleuse du fait des larges incertitudes. Ainsi les sociétés savantes préconisent l’utilisation
de catégories de risque plutôt que la dose effective ou les
facteurs de risque pour estimer le risque radiologique. Le
tableau 3 résume les catégories proposées et les met en
perspective avec quelques exemples de la vie de tous les
jours. Ce tableau peut être utilisé par le praticien pour
exercer le principe de justification de l’examen. Il peut
aussi servir à obtenir le consentement éclairé du patient.
Ce tableau indique la dangerosité d’un type de procédure. Dans le cas d’examens de type dépistage, il faut être
très prudent puisque d’une part les risques radiologiques
s’additionnent et que, d’autre part, certains examens comme
le CTCA sans synchronisation ECG peuvent délivrer des
doses absorbées aux poumons ou à la glande mammaire
supérieures à 50 mGy par examen, niveau de dose où les
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Tableau 3. Mise en perspective des risques
CTCA : angiographie des coronaires par CT.
* Des effets déterministes ne sont pas à exclure.
E (mSv) Risque
Désignation
Exemples
l 0,1
l 10-6
Négligeable
Cliché du thorax en PA
0,1-1,0
10-5
Minime ou
extrêmement faible
Cliché de l’abdomen
1,0-10
10-4
Très petit
CT de l’abdomen
10-100
10-3
Petit
CT multiphase, CTCA,
coronarographie
L 100
L 10-2
Modéré*
Procédures interventionnelles
complexes comme la recanalisation des artères coronaires
6 10-8
7
10-5
3,5 10-5
ment les doses délivrées en tomodensitométrie cardiaque.
Enfin, le tableau 3 permet au praticien de vérifier si, à
la suite d’une procédure de radioscopie particulièrement
lourde, des effets déterministes sont attendus. Un examen
approfondi de la peau au niveau du thorax devrait alors
être effectué et le patient suivi, le cas échéant.
CONCLUSION
Marche de 1 km
100 km en voiture
100 km en avion
effets stochastiques ont été démontrés. On notera cependant que les techniques d’acquisition rétrospectives avec
modulation ECG du courant ou les acquisitions prospectives de type snap-shot permettent de réduire considérable-
L’objectif de cet article est de présenter l’état des connaissances dans les domaines de l’effet des radiations
ionisantes pour permettre aux praticiens d’informer le
patient de la manière la plus simple et la plus correcte
possible. La mise en perspective du risque radiologique
par rapport au risque naturel de mort par cancer peut en
première analyse avoir comme effet une banalisation de
l’examen du fait de l’ajout d’un risque très modeste par
rapport au risque naturel. Il est évident que cela ne doit
pas être le cas. La radioprotection du patient requiert dans
tous les cas l’application du principe de justification de
l’examen. Ainsi pour chaque patient, le praticien doit être
convaincu de l’utilité et de la plus-value d’une procédure
radiologique. Ce n’est pas parce que le risque est faible
statistiquement qu’il faut le négliger.
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* à lire
** à lire absolument
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 mai 2008
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