114 n Notes de lecture
Le Mouvement Social, janvier-mars 2009 © La Découverte
d’internement, par exemple) prime sur la voie judiciaire. Les délits du marché noir
sont élevés au rang de crime. Toutefois la diversité des procédures et des acteurs rend
la répression confuse.
À partir de l’automne 1941, le marché noir prend une nouvelle dimension. Il
n’est plus l’apanage de quelques nantis et touche désormais toutes les catégories
sociales. L’écart se creuse entre la réalité et la réglementation économiques. Face
aux insuffisances du ravitaillement officiel, le marché noir devient une nécessité.
Se constitue alors un « marché gris » où les consommateurs vont s’approvisionner
directement dans les fermes. C’est la période où des pelotons de cyclistes commen-
cent à déferler sur les campagnes proches des grandes villes durant les week-ends.
Cette généralisation oblige Vichy à infléchir sa politique. Le gouvernement autorise
d’abord les colis familiaux qui, en n’ayant souvent de familiaux que le nom, s’impo-
sent rapidement comme les « colis officiels du marché noir ». Ensuite, la répression
se recentre sur les gros trafics, instaurant une certaine tolérance, mais non une totale
approbation, des petits trafics de survie. Ici, l’un des véritables apports du livre est de
réussir à établir, grâce aux documents de la DGCE, une géographie et une sociologie
du marché noir. L’auteur peut ainsi montrer que le marché noir profite plus aux
négociants ou aux grossistes qu’aux détaillants ou aux paysans stigmatisés par la
rumeur. Et, s’il y a bien des « rois du marché noir » qui y font fortune, les trafics
sont de faible ampleur et constituèrent plus modestement un appoint ou un moyen
de continuer à vivre normalement ; ce qui peut déjà apparaître comme un privilège
quand les autres Français doivent se priver.
Une nouvelle période s’ouvre quand, en 1943, les Allemands renoncent au
marché noir pour privilégier des prélèvements plus rationnels, légaux, avec la colla-
boration de l’État français. Ils ont désormais intérêt à ce que la répression soit plus
efficace pour éviter que des productions soient soustraites à leurs prélèvements. Laval
décide de jouer pleinement le jeu de la répression des trafics dans l’espoir d’obtenir
un assouplissement des exigences allemandes. Cette politique ne fait que renfor-
cer l’impopularité des services de contrôle. La Résistance, jusque-là très réticente à
l’égard du marché noir, décide de l’encourager et de le légitimer en en faisant un acte
patriotique. Vichy tente bien de dénoncer les « pillards » de la Résistance, mais à la
fin de l’Occupation l’action du Contrôle économique devient impossible.
Après la Libération, le bilan limité de l’épuration, menée notamment par les
Comités départementaux de confiscations des profits illicites, confirme que la plu-
part des trafics de la guerre ont été de petite taille et sans grands profits à sanctionner.
Le marché noir, lui, perdure aussi longtemps que les restrictions. Il connaît même
ses plus beaux jours et de nouvelles personnes se lancent dans les trafics. Alors que
l’opinion espérait que la fin de l’Occupation verrait le retour à un marché normal, le
gouvernement provisoire doit conserver les organes de contrôle installés par Vichy.
Le rythme rapide auquel se succèdent les ministres du Ravitaillement témoigne de
l’incapacité de l’État à maîtriser la situation qui ne redevient normale qu’en 1948
quand la production retrouve son niveau d’avant-guerre. Les organes de contrôle
détestés des Français peuvent enfin être supprimés à la fin de l’année 1949.
On peut regretter les choix de l’éditeur d’avoir placé les notes dans une position
qui en complique la consultation et d’avoir fortement comprimé la bibliographie.
Cependant il reste un ouvrage fort qui en abordant enfin le marché noir dans sa
durée et sa globalité rompt avec le spectaculaire des gros trafics ainsi qu’avec les très
nombreux clichés, et donne une image plus juste de ce qu’a été la société française
des années noires. Cédric PERRIN