Tumeur du sein à cellules granuleuses ou tumeur d`Abrikossoff

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Cas clinique
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2012 ; 14 (3) : 255-8
Tumeur du sein à cellules granuleuses ou
tumeur d’Abrikossoff : rapport de deux cas
Granular tumor of the breast or Abrikossoff’s tumor: report of two cases
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Chaouki Mbarki
Ikram Lahiani
Anis Ben Abdelaziz
Zied Khediri
Ines Chandoul
Emna Jerbi
Oueslati Hedhili
Résumé. Nous rapportons deux cas de tumeurs granuleuses du sein, diagnostiqués chez deux
patientes jeunes. Dans un cas, la tumeur s’est présentée comme un cancer aussi bien cliniquement que radiologiquement. Une exérèse chirurgicale a été pratiquée dans les deux
cas. L’examen anatomopathologique a confirmé l’origine granuleuse de la tumeur. Les deux
patientes ont eu une évolution favorable après la chirurgie.
Mots clés : sein, tumeur, cellule granuleuse, anatomopathologie
Abstract. We report two cases of granular tumor of the breast diagnosed in two young patients.
In one case, the tumor was described as a cancer both clinically and radiologically. Surgical
excision of the tumor was performed in both cases. Histopathology confirmed the diagnosis
of granular tumor. The two patients had a favorable outcome after surgery.
Key words: granular cell tumor, breast, histopathology
Hôpital de Ben Arous El Yasminette,
service de gynécologie-obstétrique,
route de Mornègue,
Ben Arous,
Tunisie
<[email protected]>
L
es tumeurs à cellules granuleuses sont des lésions rares, dont
l’origine est probablement les cellules de Schwann. Elles représentent
6 à 8 % des tumeurs du sein
[1, 2]. Ces tumeurs sont plus souvent
décrites chez des femmes en période
périménopausique [3]. Elles peuvent
simuler un cancer de sein aussi bien
cliniquement que radiologiquement.
Le diagnostic reste anatomopathologique. À travers les deux cas que
nous rapportons et une revue de
la littérature, nous allons étudier
l’étiopathogénie de cette tumeur, ses
particularités cliniques, radiologiques
et anatomopathologiques, ainsi que la
prise en charge thérapeutique.
Observation 1
doi:10.1684/mte.2012.0423
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirés à part : C. Mbarki
Il s’agit d’une jeune fille âgée
de 16 ans, de race blanche, aux
antécédents familiaux de cancer du
sein chez une cousine maternelle,
qui a consulté pour un nodule
du sein découvert à l’autopalpation.
L’examen clinique trouvait un nodule
de 3 cm du quadrant supéro-interne
(QSI) du sein droit. Ce nodule était
bien limité, peu mobile par rapport au
plan superficiel et paraissait adhérent
au plan profond, indolore et induré. Il
n’y avait pas de signes inflammatoires
en regard et les aires ganglionnaires
étaient libres. Le sein controlatéral
était sans anomalies.
L’échographie mammaire a montré un petit nodule de 2,5 cm bien
limité, évoquant un fibroadénome.
Devant cette discordance clinicoradiologique et l’antécédent de cancer
du sein dans la famille, nous avons
opté pour une chirurgie avec étude
histologique de la tumeur. La patiente
a eu une tumorectomie. En peropératoire, le nodule était adhérent au
plan musculaire présternal. L’examen
anatomopathologique a conclu à une
tumeur à cellules granuleuses, confirmée à l’étude immunohistochimique.
Le parenchyme mammaire était le
siège d’une prolifération tumorale
bénigne, mal limitée, infiltrant le tissu
adipeux et le muscle squelettique
(figure 1A). Les cellules tumorales
étaient de grande taille, régulières à
cytoplasme abondant granuleux éosinophile (figure 1B). Le noyau était
rond et petit. Les cellules tumorales étaient disposées en travées
Pour citer cet article : Mbarki C, Lahiani I, Ben Abdelaziz A, Khediri Z, Chandoul I, Jerbi E, Hedhili O. Tumeur du sein à cellules granuleuses ou tumeur
d’Abrikossoff : rapport de deux cas. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2012 ; 14 (3) : 255-8 doi:10.1684/mte.2012.0423
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Cas clinique
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A (×100)
256
B (×400)
Figure 1. Aspect histologique de la tumeur granuleuse. A) prolifération d’architecture massive, mal limitée infiltrant le tissu mammaire ;
B) prolifération faite de grandes cellules arrondies aux limites cytoplasmiques peu visibles et à cytoplasme granuleux, éosinophiles.
et cordons cellulaires au sein d’un stroma anastomosé
fibreux d’abondance variable. Il n’existait pas de signes
histologiques de malignité. À l’immunohistochimie, les
cellules tumorales étaient positives pour la protéine
S100 et négatives pour la cytokératine. L’évolution ultérieure était favorable.
Observation 2
Mme B.A., âgée de 25 ans, mère d’un seul enfant, sans
antécédents pathologiques notables, a consulté pour un
nodule du sein découvert à l’autopalpation. L’examen
a objectivé un nodule de 3 cm siégeant au niveau du
quadrant supéro-externe (QSE) du sein gauche d’allure
suspecte. Il existait par ailleurs une adénopathie axillaire
homolatérale mobile. La tumeur a été classée T2 N1 Mx.
Une échographie mammaire et un complément mammographique ont été réalisés. Cette exploration radiologique
a conclu à une lésion suspecte du sein gauche de 1,5 cm
siégeant au niveau du QSE (figure 2). La patiente a eu une
tumorectomie avec examen extemporané qui était non
concluant.
L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire
a confirmé la nature granuleuse de la tumeur. En effet, à
l’histologie, il existait une prolifération tumorale mal limitée infiltrant le tissu adipeux. Les cellules sont de grande
taille, polygonales. Le cytoplasme est abondant, pâle avec
des granules éosinophiles PAS positifs (figure 3A). Le
noyau est petit et rond. L’étude immunohistochimique
a montré un marquage positif pour la protéine S100 et
le CD68 par les cellules tumorales (figure 3B et C).
La patiente n’a eu aucun traitement complémentaire.
Elle a été suivie pendant six mois avec une évolution
favorable.
Discussion
Les tumeurs à cellules granuleuses ont été décrites pour
la première fois par Abrikossoff en 1926 [1]. La localisation mammaire représente 6 à 8 % des tumeurs de sein
[1, 2]. Initialement, on a supposé que cette tumeur était
d’origine musculaire et elle fut appelée par conséquent
myoblastome à cellules granuleuses [3, 4]. Actuellement,
l’origine nerveuse semble être plus plausible et les auteurs
s’accordent sur le fait que cette tumeur a pour origine les
cellules de Schwann du tissu interlobulaire du sein [1, 2, 47]. La cellule tumorale a une similitude architecturale avec
la cellule de Schwann et comme cette dernière, elle est
positive à la PS 100 [1, 2, 7].
L’âge moyen des femmes atteintes est de 40,3 ans, avec
des extrêmes entre 17 et 68 ans [4] et une prédominance
en période périménopausique [3-6]. La race noire semble
être plus touchée [4, 6]. Dans les deux observations que
nous rapportons, les patientes étaient jeunes et de race
blanche.
À l’inverse des autres tumeurs du sein qui prédominent
au niveau du QSE [2], les tumeurs à cellules granulaires
s’observent plus fréquemment au niveau du QSI du sein
dans le territoire sensitif du nerf sus-claviculaire [2, 3]. Cliniquement, la tumeur à cellules granuleuses peut mimer
un cancer. Elle se présente comme une masse de 1 à 3 cm,
de consistance ferme, de contours légèrement irréguliers
[6]. Ces tumeurs sont caractérisées par une infiltration
importante des tissus sous-jacents, expliquant son caractère fixé au plan du muscle pectoral [1, 3, 6, 7]. Dans
la première observation que nous avons rapportée, la
tumeur était peu mobile par rapport au plan superficiel
et adhérente au muscle pectoral. On peut parfois trouver
à l’examen une rétraction cutanée, lorsque le nodule se
développe superficiellement [1, 3, 5, 6].
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 14, n◦ 3, juillet-août-septembre 2012
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Figure 2. Aspect mammographique de la tumeur ; opacité stellaire du quadrant supéro-externe du sein gauche dans le prolongement
axillaire.
A
B
C
Figure 3. Caractéristiques histologiques et immunohistochimiques de la tumeur d’Abrikossoff. A) positivité granulaire et intense à la
coloration acide périodique de Schiff ; B) immunomarquage positif PS100 ; C) immunomarquage positif pour CD68.
Le diagnostic radiologique de la tumeur à cellules granuleuses semble être impossible puisqu’elle
peut simuler à tout point un cancer ou prendre un
aspect bénin sans signes de spécificité. L’aspect typique
à la mammographie est celui d’une masse stellaire
à noyau dense, avec un cône d’ombre postérieur
[1, 3, 7]. Cet aspect a été retrouvé dans notre seconde
observation.
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Cas clinique
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En raison de la similitude clinique et radiologique entre
cette tumeur bénigne et un cancer du sein, une biopsie
avec un examen histologique doit s’imposer afin d’éviter
une mastectomie. Seul l’examen anatomopathologique
peut confirmer le diagnostic d’une tumeur à cellules
granuleuses [1, 3, 6, 7]. Histologiquement, ces tumeurs
posent le diagnostic différentiel avec le cancer lobulaire,
les lymphomes et les métastases au niveau du sein [6].
Microscopiquement, les cellules tumorales sont larges,
polygonales, avec un petit noyau central. Le cytoplasme
est abondant, granulaire et éosinophile [2, 6]. À l’inverse
des cancers, les tumeurs à cellules granuleuses sont négatives pour la cytokératine et positives à la protéine S100
[1-3, 6].
Une fois le diagnostic histologique s établit, le traitement des ces tumeurs devient simple. La tumorectomie
constitue la base de ce traitement [1, 3]. Le pronostic de
cette tumeur bénigne est généralement bon.
d’une masse suspecte du sein. Une biopsie avec un examen anatomopathologique est indispensable pour éviter
une mastectomie.
Conflits d’intérêts : aucun.
Références
1. Leo C, Briest S, Pilch H. Granular cell tumor of the breast
mimicking breast cancer. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol
2006 ; 127 : 264-70.
2. Porter Jr. G, Evans AJ, Lee AHS, et al. Unusual benign breast
lesions. Clin Radiol 2006 ; 61 : 562-9.
3. Kim EK, Lee MK, Oh KK. Granular cell tumor of the breast. Yonsei
Med J 2000 ; 41(suppl. 5) : 673-5.
4. Adeniran A, Al-Ahmadie H, Mahoney MC, et al. Granular cell
tumor of the breast: a series of 17 cases and review of the literature.
Breast J 2004 ; 10 : 528-31.
5. Cornelia H, Katja F, Martin K, et al. FDG PET evaluation of granular
cell tumor of the breast. J Nucl Med 1998 ; 39 : 1398-401.
Conclusion
La tumeur à cellules granuleuses est une lésion bénigne
qui peut mimer un cancer cliniquement et radiologiquement. Elle doit être incluse dans le diagnostic différentiel
6. Tobin CE, Hendrix TM, Geyer SJ, et al. Breast imaging case of the
day. Radiographic 1996 ; 16 : 983-5.
7. Rickard MT, Sendel A, Burchett I. Granular cell tumor of the breast.
Clin Radiol 1992 ; 45 : 347-8.
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 14, n◦ 3, juillet-août-septembre 2012
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