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Renc. Rech. Ruminants, 2007, 14
Cette plus grande richesse spécifique des prairies pâturées a
deux origines : d’une part, les prairies pâturées présentent
dans la plupart des cas un assemblage de faciès de
communautés végétales différentes, qui leur permet
d’emblée de réunir un plus grand nombre d’espèces que les
prairies fauchées plus homogènes (tableau 1). D’autre part,
l’équivalent azote minéral reçu par parcelle (fertilisation
minérale + organique + restitutions) est plus élevé sur les
parcelles fauchées qui doivent assurer le stock, que sur les
parcelles pâturées (89 vs. 47 unités N / ha, Farruggia et al.,
2006b).
Le mode de prélèvement des parcelles, en interaction avec
les apports azotés, affecte également la diversité
fonctionnelle des couverts puisque, selon la classification
proposée par Cruz et al. (2002), le type B est plus abondant
dans les parcelles fauchées tandis que les types C et D sont
plus représentés dans les parcelles pâturées (tableau 1). Ces
résultats concordent avec ceux de Ansquer et al. (2004) qui
ont observé, dans les Pyrénées ariégeoises, que les parcelles
fauchées présentaient une moins grande richesse spécifique
que les parcelles pâturées et différaient également du point
de vue de leur composition fonctionnelle. L’abondance des
graminées de type A(63 %), B (36 %) et C (1 %) dans les
prairies fauchées et pâturées intensivement change en effet
radicalement dans les prairies pâturées uniquement en été
(A : 20 %, B : 23 %, C : 54 %).
Un changement du mode d’exploitation des parcelles peut
avoir des conséquences qui vont au-delà de la seule diversité
floristique des parcelles. En zone de montagne, le
développement des techniques d’ensilage et d’enrubannage
accompagné d’une augmentation de la fertilisation azotée a
permis d’avancer les dates de fauche d’au moins un mois.
L’exploitation des parcelles a lieu bien avant la période de
floraison de la plupart des espèces, ce qui réduit à terme leur
production de graines et la diversité floristique du milieu
(Carrère et al., 2002). Ce mode d’exploitation a également
un impact sur les insectes nectarivores et pollinisateurs, tels
que les papillons et les abeilles, qui ne bénéficient plus des
ressources produites par les fleurs. Enfin, la généralisation
de cette technique entraîne à terme une banalisation du
paysage avec la disparition progressive des prairies fleuries
et colorées du début d’été.
2.4. L’EFFET D’UN GRADIENT DE CHARGEMENT
DANS UNE PRAIRIE DE MOYENNE MONTAGNE
En complément des traitements déjà cités du programme
FORBIOBEN, certaines parcelles du site français étaient
pâturées en continu par des génisses Charolaises à un très
faible chargement, 0,5 UGB / ha. Après cinq années
d’application des chargements contrastés (1,2, 0,85 et
0,5 UGB / ha) dans ces prairies de moyenne montagne très
diversifiées, les graminées tolérantes à la défoliation,
caractérisées par un renouvellement rapide de leurs feuilles
(types C-S-R et C de Grime et al., 1988) se maintiennent aux
chargements les plus élevés mais ont régressé de 14 %
d’abondance absolue à 0,5 UGB / ha (figure 3). Dans le
même temps, l’abondance relative des graminées peu
tolérantes à la défoliation (types S et S-C de Grime et al.,
1988) et des diverses a augmenté dans les parcelles peu
c h a rgé es (figure 3). Les légumineuses, principalement
représentées par Trifolium repens et Trifolium pratense, ont
subi de plein fouet la sècheresse de 2003, puis se sont
d’autant mieux maintenues que le chargement était plus
élevé (figure 3). De même, l’évolution de l’abondance
relative des espèces végétales dans ce gradient de
chargement s’explique bien par leurs traits de vie. Ainsi, des
diverses à port érigé (Achillea millefolium) ou qui peuvent se
dresser au sein de couverts hauts (Galium veru m ,
Helianthemum nummularium), et des graminées de milieu
peu fertiles, peu adaptées à une défoliation fréquente (Briza
media,Koeleria pyramidata et Festuca ovina, toutes trois de
type D de la classification proposée par Cruz et al., 2002 et
Ansquer et al., 2004) ont périclité au chargement élevé
(Achi. m : +2,4, Gal. v : -0,15, Hel. n : +0,7, Briza m : -0,25,
Koel. p : +0,02, Fest. o : +1,2 % à 1,2 UGB / ha) alors
qu’elles progressaient dans les parcelles sous-utilisées
(Achi. m : +4,4, Gal. v : +3,7, Hel. n : +2,8, Briza m : +0,85,
Koel. p : +1,8, Fest. o : +2,4 % à 0,5 UGB / ha).
F i g u r e 3 : Evolution de la proportion des principales familles
botaniques au sein de prairies diversifiées de moyenne montagne
pâturées par des génisses dans un gradient de chargement. Figurés
pleins : 1,2 UGB / ha, hachures : 0,85 UGB / ha, vides : 0,5 U G B / ha.
Les populations d’insectes ont rapidement réagi aux
différences de structures de végétation directement liées au
c h a rgement. Dans les quatre sites expérimentaux du
programme FORBIODEN, le nombre d’individus et d’espèces
d’orthoptères (sauterelles, criquets) et de lépidoptères
(papillons) a augmenté au chargement allégé par rapport au
chargement élevé (Wallis De Vries et al., 2007). Sur le site
français, l’abondance des orthoptères et des lépidoptères a
continué à augmenter entre le chargement allégé à
0,85 UGB / ha et le sous-chargement à 0,5 UGB / ha
(figure 4a). Des insectes détritivores tels que les collemboles
ont également été favorisés par la baisse du chargement,
alors que des coléoptères carnivores ou nécrophages tels que
les carabes et les silphides semblaient indépendants de celui-
ci. Les coléoptères coprophages étaient plus nombreux au
fort chargement. Nous confirmons ainsi que les familles
d’insectes réagissent différemment à l’évolution de la
structure du couvert en fonction des conditions de milieu
qu’ils y trouvent. Néanmoins, l’allégement du niveau de
chargement permet la coexistence d’un plus grand nombre
d’espèces, ce qui valide les modèles théoriques existants, et
corrobore nombre de travaux expérimentaux (Dennis et al.,
1998, Kreuss et Tscharntke, 2002, Ellis, 2003, Hjermann et
Ims, 2005, Pöyry et al., 2006).
L’effet du chargement s’explique par la biologie des insectes
et leurs habitats préférés : les papillons, les sauterelles et les
criquets bénéficient d’un microclimat et de ressources
alimentaires plus abondantes dans l’herbe haute, y sont
mieux protégés des prédateurs et y subissent moins les effets
directs du pâturage. Les dynamiques d’évolution de la