NOUVELLES MAGAZINE
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m/s n° 2, vol. 30, février 2014
DOI : 10.1051/medsci/20143002003
NOUVELLE
Akkermansia muciniphila
Une nouvelle cible pour contrôler
l’obésité, le diabète de type 2
et l’inflammation ?
Patrice D. Cani, Amandine Everard
Université catholique de Louvain,
Louvain drug research institute (LDRI),
WELBIO (Walloon excellence in lifesciences
and biotechnology),
groupe de recherche en métabolisme
et nutrition, avenue E. Mounier, 73 B1.73.11,
B-1200 Bruxelles, Belgique.
> L’obésité est associée à un ensemble
de désordres métaboliques tels que la
résistance à l’insuline et le diabète de
type 2. Plusieurs facteurs environne-
mentaux pourraient expliquer les dif-
férences de susceptibilité au gain de
poids ou encore de réponses à une res-
triction calorique. Parmi ces facteurs
environnementaux, il en existe un qui
nous est propre et avec lequel nous
évoluons tous intimement depuis notre
plus tendre enfance, il s’agit du micro-
biote intestinal. De nombreuses décou-
vertes ont clairement montré que cette
communauté microbienne de près de
100 000 milliards de cellules devait être
considérée comme un nouveau par-
tenaire impliqué dans de nombreuses
interactions avec nos propres cellules
humaines [1]. Un nombre abondant de
publications montrent une association
entre la composition et l’activité de
nos bactéries intestinales et différents
états pathologiques (obésité, diabète
de type 2, inflammation intestinale,
maladies cardiovasculaires, cancer,
etc.) [2, 11]. Cependant, de nombreux
résultats conflictuels existent quant
aux taxons spécifiques (phylum, famille,
genre ou espèces bactériennes) directe-
ment associés avec une situation phy-
siopathologique.
La découverte du concept
de prébiotique : l’histoire sans fin ?
C’est en étudiant l’impact d’une modifi-
cation de la composition du microbiote
intestinal et/ou de son activité suite à
l’ingestion de nutriments alimentaires
non digestibles ayant des effets béné-
fiques pour l’hôte, que notre laboratoire
découvrait et développait le concept
de « prébiotique » [3]. Aujourd’hui
largement utilisé, ce concept de pré-
biotique n’a pourtant pas encore livré
tous ses secrets. Outre les nombreuses
découvertes de mécanismes molécu-
laires permettant d’expliquer comment
le microbiote intestinal interagit avec
l’hôte (pour revue voir [1]), il reste
difficile d’identifier le ou les candidats
bactériens impliqués dans le contrôle de
l’homéostasie énergétique, lipidique et
glucidique.
La découverte d’Akkermansia
muciniphila : le hasard de la recherche
À la recherche de candidats potentiels
et en combinant différentes techniques
d’analyse bactérienne (microarray phy-
logénétique, séquençage à haut débit,
gel de dénaturation en gradient et
qPCR) disponibles actuellement, nous
avons analysé et comparé l’ensemble
des bactéries présentes dans le micro-
biote intestinal de souris contrôles avec
le microbiote de souris traitées avec les
prébiotiques. Ces analyses ont montré
que plus de 100 taxa différents sont
affectés par les prébiotiques. La quan-
tité d’une bactérie, Akkermansia muci-
niphila, était augmentée de plus de
100 fois suite à l’ingestion de prébio-
tiques (Figure 1). Cette nouvelle bac-
térie avait été isolée 5 ans auparavant
(en 2004) par l’équipe du Pr Willem de
Vos [4]. Nous étions particulièrement
surpris par cette découverte, pourtant
unanimement confirmée par nos diffé-
rentes analyses métagénomiques [5].
En effet, il s’agit d’une bactérie à Gram
négatif, productrice de lipopolysaccha-
rides (LPS), or nous avions démontré
à plusieurs reprises que l’ingestion de
prébiotiques diminuait les taux plas-
matiques de LPS au cours de l’obésité et
du diabète de type 2 [5-7]. Il est donc
important de ne pas conclure qu’une
modification du rapport de bactéries à
Gram positif/à Gram négatif dans l’in-
testin explique l’ensemble des désordres
métaboliques associés à l’endotoxémie
métabolique, l’insulino-résistance et le
diabète de type 2 associé à l’obésité.
Notre second étonnement fut la décou-
verte qu’A. muciniphila était moins
abondante dans le microbiote intestinal
de souris obèses et diabétiques, et ce
que l’obésité soit génétique ou nutri-
tionnelle (régime riche en lipides) [7]
(Figure 1).
Administration d’Akkermansia
muciniphila : effets sur l’intestin
et au-delà
Afin de vérifier le lien causal entre la
diminution drastique d’A. muciniphila
dans l’intestin et l’obésité, et l’associa-
tion entre la présence d’A. muciniphila
et les améliorations du métabolisme,
nous avons administré la souche Akker-
mansia muciniphila MucT à des sou-
ris rendues obèses et diabétiques par
un régime hyperlipidique. Nous avons
démontré que l’administration de la
souche vivante protégeait en partie de
l’obésité. En effet, le gain de poids cor-
porel des souris était deux fois moins
important en présence qu’en absence du
traitement avec A. muciniphila sans que
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ministration d’A. muciniphila rétablit la
production endogène de ce peptide. Ces
effets d’A. muciniphila contribueraient
à une meilleure réponse du système
immunitaire de l’hôte et donc au main-
tien des bactéries à distance des cel-
lules épithéliales de l’intestin et, in fine,
permettraient de maintenir une barrière
intestinale adéquate. Enfin, nous avons
observé que l’administration d’A. muci-
niphila augmentait la production endo-
gène d’endocannabinoïdes possédant
des activités anti-inflammatoires et
régulatrices de la production endogène
de glucagon-like peptide-1 et 2 (GLP-1
et GLP-2) [1].
Il est important de mentionner qu’une
partie de nos résultats viennent d’être
confirmés dans une étude récemment
publiée [8].
Conclusion
Actuellement nous ne disposons d’au-
cune étude chez l’homme analysant
l’impact de l’administration de A. muci-
niphila sur ces paramètres. Néanmoins,
deux études publiées au mois d’août
et de septembre 2013 montrent d’une
de la couche de mucus recouvrant l’épi-
thélium intestinal. En effet, le mucus
intestinal constitue également une bar-
rière physique permettant de maintenir
à distance de l’épithélium intestinal
les nombreuses bactéries présentent
dans la lumière intestinale. Nous avons
découvert que l’épaisseur de la couche
de mucus intestinal était plus mince
chez les animaux obèses et diabétiques
de type 2. En revanche, l’administra-
tion de la bactérie permet d’augmenter
l’épaisseur du mucus et contribue à
restaurer totalement la fonction bar-
rière de l’intestin à ce niveau. Outre
cette barrière physique, les cellules de
l’hôte sont en interaction permanente
avec le microbiote intestinal et « sélec-
tionnent » le type de bactéries tolé-
rées à proximité des cellules intesti-
nales grâce à la production de peptides
antimicrobiens. Nous avons découvert
que les animaux obèses et diabétiques
produisaient moins de lectine de type
C, appelée RegIII (regenerating islet-
derived 3-gamma), qui posséde une
activité antimicrobienne envers les bac-
téries à Gram positif. En revanche, l’ad-
ni la consommation ni l’élimination des
graisses alimentaires dans les matières
fécales ne soient modifiées. Cette pro-
tection était reflétée par une diminution
de moitié des graisses viscérale et sous-
cutanée (Figure 1), et par une augmen-
tation des marqueurs d’oxydation des
graisses tissulaires. De plus, les animaux
recevant A. muciniphila ne présentaient
plus d’insulino-résistance, ni d’infiltra-
tion de cellules inflammatoires (expri-
mant l’antigène CD11c) caractéristiques
de l’obésité et de l’inflammation de bas
grade qui lui est associée [12]. Sachant
que ces stigmates métaboliques peuvent
trouver leur origine dans l’apparition
d’une endotoxémie métabolique ou
d’une translocation bactérienne [1, 2],
nous avons étudié la fonction de bar-
rière de l’intestin.
Tout d’abord, nous avons observé qu’A.
muciniphila empêchait totalement le
développement d’une endotoxémie
métabolique en réponse à l’ingestion
d’une alimentation riche en lipides
(Figure 1). Sachant qu’A. muciniphila
vit dans la couche de mucus dont elle se
nourrit, nous avons mesuré l’épaisseur
Figure 1. Mécanismes d’interac-
tions entre Akkermansia muci-
niphila et l’hôte : implication
sur le métabolisme. La présence
d’A. muciniphila est associée
positivement à un renforcement
de la barrière de l’intestin, tant
au point de vue de l’épaisseur du
mucus que de la production de
RegIII. En revanche, au cours de
l’obésité et du diabète de type 2,
nous observons un déséquilibre
de l’homéostasie énergétique,
lipidique et glucidique. Ceci est
associé à une moindre abondance
d’A. muciniphila ainsi qu’une
altération de la barrière intesti-
nale (couche de mucus amincie
et moindre production de RegIII),
une augmentation de la masse
grasse, une l’inflammation métabolique (endotoxémie métabolique, infiltration de macrophages dans le tissu adipeux) et une insulino-résistance.
Il a par ailleurs récemment été démontré que la présence d’A. muciniphila était associée à une tolérance au glucose normale, ainsi qu’à un phéno-
type mince et moins enclin à l’inflammation métabolique.
Barrière intestinale
Mince,
bonne santé Obésité
Foie
Foie
Dépôts
de graisse Dépôts
de graisse
Inflammation de bas grade
Homéostasie Homéostasie
Glucose
Lipides
Énergie
Glucose
Lipides
Énergie
Akkermansia
Akkermansia
RegIII
RegIII
Mucus interne
Mucus externe
Cellules caliciformes
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DOI : 10.1051/medsci/20143002004
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LIENS D’INTÉRÊT
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’inté-
rêt concernant les données publiées dans cet
article.
REMERCIEMENTS
Patrice D. Cani est research associate du
FRS-FNRS (Fonds de la recherche scien-
tifique, Belgique), Amandine Everard est
research fellow du FRS-FNRS. PDC est
récipiendaire d’un ERC starting grant
(European research council, starting grant
336452-ENIGMO).
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part que, chez l’homme, l’obésité est
associée à une moindre abondance de
certaines bactéries dont A. muciniphila
[9], d’autre part que les sujets pré-
diabétiques et diabétiques de type 2
hébergent une quantité moindre d’A.
muciniphila dans l’intestin [10].
Ces observations, et d’autres, soulèvent
différentes questions fondamentales qui
devront être testées dans des études à
large échelle, et pourraient aboutir au
développement de nouveaux outils thé-
rapeutiques. Ainsi, la sélection précise
et validée de certaines bactéries telles
qu’A. muciniphila, ou encore l’utilisation
de nutriments de types prébiotiques,
pourraient être utilisés afin de contrô-
ler ou maintenir certains protagonistes
importants dans les dialogues com-
plexes qui s’établissent entre l’hôte et le
microbiote intestinal.
Akkermansia muciniphila: a novel
target controlling obesity, type 2
diabetes and inflammation?
1Département de pathologie,
Stanford University School of Medicine, Campus Drive 269,
Stanford CA-94305, États-Unis ;
2Laboratoire d’immunologie cellulaire et moléculaire, GIGA-
Recherche, Université de Liège, B-4000 Liège, Belgique ;
3Département de dermatologie et allergie, Centre allergie/
Charité, Université de Berlin, Berlin 10117, Allemagne ;
4Département de microbiologie et immunologie, Stanford
University School of Medicine, Stanford CA-94305, États-Unis.
> Vingt à trente pour cent de la popula-
tion mondiale souffrent d’allergies, et ce
pourcentage ne cesse d’augmenter dans
les pays industrialisés [1]. Les allergies
sont des maladies inflammatoires multi-
factorielles qui résultent d’une réaction
du système immunitaire à l’encontre de
substances étrangères et pour la plu-
part inoffensives, appelées allergènes.
Bien que de nature très hétérogène, les
allergènes ont tous l’aptitude d’induire
le même type de réponse immunitaire,
appelée immunité de type 2. L’immunité
de type 2 peut être induite par les aller-
gènes, mais aussi par certains parasites
[2].
Les réponses de type 2 (ou TH2) sont
associées à la présence de lymphocytes T
auxiliaires (ou T helper) de type 2, véri-
tables chefs d’orchestre de l’inflamma-
tion allergique, et d’un type particulier
d’anticorps spécifiques de l’allergène,
les immunoglobulines E (IgE) (Figure 1).
Les IgE exercent leurs fonctions via des
récepteurs de haute affinité (appelés
FcRI), exprimés notamment à la surface
des mastocytes ; ces derniers sont sur-
tout présents dans les organes exposés à
l’environnement comme la peau, le pou-
mon ou encore l’intestin. Les mastocytes
peuvent être activés par la liaison de
l’allergène aux complexes IgE/FcRI, qui
induit leur dégranulation et la libération
de substances responsables des prin-
cipaux symptômes allergiques [3]. Ces
cellules sont donc considérées comme
des « armes chargées », prêtes à induire
des effets délétères pour l’organisme
[4], et les réponses induites par les
Une réponse allergique
pour lutter contre les venins
Thomas Marichal1,2, Philipp Starkl1, Martin Metz3,
Stephen J. Galli1,4
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