Akkermansia muciniphila

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Une nouvelle cible pour contrôler
l’obésité, le diabète de type 2
et l’inflammation ?
Patrice D. Cani, Amandine Everard
> L’obésité est associée à un ensemble
de désordres métaboliques tels que la
résistance à l’insuline et le diabète de
type 2. Plusieurs facteurs environnementaux pourraient expliquer les différences de susceptibilité au gain de
poids ou encore de réponses à une restriction calorique. Parmi ces facteurs
environnementaux, il en existe un qui
nous est propre et avec lequel nous
évoluons tous intimement depuis notre
plus tendre enfance, il s’agit du microbiote intestinal. De nombreuses découvertes ont clairement montré que cette
communauté microbienne de près de
100 000 milliards de cellules devait être
considérée comme un nouveau partenaire impliqué dans de nombreuses
interactions avec nos propres cellules
humaines [1]. Un nombre abondant de
publications montrent une association
entre la composition et l’activité de
nos bactéries intestinales et différents
états pathologiques (obésité, diabète
de type 2, inflammation intestinale,
maladies cardiovasculaires, cancer,
etc.) [2, 11]. Cependant, de nombreux
résultats conflictuels existent quant
aux taxons spécifiques (phylum, famille,
genre ou espèces bactériennes) directement associés avec une situation physiopathologique.
La découverte du concept
de prébiotique : l’histoire sans fin ?
C’est en étudiant l’impact d’une modification de la composition du microbiote
intestinal et/ou de son activité suite à
l’ingestion de nutriments alimentaires
non digestibles ayant des effets béném/s n° 2, vol. 30, février 2014
DOI : 10.1051/medsci/20143002003
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fiques pour l’hôte, que notre laboratoire
découvrait et développait le concept
de « prébiotique » [3]. Aujourd’hui
largement utilisé, ce concept de prébiotique n’a pourtant pas encore livré
tous ses secrets. Outre les nombreuses
découvertes de mécanismes moléculaires permettant d’expliquer comment
le microbiote intestinal interagit avec
l’hôte (pour revue voir [1]), il reste
difficile d’identifier le ou les candidats
bactériens impliqués dans le contrôle de
l’homéostasie énergétique, lipidique et
glucidique.
La découverte d’Akkermansia
muciniphila : le hasard de la recherche
À la recherche de candidats potentiels
et en combinant différentes techniques
d’analyse bactérienne (microarray phylogénétique, séquençage à haut débit,
gel de dénaturation en gradient et
qPCR) disponibles actuellement, nous
avons analysé et comparé l’ensemble
des bactéries présentes dans le microbiote intestinal de souris contrôles avec
le microbiote de souris traitées avec les
prébiotiques. Ces analyses ont montré
que plus de 100 taxa différents sont
affectés par les prébiotiques. La quantité d’une bactérie, Akkermansia muciniphila, était augmentée de plus de
100 fois suite à l’ingestion de prébiotiques (Figure 1). Cette nouvelle bactérie avait été isolée 5 ans auparavant
(en 2004) par l’équipe du Pr Willem de
Vos [4]. Nous étions particulièrement
surpris par cette découverte, pourtant
unanimement confirmée par nos différentes analyses métagénomiques [5].
Université catholique de Louvain,
Louvain drug research institute (LDRI),
WELBIO (Walloon excellence in lifesciences
and biotechnology),
groupe de recherche en métabolisme
et nutrition, avenue E. Mounier, 73 B1.73.11,
B-1200 Bruxelles, Belgique.
[email protected]
NOUVELLES
Akkermansia muciniphila
MAGAZINE
NOUVELLE
En effet, il s’agit d’une bactérie à Gram
négatif, productrice de lipopolysaccharides (LPS), or nous avions démontré
à plusieurs reprises que l’ingestion de
prébiotiques diminuait les taux plasmatiques de LPS au cours de l’obésité et
du diabète de type 2 [5-7]. Il est donc
important de ne pas conclure qu’une
modification du rapport de bactéries à
Gram positif/à Gram négatif dans l’intestin explique l’ensemble des désordres
métaboliques associés à l’endotoxémie
métabolique, l’insulino-résistance et le
diabète de type 2 associé à l’obésité.
Notre second étonnement fut la découverte qu’A. muciniphila était moins
abondante dans le microbiote intestinal
de souris obèses et diabétiques, et ce
que l’obésité soit génétique ou nutritionnelle (régime riche en lipides) [7]
(Figure 1).
Administration d’Akkermansia
muciniphila : effets sur l’intestin
et au-delà
Afin de vérifier le lien causal entre la
diminution drastique d’A. muciniphila
dans l’intestin et l’obésité, et l’association entre la présence d’A. muciniphila
et les améliorations du métabolisme,
nous avons administré la souche Akkermansia muciniphila MucT à des souris rendues obèses et diabétiques par
un régime hyperlipidique. Nous avons
démontré que l’administration de la
souche vivante protégeait en partie de
l’obésité. En effet, le gain de poids corporel des souris était deux fois moins
important en présence qu’en absence du
traitement avec A. muciniphila sans que
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Figure 1. Mécanismes d’interactions entre Akkermansia muciniphila et l’hôte : implication
sur le métabolisme. La présence
d’A.
muciniphila est associée
Akkermansia
RegIII␥
Mucus interne
positivement à un renforcement
Akkermansia
RegIII␥
Mucus externe
de la barrière de l’intestin, tant
au point de vue de l’épaisseur du
mucus que de la production de
Cellules caliciformes
RegIII. En revanche, au cours de
Barrière intestinale
Mince,
l’obésité et du diabète de type 2,
Obésité
bonne santé
nous observons un déséquilibre
Inflammation de bas grade
de l’homéostasie énergétique,
lipidique et glucidique. Ceci est
Homéostasie
Homéostasie
associé à une moindre abondance
Foie
d’A. muciniphila ainsi qu’une
Dépôts
Foie
de graisse
altération de la barrière intestiDépôts
Glucose
Glucose
de graisse
nale (couche de mucus amincie
Lipides
Lipides
et moindre production de RegIII),
Énergie
Énergie
une augmentation de la masse
grasse, une l’inflammation métabolique (endotoxémie métabolique, infiltration de macrophages dans le tissu adipeux) et une insulino-résistance.
Il a par ailleurs récemment été démontré que la présence d’A. muciniphila était associée à une tolérance au glucose normale, ainsi qu’à un phénotype mince et moins enclin à l’inflammation métabolique.
ni la consommation ni l’élimination des
graisses alimentaires dans les matières
fécales ne soient modifiées. Cette protection était reflétée par une diminution
de moitié des graisses viscérale et souscutanée (Figure 1), et par une augmentation des marqueurs d’oxydation des
graisses tissulaires. De plus, les animaux
recevant A. muciniphila ne présentaient
plus d’insulino-résistance, ni d’infiltration de cellules inflammatoires (exprimant l’antigène CD11c) caractéristiques
de l’obésité et de l’inflammation de bas
grade qui lui est associée [12]. Sachant
que ces stigmates métaboliques peuvent
trouver leur origine dans l’apparition
d’une endotoxémie métabolique ou
d’une translocation bactérienne [1, 2],
nous avons étudié la fonction de barrière de l’intestin.
Tout d’abord, nous avons observé qu’A.
muciniphila empêchait totalement le
développement d’une endotoxémie
métabolique en réponse à l’ingestion
d’une alimentation riche en lipides
(Figure 1). Sachant qu’A. muciniphila
vit dans la couche de mucus dont elle se
nourrit, nous avons mesuré l’épaisseur
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de la couche de mucus recouvrant l’épithélium intestinal. En effet, le mucus
intestinal constitue également une barrière physique permettant de maintenir
à distance de l’épithélium intestinal
les nombreuses bactéries présentent
dans la lumière intestinale. Nous avons
découvert que l’épaisseur de la couche
de mucus intestinal était plus mince
chez les animaux obèses et diabétiques
de type 2. En revanche, l’administration de la bactérie permet d’augmenter
l’épaisseur du mucus et contribue à
restaurer totalement la fonction barrière de l’intestin à ce niveau. Outre
cette barrière physique, les cellules de
l’hôte sont en interaction permanente
avec le microbiote intestinal et « sélectionnent » le type de bactéries tolérées à proximité des cellules intestinales grâce à la production de peptides
antimicrobiens. Nous avons découvert
que les animaux obèses et diabétiques
produisaient moins de lectine de type
C, appelée RegIII (regenerating isletderived 3-gamma), qui posséde une
activité antimicrobienne envers les bactéries à Gram positif. En revanche, l’ad-
ministration d’A. muciniphila rétablit la
production endogène de ce peptide. Ces
effets d’A. muciniphila contribueraient
à une meilleure réponse du système
immunitaire de l’hôte et donc au maintien des bactéries à distance des cellules épithéliales de l’intestin et, in fine,
permettraient de maintenir une barrière
intestinale adéquate. Enfin, nous avons
observé que l’administration d’A. muciniphila augmentait la production endogène d’endocannabinoïdes possédant
des activités anti-inflammatoires et
régulatrices de la production endogène
de glucagon-like peptide-1 et 2 (GLP-1
et GLP-2) [1].
Il est important de mentionner qu’une
partie de nos résultats viennent d’être
confirmés dans une étude récemment
publiée [8].
Conclusion
Actuellement nous ne disposons d’aucune étude chez l’homme analysant
l’impact de l’administration de A. muciniphila sur ces paramètres. Néanmoins,
deux études publiées au mois d’août
et de septembre 2013 montrent d’une
m/s n° 2, vol. 30, février 2014
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Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet
article.
REMERCIEMENTS
Patrice D. Cani est research associate du
FRS-FNRS (Fonds de la recherche scientifique, Belgique), Amandine Everard est
research fellow du FRS-FNRS. PDC est
récipiendaire d’un ERC starting grant
(European research council, starting grant
336452-ENIGMO).
RÉFÉRENCES
1. Cani PD, Everard A, Duparc T. Gut microbiota,
enteroendocrine functions and metabolism. Curr Opin
Pharmacol 2013 ; 13 : 935-40.
2. Zhao L. The gut microbiota and obesity: from
correlation to causality. Nat Rev Microbiol 2013 ; 11 :
639-47.
3. Cani PD, Dewever C, Delzenne NM. Inulin-type fructans
modulate gastrointestinal peptides involved in
appetite regulation (glucagon-like peptide-1 and
ghrelin) in rats. Br J Nutr 2004 ; 92 : 521-6.
4. Derrien M, Vaughan EE, Plugge CM, de Vos WM.
Akkermansia muciniphila gen. nov., sp. nov., a human
intestinal mucin-degrading bacterium. Int J Syst Evol
Microbiol 2004 ; 54 : 1469-76.
NOUVELLE
Une réponse allergique
pour lutter contre les venins
Thomas Marichal1,2, Philipp Starkl1, Martin Metz3,
Stephen J. Galli1,4
> Vingt à trente pour cent de la population mondiale souffrent d’allergies, et ce
pourcentage ne cesse d’augmenter dans
les pays industrialisés [1]. Les allergies
sont des maladies inflammatoires multifactorielles qui résultent d’une réaction
du système immunitaire à l’encontre de
substances étrangères et pour la plupart inoffensives, appelées allergènes.
Bien que de nature très hétérogène, les
allergènes ont tous l’aptitude d’induire
le même type de réponse immunitaire,
appelée immunité de type 2. L’immunité
m/s n° 2, vol. 30, février 2014
DOI : 10.1051/medsci/20143002004
Fevrier_Nouvelles.indd 127
5. Everard A, Lazarevic V, Derrien M, et al. Responses of
gut microbiota and glucose and lipid metabolism to
prebiotics in genetic obese and diet-induced leptinresistant mice. Diabetes 2011 ; 60 : 2775-86.
6. Cani PD, Neyrinck AM, Fava F, et al. Selective increases
of bifidobacteria in gut microflora improve high-fatdiet-induced diabetes in mice through a mechanism
associated with endotoxaemia. Diabetologia 2007 ;
50 : 2374-83.
7. Everard A, Belzer C, Geurts L, et al. Cross-talk between
Akkermansia muciniphila and intestinal epithelium
controls diet-induced obesity. Proc Natl Acad Sci USA
2013 ; 110 : 9066-71.
8. Shin NR, Lee JC, Lee HY, et al. An increase in the
Akkermansia spp. population induced by metformin
treatment improves glucose homeostasis in dietinduced obese mice. Gut 2013 ; 26 juin (online).
9. Le Chatelier E, Nielsen T, Qin J, et al. Richness of
human gut microbiome correlates with metabolic
markers. Nature 2013 ; 500 : 541-6.
10. Zhang X, Shen D, Fang Z, et al. Human gut microbiota
changes reveal the progression of glucose
intolerance. PLoS One 2013 ; 8 : e71108.
11. Burcelin R, Chabo C, Blasco-Baque V, et al. Le
microbiote intestinal à l’origine de nouvelles
perspectives thérapeutiques pour les maladies
métaboliques ? Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 800-6.
12. Dalmas E, Tordjman J, Guerre-Millo M, Clément K. Le
tissu adipeux. Med Sci (Paris) 2011 ; 27 : 993-9.
MAGAZINE
LIENS D’INTÉRÊT
NOUVELLES
part que, chez l’homme, l’obésité est
associée à une moindre abondance de
certaines bactéries dont A. muciniphila
[9], d’autre part que les sujets prédiabétiques et diabétiques de type 2
hébergent une quantité moindre d’A.
muciniphila dans l’intestin [10].
Ces observations, et d’autres, soulèvent
différentes questions fondamentales qui
devront être testées dans des études à
large échelle, et pourraient aboutir au
développement de nouveaux outils thérapeutiques. Ainsi, la sélection précise
et validée de certaines bactéries telles
qu’A. muciniphila, ou encore l’utilisation
de nutriments de types prébiotiques,
pourraient être utilisés afin de contrôler ou maintenir certains protagonistes
importants dans les dialogues complexes qui s’établissent entre l’hôte et le
microbiote intestinal. ‡
Akkermansia muciniphila: a novel
target controlling obesity, type 2
diabetes and inflammation?
1Département de pathologie,
Stanford University School of Medicine, Campus Drive 269,
Stanford CA-94305, États-Unis ;
2Laboratoire d’immunologie cellulaire et moléculaire, GIGARecherche, Université de Liège, B-4000 Liège, Belgique ;
3Département de dermatologie et allergie, Centre allergie/
Charité, Université de Berlin, Berlin 10117, Allemagne ;
4Département de microbiologie et immunologie, Stanford
University School of Medicine, Stanford CA-94305, États-Unis.
[email protected]
[email protected]
de type 2 peut être induite par les allergènes, mais aussi par certains parasites
[2].
Les réponses de type 2 (ou TH2) sont
associées à la présence de lymphocytes T
auxiliaires (ou T helper) de type 2, véritables chefs d’orchestre de l’inflammation allergique, et d’un type particulier
d’anticorps spécifiques de l’allergène,
les immunoglobulines E (IgE) (Figure 1).
Les IgE exercent leurs fonctions via des
récepteurs de haute affinité (appelés
FcRI), exprimés notamment à la surface
des mastocytes ; ces derniers sont surtout présents dans les organes exposés à
l’environnement comme la peau, le poumon ou encore l’intestin. Les mastocytes
peuvent être activés par la liaison de
l’allergène aux complexes IgE/FcRI, qui
induit leur dégranulation et la libération
de substances responsables des principaux symptômes allergiques [3]. Ces
cellules sont donc considérées comme
des « armes chargées », prêtes à induire
des effets délétères pour l’organisme
[4], et les réponses induites par les
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