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texte parce que l’image créée fait travailler
l’imaginaire du spectateur et l’atteint moins
de manière intellectuelle qu’émotionnelle. Ce
travail d’épure est une recherche d’équilibre
au cœur de ce dilemme : il faut offrir assez de
texte pour nourrir l’intellect tout en donnant
des images qui, elles, vont droit au cœur.
Quelle est la différence pour vous entre la
création d’une image cinématographique
et la création d’une image théâtrale ? Par
exemple, comment pensez-vous la notion de
cadre ?
Les deux conceptions ne sont pas étrangères.
La manière de travailler, de construire est
très éloignée, mon rôle est très différent,
mais l’image se fabrique toujours à partir
d’êtres vivants, qui bougent, qui proposent
des déplacements. De même, la caméra s’est
déplacée dans le regard du spectateur. Au
cinéma, j’ai l’habitude de devoir créer dès le
tournage une sorte de rythme et de montage.
Au théâtre, je dois accepter l’idée d’un cadre,
que le mouvement des caméras soit créé par
celui des acteurs. Mon cadre, c’est la lumière.
Par exemple, la scène de la danse d’Esther
est un moment très significatif : nous avons
travaillé d’abord la lumière en utilisant un
éclairage en douche qui ne montrait que son
visage. C’était très beau, on était pleinement
avec le personnage. Puis on a essayé un
éclairage plus large en clair-obscur, l’œil était
attiré par un ensemble et l’effet se perdait. La
lumière me permet de faire des gros plans.
Quand vous dirigez les acteurs, même à
propos des textes, vous utilisez très souvent
le terme « chorégraphie ». Qu’entendez-vous
par là ?
C’est une réponse au rapport parfois
compliqué que j’entretiens avec le théâtre en
tant que spectatrice. J’ai besoin de fluidité,
de déplacements qui amènent d’autres
déplacements pour donner l’impression qu’il
n’y a jamais de temps mort. C’est comme si
pour chaque scène, on amenait de la danse,
petit à petit. J’ai envie d’être précise et fluide.
Pour ce spectacle, je suis très heureuse d’être
accompagnée par un chorégraphe et des
acteurs capables de le suivre. J’ai toujours dit
que je voulais que ce spectacle soit un ballet.
Entre cinéma et théâtre, qu’est-ce qui change
votre manière de diriger les acteurs ?
C’est très déroutant. Chaque acteur a un temps
d’évolution qui lui est propre. C’est difficile
pour moi de projeter ce que j’ai dans la tête et
de le vérifier dans son ensemble avec la réalité
de chacun. On m’a dit que le théâtre et la mise
en scène demandaient de la patience, ce qui
n’est pas ma spécialité ! J’ai appris en très
peu de temps qu’il fallait ne pas chercher à
obtenir ce que j’attends de manière immédiate
et qu’il existe un lien puissant entre patience
et confiance.
Pourtant, à vous observer, vous semblez
diriger les acteurs avec douceur et souplesse,
par exemple en interrompant le fil des
répétitions pour leur proposer un exercice…
J’ai travaillé très jeune au cinéma, avec des
metteurs en scène qui étaient autoritaires
pour ne pas dire de vrais dictateurs, j’en ai
beaucoup souffert. Je me suis toujours dit
que si je faisais de la mise en scène, j’aurais
la conduite inverse. Puis j’ai rencontré des
metteurs en scène qui ne travaillaient que dans
l’amour et la confiance ; j’y ai puisé des repères
pour que les acteurs qui travaillent avec moi
puissent dire qu’ils ont été heureux. Je ne sais
pas travailler dans la douleur, je ne comprends
pas la cruauté. Si certains obtiennent par la
peur, moi j’en suis incapable. Le « jeu » théâtral
comprend cette idée d’un « jouer ensemble ». Il
me fallait construire une équipe qui au départ
ne se connaissait pas, pour qu’elle réussisse à
vivre la concorde et à trouver l’être qui anime
l’esprit de la pièce. Avant d’entrer dans le
travail, j’ai rassemblé tout le monde dans une
grande maison à la campagne, nous avons
mangé ensemble, partagé une sieste à l’ombre
d’un cerisier. Favoriser les connexions et le
lâcher prise était la condition première pour
entrer dans le vrai travail.
Vous abordez souvent cette thématique de
l’amour…
Pour moi l’amour, c’est la famille. J’ai une
famille aimante. Je n’ai pas eu besoin de m’en
recréer une, j’ai juste eu besoin de prolonger
mon enfance. Quand je travaille, je cherche à
recréer une famille. J’ai besoin qu’autour de