187 | Les Verts, garants d’une poLitique cLimatique européenne à La hauteur des défis
LES VERTS,
GARANTS DUNE POLITIQUE
CLIMATIQUE EUROPÉENNE
À LA HAUTEUR DES DÉFIS
>TEHRI LEHTONEN
Terhi Lehtonen, politologue, Conseilre
Environnement pour les Verts/ALE depuis 2003, et 2001-
2003 assistante parlementaire de Mme Heidi Hautala,
députée européenne et co-président de Verts/ALE, travaille
notamment sur les questions de protection du climat.
Terhi.Lehtonen@europarl.europa.eu
Avec 5,5 % des voix au Parlement européen, les Verts jouent un
rôle qui dépasse de loin leur poids électoral. Sur un enjeu aussi cru-
cial pour lavenir de lhumanité que celui du changement clima-
tique, ils parviennent à exercer une pression constante et à com-
penser en partie lemprise des industries polluantes sur les autres
partis. Cet article fait le point sur la politique climatique de l’UE et
démontre le caractère absolument indispensable dun renforcement
du poids des Verts dans les instances européennes, notamment eu
égard aux concessions que les socialistes et des chrétiens-démo-
crates européens sont constamment tentés de faire aux lobbies.
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Le rôle joué par l’UE dans la politique climatique internatio-
nale revêt au moins la même importance. L’UE, au même titre
que dautres pays industrialisés, est en grande partie responsable
des changements climatiques que lon observe déjà aujourdhui, et
les eets néfastes sur le climat des émissions du passé vont conti-
nuer à se faire sentir pendant des centaines dannées. Cependant,
à lheure actuelle, l’UE n’est responsable «que» de 15% de len-
semble des émissions de gaz à eet de serre de la planète. Même si
c’est notre modèle économique qui est à lorigine du problème, il
est évident que nous ne pourrons pas le résoudre seuls. Dès lors, la
manière dont est perçue l’action de l’UE et sa capacité à rassembler
autour dun futur traité international qui apportera une réponse à
la hauteur du dé ont une importance cruciale.
L’influence des Verts/ALE sur la politique
climatique communautaire
Linuence que le groupe des Verts au Parlement européen peut
exercer sur la politique climatique communautaire a ses limites.
Celles-ci sont dues en partie aux caractéristiques générales du cadre
institutionnel de l’UE. Depuis lente en vigueur du traité dAms-
terdam, toutes les initiatives législatives communautaires ont été
adoptées au moyen de la procédure de codécision, qui place le Par-
lement européen et le Conseil des ministres sur un pied dégalité.
Par ailleurs, sur le plan de la politique extérieure et des négociations
internationales, le rôle ociel du Parlement européen est très limité,
bien quil puisse contribuer à créer et à renforcer lunanimité autour
des positions de l’UE. Ainsi, si, à certains moments clés des négocia-
tions internationales, plusieurs ministres de lenvironnement écolo-
gistes ont joun rôle déterminant, les députés européens peuvent
également contribuer à inuencer lopinion publique dans les débats
nationaux, les politiques gouvernementales, ainsi que diérents ac-
teurs prenant part aux négociations internationales.
En matière de protection du climat, l’Europe fait aujourdhui -
gure de modèle sur la scène internationale. Elle est perçue comme
le moteur des eorts de la communauté internationale pour évi-
ter que lévolution du climat ne devienne dangereuse. Même si, à
laune des eorts nécessaires pour amener les émissions de gaz à
eet de serre au niveau recommandé par les scientiques, la po-
litique européenne et ses résultats ne semblent pas aussi satisfai-
sants, l’UE s’est néanmoins montrée capable de mettre en place
des instruments politiques plus ambitieux que la plupart, si pas
lensemble, des autres parties à la Convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques.
La politique climatique communautaire
La législation climatique communautaire trouve ses origines
dans la mise en œuvre conjointe des engagements pris par la
Communauté européenne avec la signature, en 1997, du proto-
cole de Kyoto. Les principes de cette mise en œuvre conjointe
ont été dénis dans l«accord de partage de la charge» de 1998
et ociellement adoptés par la décision du Conseil de 2002 rela-
tive à lapprobation, au nom de la Communauté européenne, du
protocole de Kyoto. Pour parvenir à une diminution collective de
8% de leurs émissions de gaz à eet de serre, les États membres
ont convenir de gles communes en matière de surveillance
et de déclaration, ancrées dans un règlement adopté en codéci-
sion la même ane. Ce document allait être lépine dorsale de
la politique climatique communautaire. En 2003, le Parlement
européen et le Conseil sont parvenus à un accord concernant la
mise en place dun système communautaire déchange de quotas
démission. Celui-ci fonctionne depuis 2005. Enn, à la n de
lannée 2008, les co-législateurs ont adopté un paquet de six pro-
positions législatives visant toutes à contribuer à la réduction des
émissions de gaz à eet de serre.
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Lune des caractéristiques (regrettable selon les Verts) des pro-
cessus décisionnels et législatifs internes de l’UE est quils favori-
sent ceux qui s’opposent à ladoption de politiques ambitieuses et
ne se soucient pas dobtenir des résultats. Cependant, en contre-
partie, au niveau du Parlement européen, le potentiel dinuence
des Verts n’est pas lpar la dichotomie majorité/opposition qui
caractérise les parlements nationaux.
Au sein du Parlement européen, les Verts parviennent souvent à
avoir une bien plus grande inuence sur les politiques climatiques
que le laisserait penser leur poids relativement modeste au sein de
cette assemblée (actuellement 5,5% des députés). Cependant, ce
poids réduit nous permet uniquement dexercer une inuence stra-
tégique dans le but de rassembler la «meilleure majorité possible»,
sans que nous ne puissions réellement imposer notre programme
idéal aux autres groupes politiques.
Notre forte inuence, nous la devons simplement à notre souci
du climat et de lenvironnement en général ainsi qu’à notre expé-
rience (réelle ou perçue) du sujet et à la légitimité de nos opinions.
Elle est également portée par la cohérence qui règne à lintérieur de
notre groupe, laquelle nous permet de concentrer nos eorts sur le
rassemblement de coalitions avec des députés dautres groupes qui
partagent nos opinions.
Par ailleurs, la simple présence des Verts dans le paysage poli-
tique oblige les autres groupes à prêter plus dattention aux pré-
occupations écologistes an déviter de perdre des électeurs. Mais
nous constatons avec frustration que, pour la plus grande partie,
lenthousiasme qui entoure les questions climatiques reste un phé-
nomène rhétorique et marginal. Cela dit, il permet au moins aux
représentants des Verts de présenter des propositions, obligeant
les membres des autres groupes politiques à rendre compte publi-
quement de leurs actions en faveur de la protection du climat. En
soumettant certaines questions à un vote nominal et en attirant
lattention du public sur certaines questions, nous parvenons par-
fois à faire évoluer le «jeu» en notre faveur et à exposer au grand
jour les luttes de pouvoir qui déchirent les autres partis politiques.
Nous devons aussi une grande partie de notre inuence à notre
bonne coopération avec les organisations de la société civile. Les
organisations qui représentent lintérêt général manquent en eet
souvent de capacités et de moyens, mais leur message, bien argu-
menté, a plus de poids que celui des groupements représentant des
intérêts économiques particuliers.
Le « Paquet climat » vu par les Verts
D’un point de vue écologiste, que penser de la version nale du
paquet législatif relatif au climat récemment adopté par l’UE? Les
objectifs xés pour la réduction des émissions sont clairement in-
susants par rapport à ce que le GIEC, dans ses travaux scien-
tiques, juge nécessaire pour éviter des changements climatiques
dangereux. Aurait-on dû pour autant en souhaiter le rejet?
Personnellement, je suis davis que le «Paquet climat» doit être
jugé à laune de sa capacité à contribuer positivement à ladoption
dun accord mondial complet et détailsur la politique climatique
internationale après 2012. Il convient de prendre en considération
les retombées quauraient eues un rejet du paquet ou le refus dun
accord sur les négociations internationales.
Du point de vue international, le paquet mérite clairement
une mauvaise note dans la mesure les objectifs de réduction
adops ne correspondent pas aux recommandations scienti-
fiques quant aux efforts à consentir par les pays industrialisés.
Cependant, grâce à linsistance des Verts, la gislation adoptée
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reconnaît explicitement que lobjectif de duction, ou de pla-
fonnement des émissions, pourra être revu à la hausse (avec une
rence explicite à un objectif de -30 %) afin de garantir la
mise en œuvre des objectifs que lUE se sera finalement enga-
e à respecter dans le cadre dun accord international. Grâce
à notre influence également, le texte ne fixe pas de limite supé-
rieure définitive pour lengagement à prendre par lUE dans le
cadre des gociations internationales.
Sur un sujet l, le paquet mérite une autre très mauvaise note.
Au total, plus de la moit de leffort de duction de 20% des
émissions européennes pourra alisée par des crédits investis
dans des projets de réduction des émissions de gaz à effet de
serre potentiellement douteux à lextérieur de lUE, principale-
ment dans des économies émergentes ou dans des paystenant
un excédent de droits démission sans avoir ployé defforts
particuliers. En offrant aux États membres une échappatoire
trop reuse par le biais de mécanismes flexibles, lUE montre
qu’elle ne comprend pas et refuse dendosser la responsabilité de
ses émissions passées, responsables en grande partie des chan-
gements climatiques que nous ressentons dé aujourdhui. Il y
a également une incorence manifeste avec les niveaux de
duction des émissions que lUE estime pouvoir attendre des
pays en veloppement. En effet, cet effort de duction devra
s’ajouter aux efforts dé réalisés dans ces pays pour compenser
les objectifs des pays industrialisés. En somme, lEurope délo-
calise ses obligations.
En créant une forte demande pour les crédits extérieurs, lUE
se tire dans le pied, car il lui sera plus dicile de faire accepter son
objectif délargir la pore des engagements contraignants qui ne
concernent aujourdhui que les traditionnels pays industrialisés.
Dans un monde parfait, avec un accord mondial complet et dé-
tail et un plafonnement mondial des émissions pertinent du
point de vue scientique, ce serait moins grave (pour autant que
les eorts de duction pour parvenir à ce plafonnement soient
répartis équitablement).
En troisième lieu, il est absolument déplorable que se pour-
suive la distribution de quotas démission gratuits à la plupart
des industries européennes très polluantes. Cela engendrera
soit des bénéfices exceptionnels injustifiés pour les plus grands
pollueurs (s’ils parviennent à répercuter ne fût-ce qu’une par-
tie du prix auquel séchangent les quotas sur le marché, que ces
quotas aient ou non été obtenus gratuitement), soit une réper-
cussion différée du prix des émissions sur le reste de lécono-
mie, ce qui aura pour effet de retarder le passage à des biens,
services et matériaux alternatifs. Un autre problème de taille
est que le précédent politique risque de se répandre : les dé-
cideurs dans d’autres pays industrialisés auront du mal à im-
poser le principe du pollueur-payeur et le système d’encres
intégral comme les instruments dallocation les plus efficaces.
Toutefois, les négociateurs des Verts ont obtenu que le critère
de «fuite de carbone», en vertu duquel l’allocation de quotas
gratuits pourrait se perpétuer à jamais, soit réexaminé en cas
de conclusion d’un accord international. Ainsi donc, il existe
au moins un mandat pour une réévaluation. Or il faut savoir
que seul un nombre très limité de quotas gratuits pourra résis-
ter à une analyse objective de la situation.
Malgré ces points négatifs, il y a de bonnes raisons de penser que
le «Paquet climat» aura un eet positif sur les négociations inter-
nationales. Les éléments suivants fourniront des exemples utiles:
+ l’engagement unilatéral de réduire de 21% les émissions de gaz à
eet de serre des grands pollueurs industriels entre 2005 et 2020;
+ ladoption dun programme contraignant de réduction annuelle
linéaire comme principe pour le plafonnement des émissions
dans les pays industrialisés;
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+ la modication de lannée de référence pour le calcul du respect
des objectifs en termes démissions réelles vériées (2005 à la
place de 1990), qui pourrait permettre de réduire considérable-
ment le phénomène des «échanges vides» (réductions des émis-
sions dans les anciens pays du bloc soviétique dues uniquement
à la transition économique);
+ ladoption de critères harmonisés pour les compensations (par
exemple, exclusion des crédits nucléaires) et dénition, au ni-
veau de lUE, dun plafond pour leur utilisation (alors quil y est
déjà beaucoup trop fait recours, il n’existe aucune règle euro-
péenne qui pourrait être appliqe pour restreindre lutilisation
de crédits par les États membres);
+ le principe du nancement des réductions démissions dans les
pays en développement, conformément à lobjectif de limitation
à 2°C de la hausse des températures;
+ un mécanisme de contrôle de la mise en œuvre permettant
déviter, grâce à un «facteur dabattement» annuel, que tout re-
tard intervenant dans la réduction des émissions ne se fasse au
détriment de lenvironnement.
En s’engageant à adopter le paquet en première lecture, le Parle-
ment européen s’est contenté de jouer un rôle réduit dans la procé-
dure législative. En général, nous avons des réserves quant à cette
manière de faire, qui présente un risque élevé de non-respect des
principes de transparence et de légitimité. Cependant, les Verts
se sont aussi engagés à obtenir un accord sur le «Paquet climat»
avant la n de la législature, au printemps 2009, au nom de lur-
gence que revêt le problème du changement climatique et an de
favoriser la conclusion dun accord international à Copenhague à
la n de lannée 2009.
Cependant, personne ne s’était attendu à ce que la présidence
française du Conseil retire la décision au Conseil des ministres de
lenvironnement, où elle aurait été prise à la majorité qualiée, sui-
vant la procédure normale, pour porter le dossier devant le Conseil
européen, où chaque État membre allait pouvoir, s’il le voulait, op-
poser son veto à lensemble du paquet. Ce faisant, la présidence a
réduit encore davantage le rôle du PE, en en faisant une sorte de
28eÉtat membre dont la crédibilité aurait été remise en question
s’il avait voulu s’opposer à des changements de dernière minute
visant à édulcorer les dispositions du texte.
En ce qui concerne le système déchange de quotas démission,
les Verts peuvent se targuer en particulier davoir contribué acti-
vement à lélaboration de compromis adoptés à la majorité par les
commissions de lindustrie et de lenvironnement. Ces compromis
préservaient larchitecture fondamentale de la proposition, tout en
laméliorant par lajout de laectation obligatoire dune partie des
recettes à des projets de lutte contre le changement climatique. Le
cadre institutionnel pour la prise de décisions dans l’UE fait que
tout « mauvais» amendement adopté par le PE a tendance à se
retrouver plus facilement dans le texte nal.
Pour ce qui est de la proposition législative relative à la répar-
tition des eorts, qui xe des objectifs nationaux pour les émis-
sions dans les secteurs non couverts par le système déchange de
quotas, la rapporteure des Verts, MmeSatu Hassi, est parvenue à
imposer un régime renforde contrôle de la mise en œuvre et à
améliorer les propositions du Conseil sur les dispositions relatives
aux mesures à prendre en cas dadoption dun accord internatio-
nal (qui ont également été appliquées au système communautaire
déchange de quotas démission ou SCEQE). Mme Hassi a égale-
ment obtenu un engagement, accompagné dun calendrier, en
vue délargir le champ dapplication des objectifs de réduction au
secteur maritime, ainsi qu’une reconnaissance de lobligation de
l’UE de contribuer au nancement des mesures de réduction des
émissions et dadaptation dans les pays en veloppement. Bien
que nous ne soyons pas parvenus à limiter davantage la part auto-
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