LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 911 - septembre 2016
« Les femmes étaient reconnues comme ci-
toyennes, en tenant compte de leur travail
dans la Résistance. Nous étions de partis
diérents, mais nous nous disions : enn ! »,
témoignait-elle devant la presse, 60 ans après
la fondation de l’Assemblée constituante de
l’après guerre.
Orpheline à cinq ans, Raymonde Barbé, née
à Puteaux le 22 octobre 1915 d’un père em-
ployé des transports en commun, est placée
dans une pension religieuse d’où elle s’enfuit,
adolescente, pour rejoindre son grand frère,
militant communiste et syndicaliste et une
de ses sœurs, près d’Arles.
Gagnant sa vie comme employée de com-
merce, elle adhère de son propre chef au Parti
communiste français en 1932. Dès sa fonda-
tion, elle milite à la Fédération Sportive et
Gymnique du Travail, née en 1934 de l’union
des fédérations sportives ouvrières face aux
fascismes. Sur l’aéroport de Marignane, elle
apprendra à piloter des avions légers. Lors
d’une tournée de propagande, elle rencontre
Charles Nédélec, menuisier parisien venu à
Marseille depuis 1932 pour réorganiser le syn-
dicat. Raymonde Barbé devient Raymonde
Barbé-Nédélec à Arles.
Militant pour la victoire du Front popu-
laire, le couple s’installe à Marseille.
Lorsque Danielle Casanova fondera l’Union
des jeunes lles de France pour créer un
large mouvement féminin, paciste et an-
tifasciste, Raymonde organisera sa section
locale. Lors du congrès de fusion de la CGT
les 4 et 5 janvier 1935 à Marseille, Charles
Nédélec est élu secrétaire adjoint de la nou-
velle Union départementale. Responsable du
Comité de défense de la République espa-
gnole, organisateur de la solidarité, Charles
Nédélec participe aussi à la formation des
Brigades internationales. En 1940, fait pri-
sonnier à Montmédy le 19 juin, envoyé au
stalag II A de Neubrandebourg, il refusera
de travailler pour les Allemands et parvient à
obtenir un rapatriement sanitaire. Lorsqu’il
reviendra en France en septembre 1941,
Raymonde a déjà été arrêtée sur dénoncia-
tion. Ils ne se reverront plus.
« La Marseillaise en entier »
A Marseille, « naturellement », Raymonde
a refusé la défaite. Dénoncée, elle est arrêtée
le 31 mars 1941, jugée par le Tribunal mari-
time de Toulon, section spéciale du régime
de Vichy. Condamnée le 7 octobre à vingt
ans de travaux forcés et vingt ans d’inter-
diction de séjour, elle est incarcérée à Lyon,
puis Rennes, après Marseille et Toulon. En
prison, elle continue d’agir dans les triangles
clandestins, notamment à Rennes, où la
plupart des détenues sont communistes,
se réclamant d’une culture politique com-
mune, et organisées. Ici, après des mani-
festations unissant détenues politiques et
détenues de droit commun, elles ont créé un
atelier politique séparé des droit commun,
fonctionnant sous la direction d’un bureau
dirigé par Georgette Cadras. Ici, elles ont ar-
raché après des mois le droit de circuler dans
l’atelier, d’étudier, de faire des lectures col-
lectives, de faire entrer des livres, de donner
des cours. Ici, le 11 novembre 1942, les dé-
tenues ont confectionné des insignes trico-
lores représentant leur sabot de prisonnières,
portées par des surveillantes. Ici, elles ont
réussi à chanter ce jour-là la Marseillaise et le
Chant du Départ « en entier ». Ici, apprenant
le sabordage de la rade de Toulon, elles ont
décidé d’une minute de silence associant
même une surveillante. (1)
Livrée aux Allemands, Raymonde est dépor-
tée en 1944 à Sarrebruck puis Ravensbrück.
Elle continue d’organiser l’entraide pour la
survie des plus jeunes, avant d’être envoyée
travailler dans un Kommando dépendant
du camp de Buchenwald pour une usine de
guerre de Leipzig. Là aussi, elle s’applique à
organiser le sabotage des engins de mort.
Le 20 avril 1945, elle prote de l’évacua-
tion du Kommando pour s’évader avec un
groupe de camarades. Elle arrive à Paris où
elle apprend que son mari est « mort d’épui-
sement » dans la Résistance. (2)
Embauchée par l’Union départementale
CGT des Bouches-du-Rhône, Raymonde
retourne à Marseille, vite nommée respon-
sable de la Commission féminine.
En septembre 1945, elle est élue conseil-
lère générale du 6e canton de Marseille et
un mois plus tard, députée de la 1re circons-
cription des Bouches-du-Rhône sur la liste
de François Billoux. Elle restera députée
communiste de 1945 à 1951.
Contre l’esprit de démission
Sur les bancs de l’Assemblée, elle a rencontré
Charles Tillon, ancien chef des FTP, député
de Seine-Saint-Denis, maire d’Aubervilliers,
ministre du général de Gaulle de 1944 à 47.
Sans « explication plausible », le PCF décide,
en 1950, de ne pas renouveler la candidature
de Raymonde aux élections. Elle épouse le
« mutin de la Mer noire » en 1951. Ils auront
deux lles. Lorsque Charles Tillon et André
Marty sont exclus du Comité central en 1952,
Raymonde Barbé-Nédélec-Tillon soutient
son époux. Elle quitte son emploi à la mairie
de Drancy pour le suivre à Montjustin dans
les Basses-Alpes, puis à Aix-en-Provence. En
1970, ils seront tous deux exclus pour avoir
fermement condamné l’invasion des chars
soviétiques en Tchécoslovaquie.
Raymonde et Charles Tillon se retirent en
Bretagne en 1974. En 2002, Germaine Tillion
préfaçait l’unique livre de Raymonde titré :
J’écris ton nom, Liberté.
Lui rendant hommage le 25 juillet à Rennes
au nom de la République, Jean-Yves Le Drian
concluait : « (…) Raymonde Tillon-Nédélec a
traversé la fureur de ce siècle en ne renonçant
jamais à son exigence démocratique. Nous lui
sommes reconnaissants d’avoir témoigné, par
ses actes, de ce que peuvent la conviction et
l’engagement contre l’injustice et l’arbitraire ».
Croix de guerre 1939-45, Chevalier de
la Légion d’honneur, Raymonde Barbé-
Nédélec-Tillon était l’une des très rares
femmes décorées de la Médaille militaire.
1) Mise à pied le 19 mars 1943 pour « compli-
cité avec les détenues politiques » (voir l’article
de Corinne Jaladieu, « Résistances en prison »,
Criminopolis (mis en ligne le 4 février 2014).
2) Charles Nédélec a participé à la préparation
des accords du Perreux avec, entre autres mis-
sions, celle d’assurer la liaison entre le bureau de
la CGT et quatorze fédérations clandestines en
cours de reconstruction. A l’automne 1943, il re-
présentait Benoît Frachon au Comité directeur
du Conseil National de la Résistance. Pris d’un
malaise dans une rue de Paris, il est mort d’une
hémorragie cérébrale le 3 mai 1944.
Sources : Dictionnaire biographique Maitron,
articles de René Lemarquis et Antoine Olivesi
et d'Antoine Olivesi et Gérard Leidet.
Georges Séguy
« S’unir pour une cause
commune »
Membre du Comité d’honneur de la
FNDIRP jusqu’en 2013, Georges Séguy,
ancien secrétaire général de la CGT, est
mort le samedi 13 août. Il avait 89 ans.
« S’il y a un vers de l’Internationale que je ne
chante pas, c’est bien “Du passé faisons table
rase !” » assurait le président honoraire de
l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT.
(1)
Dans
notre rubrique A bâtons rompus, Georges
Séguy évoquait ce jour où, apprenant l’exé-
cution de Pierre Sémard, ami de sa famille,
fusillé par les nazis le 7 mars 1942, il décida
de quitter l’école pour rejoindre la Résistance
« à temps plein ». Pour réaliser tracts, faux
papiers et journaux, il apprendra à 15 ans
le métier de conducteur- typographe et de-
viendra agent de liaison.
Fils d’un cheminot syndicaliste toulou-
sain, Georges Séguy s’est inscrit tout gamin
dans le sillage de son père. En 1936, il a as-
sisté à la réunication de la CGT au congrès
de Toulouse. La même année il a vu naître
la SNCF et l’avènement du statut des chemi-
nots. Dès 1940, Georges Séguy prend part aux
réunions clandestines des Jeunesses commu-
nistes, organisant les lancers de tracts anti-
nazis et anti-vichystes du 6 novembre, lors de
la visite du Maréchal à Toulouse. A l’école, il
entraîne même ses camarades dans une grève
des cours obligatoires d’allemand et d’ins-
truction civique à la gloire de Vichy. Agent
de liaison, il sera en relation avec les FTP, les
FTP-MOI, le Front national, les Jeunesses
communistes, mais aussi des organisations
gaullistes, catholiques, socialistes… Arrêté
par la Gestapo en 1944 sur dénonciation,
Raymonde Tillon Au nom de la liberté
Dernière survivante des 33 femmes élues députées pour la première fois à la Libération,
Raymonde Barbé-Nédélec-Tillon est morte à Paris le 17 juillet dernier. Inhumée à
Rennes, elle avait fêté ses cent ans.
66 les faits du mois
liés aux pères, mères, soeurs et frères.
« Sans les ls et lles, quelle mémoire ?
Sans Serge Karlsfeld, je n’aurais rien pu
faire parce que j’étais allemande. Sans
moi, il ne pouvait rien faire. Ensemble
on est forts ! »
Tous comptables
de l’avenir
Michel Rosenfeld, témoin, à 8 ans, de la
rae du Vél d’Hiv, s’appuie sur Georges
Perec pour dire « je me souviens ». Son
père était au stalag en Autriche. Il habi-
tait avec sa mère dans le 4e arrondisse-
ment. L’immeuble avait trois escaliers, A,
B, C. Escalier C, vivaient trois familles
juives polonaises. La veille, des rumeurs
avaient circulé. Sa mère avait deman-
dé à sa patronne de passer la nuit avec
son ls à l’atelier au deuxième étage
du 8 rue d’Enghien, au lieu de rentrer
chez elle. L’atelier était grand avec une
fenêtre donnant sur la rue, d’où il a vu
les bus, à l’angle de la rue. A partir de ce
jour, Michel Rosenfeld a perdu sa légè-
reté d’enfant. Il salue la France de 1792,
dans laquelle les juifs devinrent citoyens.
S’adressant à la jeunesse, il conclut : « à
vous, maintenant, de faire en sorte que
notre passé ne devienne pas votre futur ».
Pierre-François Veil, président du
Comité Français Yad Vashem rappelle
la rae par la police française sous les
ordres de Bousquet il y a 72 ans, menant
à l’abattoir des personnes coupables du
seul fait d’être juives. Les 6 semaines
suivantes jusqu’au 30 septembre, 42 000
juifs furent déportés et en deux ans,
33 000 de plus : Vichy insistait auprès
des nazis pour déporter les enfants. En
zone sud, on vit l’intervention de ca-
tholiques et de protestants, dont la cé-
lèbre lettre pastorale de Monseigneur
Saliège. La France, terre d’asile et d’ac-
cueil, manquait à sa parole. Il a fallu
50 ans pour entendre celle de Jacques
Chirac. L'orateur poursuit : « Nous ne
devons pas laisser les intellectuels de
plateau justier Vichy ; c’est une insulte
aux nombreux Français qui ont sauvé des
juifs de la déportation, Justes parmi les
nations. » Chaque année, des dizaines
de dossiers sont traités. Les derniers té-
moins disparaissent. « Des nuages pèsent
sur l’Europe porteurs des vieux démons
du populisme, de la peur, de la haine de
l’autre. Nous sommes tous comptables
du monde que nous laisserons à nos en-
fants », conclut-il, laissant la parole à
Jessie Chapuis, 26 ans, arrière-petite-
lle d’un couple de Justes, qui salue la
présence de Nadine et Jean Dreyfuss,
enfants cachés par sa famille (cf. p. 5).
Le président du CRIF succède à la jeune
femme, unanimement saluée. Rendant
hommage à « l’inlassable détermination
des survivants », il nomme Elie Wiesel
et Charles Palant…
Vincent Placé conclut la cérémonie, non
sans adresser ses pensées aux victimes
de Nice le 14 juillet, rappelant longue-
ment les faits de la rae du Vél d’Hiv,
une des « plus grandes atrocités de notre
Histoire ». Avec Jessie Chapuis, il sera le
seul à évoquer le sort réservé aux « gens
du voyage ». h. A.
Disparitions
lll
Georges Séguy et Suzanne Barrès-Paul
aux obsèques de Marcel Paul en 1982.