NOVEMBRE 2016
La victoire de Donald Trump a provoqué à Washington un véritable raz-de-marée qui peine à
s’atténuer. Pourtant, il faut maintenant accepter ce changement et oublier la campagne pour se
concentrer sur les politiques, car celles-ci n’évolueront pas de façon progressive comme on le
pensait, mais de manière radicale.
COMMENT DONALD TRUMP A-T-IL REMPORTÉ UNE VICTOIRE AUSSI ÉCLATANTE?
Tout le monde a largement sous-estimé M. Trump. Je n’ai jamais vu un candidat aussi bien se vendre.
Le porte-drapeau des laissés pour compte
M. Trump dispose d’un groupe de partisans extrêmement fidèles qui voient en lui un porte-parole, surtout ceux
qui se sentent marginalisés. Leurs préoccupations sont les suivantes :
Les forclusions
Les licenciements
La perte d’emplois au profit des immigrants
La perte d’emplois au profit d’autres pays
Bien qu’alimentées en partie par une culture de la démagogie, ces craintes n’en demeurent pas moins
réelles.
Un candidat qui a récemment gagné en crédibilité
En dépit de son caractère irrévérencieux, de sa grossièreté et de ses propos insultants maintes fois constatés, il
s’est montré, au cours des dernières semaines, sous un autre jour.
En effet, il s’en est tenu à la ligne du parti, a modéré ses commentaires sur Twitter et a redoublé d’efforts en
enchaînant avec succès jusqu’à six ou huit événements par jour. Il a sûrement été guidé par sa directrice de
campagne Kellyanne Conway, mais il faut lui reconnaître ce mérite.
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COMMENT EXPLIQUER LE REJET DE HILLARY CLINTON?
Mme Clinton n’a pas mené une campagne exaltante et les électeurs lui ont tourné le dos pour les raisons
suivantes :
Ils considèrent Mme Clinton comme la candidate « pro-ordre établi » par excellence, alors quils sont
las de cette situation.
Elle défend vivement la mondialisation et les accords commerciaux.
Enfin, elle est étroitement liée à Wall Street.
IL S’AGISSAIT D’UNE ANNÉE DIFFICILE DU POINT DE VUE DES SONDAGES
Les sondages ont fait fausse route, et pas seulement pour le scrutin électoral des États-Unis. Les prédictions
étaient complètement erronées quant aux résultats du Brexit et du référendum colombien. Lors d’entretiens
privés, des instituts de sondage ont indiqué avoir des doutes sur leur méthodologie, la pondération des voix et
les antécédents des participants.
QUE VA-T-IL SE PASSER DÉSORMAIS?
Taux d’intérêt : une hausse des taux de 25 points de base à prévoir le 14 décembre prochain
La présidence de Janet Yellen au Conseil de la Réserve fédérale américaine (la Fed) prendra fin en
février 2018; Mme Yellen est donc en droit de rester en poste jusqu’à cette date. Toutefois, M. Trump pourrait
lui compliquer la tâche, voire demander sa démission. Partons toutefois du principe qu’elle terminera son
mandat.
M. Trump voudra vraisemblablement miner l’autorité de la Fed et nommer quelqu’un de plus déterminé à
rehausser les taux d’intérêt, en somme un président moins accommodant et conciliant que Janet Yellen.
On évoque le nom de John Taylor, professeur à l’Université Stanford et ancien membre de la Fed. Bon
nombre exigent une action de la part de Mme Yellen et estiment que la Fed est à la traîne. La présidente
subit une pression croissante et une foule de participants des marchés souhaitent voir les taux repartir à
la hausse, notamment les aînés qui désirent des intérêts plus élevés pour leur placements de retraite.
Washington : Donald Trump sera-t-il en mesure d’améliorer ses relations?
M. Trump n’est pas le seul à avoir un amour propre, comme il a déjà pu le constater. Contrairement à ce
que lui permet sa politique d’entreprise, il ne lui est pas possible de congédier tout Washington. Un
rapprochement avec Paul Ryan marquerait un bon début, puisqu’il s’agit d’un Républicain
particulièrement conservateur et respecté.
La composition du cabinet de Donald Trump reste très incertaine à l’heure actuelle. Il faut s’attendre à ce
que ce dernier tâte le terrain auprès du public et mentionne plusieurs noms de candidats, afin de mesurer
leur popularité. Il est toutefois surprenant que si peu de noms aient circulé pour le poste de secrétaire du
Trésor américain. Cette question gagnera sûrement en substance d’ici deux ou trois semaines, lorsque
M. Trump commencera à former son cabinet.
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Soins de santé : Donald Trump assure vouloir abroger « Obamacare »
Pour y parvenir, il faudrait convoquer une séance spéciale du Congrès, mais le véritable problème réside
dans le fait que les Républicains n’ont pu s’entendre sur aucune solution de rechange. Toute autre
proposition, comme le système de coupons suggéré par Paul Ryan, prendrait des mois à réaliser.
Immigration : l’une des grandes problématiques auxquelles Donald Trump peut s’attaquer dès à
présent
La proposition de construction d’un mur entre les États-Unis et le Mexique a peu de chances d’être
appuyée par le Sénat : pour que ce projet voie le jour, il faudrait que ses partisans obtiennent les 60 voix
nécessaires pour lever une obstruction, soit plus que le nombre de sièges occupés par les Républicains.
Le risque est donc minime.
Économie : Donald Trump semble s’inscrire dans une pensée keynésienne
M. Trump soumettra sûrement plusieurs propositions de dépenses d’ici la fin de l’hiver, dans le cadre
desquelles il privilégiera les infrastructures, la défense, l’administration des anciens combattants et les
réductions d’impôts, pour un montant total sur dix ans que certains estiment à 2,5 mille milliards $ US. En
ce qui concerne les infrastructures, la réfection des routes américaines, surtout celles du nord-est,
aiderait à améliorer les autoroutes, à créer des emplois et à favoriser l’économie dans son ensemble.
Si les rendements obligataires devaient bénéficier de ces dépenses, une grande question reste en
suspens : comment financerait-t-il tous ses projets?
Impôts : comme annoncé, Donald Trump devrait entreprendre une réforme fiscale
Nombreux sont ceux qui jugent que le code des impôts des États-Unis est opaque et qu’il freine la
croissance économique. Une réforme est donc nécessaire et appuyée par les deux partis. Paul Ryan
orientera sûrement M. Trump sur la question, lequel devrait passer à l’action plus tard pendant l’hiver.
Trois types de réforme fiscale sont envisagés :
Une réforme de l’impôt des particuliers représenterait vraisemblablement un travail de longue
haleine, certaines des déductions (hypothèques, dons à des œuvres caritatives) étant tout
bonnement trop populaires pour disparaître.
Une réforme de l’impôt des sociétés semblerait plus simple à mettre en œuvre, puisqu’elle ferait
passer le niveau d’imposition de 35 % (parmi les plus élevés du monde à ce jour) à environ 26 % ou
27 %, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises américaines.
Une réforme de l’impôt sur les revenus internationaux établirait probablement un système fiscal
semblable à celui de la majorité des pays à travers le monde. Les entreprises éprouveraient donc
moins le besoin de quitter les États-Unis (comme Burger King qui s’est établi au Canada). Plusieurs
ont le sentiment qu’une telle réforme permettrait de rapatrier les profits aux États-Unis – que ce soit
ceux des entreprises pharmaceutiques, des entreprises de haute technologie ou des multinationales
–, ce qui favoriserait l’embauche de nouveaux travailleurs, augmenterait les dividendes,
encouragerait les fusions et acquisitions, et stimulerait les dépenses en immobilisations. Le
rapatriement des bilans et les recettes en découlant (environ 7 ou 8 %) concerneraient
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principalement les infrastructures, un domaine dans lequel M. Trump pourrait exercer une influence
positive.
Guerres commerciales
Il est possible que M. Trump déclenche une guerre commerciale avec la Chine, conformément à ce qu’il
avait avancé, puisqu’il accuse le pays de nombreux torts, dont celui de manipuler sa monnaie et de
mener une concurrence déloyale. Tout signe annonciateur d’une guerre commerciale aurait des
répercussions déplorables sur le marché pour l’année prochaine. Il faut donc s’attendre à ce M. Trump
modère la portée de son action, si tant est qu’il décide d’agir. Il pourrait rehausser les tarifs afin
d’augmenter les frais de douane sur les produits chinois, mais la Chine ne manquerait sûrement pas de
riposter. Cette situation pourrait laisser craindre aux marchés une montée du protectionnisme.
Il y a des chances que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) demeure en vigueur, du moins
au début. Pour l’abolir, les États-Unis devraient fournir au Canada et au Mexique un avis de six mois afin
que ceux-ci décident s’ils se retirent de l’entente ou la renégocient, sans oublier que le projet resterait
longtemps en délibération au Congrès.
Constitution de la Cour suprême
Le Sénat, contrôlé par les Républicains, a rejeté la nomination de Merrick Garland au poste de juge de la
Cour suprême. Il incombe désormais au nouveau président de choisir un successeur au défunt
Antonin Scalia. Je pense que M. Trump souhaite trouver un remplaçant tout aussi conservateur. Par
ailleurs, plusieurs juges pourraient partir à la retraite au cours des années à venir, puisque deux d’entre
eux ont plus de 80 ans, un troisième approche les 80 ans et deux autres atteignent au moins le milieu de
la soixantaine. Le milliardaire aura donc plusieurs occasions de laisser sa marque. La Cour suprême
favorise déjà les intérêts des entreprises, une position qu’elle va sûrement affermir. Parmi les grandes
questions qui seront abordées figurent certains aspects sociaux, l’action positive dans les établissements
universitaires et les droits génésiques des femmes.
Politique environnementale
Les attentes vis-à-vis de la politique environnementale et de la lutte contre le changement climatique,
portées par les engagements de Barack Obama en faveur des règlementations, vont sûrement
s’essouffler, M. Trump étant particulièrement sceptique face à l’idée que l’activité humaine puisse
influencer le climat. Par conséquent, l’industrie du charbon reprendra de la vigueur et il est fort probable
que le nouveau locataire de la Maison-Blanche approuve sans tarder le projet d’oléoduc géant Keystone,
même si Chuck Schumer, le nouveau chef de la minorité démocrate au Sénat, risque de s’y opposer en
faisant obstruction.
DES PROBLÈMES SANS CESSE REPOUSSÉS
Un peu comme en Europe, une certaine lassitude se fait sentir à l’égard de la rigueur budgétaire américaine. À
la différence toutefois que l’Europe a dû subir l’austérité, contrairement aux États-Unis.
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Si le déficit budgétaire a dans l’ensemble été bien maîtrisé ces dernières années, il se creuse désormais à vue
d’œil. Or, de manière générale, le Congrès entend se concentrer sur les moteurs de croissance, par exemple les
dépenses et les réductions d’impôts. Paul Ryan a créé un précédent l’année dernière en acceptant des
allègements fiscaux à perte, soit près de mille milliards $ US d’allègements qui n’ont pas pu être compensés.
Un important problème démographique se profilera d’ici cinq ans, ce qui obligera le gouvernement à prendre très
au sérieux la question des déficits et de l’endettement. On assistera vraisemblablement à la mise en place
d’examens des ressources, à une hausse des impôts, à une réduction des avantages sociaux ou à une
combinaison de toutes ces mesures. Cette situation est inévitable et devra bien être traitée un jour ou l’autre.
Mais comme il ne s’agit pas d’un problème imminent, le gouvernement continuera de repousser l’échéance et de
privilégier la croissance afin de stimuler l’économie.
COMMENT L’ÉCONOMIE SE PORTE-T-ELLE? QUELLES SONT LES INQUIÉTUDES DES
CHEFS D’ENTREPRISES?
Après avoir beaucoup voyagé cette année, je suis surpris de voir les remarques des clients au sujet de la bonne
santé de l’économie : la Californie, le Texas, les deux États de Caroline et la Floride affichent une économie
florissante, par exemple. Ce n’est cependant pas le cas des États de la « ceinture de rouille ».
Les chefs d’entreprises se préoccupent moins du programme « Obamacare » que du manque de main-d’œuvre
qualifiée. Alors que la reprise économique se poursuit, ces pénuries laissent craindre une hausse des salaires.
La Fed aurait donc plus de travail en 2017.
DONALD TRUMP PEUT-IL RAMENER LES EMPLOIS SUR LE SOL AMÉRICAIN, COMME IL
L’A ASSURÉ?
Cette idée de rapatrier les emplois est insensée et ne verra pas le jour. M. Trump a fait de ses grandes
promesses et de sa fanfaronnade sa marque de commerce et ces éléments faisaient partie intégrante de sa
campagne. Toutefois, la majorité des Républicains à la Chambre des représentants défendent ardemment le
libre-échange et pensent que le nouveau président se heurtera sévèrement au Congrès s’il met de l’avant des
mesures trop radicales.
QUI DÉTIENT LE POUVOIR ET DÉCIDE DE L’ORDRE DU JOUR DU PARTI RÉPUBLICAIN?
En dépit des dissensions observées au sein du parti républicain, je pense que M. Trump reste l’acteur principal
qui tiendra les rênes du parti. Bon nombre se sont déjà suffisamment brûlé les doigts en le sous-estimant et ce
dernier rencontrera donc sûrement moins de résistance sur son chemin, dorénavant.
Si M. Trump garde une rancœur tenace contre Paul Ryan, considéré comme un traître, il aura besoin de son
soutien pour faire passer des lois à la Chambre des représentants. M. Trump n’est pas très au courant de
certains problèmes et devrait donc s’en remettre à plusieurs membres du parti, en plus de Paul Ryan.
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