Donald Trump, l`homme du grand désordre mondial, Joseph Stiglitz

Donald Trump, l'homme du grand désordre mondial, Joseph Stiglitz, Chroniqueur prix
Nobel d'économie 2001, est professeur à l'université Columbia de New York
Alors que la première puissance économique de la planète s'aventure en terrain incertain pour
2017, c'est le monde entier qui risque le chaos. L'un des enjeux de l'année sera le niveau de guerre
commerciale que Washington veut enclencher.
Au début de chaque année j'essaie de faire des prévisions pour les douze mois à venir, un exercice
des plus difficiles en économie. J'ai ainsi prévu que, en l'absence d'une stimulation budgétaire plus
marquée (qui n'a eu lieu ni en Europe ni aux États-Unis), le redémarrage économique après la
grande récession de 2008 serait lent. Pour cela, je me suis appuyé davantage sur l'analyse des
forces économiques sous-jacentes que sur des modèles économétriques complexes.
Ainsi, début 2016, il semblait évident que l'insuffisance de la demande mondiale agrégée qui durait
depuis quelques années allait se prolonger. Je pensais donc que les économistes qui prévoyaient
une reprise vigoureuse regardaient le monde avec des lunettes roses. La suite des événements m'a
largement donné raison sur le plan économique, mais il n'en a pas été de même sur le plan
politique.
J'écrivais depuis des années que si l'on ne remédie pas au creusement des inégalités, aux États-
Unis mais aussi dans le reste du monde, ce serait lourd de conséquences. Néanmoins, les inégalités
ont continué à s'aggraver.
Cette aggravation se traduit par une baisse inquiétante de l'espérance de vie aux États-Unis. Une
étude publiée l'année dernière par Anne Case et Angus Deaton montre que l'espérance de vie a
diminué pour toute une partie de la population - en particulier pour les « hommes en colère » de la
Rust Belt [les vieux États industriels en déclin].
Les revenus des 90 % les moins riches de la population stagnant depuis une trentaine d'années (ils
sont même en déclin pour beaucoup), les données sur l'état de santé de la population confirment
que la situation est inquiétante. Elle l'est particulièrement aux États-Unis, mais elle l'est aussi
ailleurs. Il était donc clair qu'elle aurait des conséquences politiques, mais la forme qu'elles
prendraient et le moment de leur apparition ne l'étaient pas.
Pourquoi ces conséquences se sont-elles manifestées aux États-Unis précisément au moment où
l'économie paraissait se redresser, et non auparavant ? Et pourquoi ont-elles pris la forme d'un
virage à droite ? Car ce sont les républicains qui, dans 26 États, ont refusé d'étendre le programme
Medicaid aux plus pauvres, les laissant dépourvus d'assurance-maladie. Et pourquoi le gagnant de
l'élection présidentielle est-il un personnage qui a construit sa fortune en tirant avantage d'autrui,
un personnage qui a reconnu ouvertement payer un minimum d'impôt et qui se vante de faire de
l'optimisation fiscale ?
Donald Trump a compris l'esprit du temps : ça ne va pas bien et beaucoup d'électeurs veulent un
changement. Eh bien, nous y sommes : nous allons sortir des sentiers battus. Mais nous avons
rarement atteint un tel degré d'incertitude. Les mesures que va adopter Trump restent un mystère,
il est donc difficile de savoir quelles seront leurs conséquences.
Trump semble vouloir à tout prix déclencher une guerre commerciale. Mais comment vont réagir la
Chine et le Mexique ? Trump sait sans doute parfaitement que sa proposition viole la
réglementation de l'Organisation mondiale du commerce, mais il sait aussi probablement que cette
institution sera lente à réagir. Et, à ce moment-là, l'Amérique aura peut-être rééquilibré sa balance
commerciale. Mais la Chine pourrait se prendre au jeu et faire de même, probablement de manière
plus subtile. Si une guerre commerciale éclate, que se passera-t-il ? Trump pourrait gagner : la
Chine dépend davantage des exportations vers les États-Unis que l'inverse. Une guerre
commerciale n'est cependant pas un jeu à somme nulle. Les États-Unis pourraient eux aussi se
retrouver perdants. Les représailles de la Chine pourraient se révéler politiquement destructrices,
et elle se trouve pour cela en meilleure position que les États-Unis. Qui va le mieux résister ?
L'Amérique, dont les citoyens doivent se serrer la ceinture depuis longtemps, ou la Chine, qui
malgré toutes les difficultés est parvenue à un taux de croissance supérieur à 6 % ?
Plus largement, le programme de Trump, avec ses baisses d'impôt encore plus favorables aux
riches que ne le prévoit la majorité républicaine, est basé sur l'idée que ce qui bénéficie aux riches
finit par bénéficier aux pauvres. C'est la continuation de la politique économique de Reagan
favorable à l'offre qui n'a jamais vraiment réussi. Une rhétorique enflammée ou des tweets
délirants à 3 heures du matin pourront peut-être apaiser les laissés-pour-compte de la révolution
économique reaganienne - au moins durant un certain temps. Mais pour combien de temps, et que
se passera-t-il ensuite ?
Trump aimerait probablement abolir les lois ordinaires de l'économie et appliquer sa propre
version de l'économie vaudou, mais c'est impossible. Alors que la première puissance économique
de la planète s'aventure en terrain incertain pour 2017 et au-delà, il serait téméraire pour un simple
mortel de tenter une prévision et les oracles risquent fort de se tromper, si ce n'est à souligner
l'évidence : le parcours sera chaotique.
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