N° 1228 - Novembre-décembre 2000 -
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L’HÉRITAGE COLONIAL
aux films de propagande de l’Agence des colonies des années cinquante.
Enfin, comment ne pas rendre hommage ici à deux films “historiques” :
Afrique 50, de René Vautier, qui reste un document exceptionnel et,
dans un autre registre, Coup de torchon, de Bertrand Tavernier, cer-
tainement l’une des meilleures fictions sur le passé colonial français.
Or, la déconstruction de cette période est essentielle pour appré-
hender les prolongements actuels de cette histoire, dans le domaine
notamment des mentalités – comment s’est construit notre rapport à
l’Autre, le colonisé, puis à son successeur, l’immigré(3) – et dans celui,
déterminant également, des rapports intercommunautaires. Le présent
article témoigne peut-être, pour nous, d’une interrogation d’autant plus
essentielle qu’elle nous renvoie à une difficulté très réelle à faire socia-
lement résonner la question de l’histoire coloniale. Manifestement, alors
qu’aujourd’hui les connaissances existent, que l’impact de la colonisa-
tion sur la France contemporaine est à présent démontré, ces connais-
sances ne rencontrent pas d’échos significatifs. Nous sommes confron-
tés, d’une certaine manière, à notre propre impuissance. Il faut donc
nous interroger sur le pourquoi de ce silence, sur les raisons de résis-
tances d’ordre politique, mais aussi social et idéologique.
Notre hypothèse est que la colonisation remet en question un réfé-
rent identitaire national et politique quasi universel en France : la
République et ses valeurs. Il semble en effet que la colonisation – mais
aussi les politiques d’immigration qui lui sont directement liées – bou-
leverse le socle idéologique sur lequel repose l’idée de République.
Cette idée républicaine doit être prise non dans son acception étroi-
tement politique, mais bien plutôt dans sa consonance sociale et cul-
turelle, comme l’un des ferments idéologiques essentiels sur lequel
va se bâtir l’État-nation dans la première partie du XXesiècle.
LES RACINES RÉPUBLICAINES
DE L’IDÉOLOGIE COLONIALE
Nous ne paraphrasons pas le titre d’un récent ouvrage de Gérard
Noiriel(4) par simple goût du clin d’œil. Dans son esquisse des lignes
de continuités politiques maillant l’entre-deux-guerres à la période de
Vichy – considérée encore comme une expérience anachronique par
la plupart des historiens –, l’ouvrage de Gérard Noiriel ouvre des pers-
pectives tout à fait singulières. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on
veut faire dire au terme de République. On peut prendre le mot soit
comme un équivalent d’appareil d’État (et c’est apparemment ce que
fait Noiriel), soit comme une position politique qui, au cours du
XXesiècle, après de nombreuses confrontations avec d’autres systèmes
de pensée (monarchie, fascisme, communisme, etc.), finit par s’impo-
2)- On nous permettra de citer
notre travail à titre d’exemple :
l’exposition Images et
colonies, présentée à Paris
et dans plusieurs villes
françaises, européennes
et africaines depuis 1993,
et surtout le programme
pédagogique (mallette
et exposition) diffusé à plus
de 120 exemplaires et qui
continue aujourd’hui à être
largement exploité en Europe,
dans les Dom-Tom et dans une
quinzaine de pays africains.
(Voir aussi la chronique
“Livres”, p. 155-157).
3)- Voir Pascal Blanchard et
Nicolas Bancel, De l’indigène
à l’immigré, Gallimard, coll.
“Découvertes”, Paris, 1998.
4)- Gérard Noiriel,
Les racines républicaines
de Vichy, Fayard, Paris, 1999.