La stratégie musulmane
de la Russie
WALTER LAQUEUR
L’Islam est « le destin de la Russie ».
Telle était la prédiction faite il y a quelques années par Alexeï Malachenko, l’un des
principaux (et des plus fiables) experts russes de l’Islam. Il est possible que ce soit
exagéré, mais peut-être pas tant que cela.
La démographie est, elle aussi, le destin de la Russie. Si sa situation et ses perspec-
tives étaient moins critiques, l’Islam serait une moindre menace.
On pourrait dire tout aussi justement que l’infortune et le destin historiques de la
Russie sont d’être obsédée par des dangers imaginaires et de négliger les vrais dangers.
Staline, rappelons-le, n’avait confiance en personne, et surtout pas dans les anciens
bolcheviks, mais il était certain que Hitler n’attaquerait pas l’Union soviétique. C’est
un syndrome fascinant, qui, avec la réémergence de la Russie comme acteur impor-
tant en politique internationale, est redevenu crucial.
Or, elle est bel et bien un acteur important. Il n’a fallu que quinze ans à l’Allemagne,
après sa défaite lors de la Première Guerre mondiale, pour réapparaître comme grande
puissance sur la scène mondiale. Il a fallu à peu près le même laps de temps à la
Russie pour émerger de nouveau après l’effondrement de l’Union soviétique. C’est
surtout le boom du prix des matières premières, telles que le pétrole et le gaz, que la
Russie possède en abondance qui lui a permis de faire sa réapparition. Malgré l’évo-
lution en dents de scie de l’économie internationale, la demande de ces matières
premières continuera à être une source de force pour la Russie. En même temps, la
nouvelle Russie est confrontée à de grands défis intérieurs et extérieurs qui n’existaient
pas (ou du moins pas à ce degré) auparavant. Son avenir dépend de la manière dont
elle parviendra à y faire face.
Ses relations avec l’Islam, à la fois sur le front intérieur et en politique étrangère,
sont l’un des principaux défis auxquels est confrontée la Russie. Il serait certainement
excessif de dire que cela a échappé aux dirigeants russes et à l’opinion publique, mais
ils n’ont pas pris la pleine mesure du sujet. Les raisons n’ont rien de mystérieux : elles
viennent de la croyance profondément enracinée que l’Amérique et l’Occident en
général constituent le principal péril pour la Russie, que ce soit dans le passé, dans le
présent ou dans l’avenir proche.
COMMENTAIRE, N° 130, ÉTÉ 2010 309
sistance, litrature, négligence
LA RENCONTRE de la Russie avec l’Islam
s’est produite il y a de nombreux siècles.
Dans certaines parties de la Russie,
l’islam est apparu avant le christianisme. De
même que l’Europe a subi la pression de
l’Empire ottoman pendant des siècles, la
Russie a vécu sous la menace des puissances
musulmanes à la fois à l’est et au sud. Alors
que le danger pesant sur l’Europe décroissait
après la défaite des Ottomans devant Vienne
en 1689, la date décisive pour Moscou fut
1552, lorsque Ivan IV (le Terrible) occupa
Kazan et, peu après, toute la région de la
moyenne Volga. Mais le khanat de Crimée,
resté puissant, fit des incursions dans le sud
de la Russie pendant encore de nombreuses
années et, en 1571, occupa et brûla Moscou.
Cependant, une fois que les guerres avec
l’Empire ottoman eurent perdu de leur impor-
tance et que l’empire tsariste se fut établi
fermement de la frontière prussienne à Vladi-
vostock, les Russes ne penrent plus beaucoup
à leurs relations avec les minoris musulmanes
à l’inrieur de la Russie et avec les pays musul-
mans voisins. La conqte du Caucase par la
Russie inspira deux générations d’écrivains
russes, de Pouchkine et Lermontov à Tolst,
mais elle semblait n’être quune autre guerre
coloniale, comparable aux guerres similaires
mees par d’autres puissances impériales. Ce
fut l’attirance pour un monde étrange et
exotique qui les inspira, de manière peut-être
comparable en un sens à la fascination de
Kipling pour l’Inde. Il y eut parfois des
remarques hostiles ou méprisantes, comme la
bre berceuse de Lermontov sur le méchant
Tchétchène avec son kindjal (grand poignard)
rampant autour de la maison, manifestement
animé de mauvaises intentions. Après avoir
traité lun de ses camarades officiers de gorets
(montagnard musulman), Lermontov fut obligé
de se battre en duel et y perdit la vie. Mais,
dans l’ensemble, il s’agissait là d’exceptions.
Gribedov, l’un des plus grands écrivains (et
diplomate) de son temps, fut tué par une foule
fanatique à l’ambassade de Russie à Téhéran.
Cette nouvelle attristante ne provoqua pas dis-
lamophobie dans la mesure où l’on considérait
qu’il fallait plus ou moins s’attendre à ce
comportement dans des pays peu civilisés.
L’islam en tant que religion et influence
spirituelle ne préoccupa guère l’Église ortho-
doxe russe. Les philosophes et les théologiens
russes du XIXesiècle, tels que Tchaadaïev et
les slavophiles Chomyakov et Soloviev,
mentionnèrent parfois l’islam dans leurs
œuvres, mais ils n’étaient pas très bien infor-
més sur le sujet et la plupart de ce qu’ils écri-
virent relevait de la spéculation. L’homme de
la rue à Moscou ne rencontrait guère l’Islam,
sauf peut-être lorsqu’il croisait son portier ;
les Tatars étaient fortement représentés dans
cette profession.
La résistance à la domination russe se pour-
suivait localement, mais était réprimée sans
beaucoup de difficultés par les autorités
centrales. Les exemples incluent la rébellion
d’Asie centrale en 1916, lorsque environ le
tiers du peuple kirghize passa en Chine ; et la
campagne basmatchi, après l’arrivée au
pouvoir des bolcheviks, qui dura presque sept
ans. Ces événements étaient considérés
comme étant d’intérêt local limité – des
tensions dans les relations entre puissances
coloniales et leurs sujets étant inévitables.
La conviction que, quels que fussent ses
autres défauts, l’Union soviétique avait réussi
WALTER LAQUEUR
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En fait, la Russie et l’Occident partagent certains intérêts communs au Proche-Orient
et au monde musulman en général. Mais prendre conscience de cette vérité va à l’en-
contre de la nouvelle doctrine élaborée par la Russie ces dernières années, selon laquelle
les pays musulmans sont ses alliés naturels dans la confrontation inévitable et perpé-
tuelle avec l’Occident. Ce débat actuel, largement ignoré dans les capitales occiden-
tales, constitue le sujet de cet article, paru en anglais dans Middle East Papers. Middle
East Strategy at Harvard, le 1er novembre 2009, sous le titre « Russia’s Muslim Stra-
tegy ».
W. L.
à résoudre la question nationale était très
répandue parmi les observateurs occidentaux
dans les années trente et même après la
Seconde Guerre mondiale. Tel était le consen-
sus émergeant des ouvrages d’experts tels que
Hans Kohn et Walter Kolarz. Hannah Arendt
partageait ce point de vue. Cette impression
n’était pas fausse, jusqu’à un certain point. Le
pouvoir soviétique avait réussi à rallier une
partie de l’élite politique locale et à éduquer
une nouvelle intelligentsia qui acceptait
l’idéologie communiste officielle. Cette intel-
ligentsia locale avait été intégrée et avait
obtenu des positions dominantes dans ses
républiques. Certains de ses membres furent
même acceptés au centre du pouvoir, comme
l’aristocratie caucasienne avait été sociale-
ment et politiquement acceptée à Saint-
Pétersbourg et à Moscou à l’époque tsariste.
Mais l’inertie générale et la stagnation
(zastoï) des années 1970 et 1980 eurent égale-
ment de fortes répercussions dans les régions
musulmanes. Brejnev, qui essayait d’éviter les
conflits chaque fois que possible, reprocha
plus d’une fois aux peuples d’Asie centrale de
ne pas faire leur part du travail et de dépen-
dre de l’assistance, entre autres, économique
du centre, alors que celui-ci pouvait difficile-
ment se le permettre, et donc de devenir de
plus en plus une charge.
Le stress post-sovtique
L’effondrement de l’Union soviétique
aggrava la situation lorsqu’il apparut que
l’amitié entre les peuples (drujba narodov),
souvent invoquée, n’était pas, pour le dire
aimablement, profondément enracinée.
Plusieurs millions de Russes de souche quit-
tèrent les républiques d’Asie centrale où ils
ne se sentaient plus désormais ni en sécurité
ni désirés.
Les principales républiques musulmanes
devinrent politiquement indépendantes, mais,
à bien d’autres égards, leur dépendance à
l’égard de Moscou se poursuivit, voire se
renforça. Les nouveaux dirigeants n’étaient
pas de grande qualité et l’idéologie, qui avait
perdu son éclat, avait été en partie remplacée
par l’islam et l’islamisme, répandus par des
émissaires d’Arabie saoudite et d’autres pays
arabes et musulmans. Ils construisirent des
centaines de nouvelles mosquées, lancèrent
diverses organisations nationalistes et reli-
gieuses et réorganisèrent le hadj, le pèlerinage
à La Mecque (bien qu’à un niveau moyen
d’environ 20 000 pèlerins par an).
Les autoris centrales de Moscou tolérèrent
cet afflux d’argent et d’idées venus de l’étran-
ger, en partie parce que leurs principales préoc-
cupations étaient ailleurs, en partie parce
qu’elles se sentaient impuissantes. Le KGB
semble bien avoir été préoccupé par la diffu-
sion de l’influence wahhabite, notamment dans
le nord du Caucase, ainsi que par l’apparition
d’autres sectes et mouvements musulmans radi-
caux, tels que le Hizb al-Tahrir. Selon certaines
indications, le KGB (aujourd’hui FSB, pour le
renseignement inrieur) suscita des groupes
islamistes de son cru pour être mieux informé
sur les activités de ces cercles.
Le réveil politico-religieux de l’islam (et
souvent de l’islam radical) a coïncidé avec la
montée d’un état d’esprit nationaliste extré-
miste au sein de la population russe. Ce qui
s’explique en partie par l’afflux de musulmans
dans les principales villes russes. Le grand
Moscou hébergerait à présent près de deux
millions de musulmans (beaucoup d’entre eux
en situation irrégulière) ; c’est certainement la
ville d’Europe ayant la plus forte population
musulmane. Dans les années 1990, des agres-
sions contre des musulmans dans ces villes ont
amené les musulmans à se plaindre de la
« diabolisation de l’islam » et, comme en
Europe occidentale, de l’islamophobie crois-
sante. En réalité, ces agressions étaient géné-
ralement des guerres de territoire, dans ou
autour des marchés locaux, mais il est indé-
niable que la présence même de tant de
nouveaux venus étrangers a engendré hostilité
et xénophobie.
Alors que les services de sécurité russes s’in-
quiétaient surtout du caractère subversif et
séparatiste de l’islam radical, le ministère des
Affaires étrangères russe était préoccupé par
l’impact politique qu’auraient les sentiments
antimusulmans sur les relations de la Russie
avec les pays musulmans voisins. Suivant l’ini-
tiative du ministre des Affaires étrangères
d’alors, Evgueni Primakov, le ministère russe
des Affaires étrangères organisa en 1998 une
conférence à un niveau élevé, destinée à
limiter les dégâts. (Primakov avait commencé
sa carrière comme arabisant avant d’atteindre
les plus hauts emplois dans l’appareil d’État
et le KGB.) La réputation de la Russie dans
LA STRATÉGIE MUSULMANE DE LA RUSSIE
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le monde musulman était déjà mauvaise à
cause de la guerre en Afghanistan et de la
première guerre de Tchétchènie (1994-1996).
Pour réparer certains des dommages, le minis-
tère des Affaires étrangères soutint que, si l’is-
lamophobie devait s’accroître en Russie, ce
serait un coup fatal porté à la tradition russe
de tolérance et d’intégrité. En vérité, les
diplomates s’inquiétaient que la Russie puisse
être isolée et manquer des occasions poli-
tiques dans le monde musulman.
Cependant, l’ensemble du monde musul-
man n’éprouvait pas de sentiments antirusses,
malgré l’impact des guerres d’Afghanistan et
de Tchétchénie. L’Organisation de la Confé-
rence islamique (pour ne donner qu’un seul
exemple) refusa à maintes reprises d’admet-
tre en son sein Ichkeria, organisation poli-
tique des rebelles tchétchènes. Une fois que
la Russie se fut retirée d’Afghanistan, elle
cessa d’être la cible à la fois de la propagande
et de l’action militaire (terroriste) musul-
manes. Il y eut des cas individuels de propa-
gande antirusse et même quelques prépara-
tifs, sporadiques et sans conviction, d’action
terroriste (par exemple contre des diplomates
russes en Irak). Mais, de manière générale, le
monde islamique se montra très peu solidaire
des musulmans russes et de leurs revendica-
tions politiques. De même, les musulmans
russes manifestèrent peu d’intérêt pour les
affaires de leurs coreligionnaires dans d’autres
pays. Un appel à donner de l’argent pour les
victimes de la campagne contre Gaza en 2009
rassembla 100 000 roubles, somme peu
impressionnante si l’on pense qu’il y a plus de
20 millions de musulmans en Russie.
Durant les années 1990, se développa
quelque chose ressemblant à une stratégie
russe à l’égard de l’Islam. La Russie avait
abandonné ses vieilles illusions sur une
alliance étroite avec les pays arabes « progres-
sistes », qui avaient eu cours les décennies
précédentes. On se souvenait parfaitement
que les pays arabes avaient rarement, voire
jamais, payé les livraisons massives d’armes
russes et que celles-ci n’avaient certainement
pas engendré de soutien politique. Mais l’idée
que la Russie pourrait jouer le rôle de média-
teur entre l’Occident (surtout l’Amérique) et
le monde musulman commençait à s’imposer.
Ainsi, Moscou n’approuva-t-il pas la première
guerre en Irak, pour ne rien dire de la
seconde ; il essaya de jouer un rôle de média-
tion dans la guerre civile tadjik (qui aurait de
toute manière tourné court après la mort de
plus de 100 000 personnes) ; il fit certaines
suggestions dans le contexte du programme
nucléaire iranien (qui n’aboutirent à rien) ; et,
en 2006, il invita la direction du Hamas à
Moscou. Ni le Hamas ni le Hezbollah ne figu-
rent pour l’instant sur la liste des organisa-
tions terroristes des services de renseignement
russes.
Il ne fallut pas longtemps au gouvernement
russe pour se rendre compte que les tentatives
de médiation de ce genre ne produisaient pas
de résultats tangibles ou que la Russie n’en
retirait aucun bénéfice. Néanmoins, les
contacts à un niveau peu élevé se poursuivi-
rent, peut-être pour montrer que la Russie
continuait à s’intéresser au Proche-Orient et
devait être considérée comme un acteur
important. Moscou persista à soutenir que
l’on pouvait persuader l’Iran de ne pas utili-
ser ses installations nucléaires à des fins mili-
taires, même en l’absence de toute preuve
factuelle en ce sens. En 2007, le ministre des
Affaires étrangères du Hamas, Mahmoud
Zahhar, se rendit à nouveau à Moscou, sans
aucun résultat tangible. Le seul bénéfice que
retira la Russie de sa médiation fut que les
pays musulmans s’abstinrent de soutenir
ouvertement leurs coreligionnaires de Russie
– pour la plus grande déception des islamistes
vivant en Russie.
Bref, Moscou suivit une stratégie de média-
tion sans se faire beaucoup d’illusions sur son
effet. À maintes occasions, la Russie souligna
son respect pour l’islam, les pays musulmans
et leurs dirigeants, ainsi que la nécessité d’en-
courager la réconciliation entre les différentes
cultures et civilisations. Il y avait en même
temps une méfiance mutuelle et la conviction
profondément ancrée que tout rapproche-
ment avec le monde musulman ne pouvait
avoir qu’un caractère tactique. Il est tout à fait
certain que les pays musulmans n’auraient pas
lancé de campagne contre la Russie (de même
qu’ils s’abstenaient de le faire contre la Chine
et l’Inde), même si la Russie ne s’était pas
transformée en « honnête médiateur ». La
Russie est une grande puissance nucléaire,
tout comme la Chine et l’Inde, et ce sont là
des considérations décisives.
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Le paysage musulman
Les problèmes intérieurs de la Russie avec
les musulmans ont sans aucun doute une plus
grande importance politique que ses relations
avec les pays islamiques étrangers. L’attitude
de la Russie envers ses minorités musulmanes
est pleine de contradictions, ce qui est proba-
blement inévitable. Moscou demande une
loyauté absolue à ses citoyens musulmans,
mais ne peut pas et ne veut pas satisfaire
nombre de leurs revendications, même celles
qui émanent des éléments les plus modérés
d’entre eux.
C’est surtout le cas des républiques musul-
manes de la moyenne Volga, telles que le
Tatarstan et le Bachkortostan. Elles ont une
certaine autonomie, mais en veulent bien
davantage. Leurs gouvernants actuels et leur
élite politique remontent à la période sovié-
tique : Mourtaza Rakomov et Mintimer Chaï-
miev, chefs politiques de ces deux républiques,
tous deux septuanaires, ont commencé leur
carrière à l’époque communiste, ont obtenu
l’Ordre de Lénine et des distinctions similaires
et sont au pouvoir respectivement depuis 1991
et 1993. Ils appartenaient en fait à l’aile ortho-
doxe du Parti communiste, opposée aux
formes de Gorbatchev.
La situation économique de ces deux
régions extrêmement industrialisées est meil-
leure que celle d’autres parties de la fédéra-
tion de Russie, surtout grâce à l’industrie
pétrolière et à ses divers secteurs. Néanmoins
(ou pour cette raison), elles ont présenté de
plus en plus de revendications politiques et
économiques à Moscou. L’idée que le premier
vice-Premier ministre (ou Président) de la
fédération de Russie devrait être un musul-
man semble être partie de la région de la
Volga. Le séparatisme a ici peu de perspec-
tives : le Tatarstan et le Bachkortostan sont à
l’écart des autres régions musulmanes, les
Russes de souche sont nombreux dans les
deux républiques (presque la moitié au Tatar
stan – plus dans les grandes villes, telles que
Kazan et Oufa) et il y a eu beaucoup de
mariages mixtes. Les Bachkirs sont minori-
taires dans leur république et les musulmans
ne sont majoritaires que si l’on ajoute le
secteur tatare. Cependant, les relations entre
les deux groupes ethniques n’ont pas toujours
été faciles. L’influence de l’islam moderniste
(jadidisme) reste forte et il y a eu, et il conti-
nue à y avoir, des critiques, voire du mépris,
pour l’islam fondamentaliste. (« Nous ne
voulons pas revenir au Moyen Âge ».) L’op-
position à Moscou est fondée sur des motifs
plus nationalistes que religieux.
La seconde grande concentration de musul-
mans russes se trouve à Moscou. Les estima-
tions sur leur nombre varient considérable-
ment – entre 1,5 et 2 millions – mais,
lorsqu’on marche dans les rues de Moscou, on
ne peut manquer de remarquer leur présence
massive. Ils ont envahi des quartiers entiers
de la capitale, tels que Boutovo à l’extrême
sud, mais aussi des zones proches des grands
marchés officiels et non officiels. Il y a un
grand nombre de nouvelles mosquées (dont
quatre ou cinq vraiment grandes), les musul-
mans ont des clubs culturels, des hôpitaux, des
écoles, des jardins d’enfants, des boutiques
d’alimentation et même un supermarché,
nommé Appelsina, qui prétend être au niveau
européen. On annonce que d’autres ouvriront
bientôt. Il n’y pas encore de grandes librairies
et pas de journaux russes musulmans, mais
une grande activité sur Internet. (Les œuvres
de Sayyed Qutb, Mawdoudi et d’autres
penseurs musulmans radicaux ont é
traduites et peuvent être obtenues sans diffi-
culté.) Les autorités ont essayé d’expulser les
illégaux, qui sont en grand nombre, en
fermant certains des principaux marchés. (Ce
qui était dirigé non seulement contre les
musulmans, mais aussi contre les Chinois,
d’autres Asiatiques et « les gens d’origine
caucasienne » en général.)
D’un autre côté, Loujkov, l’influent maire
de Moscou, se donne du mal pour se rendre
populaire auprès des résidents musulmans, en
allouant des fonds à certaines de leurs insti-
tutions religieuses et culturelles (qui restent
strictement sous surveillance du FSB). Plus
important encore peut-être, Poutine et
Medvedev ont fait la même chose, en adres-
sant des vœux à la communauté musulmane
à l’occasion de ses fêtes et en allant même
rendre visite à l’une ou l’autre des principales
mosquées. Ce type de pratiques visant à
domestiquer l’Islam eût été impensable il y a
dix ans, ou même cinq ans, et reflète l’impor-
tance croissante de la présence musulmane
dans la capitale.
Le nord du Caucase est la troisième concen-
tration musulmane et la plus dangereuse. Les
faits essentiels étant bien connus, il est inutile
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