Robert NEMEDEU
Dès lors
que
l'
OHADA
unifie l'arbitrage interne
et
l
'a
rbitrage internatiqnal,
il
serait opportun d'admettre que les personnes morales
de
droit public puissent invoquer
l'inarbitrabilité du litige fondée sur leur droit interne.
pour
faire échec à un arbitrage
interne. Un tel
aménagement
apporté au principe «
pacta
sunt
servando»
serait la
conséquence du lien complémentaire qui existerait entre ce critère
de
la
disponibilité du
droit et ce principe.
Un tel aménagement qui vise la valorisation du droit interne des Etats-membres
ne trouverait une concrétisation
que
dans
le cadre d'un
arbitrage
interne à
l'espace
OHADA.
Ainsi,
ces
personnes morales de droit public
pourraient
invoquer
la non-
disponibilité du droit en question, qui peut aussi être inhérente au caractère administratif
du litige, à l'atteinte à
la
souveraineté de l'Etat, conformément au droit interne de l'Etat
en question
27
. A
contrario
,
dans
un arbitrage international, le
principe
« pacta sunt
sen
,anda » connaîtrait sa pleine expression car l'exigence du critère de la disponibilité du
droit serait méconnue. Par conséquent, il serait souhaitable en droit OHADA, de revenir à
une distinction arbitrage interne/arbitrage international.
Toutefois. malgré la prise en considération du critère de la disponibilité du droit
dans un arbitrage interne, son efficacité à pouvoir fragiliser le processus arbitral serait à
relativiser. Ceci
pour
des raisons intrinsèques au critère
lui-même
et
à la nécessaire
adaptation de la personne morale de droit public aux exigences économiques.
La
disponibilité ou l'indisponibilité du droit est fortement identifiée aux droits subjectifs
des personnes physiques.
La
transposer aux personnes morales heurterait l'esprit des lois
qui
1'
ont consacrée pour des personnes physiques.
La
souveraineté est certes un attribut de l'Etat. Elle ouvre sur les compétences de
l'Etat
qui sont caractérisées
par
leur plénitude
et
leur exclusivité,
sauf
hypothèse de
délégation de. la part de
ce
dernier.
La
souveraineté cache plutôt la question du domaine
réservé
de
l'Etat,
en
termes
de
<<compétences
essentiellement
nationales»
, qui ne
sauraient faire l'objet
d'un
arbitrage ou
d'une
intervention extérieure. Aujourd'hui, l'Etat
transige sur sa souveraineté,
et
parfois.
l'abandonne
dans
son intégralité. Et aussi, on
assiste
,
impuissant
, à la
disparition
du
domaine
de
«
compétence
essentiellement
nationale »
28
•
La
clause exorbitante qui a longtemps caractérisé le contrat administratif souffre
d'un double
handicap:
d'une part,
leconcept
est, de plus en plus
dévoyë
9; d'autre part,
~E
tymologiquement
parlant,
c'est
vouloir dire que les choses restent en !"état.
En
DIP,
cette
expression désigne la clause
qui serait sous-entendue
dans
tout traité.
et
selon I:Jquelle, le changement des circonstances existant lors de la conclusion de
ce
trait~
entraînerait sa caducité.
:7 B. Audit, Jurispruden
ce
arbitrale
et
droit
du
développement.
in H.
Cassan.
Co
ntrats
internationaux
et
pays en
développement. prée. p. 115.
" M. Huber. Sentence du
04
avril 1928.
"a
ffaire de
Ille
de Palmas (Espagne cl Pays-
Ba
s):
RGOIP
1935, p. 156 s
.:
P.C.
Je
ssup. American Journal
of
International
Law
1928, p.
750:
F. de Vischer.
RDILC
1929, p. 735.
Selon
cet
arbitre,
l'abandon
par !"Etat
d'une
partie de sa souveraineté est l'expression même de cette
souveraineté:
J
.~
L
.
Herrenschmidt,
Règne de J'économie de marché. déclin du service public, Mélanges Ph. Kahn. Litec
2()(X).
p.l96.
::!-J
C. Charlery, Réflexion
sur
la notion de clause exorbitante du droit
commun,
P. Affiches 6 avril 1998. n°
4l
: pour R.
Chapus
(Droit administr:Jtif génér:JI.
tome
1.
9è
édition. LGDG 1995, 0° 607, p. 149).
cette
ci:Juse
est
une stip
ui:Jti
on
inconcevable entre parties
privées:
selon G. Vedel (Remarques sur la notion de clause exorbitante.
in
L'évolution
du droit
public. Etudes offertes à
A.
Mestre. Sirey 1956. p. 527).
il
s'agit
d'une
stipulation illicite. impossible ou inaccoutumée dans
les relations de droit privé : W:Jiinc. De Laubadère. D
évo
lvé. Mode
rn
e (Traité des contrats administratifs.
T.l.
198J. 0°
172
. p.224).
c'est
une clause inusuelle.
50
LA
RECHERCHE
DU CRITERE D'ARBITRABILITE DES LITIGES
sa désacralisation
graduelle
autorise désormais à soumettre le contrat administratif à
arbi trage
30
Par ailleurs. Il faut relever
la
mutation que connaît, de plus en plus.
la
personne
morale de droit
public
qu'on qualifie de véritable acteur économique.
L'Etat
est
réellement
devenu
un investisseur. Pour expliquer cette réalité,
la
doctrine
s'appuie
parfois
sur
la théorie dualiste défendue par
D.
Anzilotti
31
, selon laquelle,
l'Etat
a une
double personnalité, une personnalité interne et une personnalité internationale. Les
contrats d'Etat seraient plutôt passés par l'Etat administration
et
non par l'Etat sujet de
droit international
32
.
Quand
bien même H. Kelsen
33
, fervent défenseur de la théorie
moniste, répudie toute idée de double personnalité interne et internationale de l'Etat,
il
ne
conteste pas la réalité
de
cette mutation
·".
.
Si tous ces débats visent à s'entendre sur le régime juridique des contrats
d'Etat
15
,
il y a lieu
de
relever
une
évidence:
lorsque
l'Etat
s'immisce
dans le
domaine
économique.
il ne
peut
plus
revendiquer son statut d'Etat-expression de puissance
publique.
C'est
un
«sujet
économique>>,
il
doit,
comme
tous les autres partenaires à un
engagement économique, collaborer à
la
bonne exécution du contrat.
C'est
certainement
dans
cette logique que l'
OHADA
a voulu que les personnes
morales de droit
public
ne puissent user de leur statut
pour
remettre en question le
processus arbitral auquel elles auraient. par avance, adhéré.
Nous
constatons
qu'après
que
la
jurisprudence
arbitrale
commerciale
internationale ait eu à balayer
d'un
revers de la main ces différents arguments excipés par
la partie étatique,
que
même
dans l'hypothèse d'une prise en considération de ce critère,
sa capacité à
pouvoir
fragiliser
un
arbitrage interne serait réduite.
Il
y aurait lieu de
conclure à une inadaptation du critère de la disponibilité du droit à l'arbitrage des litiges
concernant les personnes morales de droit public.
La recherche en droit
OHADA
de ce critère d'arbitrabilité aboutit donc à deux
observations :
Tout d'abord, l'art. 2al.2 AUA pose
le
principe«
pacta sunt servanda
>>.
On passe
de l'exigence des critères
de
la nature du droit
au
respect du principe.
Il
faudra s'entendre
sur le sens du principe
et
relever sa spécificité de règle matérielle ;
Par la suite,
ce
principe devrait bénéficier des aménagements
en
droit OHADA.
On pourrait
convoquer
le critère de
la
disponibilité du droit dans
un
arbitrage interne.
Cependant, tout
cela
n'
empêche
qu '
on
devrait conclure à l'inadaptation de ce critère à
l'arbitrage des litiges concernant les personnes morales de droit public.
31
, R. Drago. Paradoxes
sur
les contrats administratifs. Mélanges Flour, p. 128 : du même auteur.
Le
contrat administratif
aujourd'hui. Droits. 1990. p. 117 ; G. Pactcau. Une nouvelle hypot
hè
se d'arbitrage pour les litiges administratifs. l'art. 9 de
la
loi
du
19
août 1986. P.A.
03
octobre 1986. n• 121. p
.l2.
JI
D. Anzilotti. Cours de droit international. t.l , Paris Sirey, 1929. collection les introuvables
.~:
S
.
Lemaire. Les contrats des personnes publiques internes en droit intem:Jtional. 2 vol. Thèse Paris
1.
1999. p.
l30
.
J.~
H. Kelsen. La transformation
du
droit intcm:Jtional en droit interne. RGDIP 1936. pp.
5~49.
p.
22
.
.u
Pour lui.
l'Etat
sujet du droit international
et
l'Etat-administration sont des ordres juridiques qui s"emboîtent pour former
un ordre juridique universel
et
unique.
La
conséquence.
c'est
qu'un
contrat peut être conclu dans l'ordre juridique étatique
total par un particulier (national ou étranger) avec l'Etat-administration. et que par ailleurs.
un
contrat peut être conclu par
un
particulier avec r Etat au
sens
du droit international.
'5 Ch Leben. Quelques réflexions théoriques à propos des contrats d'état. Mélanges l'h Kahn.
Li
tee 2000. p.
ll9
.
51