çais de la confection avait dû concentrer toute
sa production sur ses usines du Maroc parce
que les ouvriers chinois, après les vacances de
nouvel an, n’étaient pas retournés à l’usine et
avaient rejoint leurs villages, le coût de la vie
urbaine étant devenu insupportable. Les
grèves dans les entreprises chinoises sont
d’abord parties de la hausse constatée du coût
de la vie, très au-delà des indices officiels.
On ne mesure pas suffisamment combien il
faut d’habileté pour piloter cette extraordi-
naire machine à exporter, qui fonctionne à
flux tendu, fabrique on line ce que la demande
mondiale lui commande, incorpore dans ses
exportations une part très élevée de consom-
mations intermédiaires importées, énergie et
matières premières, mais aussi produits manu-
facturés, notamment allemands, et doit
assurer une valeur ajoutée chinoise suffisante
pour conserver l’équilibre économique et
social de l’Empire. La part des réexportations
dans les ventes chinoises à l’étranger a atteint
50 % à la fin de l’année 2009 (6). La valeur
ajoutée chinoise des exportations demeure
faible, et les efforts d’intégration conduits par
la Chine, de l’amont (notamment le sous-sol
africain) jusqu’à l’aval (la distribution en Occi-
dent), se font inévitablement à tout petits pas.
Dans le prix d’un IPhone d’Apple, assemblé
à Shenzhen par Foxconn, la valeur ajoutée
chinoise représente… 4 dollars.
Il faudra des décennies pour que le système
économique chinois puisse se passer d’un
niveau très élevé d’exportations afin de soute-
nir un rythme de croissance de 10 % l’an, tout
simplement vital. Face à cette exceptionnelle
puissance exportatrice, l’Occident croit devoir
trembler. Il est vrai que, lorsqu’un pays-conti-
nent cumule la domination démographique
(près d’un quart de la population mondiale),
une formidable ardeur au travail (plusieurs
fois nos 35 heures par semaine), une force de
frappe financière considérable et croissante,
ainsi qu’une volonté de maîtrise technolo-
gique favorisée par une tradition culturelle
millénaire, des universités de très grande
qualité et des transferts de technologie
soigneusement organisés, on peut comprendre
que certains se plaisent à réveiller la peur
ancienne du « péril jaune ». Il est bien vrai
aussi que la suprématie financière fait
toujours basculer les équilibres. L’Angleterre
dominait par la livre, et les États-Unis ont
commencé à supplanter l’Europe lorsqu’ils
sont devenus ses créanciers au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale. Il ne serait pas
insensé de voir en la Chine, créancière des
États-Unis aujourd’hui, peut-être de l’Europe
demain, la prochaine superpuissance
mondiale.
Au contraire, d’autres observateurs pronos-
tiquent pour la Chine le syndrome japonais :
ce pays, dont les exportations faisaient aussi
trembler le monde, dont les entreprises provo-
quaient la panique de leurs concurrentes
américaines, dont le taux de croissance inspi-
rait les thuriféraires du prétendu « miracle
japonais », se retrouve accablé par vingt ans
de déflation et une capitalisation boursière
divisée par quatre ou cinq. La thèse de ces
analystes se nourrit d’une ressemblance avec
la Chine d’aujourd’hui : un système bancaire
qui finance aveuglément des exportations à
bas prix, et non profitables économiquement,
soutenues par une monnaie sous-évaluée,
source d’appauvrissement continu pour un
pays importateur d’énergie et de matières
premières. Il était inévitable que le système
financier japonais s’écroule, et l’heure de
vérité pour le dispositif chinois serait proche,
disent les Cassandre.
Nous ne partageons pas cette vision apoca-
lyptique de la Chine. Mais encore moins le
fantasme opposé d’une puissance dominatrice
qui, devenue la créancière du monde déve-
loppé, le soumettrait à sa botte. Et d’abord
parce que la culture ancestrale de la Chine,
volontiers isolationniste, d’ailleurs isolée du
reste du monde par l’Himalaya au sud, la
Sibérie au nord, l’Océan soi-disant Pacifique
à l’ouest, n’a jamais été l’impérialisme. La
Chine aura été, au contraire, l’objet d’inva-
sions régulières, réussissant toujours à siniser
ses agresseurs. Aujourd’hui, ce colosse aux
pieds d’argile a encore tant de problèmes
internes majeurs à traiter et, pour y parvenir,
tellement besoin de l’équilibre du monde
extérieur qu’il paraît bien plus soucieux de
stabilité que de domination.
La côte chinoise, qui fait vivre toute la
Chine, vit de la vitalité du reste du monde. La
Chine tisse aujourd’hui une zone monétaire
où le renminbi, monnaie toujours non conver-
tible, est un instrument de règlement commer-
cial : Hong Kong, Singapour, et certains
partenaires vendeurs de matières premières et
LA CHINE À LA QUÊTE DU MONDE
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(6) Li & Fung, China Trade Quarterly, n° 17, février 2010, p. 20.