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en oublie l’origine tant elle est devenue indiscernable à force d’avoir triomphé ». 
Camille-Ernest  Labrousse  est  à  l’origine  un  économiste,  il  s’est  imposé  aux  historiens  (par 
l’entremise  de  Georges  Lefebvre)  par  sa  démarche  originale.  La  thèse  de  Labrousse  (esquisse  du 
mouvement des prix et des revenus en France au XVIII° siècle, 1933) et son second grand ouvrage 
fondateur (la crise de l’économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, 
P.U.F, 1944) posent la méthode labroussienne : une extrême rigueur dans la collecte des données et la 
critique de la  source (mercuriale  des prix pour l’esquisse),  une  mise en  série  des informations pour 
produire  des  « faits historiques »  qui  se  définissent  par  la  répétition  et  non  par  l’unicité,  Labrousse 
privilégie le régulier au détriment du singulier, une maîtrise des outils conceptuels de l’économie mis 
au service de l’interprétation de ces faits et non l’inverse, une recherche des liens de causalités entre les 
évolutions ainsi construites (prix, revenus, rente…) et les faits sociaux (Révolution). 
Ce qui fait la  force du  modèle c’est le  fait  qu’il ne se  réduit pas à  une histoire économique 
descriptive mais que les fluctuations de l’économie à travers les cycles de moyenne durée (10 ans cycle 
Juglar) ou de longue durée (40-60 ans cycle Kondratieff) sont considérés comme des forces profondes 
qui expliquent les faits sociaux. Pour  parvenir à ce résultat Il faut comparer l’évolution des revenus 
des  différents  groupes  sociaux  et  observer  leurs  contradictions.  Ainsi  l’histoire  économique  du 
XVIIIème siècle est-elle toute entière vouée à l’explication de l’évènement social par excellence qu’est 
la Révolution Française. Labrousse démontre qui celle-ci intervient au moment où deux cycles (Juglar 
et Kondratieff) sont à leur sommet c'est-à-dire à un moment où les écarts sont les plus forts entre les 
revenus des  salaires et les  revenus de la rente foncière,  entre les revenus des salaires et  les prix.  Le 
modèle  Labroussien  fonctionne  comme  une  pyramide  dont  la  base  est  l’économie,  sur  laquelle  se 
construisent les réalités sociales (en particulier les différences de classe), la politique arrivant en fin de 
raisonnement  comme  la  résultante,  la  mise  en  acte  des  forces  profondes.  Du  coup  le  travail  de 
l’historien  se  détache  de  l’écume  du  politique  considéré  comme  superficielle  pour  s’intéresser  aux 
forces  profondes.  Le  schéma  emprunte  largement  à  Marx.  Labrousse  a  quitté  le  Parti  Communiste 
auquel  il  avait  adhéré  dans  sa  jeunesse  dès  les  années  30,  il  demeure  cependant  marxiste  dans  sa 
conception de la relation entre l’économie et la société. 
 
2) La méthode sérielle 
 
Ce  qui  permet  à  Labrousse  d’emporter  l’adhésion  des  historiens,  y  compris  non  marxistes 
comme  Braudel  par  exemple,  c’est  la  position  médiane  qu’il  adopte  entre  la  simple  restitution  de 
l’information de ses sources (attitude de l’histoire historisante) et la généralisation théorique (attitude 
des sciences économiques). Bernard Lepetit expliquait sa démarche ainsi : « en schématisant le prix 
relevé à la halle de Charleville est un prix réel, mais suspect de fausseté, tandis que le prix moyen du 
royaume est un prix vrai mais sans réalité au sens ou il ne correspond à aucune expérience vécue. On 
voit bien l’intérêt de la mercuriale pour résoudre la tension entre le principe de réalité et le principe de 
vérité : par nature le document est représentatif du prix local et par sa masse du prix national ». C’est 
l’ancrage dans  le  réel qui rattache  la démarche  à l’histoire  classique  et la capacité  à  lui en  faire dire 
davantage qui lui donne sa force novatrice.  
Et  pour  maintenir  ce  fragile  équilibre  entre  la  généralisation  et  la  prise  en  compte  du  « réel », 
Labrousse privilégie la monographie régionale et lance ainsi de grandes enquêtes, dont les Annales se 
font le relais, sur le mouvement des prix dans les provinces sous l’Ancien Régime, formant pour cela 
plusieurs générations d’historiens aux méthodes de l’histoire économique sérielle.  
Labrousse lance  une série  d’études sur  les groupes  sociaux, dont la  définition, préalable à la 
recherche,  est  donnée  par  le  critère  économique  (position  dans  le  processus  de  production).  Ce 
qu’exprime clairement Jean Bouvier en 1965, « les « différences économiques sont le bâti sur lequel 
prennent corps les  diverses  classes sociales ».  Cette objectivation  des groupes sociaux,  pendant une 
trentaine d’années, (jusqu’au années 70) a servi la production historique. Pour comparer les enquêtes il 
fallait utiliser des catégories comparables.  
Cette histoire sociale trouve en effet sa scientificité dans la démarche sérielle : elle s’organise 
autour  du  dépouillement  systématique  de  sources  quantifiables  (les  mercuriales  des  prix  pour  les