historien être contestation

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Histoire et historiens : Les paradigmes historiques et leurs
mutations au cours des XXe et XXIe siècles
Introduction :
Reinhart Koselleck a montré que "le concept actuel d'histoire [...] s'est élaboré seulement vers la fin du
XVIIIe siècle". La philosophie des Lumières et la Révolution française ont bouleversé les rapports que
les hommes entretenaient, traditionnellement, avec le temps. Alors que l'histoire était appréhendée
comme une pluralité d'exemples, elle apparaît de plus en plus comme un singulier collectif, la somme
de toutes les expériences humaines. Un même concept sert désormais à nommer à la fois l'histoire en
tant que réalité et en tant que réflexion sur cette réalité. Ces bouleversements des manières de penser
donnent naissance à l’histoire universelle et à la philosophie de l’histoire (Kant, Schiller, Herder,
Voltaire…). Du coup ce ne sont pas seulement les questions que l’on pose à l’histoire qui changent
mais aussi les objets de l’histoire, les méthodes et les formes d’écriture.
Plus tard, dans le dernier quart du XIXème siècle, la philosophie de l’histoire a été remise en
cause par ceux qui voulaient faire de l’histoire une discipline scientifique en la détachant des
téléologies. Ce changement a permis l’éclosion de l’histoire universitaire et de ce que nous nommons
« l’école méthodique ».
Deux lectures historiographiques peuvent être faite de cette rapide séquence de « révision » du
cours précédant. La première lecture insiste sur les ruptures et considère qu’il y a, au cours du
XIXème siècle, deux façons radicalement différentes d’envisager l’histoire, incompatibles, c'est-à-dire
que le triomphe de la seconde suppose la défaite de la première. La seconde lecture insiste sur les
continuités, considérant qu’après la grande rupture des Lumières, l’histoire connait une évolution vers
toujours plus de rigueur méthodologique, des changements de centres d’intérêt (de la monarchie à la
République par exemple) et de style d’écriture mais pas de changement fondamental.
Les partisans de la théorie des ruptures s’appuient sur une conception de l’histoire de la
science proposée par l’épistémologue des sciences Thomas Kuhn dans un ouvrage devenu un
classique, La structure des révolutions scientifiques (1962). Pour Kuhn l’existence d’un "paradigme"
scientifique suppose la constitution préalable d'une communauté de chercheurs ayant reçu la même
formation, assimilé la même littérature technique dont ils ont retiré le même enseignement. Dans ce
cadre, un "paradigme"' peut être considéré comme l'ensemble des croyances, des valeurs et des
techniques qui sont communes aux membres du groupe considéré à une époque considérée. C'est ce
que Kuhn appelle la "matrice disciplinaire". Kuhn insiste sur le fait que ces matrices disciplinaires
permettent à la science de produire des savoirs solides, fortement corrélés et produisent des
explications du monde qui servent les sociétés dans lesquelles elles s’épanouissent. Ces paradigmes ont
le défaut de leur qualité : la stabilité. Toute production scientifique qui « sort du paradigme » est
qualifiée de non scientifique, c’est ce qui est arrivé à Galilée). Il faut que le paradigme épuise son
efficacité à rendre compte du réel et à servir la société pour qu’intervienne une « révolution
scientifique » souvent après plusieurs échecs de précurseurs malheureux, pour qu’un nouveau
paradigme s’impose. Ainsi la science progresserait par cycles et par à coup.
Ce concept de paradigme est-il pertinent en ce qui concerne la discipline historique au XXème
siècle ? L’intitulé du cours d’aujourd’hui tend à répondre « oui », je vais essayer de vous donner les
éléments du débat à travers un récit de l’historiographie du XXème siècle en interrogeant les ruptures
et les continuités dans les conceptions et les façons de faire l’Histoire, pour repérer d’éventuelles
« révolutions scientifiques » réussies ou avortées qui justifieraient l’application de la théorie khunienne
à la discipline historique. Nous partirons d’une première « rupture supposée : celle qui est marquée par
la naissance de la revue des Annales. C’est l’évolution de cette revue qui nous permettra de nous
interroger sur la réalité de deux autres changements de paradigme après la Seconde Guerre mondiale
et dans les années 70 et nous terminerons en examinant l’impact des « tournants » des années 90 sur
l’histoire française actuelle.
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I.
La naissance des Annales : rupture ou continuité ?
L’expression même « école des annales » est contestable et contestée : quelle unité dans le temps ?
quelle unité dans les approches ?
A/ Une revue dans le siècle 1929-1946 : les Annales d’Histoire Economique et Sociale
Lorsque Lucien Febvre et Marc Bloch, tous deux à l’université de Strasbourg, fondent la revue
qu’ils nomment Annales d’histoire économique et sociale en 1929, c’est le fruit d’un choix de rupture
avec la partie de leurs collègues (et maîtres) qui « règne » sur l’Histoire universitaire depuis un demisiècle et que l’on a, par la suite, nommé « méthodistes ». Les jeux d’ambition personnelle et de pouvoir
universitaire y sont sans doute pour quelque chose mais la rupture est avant tout idéologique.
Les Lavisse, Langlois et Seignobos avaient fait de l’Histoire dans un contexte où il s’agissait de
fournir un passé à la République et à la Nation dans sa préparation de la Revanche et d’imposer
l’Histoire comme une discipline universitaire. Tout naturellement ils avaient fait une Histoire du
politique, dans le cadre national et avec des objets et des méthodes spécifiques bien séparées de ceux
des autres sciences sociales.
Lucien Febvre et Mac Bloch affichent leur rejet d’une histoire ainsi au service du politique : ce
sera une constante du discours « annaliste ». Ils affichent leur rejet d’une histoire enfermer la
reconstitution d’un passé conçu principalement comme le récit d’évènements dont le seul lien est la
succession chronologique, enfermée dans le cadre de la seule recherche historique sans prendre en
compte les apports des autres sciences sociales (économie sociologie ethnologie…) enfermée dans le
cadre national associé aux archives nationales.
Le premier éditorial des Annales insiste sur la rupture qui consiste à faire tomber le mur qui
séparait l’Histoire des autres « sciences humaines ». Autre constante du discours analyste. Ce
rapprochement supposait un terrain de recherche commun. L’économie, la sociologie, l’ethnologie,
l’anthropologie, la géographie de l’école vidalienne sont implantées dans l’université, ces domaines de
recherches sont eux aussi en quête de scientificité. La psychologie, la philosophie, la linguistique
naissante sont moins implantées et suspectes de subjectivité, elles ont par ailleurs l’image de sciences
« bourgeoises » tournée sur l’introspection quand l’heure est au mouvement social. Ainsi dans son
livre sur la religion de Rabelais, Febvre explique pourquoi Rabelais ne « pouvait pas être athée » dans
le contexte intellectuel de son époque, il décrit un individu « prisonnier de son temps », des structures
de pensée en s’attachant davantage au contexte dans lequel a vécu son personnage qu’au personnage
lui-même. Rabelais est moins le sujet du livre que la religiosité au XVI°s. Cette idée de la primauté du
social sur l’individu rapproche les historiens des sociologues et des économistes, elle constitue
jusqu’au années 90 en tout cas une obsession des Annales (peut-on parler de paradigme ?), que nous
retrouverons porté à son paroxysme chez le meilleur élève de Lucien Febvre, Fernand Braudel.
Les historiographes des Annales ont tous souligné l’importance de l’expérience de la Grande
Guerre, en particulier pour Marc Bloch. L’expérience collective, le poids du nombre et la faiblesse des
individus que Bloch a éprouvé dans son expérience du front, puis ses interrogations sur l’étrange
défaite » de 1940 l’incite à rechercher des explications plus « profondes » que le choix des « grands
hommes » dans les évolutions de la société… Pour comprendre le monde dans lequel ils vivent les
historiens doivent s’intéresser aux collectifs. Le rôle des grands hommes apparaît comme contingent à
l’heure où les masses écrivent l’histoire. Le contexte du premier vingtième siècle guerre, révolution,
totalitarismes, apparaît aux historiens comme l’avènement du nombre. François Dosse fait par ailleurs
observer que si les Annales ne sont pas nées de la crise économique, la coïncidence est cependant
parlante : elle dit que la revue émerge dans un contexte ou la diplomatie (après l’épisode des traités) a
cédé le pas à l’économie comme le « rouage essentiel du pouvoir ». L’Histoire est fille de son temps !
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B/ Les orientations épistémologiques : peut-on parler d’un paradigme des Annales ?
Dans l’éditorial du numéro du premier anniversaire (« Au bout d’un an, Annales 1930) les
directeurs écrivaient : « Si on avait mieux connu l’histoire économique, la situation économique, la
situation contemporaine en aurait été mieux élucidée »
C’est une position forte de la revue : toute histoire est contemporaine. Cette expression est du
philosophe italien Benedetto Croce. Cette position conduit Marc Bloch et Lucien Febvre à faire la
part belle à la période contemporaine dans la revue (Olivier Desmoulin a compté 42% des articles
entre 29 et 39).
Mais « contemporaine » l’Histoire l’est surtout, au sens où l’affirmait Croce, parce qu’elle
répond toujours à des problèmes que se posent les contemporains. On l’a vu c’était le cas des
historiens méthodistes qui s’occupait d’histoire politique et diplomatique, sans doute de façon assez
peu consciente. Febvre et plus encore Bloch en font un principe fondateur.
Dans son Rabelais, Lucien Febvre met en œuvre la première dimension de ce principe : la
problématisation. Il part explicitement d’un problème : l’incroyance supposée de Rabelais. Il construit
son étude à partir de cette hypothèse qu’il s’efforce d’invalider par l’étude du contexte dans lequel
évolue son sujet. Cette démarche hypothético-déductive est radicalement opposée à celle des
« méthodistes » pour lesquels l’histoire était avant tout « reconstitution du passé révolu ». C’est aussi à
travers ce type de démarche que l’Histoire s’ouvrait aux autres sciences sociales (sociologie, économie,
anthropologie…) qui s’attachent à « construire leur objet » selon une formule dont je vous ai déjà
parlé.
Selon Marc Bloch, dans l’Apologie pour l’histoire (1942), ce qui fait l'importance d'un
problème historique, ce n'est pas, principalement, la perspective théorique qui le sous-tend, mais le fait
que les historiens concernés soient d'accord pour privilégier l'étude de ce problème. La perspective
développée dans l'Apologie repose donc sur deux principes indissociables: pour élaborer leurs
questionnements et leurs vérités, les historiens doivent être à l'écoute du monde extérieur, mais dans
le même temps, ils doivent se montrer capables de "traduire" dans leur propre langage ses
interrogations et ses innovations. Selon lui, ce qui différencie la littérature et les sciences, c'est le fait
que ces dernières sont capables d'élaborer un langage commun à tous les chercheurs qui les
pratiquent.
L’articulation entre problématique sociale et problématique savante est au cœur de la réflexion
de Marc Bloch. L'historien s'adresse à deux communautés de lecteurs qu'il faut distinguer: la
communauté de savoir (les "historiens de métier") et la communauté de mémoire (le "grand public").
La difficulté tient au fait que les deux univers sont étroitement imbriqués. Marc Bloch insiste sur le
fait que l'exercice du métier d'historien exige un va et vient permanent entre le monde social, dont le
savant fait partie et auquel il est tenu de rendre des comptes, et la communauté professionnelle dont il
dépend. Les thèmes de recherche sur lesquels il travaille ne sont pas sans rapport avec les curiosités
ou les préoccupations qui dominent la société de son temps. Mais ils ne deviennent des problèmes
véritablement "historiques" que si l'historien est capable de les transformer en objets de recherche
adaptés aux exigences scientifiques de sa communauté. Dans un second temps, il doit néanmoins
restituer à la société les connaissances qu'il a élaborées grâce à ce travail de distanciation, afin d'aider
les hommes "à mieux vivre" en les guidant dans leurs activités pratiques. C'est grâce à ce double
mouvement que l'histoire peut à la fois conserver son autonomie et assumer son rôle social.
Ainsi s’établi un lien entre le présent (qui pose les questions) et le passé (qui apporte des réponses).
L’histoire contemporaine et le présent sont dans une continuité mais, pour les historiens des
Annales, le passé est passé, c’est bien ce qui différencie le passé historique du passé mémoriel. Il faut
donc, aux historiens, résoudre le problème qui consiste à comprendre les hommes du passé, bien
qu'ils n'appartiennent pas au même monde. Pour Marc Bloch, cette compréhension est possible par le
fait que les hommes à travers le temps ont en commun des caractéristiques qui définissent l'humanité
dans son universalité. C’est cette universalité qui permet aux historiens d’employer des concepts
comme «pouvoir, guerre, économie, classe sociale » à propos de périodes où ces concepts n’existaient
pas.
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Pour autant ces historiens ne sont pas dupes de l’écart qui existe entre le discours des
historiens et la « vérité » historique. S'il n'existe aucun critère universel permettant d'évaluer l'activité
scientifique, il revient à chaque discipline d'élaborer ses propres normes de vérité. Comme les
"méthodistes" du début du XXe siècle, Marc Bloch pense lui aussi qu'une connaissance peut être
considérée comme "vraie" quand elle est acceptée comme telle par l'ensemble des spécialistes du
domaine concerné.
Au plan des méthodes de l’histoire, Marc Bloch et Henri Irénée Marrou s’attaquent à la
méthode érudite : Marrou : « peu à peu s’accumulent dans nos fiches le pur froment des « faits » :
l’historien n’a plus qu’à les rapporter avec exactitude et fidélité, s’effaçant devant les témoignages
reconnus valides. En un mot, il ne construit pas l’histoire, il la retrouve » Bloch : « Beaucoup de
personnes et même, semble-t-il, certains auteurs de manuels se font de la marche de notre travail une
image étonnamment candide. Au commencement, diraient-elles volontiers, sont les documents.
L’historien les rassemble, les lit, s’efforce d’en peser l’authenticité et la véracité. Après quoi, et après
quoi seulement, il les met en œuvre. Il n’y a qu’un malheur : aucun historien, jamais, n’a procédé ainsi.
Même lorsque d’aventure il s’imagine le faire ». C’est au manuel de Louis Halphen paru en 1946 qu’il
fait allusion « II suffit, de se laisser en quelque sorte porter par les documents, lus l'un après l'autre,
tels qu'ils s'offrent à nous, pour voir la chaîne des faits se reconstituer presque automatiquement. »
La source écrite n’est plus uniquement le texte : les historiens s’emparent de tout ce qui « fait trace »
iconographie (pas seulement artistique) objets (charrue) cartes… et du coup la source n’a plus de
limite. La perspective d’une fin du travail de l’histoire avec la fin du dépouillement des archives que
pouvait envisager Langlois et Seignobos disparaît.
Après les remous de la période de la guerre et la disparition de Bloch, Lucien Febvre prépare la relève
en annonçant un vent nouveau (éditorial du premier numéro de 1946 qui justifie le changement de
nom) avant de passer la main à un groupe de jeunes historiens qu’il a contribué à former autour d’une
pratique renouvelée du métier et de quelques convictions solidement établies. Retenons trois éléments
de cet héritage dans la pratique du métier
- L’appui sur la méthode historique
- L’importance des enquêtes collectives
- Le renouvellement des sources
Et cinq principes :
 l’histoire est une : pas de cloisons étanches entre économie, politique, idées, art, etc ; Febvre
parle d’Histoire totale (notamment à propos d’Henri Pirenne, médiéviste, historien des villes)
 l’historien procède par problèmes : le document ne répond que si on l’interroge, le travail de
l’historien repose sur des hypothèses de travail qu’il tente de vérifier à la lumière des
documents.
 l’histoire traite des faits de masse plus que des « événements » ;
 L’histoire ne traite pas seulement des faits matériels mais aussi des faits idéels (mentalités,
représentations…)

il existe une hiérarchie, et un jeu réciproque entre économies, sociétés, civilisations (cf. Marx :
infrastructures, structures, superstructures).
II. Le temps des géants : Labrousse, Braudel, 1946-fin des années 80
A/ Le modèle Labroussien
1) L’économie et les forces profondes
Dans la période précédente sous l’impulsion de Georges Lefebvre (moderniste spécialiste de
l’histoire rurale et de la Révolution) et du sociologue Maurice Halbachs, les Annales avaient déjà
privilégié l’histoire économique et sociale. Désormais celle-ci devient hégémonique. A la Sorbonne
règne pendant près de quarante ans, Ernest Labrousse qui place l’histoire économique au cœur de la
discipline historique. Son influence est telle que l’un de ses disciples, Pierre Chaunu peut affirmer «
toute l’école historique française est labroussienne. La pensé de Labrousse est tellement incorporée à
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notre pratique de l’histoire (traitement du matériau et conceptualisation du discours) qu’il arrive qu’on
en oublie l’origine tant elle est devenue indiscernable à force d’avoir triomphé ».
Camille-Ernest Labrousse est à l’origine un économiste, il s’est imposé aux historiens (par
l’entremise de Georges Lefebvre) par sa démarche originale. La thèse de Labrousse (esquisse du
mouvement des prix et des revenus en France au XVIII° siècle, 1933) et son second grand ouvrage
fondateur (la crise de l’économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution,
P.U.F, 1944) posent la méthode labroussienne : une extrême rigueur dans la collecte des données et la
critique de la source (mercuriale des prix pour l’esquisse), une mise en série des informations pour
produire des « faits historiques » qui se définissent par la répétition et non par l’unicité, Labrousse
privilégie le régulier au détriment du singulier, une maîtrise des outils conceptuels de l’économie mis
au service de l’interprétation de ces faits et non l’inverse, une recherche des liens de causalités entre les
évolutions ainsi construites (prix, revenus, rente…) et les faits sociaux (Révolution).
Ce qui fait la force du modèle c’est le fait qu’il ne se réduit pas à une histoire économique
descriptive mais que les fluctuations de l’économie à travers les cycles de moyenne durée (10 ans cycle
Juglar) ou de longue durée (40-60 ans cycle Kondratieff) sont considérés comme des forces profondes
qui expliquent les faits sociaux. Pour parvenir à ce résultat Il faut comparer l’évolution des revenus
des différents groupes sociaux et observer leurs contradictions. Ainsi l’histoire économique du
XVIIIème siècle est-elle toute entière vouée à l’explication de l’évènement social par excellence qu’est
la Révolution Française. Labrousse démontre qui celle-ci intervient au moment où deux cycles (Juglar
et Kondratieff) sont à leur sommet c'est-à-dire à un moment où les écarts sont les plus forts entre les
revenus des salaires et les revenus de la rente foncière, entre les revenus des salaires et les prix. Le
modèle Labroussien fonctionne comme une pyramide dont la base est l’économie, sur laquelle se
construisent les réalités sociales (en particulier les différences de classe), la politique arrivant en fin de
raisonnement comme la résultante, la mise en acte des forces profondes. Du coup le travail de
l’historien se détache de l’écume du politique considéré comme superficielle pour s’intéresser aux
forces profondes. Le schéma emprunte largement à Marx. Labrousse a quitté le Parti Communiste
auquel il avait adhéré dans sa jeunesse dès les années 30, il demeure cependant marxiste dans sa
conception de la relation entre l’économie et la société.
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La méthode sérielle
Ce qui permet à Labrousse d’emporter l’adhésion des historiens, y compris non marxistes
comme Braudel par exemple, c’est la position médiane qu’il adopte entre la simple restitution de
l’information de ses sources (attitude de l’histoire historisante) et la généralisation théorique (attitude
des sciences économiques). Bernard Lepetit expliquait sa démarche ainsi : « en schématisant le prix
relevé à la halle de Charleville est un prix réel, mais suspect de fausseté, tandis que le prix moyen du
royaume est un prix vrai mais sans réalité au sens ou il ne correspond à aucune expérience vécue. On
voit bien l’intérêt de la mercuriale pour résoudre la tension entre le principe de réalité et le principe de
vérité : par nature le document est représentatif du prix local et par sa masse du prix national ». C’est
l’ancrage dans le réel qui rattache la démarche à l’histoire classique et la capacité à lui en faire dire
davantage qui lui donne sa force novatrice.
Et pour maintenir ce fragile équilibre entre la généralisation et la prise en compte du « réel »,
Labrousse privilégie la monographie régionale et lance ainsi de grandes enquêtes, dont les Annales se
font le relais, sur le mouvement des prix dans les provinces sous l’Ancien Régime, formant pour cela
plusieurs générations d’historiens aux méthodes de l’histoire économique sérielle.
Labrousse lance une série d’études sur les groupes sociaux, dont la définition, préalable à la
recherche, est donnée par le critère économique (position dans le processus de production). Ce
qu’exprime clairement Jean Bouvier en 1965, « les « différences économiques sont le bâti sur lequel
prennent corps les diverses classes sociales ». Cette objectivation des groupes sociaux, pendant une
trentaine d’années, (jusqu’au années 70) a servi la production historique. Pour comparer les enquêtes il
fallait utiliser des catégories comparables.
Cette histoire sociale trouve en effet sa scientificité dans la démarche sérielle : elle s’organise
autour du dépouillement systématique de sources quantifiables (les mercuriales des prix pour les
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données économiques, les actes notariés pour l’évaluation des fortunes et des patrimoines, les registres
paroissiaux pour les indicateurs démographiques…). Adeline Daumard (thèse sur la bourgeoisie au
XIX°) et François Furet, à la fin des années cinquante: "Scientifiquement parlant, il n'est d'histoire
sociale que quantitative. Sur ce point l'accord est quasi unanime" ("Méthodes d'histoire sociale: Les
archives notariales et la mécanographie", Annales E.S.C., 34, 1959). Emmanuel Le Roy Ladurie
affirmait, toujours à propos de l'histoire quantitative: "l'historien de demain sera programmeur ou il ne
sera plus" ("L'historien et l'ordinateur", in Le Nouvel Observateur, 8 mai 1968).
Les vastes enquêtes thématiques font d’ailleurs les beaux jours du travail collectif : travaillant
sur le collectif plutôt que sur l’individu, les historiens travaillent collectivement. Ainsi l’immense
travail d’histoire démographique (méthode de reconstitution des familles) entrepris sur l’époque
moderne (Goubert, Lebrun, Leroy Ladurie, Vovelle etc) est l’œuvre d’un groupe d’historiens de la
même génération, formés par Louis Henri et Jean Dupaquier (pour la démographie) et Ernest
Labrousse (pour l’économie) qui alimentent largement les Annales en faisant progressivement passer
le S (société) devant le E (économie). L’histoire de la mort qui en découle est d’abord une histoire de
la mortalité.
B/ Le roi Braudel
Le point d’orgue des enquêtes Labroussiennes a été, au début des années soixante dix, la
publication qu’il dirige avec Fernand Braudel de l’Histoire économique et sociale de la France. C’est la
réunion des deux historiens qui ont orienté des années 50 aux années 70 la quasi-totalité de la
recherche historique en France et dont les choix se sont confondus pour un temps avec ceux de la
revue des Annales devenues en 1946 Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, titre que la revue a
conservé jusqu’en 1993, c'est-à-dire huit ans après la mort de Fernand Braudel.
Il est arrivé à la tête de la revue au début des années 50 et y est resté jusqu’à sa mort en 1985.
Allons directement à l’essentiel, c'est-à-dire aux apports de Fernand Braudel à l’épistémologie de
l’histoire tant on peut affirmer qu’il y a eu dans le monde entier, une façon de faire de l’histoire
prébraudélienne et une façon de faire de l’histoire postbraudélienne.
1) Temporalités et Civilisations
A partir de sa thèse sur la Méditerranée au temps de Philippe II Braudel impose sa conception des
trois temporalités qu’il développe dans un article des Annales en 1958 qu’il faut lire pour comprendre
la richesse et la nuance de la pensée de Braudel mais aussi toute son ambiguïté.
L’apport de Braudel est donc d’abord celui d’une mise en ordre du temps. A partir de l’histoire
économique il définit la courte durée « L'histoire traditionnelle attentive au temps bref, à l'individu, à
l'événement, nous a depuis longtemps habitués à son récit précipité, dramatique, de souffle court ». La
moyenne durée des cycles économiques « Il y a ainsi, aujourd'hui, à côté du récit (ou du « récitatif »
traditionnel), un récitatif de la conjoncture qui met en cause le passé par larges tranches : dizaines,
vingtaines ou cinquantaines d'années ». Et la longue durée de l’histoire immobile, des structures « une
histoire de souffle plus soutenu encore, d'ampleur séculaire cette fois : l'histoire de longue, même de
très longue durée ».
Considérant que les deux autres durées ont déjà été largement défrichées et qu’il est du devoir de
l’histoire d’annexer la longue durée (contre les prétentions de l’anthropologie), Braudel travaille
pendant vingt sur la notion de Civilisation. Deux ouvrages majeurs sont issus de ce travail : « le monde
actuel » publié en 1962 » qui sera réédité en 1987 sous le titre « grammaire des civilisations » et le
premier tome de Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème XVIIIème siècles (1967).
Ces deux ouvrages définissent les civilisations comme des phénomènes sociaux de longue durée, qui
s’enracinent sur des espaces géographiques déterminés et déterminants. Pour Braudel la géographie
est en effet essentielle : les civilisations se caractérisent d’abord par un ensemble de comportements
humains liés à la production et à l’échange qui sont différents selon les lieux parce que les modes
d’exploitation de la terre sont différents en particulier en fonction de la céréale de base de
l’alimentation (maïs dans l’Amérique précolombienne, blé en Europe, riz en Asie…) elle-même
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déterminée par le climat, le sol, le relief. L’attention de Braudel aux contraintes géographiques, aux
localisations, ses citations fréquentes de géographes (au premier rang Vidal de la Blache auquel il voue
une admiration sans borne) font que l’on a pu nommer l’histoire de Braudel une « géohistoire » ce qui
est une façon de lui donner au début des années 2000 une singulière actualité.
Je reviendrai sur l’usage de cette notion de civilisation et sur son pendant dans la moyenne durée selon
Braudel, l’économie-monde, dans le cours sur l’histoire mondiale. Disons dans l’immédiat que c’est le
second grand apport de Braudel : il situe d’emblée l’histoire dans un cadre transnational (la
Méditerranée) et bientôt mondial (Civilisation matérielle…). Ce gout pour le monde il le doit sans
doute à son séjour à Rio, dans les années 30 où, au sein de la mission française il côtoyait Claude Levy
Strauss. Toujours est-il que Braudel fait figure là encore de précurseur de la « world history » et de
fédérateurs des travaux d’historiens issus de tous les horizons, Braudel cite les historiens AngloSaxons, Portugais, Espagnols, Italiens, Allemands autant que les Français !
2) Le déterminisme braudélien, une philosophie de l’histoire ?
Le déterminisme braudélien ne s’arrête pas aux « structures de base de la société », on le retrouve
dans d’innombrables annotations du premier tome de l’identité de la France, ou de nombreux articles
comme celui qui explique le miracle grec par une pauvreté naturelle de L’Attique qui aurait condamné
sa population à chercher sur la mer l’enrichissement et à se surpasser.
Ce déterminisme ne se réduit pas non plus à la géographie : dès la Méditerranée, Braudel affirme
« dans l’explication historique telle que je la voie, c’est toujours le temps long qui finit par l’emporter »
plus tard, dans un débat à la FNAC en 1980 il lance « L’histoire subie envahit notre monde ; nous
avons juste la tête hors de l’eau, et encore… la part de liberté humaine est très faible, c’est le constat
de ma longue vie d’historien » Débat à la FNAC 1980 cité par F Dosse et quelques mois avant sa
disparition, invité du journal de TF1 il récidive à propos des crises économiques « Le cycle
Kondratieff on le supporte comme on supporte la rotation de la terre » 1984. Ainsi, pour Braudel, les
individus se croient libres mais ils sont conditionnés par leur histoire par le poids des héritages
matériels et mentaux venus parfois du fond des âges : une sorte de dictature de la longue durée qui
fonctionne aussi comme un élément de résignation. Braudel apparaît ainsi, au sens propre, comme un
réactionnaire dans la lignée d’un Chateaubriand par exemple : l’écume des évènements n’atteint pas le
cœur de la vie des sociétés, et à tous ses collègues (ils sont nombreux) qui s’engagent en politique dans
les années 60, à Jean Paul Sartre dont il lit et critique la philosophie de l’histoire, à Michel Foucault
qu’il traite avec mépris, Braudel conseille de se tenir tranquille, affirmant que la place de l’historien
n’est pas sur l’agora ! C’est sans doute l’un des plus étonnant paradoxes du personnage, Braudel est
incontestablement un conservateur en politique et il est entouré d’historiens et d’universitaires
quasiment tous de gauche et le plus souvent marxistes qui lui vouent un respect, une admiration et
sans doute une obéissance sans faille !
Et cela se ressent dans les orientations des Annales dans les années 60, sur lesquelles il règne
(c’est Marc Ferro qui l’a raconté plus tard) en tyran. La part de l’histoire contemporaine y régresse
nettement au profit de l’histoire médiévale et moderne, l’histoire politique disparait quasiment au
profit de l’histoire économique et sociale.
Mais ce petit paradoxe n’est sans doute pas aussi fort que le grand paradoxe braudélien, que
François Dosse résume en une formule tranchante : « l’historien Braudel évacue l’historicité ». Cette
affirmation polémique doit être nuancée. Voyez par exemple ce qu’il fait du concept de « structure »
qui s’imposait dans les sciences humaines à partir de l’anthropologie structurale de Claude Levy
Strauss et de son appropriation par des économistes, des sociologues (Bourdieu), des philosophes
(Foucault). Braudel recycle les structures dans ce qu’il nomme des « modèles » qui sont des outils pour
penser le réel mais qui ne sont pas la fin du travail de l’historien. Pour Braudel les modèles n’ont pas
d’intérêt en soi car l’histoire de Fernand Braudel est, ne l’ai-je pas déjà dit, une histoire concrète qui
est sensée alimenter la production d’abstractions (les « modèles ») dont l’intérêt est de faciliter la
comparaison qui permet de revenir au singulier des situations historiques.
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Et d’ailleurs dans l’article de 1958 qui me sert de référence, je voudrais souligner ce passage
autobiographique (rare chez Braudel) où celui-ci donne la voie à une explication de son pessimisme et
de son rejet de l’évènement.
3) L’Empire braudélien
Il me reste à propos de l’apport de Fernand Braudel à évoquer sa stature de fédérateur des
sciences de l’homme. Le nouveau titre des Annales (1946), vous l’aurez remarqué ne contient plus le
mot Histoire ! C’est que l’histoire est partout, l’histoire a vampirisé l’ensemble des sciences sociales et
bien rares sont les chercheurs échappent à la main mise de la reine des disciplines. Revenons à l’article
programme de 1958. A travers son titre, il annonce la « réconcilier » des sciences sociales autour de
l’histoire. Braudel y déploie toute sa capacité de synthèse, annexant les concepts des théories de
l’économie libérale (cycles) de l’anthropologie à travers le concept de « structures » qu’il emprunte à
Levy Strauss, et du marxisme ! François Dosse voit dans cette attitude une habileté qu’il considère
comme une stratégie pour « enrailler l’offensive structuraliste ». Beaucoup de paroles et d’actes de
Braudel lui donnent raison. Dans ses écrits sur l’histoire, en 1969, on lit par exemple : « le temps, la
durée, l’histoire s’imposent en fait, ou devraient s’imposer à toutes les sciences de l’homme ». François
Dosse décrit longuement comment Braudel appuyé sur la notoriété des Annales s’est imposé à la tête
de la Sixième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en écartant les sociologues et les
anthropologues, pour en faire le point d’appui d’une hégémonie de l’histoire sur les sciences humaines
et sociales en France. Un lieu d’où il a fait rayonner dans le monde entier l’école historique française et
qu’il parvient tant bien que mal à faire vivre en parallèle avec la Maison des Sciences de l’homme qu’il
a fondée en 1962 avec l’argent de Rockfeller, et le comité de rédaction des Annales : triple couronne
pour celui qu’avec beaucoup d’admiration et un peu d’ironie les étudiants avaient baptisé le « pape de
l’histoire ».
Dans L’histoire de Braudel la première place est toujours tenue par les échanges des biens
matériels, sa définition du capitalisme passe par le capitalisme marchand, financier beaucoup plus que
par le capitalisme industriel. Sa description des civilisations passe par celle des objets, des habitations,
des lieux concrets. Braudel n’est pas un historien des structures de pensée, des mentalités. Il a vu dans
les années 70, d’un œil critique mais impuissant, la plupart de ses disciples quitter l’histoire
économique et sérielle pour la « nouvelle histoire » qui s’intéresse aux mentalités car c’est là le dernier
paradoxe de Braudel : alors qu’il a été la figure tutélaire de l’histoire en France pendant 40 ans,
personne n’a vraiment poursuivi son œuvre dans les directions qui étaient les siennes.
III.
De la nouvelle histoire à l’histoire historicisante
A/ la nouvelle histoire et le tournant critique
1) La nouvelle histoire : autour des mentalités
On peut dire qu’avec les années 70 s’ouvre une troisième période dans l’histoire des Annales
devenue hégémoniques sous la houlette de Braudel. L’aboutissement des enquêtes de Labrousse, la
main mise de Braudel sur l’histoire économique, avec quelques historiens autour de lui (Pierre
Chaunu, Pierre Léon Paul Bairoch), les difficultés techniques aussi de cette histoire qui suppose une
maîtrise de concepts économiques et mathématiques de plus en plus élaborés à laquelle leur formation
littéraire n’a pas préparé les historiens, tout cela contribue à un déplacement des préoccupations des
historiens qui écrivent dans les Annales qui occupent les postes dans les Universités françaises et
créent des équipes de recherche au sein de l’EPHE (Robert Mandrou, Alphonse Dupront, Jacques Le
Goff, Jean Delumeau).
Ainsi lorsque les Annales publient un dossier « Amérique latine » en 1948 celui-ci était entièrement
consacré aux questions économiques (dans l’Amérique précolombienne et dans l’Amérique latine
contemporaine), le dossier de 1978 coordonné par Nathan Wachtel est consacré aux permanences de
l’Empire Inca dans le cadre de la colonisation espagnole, aux phénomènes d’acculturation et de
résistance des croyances et des coutumes…
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Centrés sur la longue durée les historiens délaissent les temps forts, les changements, pour une
histoire des petites gens au quotidien et pour une recherche des structures profondes qui régissent ce
temps long. En témoigne le parcours d’Emmanuel Leroy Ladurie qui après avoir produit une thèse
Labroussienne sur le Languedoc, s’engage dans une histoire sérielle (histoire du climat depuis l’an mil)
dont il fait le seul avenir de la discipline (l’historien de demain sera programmeur ou ne sera pas
affirme-t-il au Nouvel Observateur puis dans un retournement dont il est familier il « part, en 1975,
pour Montaillou » (selon la formule d’A. Prost) c'est-à-dire vers une histoire des mentalités, vers une
source judiciaire écrite… Le parcours personnel de Leroy Ladurie est émaillé de ces tournants à 180
degrés (fils d’un ministre pétainiste issu de la bourgeoisie réactionnaire il rejoint le PCF brutalement
en arrivant faire ses études à Paris, et il quitte le Parti aussi brutalement quelques années plus tard
pour se retrouver dans les rangs giscardiens…).
La recherche en histoire démographique et économique fait place à des travaux d’histoire des
mentalités. Les historiens de l’école des annales étaient particulièrement sensibles à cette question
(Burguière en fait l’axe central de toute son histoire des Annales), Bloch les rois thaumaturge, Febvre
l’incroyance de Rabelais… on l’a vu les travaux de Georges Lefebvre s’ils ont ouvert la voie à l’histoire
sociale ont aussi posé la question de la rumeur (grande peur).
Les années 60 voient se multiplier les travaux qui prennent en compte les « cadres mentaux »
des « classes populaires ». Les historiens avaient jusque là utilisé, pour parler des mentalités populaires,
les sources classiques, littéraires principalement, reprenant avec plus ou moins de prudence et de
distance critique, les propos des élites lettrées sur la culture (ou l’inculture) du peuple et épousant
souvent leurs a priori. En 1964, Robert Mandrou, renouvelle l’histoire culturelle en s’intéressant à la
culture populaire à partir d’une source nouvelle : les livres de colportage de la bibliothèque bleue de
Troyes. En s’intéressant à ce qui lisent les gens du peuple, Mandrou approche ce qu’ils pensent. Il
oppose ainsi une « culture populaire » à la « culture des élites ». Là encore l’imprécision de la catégorie
« populaire » permet à l’auteur de sortir du premier niveau de généralisation où était plongée l’histoire
culturelle : celle de la recherche d’un environnement mental identique de toute la société (L Febvre)
et/ou de la seule histoire de la culture « reconnue » par les contemporains.
L’opposition culture des élites / culture populaire ainsi constituée satisfait assurément la
demande sociale de l’époque des baby-boomers, intellectuels de gauches, marxisants, qui voient dans
la culture des élites une des formes de l’aliénation des « classes populaires » dont la « culture » serait
refoulée dans le grand mouvement de prise de contrôle des esprits de la modernité et participe à une
entreprise de « revalorisation » de la culture populaire tout à fait dans l’air du temps.
Philippe Ariès de son côté provoque les historiens démographes en s’intéressant à partir de
sources non sérielles (littéraires et artistiques) à l’enfant et la famille sous l’Ancien régime puis à la
mort sous l’angle des mentalités. Ariès s’interroge sur les différences entre l’évolution du sentiment de
la famille dans les élites et dans « le peuple » mais faute de sources il s’en tient à quelques hypothèses.
Quelques mois plus tard Leroy Ladurie publie Montaillou. Or, fait observer André Burguière,
à Montaillou la scène est quasiment vide, le seul pouvoir est celui de l’évêque de Pamier, le seul
individu est l’Evêque. En décrivant la structure sociale fondée sur la « famille souche » ELL fait un
travail d’anthropologie historique mais c’est sans doute au prix de l’histoire. Burguière affirme que
ELL folklorise les modes de vie de Montaillou.
A travers ces trois exemples (Mandrou, Ariès, Leroy Ladurie) j’ai tenté de vous monter la
cohérence d’un modèle qui domine l’école des annales dans les années soixante dix et qui recoupe la
théorie des durées de Braudel. L’histoire est dominée par les changements des forces sociales, elles
mêmes dépendantes de forces profondes de l’économie qui s’exercent dans la moyenne durée, tandis
que les structures lourdes des mentalités populaires, quasi immobiles, (longue durée) fonctionnent
comme des forces d’inertie. Mais l’inflexion est nette : la science « auxiliaire » à laquelle cette nouvelle
histoire se réfère n’est plus l’économie mais l’anthropologie à l’ethnologie à la sociologie et à la
psychologie sociale. Jacques Le Goff, dans l’ouvrage en 3 volumes qui sert de « manifeste » à la
Nouvelle Histoire (faire de l’histoire, 1974) affirme que le flou de la notion de mentalité est justement
ce qui fait la force du concept.
Cette histoire des mentalités s’extrait cependant de l’immobilisme de la longue durée. Si Jacques
Le Goff prône un « long Moyen Age » de l’Antiquité tardive au XIXème siècle, c’est pour y repérer
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des changements. Ainsi il s’intéresse à la naissance du Purgatoire au XIIème siècle, à la différenciation
des temps sociaux aux XIII et XIVème dans la société médiévale : temps des marchands, temps de
l’église, temps des paysans… Michel Vovelle situe son histoire des « représentations » (le mot tend à
se superposer à celui de mentalités » au début des années 80), dans les moments de crise sociale pour y
repérer les changements des systèmes de représentation, cherchant ainsi à faire sortir les « structures
mentales » de la « prison de la longue durée ».
2) Le tournant critique des Annales
A la fin des années 80 le concept perd de sa force, l’historien anglais Lloyd, exprime cette mise à
distance dans un ouvrage paru en 1990 « pour en finir avec l’histoire des mentalités ». Il intervient
ainsi dans un débat largement entamé dans les Annales sous le titre de « tournant critique ».
J’emprunte cette partie du cours à l’excellent article de mise au point de Stéphanie Sauget, paru
dans Education et formation en décembre 2007. « On appelle « tournant critique » des Annales l’autocontestation française de l’histoire sociale ayant une prétention totalisante (le moteur de l’histoire ne
serait que social) et s’appuyant sur des concepts et des outils (notamment statistiques et quantitatifs)
insuffisamment critiqués et pensés. En décembre 1989, la revue des Annales publie un numéro spécial
intitulé « Histoire et sciences sociales : un tournant critique », dans lequel des historiens mais aussi un
géographe (Marcel Roncayolo) souhaitent une plus grande modestie ; Alain Bourreau en appelle ainsi
à une « histoire restreinte des mentalités », mais aussi à repenser les méthodes, les concepts et les
objets.
Roger Chartier développe par exemple une nouvelle conception de l’histoire sociale revivifiée par
le concept de « représentation ». Gérard Noiriel plaide lui pour une approche subjectiviste du social.
Pour ces historiens, toutes les données du social ne sont pas dans la compréhension d’un matérialisme
même dialectique entre une structure essentiellement socioéconomique et des superstructures qui en
seraient le reflet. Ils se détournent d’une histoire totale à trois niveaux (niveau social, économique,
puis culturel) définie par Ernest Labrousse où les hommes seraient englués et proposent de redonner
une place centrale aux sujets et à leurs perceptions de l’histoire. De nouveaux concepts (ou
paradigmes ?) font donc leur entrée : ainsi la notion d’appropriation est mise en valeur contre la
simple assimilation passive d’idées préfabriquées (domaine de la réception d’idées ou de pratiques) ;
celle d’interaction, empruntée à la sociologie américaine (notamment à Erving Goffman), permet de
renouveler l’étude des relations interpersonnelles ; celles de « systèmes de représentations »ou d’
«horizons d’attente » replacent le sujet au coeur de l’histoire.
Rien d’étonnant à ce que ce « tournant critique » ait été perçu comme une machine de guerre
contre l’histoire sociale, dont elle est pourtant issue, car elle privilégiait la perception subjective et la
méthode herméneutique à la conception de l’histoire des masses, l’histoire quantitative reposant sur
des modèles théoriques peu souples. Cette histoire refusait de réduire à des schémas
comportementaux les perceptions subjectives, les idées, les espérances, les valeurs en donnant une
place, moins grande, aux structures sociales qui ne sont plus qu’une partie de la réalité historique ».
Il apparait alors que l’histoire est « en miettes » A Corbin en 1992 dans la revue d’histoire
moderne et contemporaine résume la situation par ce titre « le vertige des foisonnements » et parle
d’une « histoire sans nom » ni politique, ni économique, ni sociale, ni même histoire des mentalités…
L’histoire a exploré le sentiment religieux (ex : mentalités médiévales d’Hervé Martin) la peur (en
occident Jean Delumeau), puis s’est infléchie sous l’impulsion de Jacques Le Goff vers une
anthropologie historique (histoire du quotidien) et une histoire des représentations (Corbin, Agulhon)
qui cherche du point de vue d’A. Prost à « aller et venir de l’expérience au discours sur l’expérience ».
ex : le colloque de Dunkerque « mythologies urbaines ». Ce mouvement rejoint celui dont Carlo
Ginzbourg est la personnalité en vue, micro-storia…
Le nombre des historiens en activité n’ayant cessé de croître, à côté de cette « histoire sans nom »
d’autres domaines poursuivent ou reprennent leurs développements : Le déclin du communisme a
contribué à revitaliser des approches dévalorisées dans la période précédentes : l’histoire économique
longtemps cantonnées aux évolutions de la conjonctures s’est tournée vers l’histoire des entreprises;
l’histoire sociale remet en cause les catégories marxistes de classes sociales pour s’intéresser aux
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femmes (Michelle Perrot), aux migrants (Gérard Noiriel); François Furet relance l’étude politique de la
Révolution française, Benjamin Stora explore toutes les facettes de la guerre d’Algérie… Ces objets
nouveaux sont en prise avec la société et les questions qu’elle pose à l’histoire (identités multiples,
relecture des histoires nationales…).
Le « tournant critique » a ainsi plutôt libéré les énergies des historiens, renouvelé les objets, les
approches et les méthodes en autorisant la sortie de l’exclusivité de l’histoire sérielle. Au même
moment deux remises en causes beaucoup plus brutales interviennent. Par commodité je les ai séparés
de la présentation du « tournant critique » mais on verra que celui-ci correspond en fait à une version
soft des deux autres.
B/ le choc des tournants linguistique et culturel
1) La critique de l’histoire
Point commun : le doute épistémologique s’insinue partout. Les premiers coups sont venus des
linguistes et philosophes français Rolland Barthes en 1967 affirme qu’il n’y a pas de différence de
nature entre le récit historique et le récit de fiction. Rolland Barthes parle « d’effet de réel » à propos
d’un discours historique qu’il dénonce comme une mystification ! C’est toute la démarche critique
issue de l’école méthodique qui est ainsi mise en cause : les linguistes sémioticiens récusent
l’heuristique (critique externe) pour s’en tenir à une herméneutique stricte où le signifiant cache un
signifié idéologique ou imaginaire. Michel de Certeau dans l’écriture de l’histoire, Michel Foucault,
mais aussi les philosophes Jacques Derida ou Gilles Deleuze vont poursuivre l’œuvre de
déconstruction, de démystification du discours historique. Aux Etats-Unis cette critique radicale est
avancée par le linguiste Hayden White, dont on lira une présentation critique dans le livre de Roger
Chartier, Au bord de la falaise.
Une partie des chercheurs américains (celle dont l’Europe et la France sont les objets d’étude) est
fascinée par ces auteurs et s’engagent dans le « linguistic turn » une entreprise de déconstruction du
discours historique qui mobilise les outils de la linguistique pour analyser les sources et les discours :
ils en viennent à ne plus faire l’histoire de… mais l’histoire du discours sur… (c’était déjà le penchant
de Foucault dans l’histoire de la folie à l’âge classique)… Ils rejoignent en fait un autre courant de
l’historiographie anglo-saxonne qui a également été perçu comme une menace par les historiens
français : c’est ce qu’on appelle le « cultural turn ». Sous l’influence, notamment, de l’anthropologie
culturelle de Clifford Geertz ou des leçons épistémologiques de Hayden White, l’interprétation des
systèmes culturels, saisis à travers des textes et des représentations (objets, films, chansons, images), a
supplanté les analyses économiques et sociales.
Les plus modérés cherchent à établir un questionnaire raisonné portant sur les relations entre les
formes culturelles et les autres dimensions de l’action humaine et témoignent de leur attachement à
l’idée d’un discours historique susceptible d’être vrai. Ils posent la question de la place de l’historien
dans la production de son discours et s’interrogent sur les rapports entre explications et
interprétations.
Surtout, ils privilégient de plus en plus sur les études de classes sociales les études en termes de
genre (le Gender), de race ou de subcultures. La représentante la plus éditée en France de ce courant
est Joan W. Scott. L’écho du « cultural turn » sur l’historiographie française a été très mince et son
accueil très dramatisé. Il a été présenté comme un renoncement à l’histoire et a servi à l’élaboration
d’un diagnostic de « crise de l’histoire ». Cela aboutit au pire à la dissolution de l’histoire dans
l’historiographie et à la négation du réel sur laquelle s’appuie la dérive négationniste quand elle se
prétend hypercritique. Sans aller jusqu’aux démarches de falsification de l’histoire (la formule est de
Pierre Vidal Naquet) cette approche met au même niveau d’intérêt tous les sujets au point que les
historiens en viennent à considérer qu’il n’y a pas de « petites questions » au risque de s’échapper des
problématiques qui intéressent la société pour travailler dans leur bulle… ou de chercher à tout prix la
nouveauté. Comme le remarquait il y a quelques années Eric Hobsbawm, "pour être cité dans les
index, la meilleure manière est d'avancer une idée nouvelle que les collègues vont réfuter quel que soit
son degré d'absurdité. Plus la profession grandit, plus elle se professionnalise et plus il est payant de
dire: "jusqu'à hier tout le monde disait que Napoléon était un grand homme, je vais maintenant
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prouver qu'il était insignifiant". C'est une forme de réécriture qui s'introduit dans notre profession et
vis-à-vis de laquelle nous devrions être sur nos gardes" (Eric Hobsbawm, "Situation actuelle de
l'histoire en Grande-Bretagne", in René Rémond (dir.), Etre historien aujourd'hui, 1988).
2) Vers le tout culturel ?
Lorsqu’en 1994, les Annales changent une nouvelle fois de nom pour devenir Annales, histoire,
sciences sociales, prenant en quelque sorte acte des différences par un renoncement à l’impérialisme
braudélien, la revue est devenue une parmi d’autres et son autorité sur l’historiographie française est
quasi totalement disparue. Parmi les indices de ce déclin l’émergence à France Culture, à côté de la
très ancienne émission Les lundis de l’histoire tenue par des historiens des annales (Le Goff, Chartier
en tête), de la fabrique de l’histoire puis nouvelle fabrique de l’histoire sans lien avec la revue et qui
tend à reléguer les Lundis au rang d’émission de présentation d’ouvrage quelque peu poussiéreuse…
La Nouvelle fabrique de l’histoire est un lieu de débat historiographique où dominent sans complexe
un groupe d’historien (Pascal Ory, Christophe Prochasson par exemple) qui s’empare d’un point de
vue « culturaliste » de tous les objets de l’histoire.
Ainsi à côté d’une histoire de la culture incarnée notamment par Roger Chartier et Pascal Ory
qui s’intéresse aux objets considérés comme des productions et des biens culturels : histoire du livre,
de la lecture, de formes picturales et architecturales (histoire de la peinture, de la photographie, de la
gravure, du cinéma, de l’architecture, etc.), de vecteurs culturels (histoire des intellectuels, des artistes,
des idées, des politiques culturelles, etc.), de pratiques culturelles (histoire du patrimoine, des musées,
du cirque, du ballet, etc.), voire de processus culturels (mémoire) se développe une histoire culturelle
qui porte un regard culturaliste sur tous les objets possibles, y compris des objets qui ne ressortent pas
naturellement de la sphère de la culture au premier sens : histoire du crime (Dominique Kalifa),
histoire de l’odorat (Alain Corbin), etc.
L’histoire culturelle semble s’être imposée. Mais l’histoire politique (au moins depuis René Rémond et
Maurice Agulhon), l’histoire sociale et plus récemment encore l’histoire économique connaissent dans
les années 2000 un renouveau qui s’explique par le renouvellement des manières de faire l’histoire issu
du tournant critique, linguistique et culturel.
3) Les manières de faire de l’histoire ont changé
Ces changements peuvent être schématiquement résumés en trois évolutions majeures : d’abord,
un mouvement de « retour aux sources », que Lucien Febvre appelait de ses voeux, qui existait pour
partie déjà, mais qui fut vivifié par l’approche déconstructiviste ; ensuite une ouverture du régime des
sources à des pans entiers de « documentation » ou de représentations peu ou pas défrichées ; enfin
un élargissement des questionnements et des curiosités sur des objets classiques ou inédits en histoire
et une meilleure prise en compte des représentations et des pratiques des acteurs du passé. Un certain
nombre de concepts, de catégories ou de rapports de causalité en usage dans l’historiographie
traditionnelle tendent à être revus, nuancés, voire abandonnés. On assiste aussi à de nouvelles
alliances entre histoire et anthropologie, sociologie et critique textuelle. Trois exemples pris dans
différents territoires de l’historien en fournissent une illustration.
Pour Jean-François Sirinelli, l’histoire culturelle et l’histoire politique sont désormais « forcément
reliées » à plusieurs niveaux : la culture a d’abord une indéniable dimension politique, ne serait-ce que
dans les politiques et les institutions culturelles ; mais surtout les historiens du politique ont compris
que la question de la dévolution et de la répartition de l’autorité et du pouvoir dans une société
donnée a des aspects culturels (cf les travaux de Maurice Agulhon sur l’image de Marianne).
L’histoire militaire et surtout l’histoire des deux guerres mondiales ont aussi été renouvelées : les
«cultures » de guerre sont désormais prises en compte et questionnées grâce à un nouveau regard
anthropologique. En témoigne la tentative d’histoire totale ou intégrée de la Première Guerre
Mondiale que constitue l’Encyclopédie de la Grande Guerre (1914-1918), sous la direction de
Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, parue chez Bayard en 2004.
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L’histoire coloniale française enfin, pour prendre un dernier exemple, s’est redéployée depuis les
années 1990 avec une visibilité accrue depuis le début des années 2000 et l’Empire n’est plus un «nonlieu de mémoire» comme le déplorait Emmanuelle Saada en 2001 (voire les travaux de Pascal
Blanchard, Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel…).
En fait, de plus en plus, les pratiques historiennes mélangent les approches, les
questionnements, et tournent autour de leurs objets pour les restituer dans leur complexité : l’objectif
reste bel et bien ambitieux, comprendre le tout, en essayant de faire tenir ensemble des optiques
parfois contradictoires, en critiquant les sources, les méthodes et les résultats. Il n’est plus d’ouvrage
d’histoire sans une partie (parfois très longue) historiographique où l’histoire du phénomène étudié est
déconstruite (exemple le récent Varennes de Mona Ozouf) ou le merveilleux livre collectif dirigé par
Nicole Lorau, la Grèce au féminin (publié en Italie en 1993 et en France aux éditions les belles lettres
en 2009).
Les débats sont vifs. Dans un compte-rendu critique du Dictionnaire de Vincent Duclert et
Christophe Prochasson, Nicolas Roussellier réduit le questionnement culturaliste de certains
collaborateurs du dictionnaire à une « folklorisation de l’histoire républicaine » et une « fuite en avant
dans la recherche de postures universitaires » au détriment d’une « histoire de la République comme
problème social et politique » : une critique en quelque sorte classique de la « crise de l’histoire », mais
cette fois au nom d’une exigence et d’une attente plus forte, comme un appel à aller plus loin dans la
démarche critique et déconstructiviste. C’est d’ailleurs ainsi que Joan W. Scott dans un recueil d’essais
publié en France en 2009 définit la démarche de sa « théorie critique de l’histoire ». Elle y montre par
exemple comment il est essentiel pour les historiens (historiennes) des femmes et du genre
d’interroger les catégories qu’elles utilisent, y compris et en premier lieu celle de « femme » dans un
travail d’historicisation qui apparait comme le cœur du travail des historiens « nous pouvons, écrit-elle,
historiciser ces catégories identitaires ainsi que leur capacité d’agir, et, ce faisant, introduire une
distance critique valable non seulement pour le XIXème siècle, mais aussi pour le temps présent ».
Elle en vient ainsi à condamner l’idée de continuité historique qu’elle traite comme une dangereuse
illusion dont la déconstruction est la condition de l’émancipation du savoir historique.
conclusion
J’arrive ici au terme de ce (trop long) exposé en revenant, comme il se doit, sur ma question initiale :
où y a-t-il changement de paradigme dans cette historiographie d’un vingtième siècle décalé de 1929 à
nos jours ? Une première hypothèse suivrait les articulations de mon plan et des débats et conflits qui
ont agité les historiens : au « tout politique » aurait succédé un « tout économique » un « tout social »
et un « tout culturel », tandis qu’à une histoire historisante privilégiant l’évènement aurait succédé une
histoire totale privilégiant la moyenne puis la longue durée avant un retour de l’évènement au sein
d’une histoire historicisante. Une seconde hypothèse considérerait à l’inverse que tous les
changements historiographiques du XXème siècle découlent de la rupture de 1929 qui serait à
interpréter comme un passage d’une histoire prétendant restituer le passé (paradigme positiviste ou
plutôt réaliste) à une histoire qui aurait renoncé à cette prétention pour une ambition plus haute, celle
de la problématisation et de l’historicisation. Dans cette hypothèse il convient d’aller au bout du
raisonnement et d’observer que l’ambition critique est déjà largement présente dans les écrits de
Charles Seignobos et que la problématisation était au cœur du travail d’historiens du XIXème siècle
comme Michelet, Fustel de Coulange ou même Ernest Renan… ce qui renverrait la rupture à l’époque
moderne comme le faisait Kosseleck que je citais en introduction. A moins que là aussi, la continuité
l’emporte… ce qui reviendrait finalement à considérer la notion de paradigme scientifique non
pertinente pour rendre compte des changements historiographiques ! Il faudrait alors, dans une
démarche très déconstructiviste, interroger la fonction sociale de ce concept au sein de la
communauté historienne mais c’est une autre histoire….
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