Soins palliatifs et soins d`urgences, le choc des cultures

Organisation des soins
Pratique
Laide-soignante Juin-Juillet 2014 n° 158
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS
http://dx.doi.org/10.1016/j.aidsoi.2014.04.009
26
Adresse e-mail :
(K. Jan).
Accueillant chaque
année plus de 70000
patients, le service
d’accueil des urgences (SAU)
générales de l’hôpital Lariboisière
à Paris (AP-HP, 75) est le plus
important de France en termes
de volume d’activité. Chaque
année, le taux de passage de
patients augmente, entraînant
certains jours une saturation des
secteurs et une inadaptation des
locaux au regard de l’activité.
Létablissement, situé dans le nord
de la capitale, reçoit beaucoup de
patients en situation précaire.
Cest aussi un service exposé
régulièrement à des situations
difficiles liées le plus souvent à
l’admission de patients alcoolisés,
toxicomanes ou relevant d’une
pathologie psychiatrique.
Les personnes en fi n
de vie hospitalisées
aux lits portes
Cest dans ce contexte que sont
admis des patients relevant d’une
prise en charge en soins palliatifs.
Même s’il a paru longtemps incon-
cevable que ces patients puissent
rester plusieurs jours dans un sec-
teur de soins d’urgence, il a fallu
faire face à la réalité.
Par manque de lits d’aval, de
plus en plus de patients nécessitant
ces soins spécifiques sont admis
dans le secteur d’hospitalisation de
courte durée (UHCD) ou “lits
po
rtes”.
Leur durée moyenne de
séjour est de 3jours alors qu’elle
est de 24heures pour les autres
patients. Leur nombre est en
constante augmentation (+33%
ces quatre dernières années). Le
personnel des urgences doit
donc, régulièrement, accompa-
gner le patient jusqu’au terme de
sa vie.
Mais comment prendre en
charge des patients en fi n de vie
dans un contexte d’urgences, où
culturellement les soignants met-
tent tout en œuvre pour sauver
les vies?
Le malaise
des équipes
Les agents ont été confrontés à
un bouleversement dans leur
représentation des soins d’ur-
gences. La spécificité de cette
prise en charge a entraîné une
réelle remise en question des pra-
tiques professionnelles.
Par manque de connais-
sances et d’informations, les soi-
gnants se sont repliés sur une
approche plutôt technicienne:
soulager la douleur et les autres
symptômes, assurer tous les soins
Soins palliatifs et soins
d’urgences, le choc des cultures
Parler de soins palliatifs dans un service d’accueil des urgences est assez récent.
Laugmentation des personnes en fi n de vie admises dans notre unité et le peu de
services de soins palliatifs existants a conduit l’équipe à mener une réfl exion sur la
nécessité de se former à ce type de prise en charge, très diff érente des soins habituels
réalisés aux urgences.
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS
Karine Jan
Cadre de santé
Service d’urgence générale,
Hôpital Lariboisière, AP-HP
2 rue Ambroise-Paré,
75010 Paris, France
Mots clés - famille; fi che d’engagement thérapeutique; fi n de vie; formation; soins palliatifs; urgences
Le personnel des urgences de l’hôpital Lariboisière fait appel
à l’équipe mobile de soins palliatifs lorsqu’un patient en fi n
de vie se présente.
© BSIP/Amélie Benoist
Pratique
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Organisation des soins
Laide-soignante Juin-Juillet 2014 n° 158
de confort nécessaires au
bien-être.
La plupart adoptent une
attitude d’évitement vis-à-vis de
la famille et du patient.
De plus, nous ne savons pas
toujours si le patient connaît sa
situation et ce qui a été dit à la
famille. L’appréhension de devoir
aborder certains sujets diffi ciles
comme celui de la mort, et la
peur d’être maladroit font que
l’on ne s’attarde pas trop long-
temps dans la chambre pour ne
pas trop communiquer.
Et tout autour, la spirale des
urgences continue. Cette spéci-
cité de prise en charge inhabi-
tuelle entraîne un réel malaise
chez les médecins et les soi-
gnants, qui ont le sentiment de
mal faire.
Un service de soins se doit de
s’adapter et de s’organiser en
fonction des personnes qu’il
prend en charge. Il a donc fallu
se remettre en question pour
répondre aux besoins d’un nou-
veau profi l de patients admis au
SAU et de leur famille afin de les
accompagner au mieux dans ces
situations particulièrement
diffi ciles.
Enquête auprès du
personnel soignant
La psychologue du service a
él
aboré un questionnaire destiné
aux équipes, de jour comme de
nuit, permettant d’identifi er les
axes d’amélioration à apporter.
Lanalyse des résultats a
permis de confi rmer les constats
suivants:
il existe un manque évident
d’uniformisation des pratiques
professionnelles;
le recours à l’unité mobile de soins
palliatifs pour les patients le néces-
sitant n’est pas systématique;
pris dans la spirale des urgences, un
manque de réelle concertation pluri-
disciplinaire, de réfl exion autour du
patient et des proches est identifi é.
Il ressort également que
l’équipe reste extrêmement
motivée et se sent très impliquée
dans cette démarche d’améliora-
tion de qualité de la prise en
charge. Très sensibilisée, elle
demande à approfondir ses
connaissances sur les soins
palliatifs.
Une formation
apportée par l’équipe
mobile de soins
palliatifs
Pour familiariser les soignants à
cet accompagnement spécifi que
de la fin de vie, des formations
assurées par l’équipe mobile de
soins palliatifs sont organisées au
sein du
service.
Elles s’adressent au personnel de
jour comme de nuit.
Ces formations sont périodique-
ment programmées au cours de
l’année. Elles représentent l’occa-
sion d’échan
ger sur des situations
vécues, d’aborder des probléma-
tiques rencontrées ou encore de
répondre à des questionnements.
Un outil d’aide
à la réfl exion
et à la décision
Pour uniformiser les pra-
tiques professionnelles, il est
convenu de faire
systématique-
ment appel à l’équipe mobile de
soins palliatifs pour chaque patient
le nécessitant et d’organiser des
réunions pluridisciplinaires.
Léquipe mobile de soins pal-
liatifs a élaboré une fi che d’enga-
gement thérapeutique. Cet outil
permet de recueillir facilement
les informations et les décisions
prises pour le patient au cours
d’une concertation collégiale à
laquelle participent les médecins
urgentistes et spécialisés, les infi r-
miers, les aides-soignants, le psy-
chologue, le cadre et l’équipe
mobile de soins palliatifs.
Les onze questions de Renée
Sebag, médecin[1], servent de
guide de réfl exion. Elles permet-
tent d’analyser la situation pour
chaque patient et représentent
une aide précieuse à la décision.
Quelle est la maladie principale
de ce patient?
Quel est son degré d’évolution?
Quelle est la nature de l’épisode
actuel surajouté?
Est-il facilement curable ou
non?
Y a-t-il eu répétition récente
d’épisodes aigus rapprochés
ou une multiplicité d’atteintes
diverses?
Que dit le malade, s’il peut le
faire?
Qu’exprime-t-il à travers son
comportement corporel et sa
coopération aux soins?
Quelle est la qualité de son
confort actuel?
Qu’en pense la famille?
Qu’en pensent les soignants qui
le côtoient le plus souvent?
• Quel est l’état nutritionnel du
patient?
Cette fiche, appelée fiche
d’engagement thérapeutique,
est le fruit d’une réfl exion collec-
tive et est adaptée au service des
urgences. Elle permet de défi nir
le type et l’intensité des soins les
plus adaptés au patient, en tenant
compte de celui-ci dans toutes
ses dimensions, et également de
l’avis de ses proches.
Elle est rédigée lors de
chaque réunion pluridiscipli-
naire, dans un endroit calme et
propice à la discussion. Chaque
jour, le patient est réévalué et la
Chaque
jour, le patient
est réévalué et la
che d’engagement
thérapeutique
complétée
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che est complétée suivant l’évo-
lution du patient, jusqu’au trans-
fert de ce dernier.
Cette fiche est intégrée au
dossier de soins. Elle est consul-
table par tous les professionnels
intervenant auprès du patient et
elle suit ce dernier dans les ser-
vices d’aval pour favoriser la
continuité de la prise en charge.
Redonner sa place
à la famille
Lobjectif des soins palliatifs est
de soulager les douleurs physiques
et les symptômes d’inconfort, de
prendre en compte la souffrance
psychologique, sociale et spirituelle,
mais aussi de soutenir la famille.
Laccompagnement de la
famille est désormais une priorité
et les horaires de visite sont adaptés
pour qu’elle puisse accompagner
son proche 24heures/24. La prise en
charge du patient se fai
t en colla-
boration avec la famille.
Conclusion
Toutes ces actions sensibili-
sent et impliquent le personnel
à la démarche palliative. Un réel
changement dans l’attitude des
équipes est constaté.
Les retours positifs réguliers
des familles pour la qualité de la
prise en charge et la disponibilité
des équipes à leur égard en sont le
refl et. Intégrer une notion du soin
d’urgence diff érente de la concep-
tion habituelle est indispensable
pour atteindre ce résultat. La mis-
sion des soignants dans un SAU
est aussi de tout mettre en œuvre
pour assurer une qualité de vie
optimale du patient dans les der-
niers jours de sa vie, dans le res-
pect de la loi Leonetti relative aux
droits des malades et à la fin de
vie[2](encadré 1).
Aujourd’hui, l’utilisation de
la fi che d’engagement thérapeu-
tique est étendue à tout le
groupe hospitalier afi n d’aider le
mieux possible les différentes
équipes à l’accompagnement
délicat de ces patients en fi n de
vie.
Déclaration d’intérêts
Lauteur déclare ne pas avoir
de confl its d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
[1] Sebag R. Soigner le grand âge.
Bruxelles: Desclée de Brouwer;
1992.
[2] Loi n°2005-370 du 22 avril
2005 relative aux droits des
malades et à la fi n de vie, www.
legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?ci
dTexte=JORFTEXT000000446240.
Toute personne a, compte
tenu de son état de santé et
de l’urgence des
interventions que celui-ci
requiert, le droit de recevoir
les soins les plus appropriés et
de bénéfi cier des
thérapeutiques dont
l’effi cacité est reconnue et qui
garantissent la meilleure
sécurité sanitaire au regard des
connaissances médicales
avérées. Les actes de
prévention, d’investigation ou
de soins ne doivent pas, en
l’état des connaissances
médicales, lui faire courir de
risques disproportionnés par
rapport au bénéfi ce escompté.
Ces actes ne doivent pas
être poursuivis par une
obstination déraisonnable.
Lorsqu’ils apparaissent inutiles,
disproportionnés ou n’ayant
d’autre eff et que le seul
maintien artifi ciel de la vie, ils
peuvent être suspendus ou ne
pas être entrepris. Dans ce cas,
le médecin sauvegarde la
dignité du mourant et assure
la qualité de sa vie […].
Toute personne a le droit
de recevoir des soins visant à
soulager sa douleur. Celle-ci
doit être en toute circonstance
prévenue, évaluée, prise en
compte et traitée.
Les professionnels de
santé mettent en œuvre tous
les moyens à leur disposition
pour assurer à chacun une vie
digne jusqu’à la mort. Si le
médecin constate qu’il ne
peut soulager la souff rance
d’une personne, en phase
avancée ou terminale d’une
aff ection grave et incurable,
quelle qu’en soit la cause,
qu’en lui appliquant un
traitement qui peut avoir pour
eff et secondaire d’abréger sa
vie, il doit en informer le
malade […], la personne de
confi ance […] la famille ou, à
défaut, un des proches. La
procédure suivie est inscrite
dans le dossier médical1.
1 Article 1 de la loi n°2005-370 du 22
avril 2005 relative aux droits des malades
et à la fi n de vie, www.legifrance.gouv.
fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTE
XT000000446240.
Encadré 1. Extraits de l’article 1 de la loi Leonetti
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