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Toutefois,l’onesttrèsrapidementobligédeconstaterqu’iln’a
d’intérêtquecommepossibilitéderéveil,toutemétaphoriqued’ailleurs
puisqu’ilnes’agitqued’uneillustrationdusensualisme.Carlàencore,
c’estlavuequiremportel’importancesuprême,danslamesureoùelle
permetderendrecomptedesdistancesetdesvolumes.Sansletoucher,
l’odoratestpauvrecarilnepeutsituerlesobjets:
[S’ilenétaitdelavuecommedel’odorat],lescouleursagiraientsurelle
commelesodeurssurlenez,etellen’apprendraitdutoucherqueceque
l’odoratenapprendlui‐même.Nousapercevrionstouteslescouleurspêle‐mêle,
nousdistinguerionstoutaupluslescouleursdominantes;maisilnenous
seraitpaspossibledelesétendresurdessurfaces,etnousserionsbienéloignés
desoupçonnerquecessensationsfussentparelles‐mêmescapablesde
représenterquelquechosed’étendu9.
Condillacrevientàlaconclusionplustraditionnellequiveutquelavue
restelepluséminentdessens.
Laseulealternativeréellequenoussuggèrel’histoiredela
philosophie,c’estd’assumerladimensiongrossière,animaleet
instinctivedel’odorat.OnpeutainsiconsidérerqueNietzsche
revendiquesonanimalité.L’odorat,c’estcequiéchappeenpartieà
l’empriseexclusiveetréductriced’uneintelligencesclérosée.Feuerbach10
l’avaitdéjàsuggérémaisNietzscheradicalisecepointdevuecarla
réhabilitationfeuerbachiennerestetributaired’unsoucid’intellec‐
tualisationduparfum11.Pourunpenseuràl’affûtdetoutcequipourrait
nousextirperd’unemétaphysiqueparalysanteettributairedevaleurset
delarationalitéquiasphyxientl’homme,déplacerlavéritédelasubtilité
duregardverslagrossièretéetl’animalitédel’odoratconstitueuneissue
heureuse.Ilyauraitdonclàunecontestationparallèledel’éthiqueetde
l’esthétiquetraditionnelle:mettreencauselemodèleantiquedelavérité
etdelamoraleascétiquequil’accompagne,ceseraitrenverserles
hiérarchiesesthétiqueshabituellespourrendresaplaceaucorpsen
général,etparsuiteau«dernier»dessens,cʹest‐à‐direàl’odorat.Aussi
Nietzschepeut‐ilaffirmer:«Toutmongénieestdansmesnarines»12
parcequecesensnousobligeàunautrerapportàlavieetàunenouvelle
vuesurlemonde.
9.EtienneB.deCondillac,Traitédessensations,p.302,Paris,Fayard,1984.
10.Notammentin:«ContributionàlacritiquedelaphilosophiedeHegel»in:Manifestes
philosophiques,p.15etsq.,trad.Althusser,Paris,PUF,1960.
11.VoiràcetitreA.LeGuérer,LesPouvoirsdel’odeur,Paris,éd.FrançoisBourin,1988,
p.270.
12.FriedrichNietzsche,EcceHomo,trad.J.C.Hémery,in:Œuvresphilosophiquescomplètes,
Paris,Gallimard,1971,p.333.