MtmR n°3 2006 - John Libbey Eurotext

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MtmR n°3 2006
23/05/06
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Gros testicules et petite cervelle, chez la chauve-souris
a taille du cerveau connaît un
accroissement marqué au cours de
l’évolution et on l’attribue en général
au phénomène d’allométrie (c’est-àdire la croissance à des vitesses différentes de parties différentes de l’organisme). Il faut y ajouter d’autres
explications comme le besoin d’organes
sensoriels plus gros ou spécialisés. De
plus, l’hypothèse dite du « cerveau
social » ou de l’ « intelligence machiavélique » propose que, dans une complexité sociale augmentée, les individus avec un cerveau plus grand et donc
des outils cognitifs plus élaborés, peuvent manipuler les autres à leur profit.
En témoignerait la relation positive entre
taille du cerveau et taille du groupe
social chez les primates [1]. Il faudrait
y ajouter un corollaire issu de la théorie de sélection sexuelle : l’antagonisme
entre les partenaires dans l’investissement à faire au cours de la reproduction ferait que les espèces se reproduisant de la manière la plus polygame ont
des cerveaux plus grands que les
espèces monogames.
Dans le présent travail, les auteurs proposent une hypothèse additionnelle
issue aussi de la théorie de la sélection
sexuelle. L’augmentation de la taille du
cerveau, organe coûteux à faire fonctionner sur le plan métabolique, doit
s’accompagner de modifications compensatoires dans d’autres organes coûteux. Cette hypothèse a déjà reçu un
support empirique, la relation inverse
entre taille du cerveau et masse du tractus gastro-intestinal chez les primates
[2] mais pas chez les chauves-souris.
Le tissu testiculaire représente un investissement métabolique considérable [3].
La masse combinée des testicules peut
varier de 0,02 à 0,75 % du poids corporel chez les primates tandis qu’elle
peut atteindre de 0,12 à 8,4 % chez les
chauves-souris (soit plus que chez tous
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L
les autres mammifères). Les auteurs ont
donc recherché chez ces animaux une
relation entre taille du cerveau et taille
des testicules.
Résultats
Les auteurs ont étudié chez 334 espèces
de chauves-souris les relations possibles
entre le système social et les habitudes
d’accouplement d’une part et des paramètres tels que le poids corporel, le
poids du cerveau ou du néocortex et le
poids total des testicules d’autre part. A
titre indicatif, il faut savoir que ces derniers paramètres varient énormément
puisque le poids corporel des animaux
peut aller selon l’espèce de 2 à 1 014 g
et que l’on trouve des cerveaux dont le
poids total peut aller de 0,087 g à
9 100 g ou des testicules dont la masse
totale va de 0,01 à 6,75 g.
L’analyse statistique montre une relation
très significative entre paramètres cérébraux et promiscuité féminine : chez les
espèces où la promiscuité féminine est
la plus grande, c’est-à-dire où les
femelles sont polyandres et s’assemblent
dans des sociétés multiples, les cerveaux
sont relativement petits et les testicules
relativement gros. A l’inverse, la promiscuité des mâles uniquement n’a
aucun effet évolutif sur la taille du cerveau. La taille des testicules qui covarie
avec la promiscuité féminine constitue
ainsi un bon index de l’intensité de la
compétition pour les spermatozoïdes et
la génétique du système de reproduction. La distribution des poids du cerveau est en miroir du poids des testicules
et chez Myotis albescens qui possède
les testicules les plus gros, ceux-ci représentent 6,7 % du poids corporel contre
3,2 % pour le cerveau.
Discussion
L’explication la plus simple pour la corrélation négative entre testicules et cer-
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n°3, mai-juin 2006
veau chez la chauve-souris repose sur
la compétition énergétique entre ces
deux organes. Cette corrélation est surtout trouvée chez les chauves-souris utilisant la localisation par écho et ne se
nourrissant pas de fruits et non pas chez
les espèces qui se nourrissent de fruits
et n’utilisent pas l’écho. Les premières
ont sans doute un bilan énergétique plus
limitant que les secondes ce qui entraîne
le maximum d’économie et donc une
compétition entre deux organes très
dépensiers. Il faut y ajouter deux explications complémentaires. Les espèces
dont le cerveau est gros tendent à être
monogames car ces cerveaux se développent lentement au cours et au
décours de la gestation ce qui demande
des soins importants de la part des
parents. Par ailleurs, il pourrait exister
un antagonisme pléiotropique et une
limitation génétique entre cerveau et
testicule qui partagent tellement de
gènes communs [4].
Conclusion
Il existe chez la chauve-souris, une corrélation évolutive négative entre l’investissement dans le cerveau et celui
dans le testicule, deux organes très actifs
sur le plan métabolique.
Jacques Hanoune
Pitnick S, Jones KE, Wilkinson GS. Mating
system and brain size in bats. Proc Royal Soc
B 2005 ; 273 (in press).
1. Dunbar RIM. J Hum Evol 1995 ; 28 : 28796.
2. Aiello LC, Wheeler P. Curr Anthropol
1995 ; 36 : 199-221.
3. Kenagy GJ, Trombulak SC. J Mammal1986 ; 67 : 1-22.
4. Divina P, et al. BMC Genomics 2005 ;
6 : 29.
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