mt médecine de la reproduction, vol. 8, n°3, mai-juin 2006 165
La taille du cerveau connaît un
accroissement marqué au cours de
l’évolution et on l’attribue en général
au phénomène d’allométrie (c’est-à-
dire la croissance à des vitesses diffé-
rentes de parties différentes de l’orga-
nisme). Il faut y ajouter d’autres
explications comme le besoin d’organes
sensoriels plus gros ou spécialisés. De
plus, l’hypothèse dite du « cerveau
social » ou de l’ « intelligence machia-
vélique » propose que, dans une com-
plexité sociale augmentée, les indivi-
dus avec un cerveau plus grand et donc
des outils cognitifs plus élaborés, peu-
vent manipuler les autres à leur profit.
En témoignerait la relation positive entre
taille du cerveau et taille du groupe
social chez les primates [1]. Il faudrait
y ajouter un corollaire issu de la théo-
rie de sélection sexuelle : l’antagonisme
entre les partenaires dans l’investisse-
ment à faire au cours de la reproduc-
tion ferait que les espèces se reprodui-
sant de la manière la plus polygame ont
des cerveaux plus grands que les
espèces monogames.
Dans le présent travail, les auteurs pro-
posent une hypothèse additionnelle
issue aussi de la théorie de la sélection
sexuelle. L’augmentation de la taille du
cerveau, organe coûteux à faire fonc-
tionner sur le plan métabolique, doit
s’accompagner de modifications com-
pensatoires dans d’autres organes coû-
teux. Cette hypothèse a déjà reçu un
support empirique, la relation inverse
entre taille du cerveau et masse du trac-
tus gastro-intestinal chez les primates
[2] mais pas chez les chauves-souris.
Le tissu testiculaire représente un inves-
tissement métabolique considérable [3].
La masse combinée des testicules peut
varier de 0,02 à 0,75 % du poids cor-
porel chez les primates tandis qu’elle
peut atteindre de 0,12 à 8,4 % chez les
chauves-souris (soit plus que chez tous
les autres mammifères). Les auteurs ont
donc recherché chez ces animaux une
relation entre taille du cerveau et taille
des testicules.
Résultats
Les auteurs ont étudié chez 334 espèces
de chauves-souris les relations possibles
entre le système social et les habitudes
d’accouplement d’une part et des para-
mètres tels que le poids corporel, le
poids du cerveau ou du néocortex et le
poids total des testicules d’autre part. A
titre indicatif, il faut savoir que ces der-
niers paramètres varient énormément
puisque le poids corporel des animaux
peut aller selon l’espèce de 2 à 1 014 g
et que l’on trouve des cerveaux dont le
poids total peut aller de 0,087 g à
9 100 g ou des testicules dont la masse
totale va de 0,01 à 6,75 g.
L’analyse statistique montre une relation
très significative entre paramètres céré-
braux et promiscuité féminine : chez les
espèces où la promiscuité féminine est
la plus grande, c’est-à-dire où les
femelles sont polyandres et s’assemblent
dans des sociétés multiples, les cerveaux
sont relativement petits et les testicules
relativement gros. A l’inverse, la pro-
miscuité des mâles uniquement n’a
aucun effet évolutif sur la taille du cer-
veau. La taille des testicules qui covarie
avec la promiscuité féminine constitue
ainsi un bon index de l’intensité de la
compétition pour les spermatozoïdes et
la génétique du système de reproduc-
tion. La distribution des poids du cer-
veau est en miroir du poids des testicules
et chez
Myotis albescens
qui possède
les testicules les plus gros, ceux-ci repré-
sentent 6,7 % du poids corporel contre
3,2 % pour le cerveau.
Discussion
L’explication la plus simple pour la cor-
rélation négative entre testicules et cer-
veau chez la chauve-souris repose sur
la compétition énergétique entre ces
deux organes. Cette corrélation est sur-
tout trouvée chez les chauves-souris uti-
lisant la localisation par écho et ne se
nourrissant pas de fruits et non pas chez
les espèces qui se nourrissent de fruits
et n’utilisent pas l’écho. Les premières
ont sans doute un bilan énergétique plus
limitant que les secondes ce qui entraîne
le maximum d’économie et donc une
compétition entre deux organes très
dépensiers. Il faut y ajouter deux expli-
cations complémentaires. Les espèces
dont le cerveau est gros tendent à être
monogames car ces cerveaux se déve-
loppent lentement au cours et au
décours de la gestation ce qui demande
des soins importants de la part des
parents. Par ailleurs, il pourrait exister
un antagonisme pléiotropique et une
limitation génétique entre cerveau et
testicule qui partagent tellement de
gènes communs [4].
Conclusion
Il existe chez la chauve-souris, une cor-
rélation évolutive négative entre l’in-
vestissement dans le cerveau et celui
dans le testicule, deux organes très actifs
sur le plan métabolique.
Jacques Hanoune
Pitnick S, Jones KE, Wilkinson GS.
Mating
system and brain size in bats. Proc Royal Soc
B
2005 ; 273 (in press).
1. Dunbar RIM.
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4. Divina P,
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Gros testicules et petite cervelle, chez la chauve-souris
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