2000/2 Bulletin des assureurs Vie destiné aux médecins suisses Maladies infectieuses Supplément du Bulletin des médecins suisses • No 51/52 20.12.2000 2 Sommaire Maladies infectieuses tropicales 4 VIH: aspect médical – progrès et perspectives 10 VIH et Assurance vie 18 Maladies infectieuses: une nouvelle menace 22 Chaque hiver, une épidémie de grippe – mais à quand la prochaine pandémie? 28 Le cas pratique 35 Impressum Editeur ASA Association Suisse d’Assurances 1941 – 1998: édité par les assureurs Vie La commission responsable de la parution du «Bulletin» se compose comme suit: • Josef Kreienbühl, PAX, président • Karl Ehrenbaum, Zurich • Udo Hohmann, Bâloise • Michel Janiaud, Swiss Re • Dr méd. Thomas Mall, Bâloise • Dr méd. Jan von Overbeck, Swiss Re • Dr méd. Emile Simon, La Suisse • Dr méd. Walter Sollberger, Bernoise • Peter Suter, Winterthur • Dr méd. André Weissen, PAX Rédaction Dr Jörg Kistler C. F.-Meyer-Strasse 14 8022 Zurich Téléphone 01- 208 28 28 E-mail [email protected] Imprimerie Dürrenmatt Druck AG 3074 Muri -Berne Tirage 5500 exemplaires 3 Editorial Dr Phil. Jörg Kistler Chère lectrice, cher lecteur, Les maladies infectieuses appartiennent-elles au passé? C’est ce que l’on croyait encore au début des années septante. Aujourd’hui, cette croyance a disparu. Non seulement les maladies infectieuses ne sont pas éradiquées, mais en raison des voyages beaucoup plus fréquents, même des maladies infectieuses qui, chez nous, étaient inconnues auparavant sont apparues. Et à cet égard se pose la question de savoir si un jour, une vague de grippe comme celle de l’an 1918 ne pourrait pas se répandre extrêmement rapidement à travers toute la planète. Nos articles répondent à ces questions. Ils n’ont pas pour but de créer l’ambiance mais, au contraire, ils analysent objectivement le point de savoir quelle menace représentent les maladies infectieuses. Ils traitent de la question de l’apparition possible d’une pandémie et étudient l’importance des maladies tropicales qui menacent de vastes régions d’Afrique. A l’appui du virus VIH, il est également examiné comment les thérapies ou les associations de divers traitements permettent avec le temps une lutte plus efficace d’une maladie initialement indomptable. Et la question est posée: une augmentation de l’espérance de vie de personnes souffrant d’une telle affection peut-elle avoir des effets sur leur assurabilité et si oui, comment? L’écho rencontré par notre dernière édition a été extrêmement positif. Je suis persuadé que ce numéro vous intéressera également. 4 Maladies infectieuses tropicales Dr méd. Johannes Blum, Institut tropical suisse, Bâle Plus de 1 200 000 de suisses ont voyagé en 1999 dans des pays tropicaux ou sub-tropicaux (1). On estime que 50% des voyageurs souffrent pendant ou après le voyage de troubles de la santé. Environ 10% recourent à l’assistance de médecins après leur retour en Suisse (2). Des compte-rendus spectaculaires des médias à propos de maladies virales mortelles importées et de l’augmentation des maladies dans les régions tropicales endémiques telles que la maladie du sommeil, la tuberculose ou la fièvre rouge déstabilisent médecins et voyageurs. Ceci se manifeste d’abord par le fait que les patients Etiologie de maladies fébriles après des voyages sous les tropiques (en %) Indications de cliniques spécialisées dans la médecine des tropiques (3) Diagnostic Mc Leaqn et al (n = 582) Doherty et al (n = 195) Malaria 32 42 Hépatite 06 03 Infections des voies respiratoires 11 02,5 Infections des voies urinaires 04 02,5 Dengue 02 06 Typhus 02 02 Diarrhées 04,5 06,5 EBV (Mononucléose) 02 00,5 Pharyngite 01 02 Rickettsiose 01 00,5 Abcès amibien du foie 01 00 Tuberculose 01 02 Méningite 01 01 Affection VIH aiguë 00,3 01 Divers 06,3 05 Pas de diagnostic 25 24,5 5 qui ont de la fièvre après un séjour dans les tropiques craignent de souffrir d’une maladie grave. Pour le médecin, il est important de savoir quelles sont les maladies fébriles fréquentes et quelles sont celles, plus rares, qu’il ne peut absolument pas ignorer parce qu’un diagnostic et un traitement tardifs pourraient avoir des conséquences fatales. Les maladies dysentériques atteignent plus de 50% des voyageurs qui se rendent aux Indes ou au Kenya (4) et peuvent s’accompagner de fièvre. Il s’agit le plus souvent d’infections dues à des agents pathogènes gastro-intestinaux n’exigeant pas de traitement par antibiotiques. Mais dans de rares cas, qui frappent avant tout les enfants, il peut y avoir une dysenterie fébrile dans le cadre d’une affection extraintestinale telle que la malaria ou le typhus. Les infections des voies respiratoires supérieures et les «refroidissements» sont également fréquents dans des zones climatiques très chaudes. Les maladies bactériennes focales comme la pneumonie, la pyélonéphrite, les infections dans le domaine ORL, la dysenterie, la méningite ou une tuberculose doivent être recherchées systématiquement. La découverte d’une infection précoce VIH a des conséquences pour les patients concernés et pour leurs partenaires. Manquer le diagnostic d’une malaria, d’une septicémie à germes Gram négatif telle que le typhus, d’un abcès amibien du foie ou d’une méningite peut avoir des conséquences fatales pour le patient. Malaria La présence de fièvre au retour des tropiques exige toujours un examen urgent pour exclure la malaria. Le délai entre une infection contractée pendant un voyage sous les tropiques et l’apparition d’une maladie fiévreuse peut varier, dans le cas de la malaria, entre une semaine et un an. L’évolution typique de la fièvre, avec des intervalles sans symptômes, ne se retrouve que chez un cinquième des malades. Il est important de savoir qu’une chémoprophylaxie exécutée de manière fiable peut réduire le risque de malaria dans plus de 90% des cas, mais ne saurait l’empêcher à coup sûr. Lorsque la situation est défavorable, le diagnostic de malaria dans le sang sera rendu plus difficile par une prophylaxie prise pour se prémunir contre une telle maladie ou par un antibiotique ingéré préalablement parce qu’alors, il n’est pas toujours possible de trouver les parasites dans le sang périphérique. Les autres examens entrepris pour dépister des plasmodia tels que la goutte épaisse ou le frottis sanguin sont complétés à l’heure actuelle par lesdits tests rapides. Les deux produits disponibles dépistent, avec une sensitivité et une spécificité de plus de 90%, un antigène spécifique (HPR2) de P. falciparum 6 Maladies infectieuses tropicales et P. vivax. Dans des cas de parasitémie basse ou très élevée, il est arrivé qu’on décrive à tort de tels cas comme négatifs. Les deux autres sortes de paludisme pathogène pour les humains ne sont pas (encore) révélées par ces tests. Le développement de résistances exige un traitement différencié de la malaria. La chloroquine est comme auparavant la thérapie de choix en cas de P. vivax, ovale et malariae. Les souches résistantes à la chloroquine de «P. vivax» d’Asie du sud-est, sont traitées avant tout avec de la méfloquine. Dans le cas de P. vivax et ovale, on administre encore ensuite de la Primaquin pour éradiquer les formes hépatiques (hypnozoites), après exclusion d’un déficit en glucose- 6phosphate- deshydrogénase (5). Pour une malaria falciparum, l’indication d’hospitaliser doit être posée largement. En cas d’évolution sans complications, il suffit souvent d’une hospitalisation pour surveillance pendant les 24 premières heures. Une hospitalisation doit toujours avoir lieu lorsque des fonctions vitales sont atteintes, si le patient est somnolent, s’il y a une anémie importante, une insuffisance rénale, une hémoglobinurie, une hypoglycémie, un ictère ou des maladies concomitantes, ou lorsque le patient vomit. Une parasitémie de 2% ou plus (ou si la parasitémie n’est pas connue), est une indication d’hospitalisation, même si le patient est dans un bon état général (6). Avec de l’Artemether/Lumefantrin et de l’Atovaquon/Proguanil, nous avons aujourd’hui des médicaments efficaces pour le traitement de la malaria tropica multirésistante non compliquée. Typhus / septicémie Pour tout état fébrile dont la genèse n’est pas éclaircie au retour d’un voyage sous les tropiques, il faut penser à la possibilité d’un typhus et il est recommandé de faire des hémocultures. Typiquement la consultation médicale intervient alors que les douleurs ont commencé il y a quelques jours déjà et qu’elles ont augmenté de jour en jour. Hormis la fièvre, les maux de tête sont le symptôme le plus fréquent. Les signes connus du typhus tels que la bradycardie relative, la splénomégalie, la roséole et la leucopénie sont souvent absents. Au stade initial, la constipation est plus fréquente que les diarrhées qui, de manière caractéristique, n’apparaissent que plus tard. Le nombre des leucocytes n’est généralement pas élevé et une éosinopénie importante peut intervenir au cours de l’évolution. Des symptômes SNC tels que la perte de tout intérêt et l’hébétude n’apparaissent qu’en cours de maladie également. Les autres symptômes décrits sont les myalgies, la toux, la conjonctivite et l’épistaxis. Des complications potentiellement létales sont redoutées, comme des hémorragies gastro-intestinales ou une perforation, une pneumonie, des mani- 7 festations neuro-psychiatriques rénales ou cardio-vasculaires. Abcès amibien du foie La triade fièvre, douleurs dans l’hypochondre droit et l’hépatomégalie, doit faire penser à la possibilité d’un abcès amibien du foie, la fièvre pouvant également être le symptôme dominant. Le diagnostic se fonde sur une sérologie positive des amibes ainsi que sur la mise en évidence par ultrasons d’un abcès du foie, étant précisé que durant les premiers jours de la maladie, tant la sérologie que les ultrasons peuvent présenter un constat négatif. Dengue Ces derniers temps, nous avons été confrontés à de grandes épidémies de dengue en Amérique centrale, dans les Caraïbes ainsi qu’en Asie du sud-est, épidémies qui ont touché entre 50 et 100 millions de personnes. La dengue est transmise par des moustiques diurnes, de l’espèce Aedes aegypti. Les symptômes principaux sont une forte fièvre, des céphalées (avant tout rétroorbitaires), des douleurs aux membres et une éruption cutanée. L’examen clinique montre, quelques jours après le début de la maladie, des adénopathies, une éruption cutanée morbilliforme et une hyperesthésie. Une leucopénie marquée et une thrombopénie dans les examens de laboratoire. Les anticorps sont positifs dans le 90% des cas après une semaine. Dans de rares cas, la dengue peut se développer en une dengue hémorragique: hémorragies cutanées, hémorragies internes et en un transfert liquidien dans le troisième secteur. Les salicylates peuvent aggraver la symptomatique, en raison de leur effet anti-aggrégant plaquettaire et ne peuvent donc en aucun cas être administrés comme analgésiques ou comme fébrifuges (7). Fièvre hémorragique virale (VHF p. ex. Ebola) Parmi les fièvres hémorragiques virales, c’est avant tout le groupe des virus transmissibles entre individus de l’espèce humaine qui a fait sensation dans les médias. Derrière ce phénomène se cache la crainte théoriquement fondée qu’un virus ne soit introduit en Europe depuis le plus profond de la forêt vierge et qu’il ne conduise à une épidémie non maîtrisable. Comme il n’est guère possible de différencier les symptômes initiaux de cette fièvre hémorragique virale d’une infection grippale «banale» et vu qu’il est impossible d’isoler toute personne fiévreuse rentrant des tropiques dans une chambre hypobare, le premier médecin-traitant éprouve une grande incertitude. Les directives de l’OMS, du CDC et de l’OFSP nous donnent des indications concernant les patients qui doivent être hospitalisés et isolés (8): Patient fébrile avec ou sans autres symptômes, qui a 8 Maladies infectieuses tropicales séjourné durant les 3 dernières semaines dans une région dans laquelle sont apparus des cas confirmés ou présumés de VHF sous forme épidémique ou en rapport avec des animaux. Patients fébriles ayant eu contact avec des malades VHF ou avec leurs éléments corporels liquides. Patients fébriles avec diathèse hémorragique ou choc non éclairci. Fièvre de Katayama en cas de biharziose (schistosomiase) Le premier symptôme d’une bilharziose, la dermatite cercaire, n’est que rarement remarquée par les patients: en cas de contact avec de l’eau douce, des cercaires envahissent la peau et peuvent engendrer des éruptions cutanées le plus souvent de courte durée, provoquant des démangeaisons légères et maculopapuleuses. Pendant la phase suivant le développement du vers, le patient n’éprouve aucune douleur subjective. 4 à 6 semaines après l’exposition, ladite fièvre de Katamaya peut survenir en partie avec une forte fièvre, de l’urticaire, le sentiment d’être malade, des céphalées et des membres douloureux ainsi que des maux de ventre. Il y a généralement une éosinophilie. Comme étiologie, on admet une réaction immunologique en rapport avec l’expulsion des œufs. Des complications en cas de non-traitement de bilharziose n’apparaissent que des années après, dans le système urogénital ou hépatosplénique. Une éosinophilie dans la formule sanguine ainsi qu’une exposition positive à l’eau douce renvoient à ce type de maladie. Le diagnostic se fait par examens sérologiques et, plus tard, également par la preuve de l’agent pathogène dans l’urine ou les selles. Encéphalite japonaise L’encéphalite japonaise est une maladie virale (flavivirus), qui est transmise par des moustiquesculex nocturnes. La maladie est répandue dans des régions agricoles d’Asie du sud-est (plus de 35 000 cas et10 000 décès par an) et représente là-bas la cause essentielle des encéphalites chez les enfants. Une infection engendre une maladie manifeste dans moins de 5% des cas. La maladie a un début soudain, avec fièvre, céphalées, photophobie, fatigue, méningisme. Ultérieurement peuvent survenir des paralysies, des désorientations, des crises d’épilepsie et des troubles des réflexes. Contrairement à ce que l’on observe auprès de la population dans les régions endémiques, l’encéphalite japonaise n’est que très rarement constatée chez les voyageurs en provenance d’Europe ou des USA. Hépatite virale Les hépatites A et B sont devenues plus rares depuis que des vaccins 9 efficaces sont disponibles. En cas de fièvre et de transaminases élevées, il y a lieu de penser, s’agissant d’une personne revenant des tropiques et vaccinée contre l’hépatite A et B, à l’hépatite E. Cette maladie est spécialement redoutée chez les femmes enceintes, en raison de leur mortalité élevée (jusqu’à 20%). Rickettsiose (R. conori, R. africae) Après une piqûre de tique se manifestent un chancre avec adénopathies satellites, de la fièvre, des céphalées, douleurs aux membres ainsi qu’une éruption cutanée maculopapulaire. Le nombre des leucocytes est généralement normal, celui des thrombocytes peut être réduit. En cas de soupçon clinique, le traitement devrait se faire encore avant la confirmation du diagnostic au moyen d’une sérologie. Leishmaniose viscérale La triade fièvre, hépatomégalie et pancytopénie, doit faire penser au tableau clinique de la leishmaniose viscérale. Depuis l’épidémie VIH, cette maladie a gagné en importance. Hormis les grandes régions endémiques d’outre-mer (p. ex. Indes, Brésil, Soudan), des pays du sud de l’Europe comme l’Italie, la France ou l’Espagne sont également touchés. La sérologie n’est positive que pour 50% des patients immunosupprimés alors qu’elle l’est généralement pour ce qui concerne les patients immunocompétents. Trypanosomiase humaine africaine (maladie du sommeil) Au premier stade, se manifestent surtout de la fièvre, des céphalées et des adénopathies, avant tout cervicales. Au deuxième stade, s’y ajoutent des troubles neurologiques tels que l’inversion du sommeil, des troubles psychiques et des troubles de la marche et, ultérieurement, des troubles de la conscience. Elucider de tels cas est l’affaire de spécialistes. Littérature 1. Office fédéral de la statistique: Voyages des suisses à l’étranger 1999, 2000. 2. Steffen R., Rickenbach M., Wilhelm U et al.: J. Infect Dis. 158, 84 – 91, 1987. 3. Sonnenburg F., Tornieporth N., Wayaki P., Lowe B., Peruski L., Du Pont H., Mathewson J., Steffen R: Risk and aetiology of diarrhoea at various tourist destinations, Lancet Vol 356, 133 – 134, 2000. 4. Humar A, Keystone J.: Evaluating fever in returning travellers from tropical countries, BMJ, 312, 953 – 56, 1996. 5. Blum J., Tichelli, Hatz Ch. Diagnostische und therapeutische Probleme der Malaria tertiana Schweiz Rundschau Med (Praxis), 88; 985 – 991,1999. 6. Markwalder K., Hatz Ch., Malariatherapie 1998, Schweiz. Med. Wochenschrift,128, 1313 – 27, 1998. 7. Rigaux-Perez J., Clark G, Gubler D., Reiter P., Sanders E., Vorndarm A., Dengue and Dengue haemorrhagic fever, Lancet, Vol 352, 971 – 977, 1998. 8. Update: Management of patients with suspected Viral Hemorrhagic Fever, United States, MMWR 44, 475 – 479, 1995 10 VIH: aspect médical – progrès et perspectives Prof. Dr méd. Manuel Battegay, Polyclinique de médecine universitaire, Hôpital universitaire de Bâle Introduction Depuis l’introduction des inhibiteurs des protéases 1995 /1996, qui permettent des thérapies combinées hautement efficaces, le pronostic de l’infection par le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) a drastiquement changé. Alors qu’à la fin des années 80, des monothérapies et, au début des années 90, les premières thérapies combinées sans inhibiteurs des protéases avaient apporté certaines améliorations concernant l’empêchement d’infections opportunistes, des thérapies combinées relativement récentes ont réduit de façon durable, soit pour plusieurs années, les taux de morbidité et de mortalité de 80 à 90%. En dépit de cela, l’infection VIH demeure une maladie chronique qui est liée aux problèmes les plus divers. Dans l’article qui suit sont discutés les succès, mais aussi les problèmes, tels que les atteintes à la qualité de vie, l’apparition de résistances et les effets secondaires à long terme. Les perspectives y sont également présentées. Apparition de la maladie/ évolution L’infection VIH évolue en fonction de divers facteurs, très différents selon la personne atteinte. En moyenne, une infection VIH dure jusqu’à l’apparition de la maladie du SIDA, si elle n’est pas traitée, soit 7 à 10 ans. La durée d’incubation varie selon les forces de défense, l’infectiosité des cellules hôtes ainsi que les sous-types de virus. Chez 50% des êtres humains infectés survient une primoinfection VIH qui s’accompagne de fièvre, de malaises, de pharyngites et souvent, d’adénopathies. Durant cette phase, la quantité de virus est généralement très élevée jusqu’à ce que les défenses immunitaires interviennent. Ensuite, la quantité de virus varie, selon les défenses et la dynamique, à un niveau qui peut se situer entre plusieurs centaines de millle comme quelques cent ou mille copies de virus par millilitre de sang (figure 1). Le niveau de la charge virale par millilitre de sang, qui doit être mesuré au moins à deux moments différents et, ultérieurement, à intervalles réguliers d’au moins 6 mois, est un facteur de pronostic important pour établir la dynamique de l’infection. Les cellules CD4-T renseignent sur la situation des défenses; ces cellules sont des coordinateurs importants de la défense immunitaire. Sans traitement, la quantité de virus augmente généralement après plusieurs années (figure1) et, ensuite, s’installe une défense immunitaire réduite. Celle-ci comporte le risque de contracter des infections dites opportunistes. La figure 2 montre les diverses infections et maladies pouvant apparaître selon le degré de défense. En font partie avant tout les agents pathogènes dit opportunistes qui, par ex. entraînent des pneumonies ou des abcès cérébraux. 11 Figure 1: Infection VIH – Réponse immunitaire et paramètres sérologiques dans l’évolution de la maladie Réponse immunitaire Nombre de lymphocytes CD4+ RNA viral dans le plasma Génome viral dans le sang Années Mois Symptômes Symptômes Thérapie anti-rétrovirale La thérapie anti-rétrovirale peut enrayer l’apparition du déficit immunitaire ou, si celui-ci existe déjà, le faire régresser dans une large mesure. C’est la raison pour laquelle il est important d’entreprendre une thérapie avant le début d’un tel déficit afin que le patient n’encoure pas le risque de voir apparaître des maladies opportunistes. La figure 3 montre où la thérapie anti-rétrovirale s’applique. D’abord, les inhibiteurs de la reverse transcriptase peuvent arrêter l’enzyme reverse transcriptase, de sorte que l’on évite une multiplication des virus. D’autre part, les inhibiteurs des protéases arrêtent la partition des protéines virales qui sont nécessaires à la composition (assembly) du virus. En raison de la grande dynamique des virus et de la nécessité de contenir le plus possible la multiplication de ceux-ci, une prise régulière des médicaments est extrêmement importante. Le patient doit être prêt à entreprendre une longue thérapie, autrement dit à absorber quotidiennement ses comprimés. Nous savons d’autre part que le patient répond le mieux à une première thérapie. En cas d’échec d’une thérapie, toute thérapie ultérieure a de moins bonnes chances de réprimer la multiplication des virus. Depuis 1995 /1996, de nombreuses études prospectives, randomisées ont été publiées, qui montrent que la réponse thérapeutique sur le plan viral à une thérapie combinée avec deux inhibiteurs de la reverse transcriptase et un inhibiteur des protéases s’élève à envi- 12 VIH: aspect médical – progrès et perspectives ron 50 à 80%. Le cas échéant, la quantité de virus peut être réduite à moins de 500 copies. Grâce à de nouvelles méthodes de mesure, l’on sait qu’une limitation en dessous de 50 copies est également possible. Environ 50% des patients ainsi traités présentent un succès durable de la thérapie pendant des années. De plus, et c’est le paramètre le plus important dans la perspective d’une réduction du risque d’être atteint de SIDA, les valeurs de CD4 augmentent dans le sang de sorte que souvent une défense immunitaire presque normale apparaît pour lutter contre les agents pathogènes infectieux les plus divers. De nombreuses études documentent l’effet impressionnant de ces médicaments, avec une réduction de plus de 80% obtenue jusqu’ici sur les taux de morbidité et de mortalité depuis maintenant cinq ans déjà. Les patients ont pu rétablir une qualité de vie (prise de poids, régression de symptômes généraux tels que la fatigue et la perte d’énergie, et le retour d’une capacité de travail au moins partielle). Figure 2: Evolution de l’infection VIH: en général 750 Maladie VIH aiguë (dans 30 à 70% fièvre, lymphadénopathie, pharyngite, exanthème) 700 650 Tuberculose pulmonaire, Zona, Candidiase orale, Sarcome de Kaposi, Lymphome non hodgkinien 600 550 CD4 / Zellzahl / µl) 500 450 400 350 Pneumonie bactériennes Diarrhées bactériennes 300 Pneumonie à pneumocyte carinii, Démence SIDA, Wasting syndrome 250 Rétinite CMV, Toxoplasmose cérébrale, Cryptococcose 200 150 100 Mycobactériose non tuberculeuse, cryptospondiose, Leucoencéphalophatie, progressive multifocale, Lymphome primaire SNC 50 0 Années 13 Figure 3: Thérapie anti-rétrovirale – Points d’attaque dans le cycle de réplication Cycle de réplication Reverse transcriptase Monate Médicaments anti-rétroviraux Inhibiteurs de la reverse transcriptase – Analogues nucléosides – Non nucléosides Provirus ARN Inhibiteurs des protéinases Polyprotéine Protéine Points d’attaque Médicaments Actuellement, une large palette d’inhibiteurs de la reverse transcriptase (Zidovudin, Zalzitabin, Didanosin, 3TC, Abacavri, Stavudin), d’inhibiteurs des protéases (Indinavir, Ritonavir, Saquinavir, Nelfinavir, Amprenavir) ainsi que des inhibiteurs non nucléosides de la reverse transcriptase (Nevirapine, Efavirenz) sont disponibles. Dans les thérapies combinées, on associe le plus souvent deux inhibiteurs de la reverse transcriptase avec soit un inhibiteur des protéases, soit un inhibiteur non nucléoside de la reverse transcriptase. En cas d’échec de la thérapie, 14 VIH: aspect médical – progrès et perspectives il faut généralement l’intensifier, afin de pouvoir réduire encore la quantité de virus. Problèmes de la thérapie anti-rétrovirale Adhérence Compte tenu de la multiplication le plus souvent énorme des virus (jusqu’à 10 milliards de virus par jour), il est nécessaire que les médicaments soient constamment présents en concentration suffisamment élevée dans le sang. Ceci nécessite une ingestion très fiable des médicaments (plus de 95%). Voilà qui pose de très hautes exigences aux patients. Surtout lesdits «drug holidays» engendrent des concentrations médicamenteuses insuffisantes qui, à leur tour, conduisent à un blocage insuffisant de la multiplication des virus et, par conséquent, à des résistances. Résistances Dans les trois classes de médicaments, autrement dit les inhibiteurs de la reverse transcriptase, les inhibiteurs des protéases ainsi que les inhibiteurs de la reverse transcriptase non nucléoside, l’apparition de résistances est très bien documentée. En présence de résistances déterminées, certains médicaments perdent pratiquement toute efficacité. Il est vrai que de nouvelles études montrent qu’un virus résistant n’endommage pas dans la même mesure le système de défense, de sorte que les thérapies, en dépit de l’apparition de nom- breuses résistances, sont efficaces comme auparavant sur le plan clinique et que la survenance de maladies opportunistes est très rare. En cas d’échec de la thérapie, il est également possible, et ceci est nouveau, d’analyser le génome du virus (mesure de résistance) ainsi que le comportement du virus dans des cellules de culture, pour que la prochaine thérapie puisse être adaptée en conséquence, de manière optimale. Effets secondaires Les effets secondaires à court terme d’une thérapie combinée sont avant tout les nausées, les douleurs abdominales et d’autres douleurs non spécifiques. Généralement, ces effets secondaires initiaux diminuent après quelques jours, ou il est possible de trouver un traitement efficace des effets secondaires au moyen d’une autre thérapie associée. Sont plus problématiques les effets secondaires à long terme, et il y a lieu de mentionner en premier lieu la lipodystrophie (modification de répartition des graisses) et des valeurs élevées de cholestérol. Ces effets secondaires sont encore peu compris sur le plan physiopathologique. En fait, on admet que les inhibiteurs des protéases et, possiblement aussi, les inhibiteurs de la nucléoside reverse transcriptase agissent sur certaines enzymes hépatiques et influencent le métabolisme lipidique. La lipodystrophie qui apparaît chez environ 30% 15 des patients traités (le plus souvent sous forme modérée), est caractérisée par une accumulation des graisses au niveau du ventre (abdomen) ainsi que par une perte de graisses au niveau des fesses, des bras et des jambes ainsi qu’au visage. Parfois, on constate également une telle accumulation au niveau de la nuque. Cet effet secondaire représente pour les patients une surcharge psychique considérable. Il n’est pas encore établi si un changement de thérapie peut supprimer complètement de tels effets secondaires. Qualité de vie Nous avons pu montrer dans des études que la qualité de vie, en dépit d’une amélioration sensible des perspectives de vie, est sensiblement réduite chez 30% des patients et plus. Il convient de mentionner en premier lieu les dépressions et les états anxieux documentés. Ceci montre également que l’infection VIH est le plus souvent vécue par les patients comme une maladie grave et chronique. A la différence d’autres maladies chroniques, comme le diabète sucré ou les maladies rhumatismales, il ne faut pas oublier, dans le cas de l’infection VIH, que la durée d’efficacité des thérapies n’est pas connue, si bien qu’il y a là un facteur d’insécurité lourd à supporter. Grossesse Un très grand progrès a été accompli dans le traitement de femmes enceintes infectées par le VIH. Dans les pays occidentaux et en particulier en Suisse, la transmission de la mère à l’enfant non encore né a été réduite à presque 0% lorsqu’une thérapie est administrée dans les règles de l’art. Cette thérapie comprend le traitement de la femme enceinte, un traitement intensif pendant la naissance y compris la césarienne ainsi qu’un traitement précoce du nouveau-né au moyen d’un sirop anti-rétroviral. Coûts Dans une enquête que nous avons effectuée nous-mêmes dans le cadre de l’Etude suisse sur les cohortes VIH, enquête réalisée sur plus de 3500 patientes et patients, nous avons pu constater qu’en raison de la réduction massive des hospitalisations, de la diminution des complications et de la capacité de gain retrouvée, ces thérapies sont très efficaces du point de vue des coûts. Ont été pris en considération divers scénarios, un optimiste, un pessimiste et un dit «Base-Case». Dans tous les scénarios, même dans l’hypothèse du pronostic le plus pessimiste, la thérapie anti-VIH a été efficace sur les coûts, aussi en comparaison avec d’autres maladies chroniques. Perspectives D’autres améliorations de la thérapie anti-rétrovirale n’ont été obtenues que récemment. Celles-ci concernent en particulier le nombre 16 VIH: aspect médical – progrès et perspectives des tablettes à prendre ainsi que la fréquence de leur ingestion (actuellement deux fois par jour). D’autres progrès dans les trois classes de médicaments susmentionnées sont à prévoir, en particulier des médicaments qui agissent également sur les virus résistants. De plus, seront développés au cours de ces prochaines années des remèdes qui n’influencent pas le métabolisme lipidique. Alors que les inhibiteurs de la reverse transcriptase bloquent pour ainsi dire la machine à copier les virus et les inhibiteurs des protéases la composition du virus, de nouveaux médicaments interviennent au niveau de la fixation du virus sur la cellule. Ainsi, dès le début, l’infection d’une cellule est empêchée et par conséquent, ultérieurement, est également évité le mauvais usage d’une cellule en tant que machine à copier les virus. D’autres progrès touchent aux stratégies en matière de thérapie, visant à fixer le moment optimal de l’engagement d’une thérapie. De même, diverses études sont en cours à l’échelon planétaire pour vérifier si une interruption du traitement est possible. La base de ces études réside dans le fait que les défenses ont été améliorées et stabilisées sous traitement. Dans l’espoir que cette stabilisation soit possible au moins pour des mois ou quelques années sans thérapie également, on examine actuellement si une interruption de thérapie est possible. Malheureusement, malgré de grands progrès réalisés au cours de ces dernières années, il s’est avéré qu’une éradication du virus, autrement dit une guérison, n’est pas possible. Manifestement, le virus peut être intégré dans le noyau cellulaire, mais peut aussi continuer à exister dans des cellules qui sont au repos. Ces virus ne sont pas accessibles à une thérapie, même avec les médicaments les plus récents. En résumé, on peut dire que le pronostic de l’infection VIH s’est radicalement amélioré par l’introduction de nouvelles thérapies combinées dès 1995 /1996. En raison de la thérapie complexe, des effets secondaires et des infections opportunistes qui apparaissent comme par le passé (même si c’est en quantité massivement réduite), l’infection VIH demeure une maladie infectieuse chronique, voire sévère. La qualité de vie varie nettement en fonction de la réponse au traitement et des maladies subies jusqu’alors. La recherche dans ce domaine est toujours très dynamique, et laisse présumer de nouveaux développements. 17 Références Battegay M. et Hirschel B. HIV-Infektion und AIDS. dans: Alexander K, Daniel WG, Diener H et al. (Hrsg.) Thiemes Innere Medizin TIM, 1ère édition; SuttgartNew York, Georg Thieme Verlag., 9: 1888 –1913, 1999 Carpenter CC, Cooper DA, Fischl MA, Gatell JM, Gazzard BG, Hammer SM, Hirsch MS, Jacobsen DM, Katzenstein DA, Montaner JS, Richman DD, Saag MS, Schechter M, Schooley RT, Thompson MA, Vella S, Yeni PG, Volberding PA. Antiretroviral Therapy in Adults. 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AIDS 1998; 12(2): 205 – 210 Ledergerber B, Egger M, Opravil M, Telenti A, Hirschel B, Battegay M, Vernazza P, Sudre P, Flepp M, Furrer Hj, Francioli P, and Weber R, for the Swiss HIV Cohort Study. Clinical progression and virological failure on highly active antiretroviral therapy in HIV-1 patients: a prospective cohort study. The Lancet 1999; 353: 863 – 868 Mellors JW, Rinaldo CR Jr, Gupta P, White RM, Todd JA, Kingsley LA. Prognosis in HIV-1 infection predicted by the quantity of virus in plasma. Science 1996; 272 (5265): 1167 – 1170 Sendi PP, Bucher HC, Harr T, Craig BA, Schwietert M, Pfluger D, Gafni A, and Battegay M, for the Swiss HIV Cohort Study. Cost effectiveness of highly active antiretroviral therapy in HIV-infected patients. AIDS 1999; 13: 1115 – 1122 Weisser M, Rudin Ch, Battegay M, Pfluger D, Kully Ch, Egger M, and the Swiss HIV Cohort Study. Does pregnancy influence the course of HIV infection? Evidence from two large Swiss Cohort Studies. J. Acquir. Immune Defic. Syndr. Hum. Retrovirol. 1998; 17: 404 – 410 18 VIH et Assurance vie Jan van Overbeck Chief Medical Officer, Swiss Re Life & Health Les progrès scientifiques dans le domaine de l’infection par le VIH sont considérables. L’article du Dr Battegay présente un résumé très précis de l’impact de ces progrès sur la prise en charge clinique des patients. Grâce aux nouvelles combinaisons thérapeutiques (triple thérapie), la survie des patients est sensiblement améliorée, de même que la qualité de vie de ces derniers. Du point de vue de l’assurance vie, ces développements permettent, à juste de titre, de poser la question de l’assurabilité de ces personnes VIH positives. Cet article ne vise pas à donner des critères d’acceptation ou d’assurabilité, mais à proposer des éléments afin d’initier un débat constructif. Principes généraux L’assureur se doit de comparer la mortalité du groupe avec une affection donnée par rapport à la population dite normale, en fonction de l’âge et du sexe. Ceci permet de calculer un taux de surmortalité et ainsi de fixer une prime d’assurance adéquate. Ce principe est sousjacent à l’évaluation de toute demande d’assurance, s’appliquant aussi bien aux affections cardiovasculaires, oncologiques ou à l’infection VIH. L’infection par VIH touche avant tout une population jeune et, sans traitement, le décès survient en moyenne entre 7 et 10 ans. Ainsi si l’on compare l’espérance de vie de ce groupe avec une population standard, la «surmortalité» du groupe VIH positif est extrêmement élevée et ne permet pas d’offrir des assurances à un prix acceptable. Une compagnie d’assurance ne peut atteindre son objectif fondamental, à savoir offrir à un maximum de personnes une couverture d’assurance au meilleur prix possible, que si les primes proposées sont adaptées aux risques. En assurance vie, où la prestation assurée doit être versée en cas de décès de l’assuré, c’est la mortalité de l’assuré qui constitue la probabilité de survenance du sinistre. A travers les recensements de population et l’analyse des registres d’état civil (naissances, décès), l’office des statistiques d’un pays donné peut déterminer la probabilité de décès de la population sur une année, en fonction de l’âge et du sexe, pour établir ensuite une table de mortalité. Si, par exemple, sur 100 000 hommes âgés de 43 ans, on enregistre 300 décès au cours d’une année (les défunts n’ayant donc pas atteint l’âge de 44 ans), il en résulte une mortalité de 0,003 ou de 3 pour mille pour les hommes âgés de 43 ans. Ainsi, si une compagnie d’assurance accepte des personnes ayant un risque de décès plus élevé (ou, en d’autres termes, une espérance de vie réduite), elle doit leur demander des primes plus élevées. Dans le domaine de l’assurance privée, il serait inadéquat de faire supporter par la grande majorité des assurés en bonne santé la totalité des frais additionnels occasion- 19 nés par les personnes qui, dès le départ, présentaient un risque de décès plus élevé. Les preneurs d’assurance en bonne santé chercheraient alors une autre forme de couverture de risque (par ex. placements en titres ou immobiliers), l’assureur se retrouvant uniquement avec des risques accrus et dans l’impossibilité de les compenser lors de sinistres. Les données cliniques récentes montrent clairement une amélioration sensible de l’espérance de vie des patients VIH positif. Mis à part une amélioration de la qualité de vie, les triples thérapies ont permis une réduction jusqu’à 80% de la mortalité à 5 ans avec en particulier une diminution très importante des infections opportunistes. Du point de vue de l’assurance vie, cette amélioration est clairement reconnue, mais comparée à une population normale, celle-ci reste néanmoins très inférieure. En dépit des progrès réalisés, cette différence ne permet actuellement pas de proposer des assurances vie de longue durée aux personnes infectées par le VIH. Cependant, la possibilité de proposer, par exemple, des couvertures à durée limitée (5 ans), pourrait être considérée par les assureurs. En effet, ce type de contrat permettrait de couvrir un besoin social tout en respectant les principes fondamentaux d’un produit d’assurance «sain» (permettant le paiement des prestations assurées). Critères pour évaluer l’assurabilité L’appréciation d’une demande d’assurance doit reposer sur des critères simples, fiables et ayant une valeur statistique reconnue. Pour l’infection par le VIH, les paramètres les plus importants sont la durée d’évolution de l’infection, la valeur des CD4 et de la virémie, ainsi que l’histoire clinique du proposant VIH positif, en particulier les interventions thérapeutiques et la présence d’infection opportuniste. La durée de l’infection clinique est souvent difficile à estimer précisément, car la primo-infection est généralement asymptomatique ou oligosymptomatique (syndrome grippal). La connaissance du dernier test VIH négatif et du premier test positif permettent souvent une estimation suffisante. Du point de vue pratique, des mesures répétées des CD4 permettent d’estimer le degré d’immunosuppression et la durée de l’infection. De larges études cliniques ont clairement montré que le déclin des CD4 au cours du temps est constant. En raison de la variabilité des mesures individuelles, une estimation fiable nécessite au moins deux valeurs de CD4 ainsi qu’un profil des CD4 au cours du temps. Une valeur unique de CD4 ne permet pas de conclusion. La virémie, ou mesure de charge virale, est une estimation du nombre de particules virale circulant dans le sang, et reflète le 20 VIH et Assurance vie degré de réplication du VIH. Chez le patient non traité, cette mesure de virémie a une valeur prognostique très importante et celle-ci est indépendante de la valeur des CD4. Plus la valeur est basse, meilleur est le prognostic. Ainsi les valeurs de CD4 et de virémie permettent d’estimer l’état de l’équilibre entre le VIH et le système immunitaire d’un individu. La médication anti-virale a un impact important sur la virémie, ainsi lors de l’évaluation d’un patient il est impérieux de connaître également les valeurs avant traitement. L’histoire clinique d’un patient est essentielle, en particulier l’apparition d’infections opportunistes. Le diagnostic d’une de ces infections indique en général une immunsuppression modérée à sévère. Une assurabilité n’est en général pas possible. L’évaluation du proposant nécessite le recours à un médecin-conseil ayant une expérience pratique avec le traitement des patients VIH positif. L’histoire thérapeutique détaillée est importante. L’expérience actuelle montre clairement que les patients traités d’emblée par une triple combinaison présentent les résultats les plus impressionnants. Cependant, le recul n’est que de 5 à 7 ans seulement, selon la taille des études cliniques. La résistance du VIH aux antiviraux est le principal problème de ces thérapies au long court. En effet, le traitement doit être poursuit indéfiniment, car les médications actuelles ne per- mettent pas l’éradication du virus. Dans ce contexte, les résistances sont très importantes ainsi que le problème d’adhérence au traitement. Il faut se souvenir qu’une triple combinaison comporte, selon les régimes, la prise de 10 à 15 tablettes par jour, ainsi que des effets secondaires non négligeables. Lors de l’évaluation d’un éventuel proposant, il est essentiel de disposer des valeurs de CD4 et de virémie avant le traitement. Celles-ci permettent de placer l’invidu sur la «courbe» de l’évolution naturelle et d’estimer le stade de la maladie avant traitement. En effet, un patient jamais traité avec des CD4 de 400 n’est pas «identique» à un patient traité par triple combinaison ayant remonté ces CD4 de 200 à 400 cellules/ml. Sachant qu’au moins 50% des patients traités vont interrompre leur traitement, il est indispensable pour l’assureur potentiel de disposer d’une estimation de l’évolution naturelle. Dans ce contexte, l’expérience montre que les patients suivis dans des centres spécialisés ou par des médecins spécialistes ont des évolutions plus favorables. Conclusions et suggestions Avec les données actuelles, le développement de produit expérimentaux pour personne VIH positif devient une option possible. Une demande sociale existe dans différents pays et devrait être adressée précocément afin que cette évolution puisse prendre place dans un 21 contexte professionnel et constructif. Un manque de réponse à cette demande pourrait évoluer vers la «politisation» du débat et ceci sera probablement au détriment des companies d’assurances. Les études thérapeutiques et l’amélioration de la survie permettraient de considérer une durée contractuelle limitée à 5 ans dans des cas selectionnés. Les informations médicales indispensables avant de considérer une proposition sont les suivantes: histoire clinique précise, si possible dernier test négatif et premier test positif, virémie et CD4 avant traitement, profil des CD4 au cours du temps, combinaison thérapeutique utilisée et médecin-traitant. Dans un premier temps, des individus avec des CD4 supérieurs à 500 et sans histoire d’infection opportuniste devraient être considérés individuellement. Il est essentiel qu’un médecin-conseil avec une expérience dans le domaine soit consulté afin d’acquérir une expérience pour le futur. 22 Maladies infectieuses: une nouvelle menace Prof. Dr med. Werner Zimmerli, FMH Médecine interne et maladies infectieuses, Médecin-chef de la clinique universitaire de l’Hôpital cantonal, 4410 Liestal Jusqu’au début du 20e siècle, les maladies infectieuses étaient de loin la cause la plus fréquente de décès. A la fin des années septante encore, on croyait que ces maladies étaient vaincues. Les mesures prophylactiques et thérapeutiques contre les microorganismes étaient si prometteuses que l’on pensait que les infections allaient perdre de leur importance et de leur caractère effrayant. De cet enthousiasme, il n’est resté que l’élimination de la variole en 1977. Principales causes de décès Le décès par suite de maladies infectieuses est devenu rare dans les pays industrialisés. Alors qu’il y a cent ans, la tuberculose était en Suisse la principale cause de décès, ce sont depuis 60 ans les maladies circulatoires, les maladies tumorales et les accidents/actes de violence qui représentent les trois causes essentielles de décès. Entre 1980 et 1997, cette tendance s’est à nouveau inversée quelque peu. Alors qu’un quart des Suisses – et cela ne constitue pas un changement – meurt des suites de tumeurs, la mortalité due aux Principales causes de décès des 120 dernières années Personnes décédées pour 100 000 habitants 450 400 Maladies cardio-vasculaires 350 Tuberculose 300 250 Cancer 200 150 Mort violente 100 50 Pneumonie Maladies infectieuses à caractère épidémique 1 0 1875 1 1885 1895 1905 1915 1925 1935 1945 Variole, rougeole, scarlatine, diphtérie, coqueluche, typhus 1955 1965 1975 1985 1995 23 affections cardio-circulatoires a régressé de 6,9% pour se situer à 41,4%. Ceci est sans doute imputable aux possibilités multiples et nouvelles en matière de prophylaxie et de thérapie dans le domaine des maladies du cœur et de la circulation. La mortalité en raison de maladies des voies respiratoires et des infections a par contre légèrement augmenté. Cette hausse est certes modeste en valeur absolue, puisqu’elle est de 1,4% pour un total de 7,1% en ce qui concerne les maladies des organes respiratoires et de 0,5% pour un total de 1,2% s’agissant des infections. Ces modifications correspondent toutefois à une hausse relative évidente de 27%, resp. 71%. Cette augmentation n’est pas le fruit du hasard. Pour la plus grande part, il faut en rechercher la cause dans les déficiences immunitaires SIDA qui, en 1995, étaient responsables de 635 décès en Suisse. Comparé au total des cas de décès qui s’élève à 62 839, ceci est certes minime, mais ce sont presque exclusivement des jeunes qui ont été touchés. Au cours des 15 ans qui se sont écoulés depuis son apparition en Suisse, l’infection VIH est devenue en 1995 la deuxième cause de décès la plus fréquente pour la tranche d’âge 25 à 44 ans. Trente-deux hommes sur 100 000 et douze femmes sur 100 000 de cette classe d’âge sont décédés du SIDA. Cette tendance ne s’est inversée à nouveau que depuis la fin des années 90, lorsqu’une Principales causes de décès Causes de décès 1980 en % (100% = 59 097 cas de décès) Causes de décès 1997 en % (100% = 62 839 cas de décès) 4,7% 0,4% 0,7% 1,4% 2,7% 2,7% 3,8% 5,6% Autres Psychique Infections Système nerveux Suicides Métabolisme et sang Appareil digestif Accidents et actes de violence 5,6% Organes respiratoires 5,7% 3,8% 1,2% 3,3% 2,1% 3,3% 3,7% 3,6% 7,1% 24,1% Tumeurs 24,8% 48,3% Cœur-circulation 41,4% Source: Statistique de causes de décès 1980, 1997. Office fédéral de la statistique, Neuchâtel thérapie combinée hautement active et anti-rétrovirale a été disponible. Selon des statistiques américaines aussi, les infections ont augmenté à titre de cause de décès de 1980 à 1992, à savoir de 41 à 65 pour 100 000 habitants. Chez les personnes âgées de 25 à 44 ans, le taux de mortalité due à des infections a même augmenté de 6,3 fois. 24 Maladies infectieuses: une nouvelle menace Vieilles menaces Avant que les antibiotiques ne soient disponibles, nombre d’infections bactériennes étaient mortelles. Alors que certaines infections telles que la sinusite, l’otite moyenne, la pneumonie ou les infections cutanées guérissaient grâce à une défense immunitaire intacte dans la plupart des cas, même en l’absence de substances antimicrobiennes, la méningite, la septicémie ou l’endocardie aiguë finissaient pratiquement toujours, à défaut d’antibiotiques, par entraîner la mort. Antérieurement, le décès était généralement imputable, dans ces maladies, à l’infection incontrôlée. Au contraire, les patients meurent aujourd’hui non plus en raison directe de l’infec- 179,6 226,2 0,9 1,3 5,6 4,2 11,7 7,9 2,6 2,0 0 35,1 20,9 50 78,2 82,6 100 91,7 150 124,8 153,6 200 188,8 250 272,2 266,9 300 Fréquence des cas de décès dus à la tuberculose pour 100 000 habitants 1900 ’10 ’20 ’30 ’40 ’50 ’60 ’70 ’80 ’90 ’97 Source: Office fédéral de la statistique, Neuchâtel tion, mais des suites de leur défense immunitaire incontrôlée. Celleci peut endommager l’organisme de manière irréversible par une inflammation exhubérante. La mortalité liée à la méningite était d’environ 33% il y a 25 ans de cela, en dépit d’antibiotiques efficaces, et aujourd’hui, 15 à 20% des patients meurent encore. L’amélioration est due avant tout à un diagnostic, et donc à une thérapie plus rapides ainsi qu’aux progrès de la médecine intensive («supportive care»). Une réduction analogue de la mortalité a pu être obtenue en cas d’endocardite aiguë. En l’occurrence, l’amélioration est surtout imputable à une thérapie cardio-chirurgicale plus rapide et meilleure (prothèses valvulaires en stade aigu). A l’heure actuelle encore, 40 à 50% des patients meurent d’un choc septique. Ce mauvais pronostic ne s’est pas vraiment amélioré depuis l’introduction des antibiotiques, en dépit de substances toujours meilleures. En cas de septicémie aussi, la majorité des patients décèdent d’une inflammation incontrôlée et non influençable efficacement jusqu’ici (défaillance multiorganique) ou de la maladie de base mais non pas de l’infection elle-même. Aucun des nouveaux concepts de thérapie comme les anticorps anti-endotoxine, les anticytokines ou les récepteurs-cytokine solubles n’a pu réduire de manière significative et reproductible la mortalité élevée. C’est la 25 Le tableau présente les principaux microorganismes nouveaux des 25 dernières années Année Microorganisme Maladie 1975 Parvovirus B19 Anémie aplasique 1976 Cryptosporidium parvum Entérocolite 1977 Virus Ebola Fièvre hémorragique 1977 Legionella pneumophila Pneumonie à legionella 1981 Générateur de toxines S. aureus Syndrome de choc toxique 1982 Escherichia coli 0157:H7 Syndrome hémolytique-urémique, colite hémorragique 1982 Borrelia burgdorferi Borreliose 1983 VIH SIDA 1983 Helicobacter pylori Ulcère duodénal ou gastrique 1988 Humanes Herpesvirus-6 Fièvre de 3 jours des jeunes enfants 1989 Ehrlichia chaffeensis Ehrlichiose humaine 1992 Bartonella henselae Maladie des griffes de chat, angyomatose bacillaire 1993 Virus Sin Nombre Syndrome pulmonaire Hanta 1994 Virus Humanes Herpes-8 Sarcome de Kaposi 1996 Prions Nouvelle variante de la maladie Creutzfeld-Jacob 1997 Influenza A H5N1 Influenza à Hong Kong 1999 Virus Nipah Encéphalite raison pour laquelle, même en cas de septicémie, seuls le diagnostic et l’antibiothérapie plus rapides peuvent apporter une amélioration du pronostic. Contrairement à ces maladies qui enregistrent toujours un haut degré de mortalité, la situation s’est nettement améliorée en ce qui concerne la tuberculose. Au début du siècle, la tuberculose était une maladie très redoutée et très souvent mortelle. Grâce à l’amélioration des conditions sociales (habi- 26 Maladies infectieuses: une nouvelle menace tat, hygiène, alimentation) et depuis les années 50, grâce à la thérapie antimycobactérielle, il a été possible de réduire les cas mortels dus à la tuberculose de 272 à 0,9 pour 100 000 habitants. La tuberculose a de nouveau pris de l’essor à l’échelle mondiale avec l’apparition de la pandémie VIH. En Suisse, cette tendance n’a pas été observée. L’explication de ce phénomène réside dans le fait que la co-infection (avec le VIH et le mycobactérium tuberculosis) est plus rare que dans les pays du tiers-monde ou que dans les grandes villes américaines. Agents pathogènes nouvellement découverts Durant les 25 dernières années, de nombreux nouveaux agents pathogènes ont été découverts et décrits. Quelques-uns d’entre eux ont permis de tirer au clair l’étiologie d’infections connues depuis longtemps (par ex. legionella spp., bartonella henselae), alors que d’autres ont élucidé la cause d’infections nouvellement observées et incomprises (par ex. Human Immunodeficiency Virus) ou de maladies qui jusqu’ici n’étaient pas considérées comme des infections (par ex. helicobacter pylori). Cette longue liste d’agents pathogènes (page 25) nouvellement découverts montre que les maladies infectieuses n’ont rien perdu de leur dangerosité, même au 20e siècle, et que l’on doit encore s’attendre à de nouvelles sur- prises. L’exemple de l’infection VIH montre cependant aussi qu’aujourd’hui, il s’écoule peu d’années entre la reconnaissance d’une nouvelle maladie et la découverte de l’agent pathogène. Nouvelles menaces du fait d’anciens agents pathogènes Hormis les nouveaux agents pathogènes et maladies, ont été observés au cours des dix dernières années d’anciens agents pathogènes également qui, soit apparaissent désormais sous forme épidémique, avec de nouveaux aspects de maladie, soit sont devenus plus dangereux en raison de leur résistance aux antibiotiques. A titre d’exemples de nouvelles épidémies, citons la fièvre hémorragique Ebola, qui a été observée au Zaïre en 1995, ou la diphtérie qui est réapparue en Russie en 1993 en raison de la vaccination insuffisante de la population. A la fin des années 80 et dans les années 90, on a constaté de nouvelles manifestations ou des recrudescences de manifestations mortelles de l’infection par les streptocoques du groupe A, notamment le choc toxique et la streptomyosite. Une nouvelle menace réside également dans les bactéries multirésistantes qui laissent supposer qu’une ère postantibiotique est possible si nous ne manions pas les antibiotiques avec soin. Des exemples de ces agents pathogènes observés à l’échelle mondiale sont les entérocoques résistant à la vancomycine, les pneumocoques résistant à la 27 Causes de nouvelles menaces créées par des maladies infectieuses Facteurs Exemples (maladies / agents pathogènes) Technique médicale plus invasive Infections des cathéters avec entérocoques et staphylocoques résistants Voyages internationaux Choléra en Amérique du nord, dengue Programmes de vaccinations négligés Diphtérie en Russie Antibiotiques dans l’alimentation animale Entérocoques résistant à la vancomycine, campylobacters résistants aux quinolones Comportement sexuel (promiscuité) Infection VIH, gonocoques résistants Construction des grands barrages Fièvre de Rift Valley en Afrique orientale Abus d’antibiotiques Infections avec agents pathogènes multirésistants Transplantation, suppression immunitaire Agents pathogènes opportunistes (par ex. CMV, Pneumocystis carinii) Drogues intraveineuses Infection VIH, HCV, HBV Détention de volailles/porcs dans des espaces restreints Nouveaux virus influenza pénicilline et aux macrolides ainsi que les S. aureus résistant à la méthicilline et finalement à la vancomycine et, par conséquent, à tous les antibiotiques. Causes des nouvelles menaces créées par des maladies infectieuses Pour quelques-uns des nouveaux problèmes mentionnés, il y a des explications et également des solutions potentielles (voir tableau). Quelques-uns des nouveaux problèmes décrits sont le prix payé pour des progrès de la médecine et donc inhérents à la nouvelle tech- nologie. D’autres problèmes sont à résoudre soit par la modification du comportement humain («Safer Sex»), par une amélioration collective de la prescription des antibiotiques, par une retenue dans des projets envahissants sur le plan écologique (lacs d’accumulation, défrichements) ou par des normes étatiques (interdiction d’antibiotiques dans l’engraissement d’animaux). La prise de conscience de la nouvelle menace constituée par les maladies infectieuses est la meilleure protection contre la future croissance de la morbidité et de la mortalité dues aux infections. 28 Chaque hiver, une épidémie de grippe – mais à quand la prochaine pandémie? Prof. Dr sc. nat. Werner Wunderli, Laboratoires centrales de virologie, Genève Introduction Chaque année, la presse consacre de nombreux articles au thème de la grippe. Régulièrement, elle pose également la question de la prochaine pandémie. Le problème présente de nombreux aspects et bien que la science ait fait de grands progrès ces derniers temps, personne ne peut faire des prévisions précises à ce sujet. Si de nombreux phénomènes sont mieux compris, il n’est pas encore possible de les expliquer définitivement. Tout porte à penser que l’apparition d’endémies et de pandémies repose principalement sur des propriétés particulières des virus de la grippe. Epidémies Les épidémies causées par le virus influenza apparaissent chez nous avec une certaine régularité en hiver. En général, on observe des épidémies générées par l’influenza A dans la période de décembre à janvier, alors que les virus influenza B sont le plus actifs durant les mois de février et mars. Mais pourquoi y a-t-il des épidémies? Les raisons de ce phénomène sont essentiellement imputables à quelques caractéristiques spéciales des virus influenza. Ceuxci sont des virus dits ARN, dont le génome est constitué de segments ARN. Lors de la réplication de ces segments de génome ARN, apparaissent des erreurs qui ne sont pas corrigées; autrement dit, des mutations se produisent. Par l’accumulation de telles mutations dans les génomes qui, pour certains, codent des protéines de surface, les virus de la grippe réussissent à modifier constamment leur surface. On observe surtout ces modifications structurelles au niveau de deux protéines de surface, l’hémagglutinine et la neuraminidase. Ces modifications sont dénommées «antigenic drift». Comme les anticorps protecteurs visent avant tout cette protéine, il est aisé de comprendre que par la modification de la surface de ces virus, les anticorps existants, qui circulent, perdent peu à peu de leur efficacité et que les individus ne sont plus suffisamment protégés contre les nouvelles variantes. La transmission des virus de grippe est en outre très facile, car elle s’opère essentiellement par des gouttelettes. Manifestement, les conditions d’une telle transmission sont essentiellement favorables chez nous durant le semestre hivernal, de sorte qu’une propagation épidémique de l’infection peut alors se produire. Pandémies Par contre, les causes de pandémies sont à rechercher dans une autre propriété spéciale du virus de la grippe. Les virus influenza possèdent, comme déjà mentionné, un génome segmenté. En cas d’infections doubles avec deux virus d’origines diverses chez un hôte commun, les segments peuvent être divisés à volonté chez les «successeurs». Ainsi peuvent apparaî- 29 Tableau 1: Résumé des différences essentielles entre les virus influenza épidémiques et pandémiques. Genre de mutation Cause Immunité dans la population Conséquences Virus épidémique Provient d’un virus connu par l’accumulation de mutations («antigenic drift»). Des anticorps à réactions croisées sont présents dans la plus grande part de la population. Taux d’infection différents qui conduisent à des manifestations sporadiques, locales ou régionales de la maladie. Virus pandémique Naît de l’«antigenic shift». Le virus influenza A apparaît avec de l’hémagglutinine et/ou de la neuraminidase inconnues jusqu’ici, dans un hôte commun. Peu ou pas d’immunité dans la population. Normalement, taux élevés d’infection avec forte morbidité et mortalité. tre des virus avec des combinaisons tout à fait nouvelles. Mais d’où proviennent ces virus d’un autre type? Dans le monde animal existe un très grand réservoir de divers types de virus grippaux. Chez les oiseaux surtout, il y a pratiquement tous les types de virus influenza A. Mais les virus ne peuvent pas passer sans autre adaptation d’une espèce à une autre (par ex. du canard à l’homme). Il faut à cet effet une adaptation au nouvel hôte. Diverses observations montrent qu’une telle adaptation est possible dans un hôte commun. Un hôte de ce genre est le porc. Celui-ci peut s’infecter avec des souches qui proviennent des oiseaux et de l’homme. Si une double infection a lieu, l’échange – décrit plus haut – de génomes d’origines différentes est possible. Si, maintenant, se manifestent des virus avec des protéines de surface d’un genre tout nouveau, qui peuvent atteindre les êtres humains, il est aisé de voir qu’il n’y a aucune immunité contre ces virus. On en arrive à une propagation de l’infection à l’échelle mondiale. Cette modification porte le nom d’«antigenic shift». Contrairement à l’«antigenic drift», ce sont là des événements évidemment rares et qui supposent des conditions spéciales. Les pandémies ont lieu irrégulièrement et il n’y a aucun pronostic possible à leur sujet. Cette assertion est également vérifiée par la fréquence des pandémies au cours du siècle passé. 1918, 1957 et 1977 ont connu des pandémies avec des effets très différents. 30 Chaque hiver, une épidémie de grippe – mais à quand la prochaine pandémie? Dans le tableau 1 sont résumées une fois encore les caractéristiques principales des virus qui provoquent des épidémies ou des pandémies. Conséquences d’une maladie grippale Des observations épidémiologiques ont montré que les épidémies, et de façon plus marquée encore les pandémies, entraînent de lourdes conséquences: Taux de décès: les épidémies de grippe et les pandémies ont une influence prouvable sur le nombre des cas de décès. Ce phénomène est appelé «excess mortality». Lors d’une épidémie, ce sont principalement les personnes d’un certain âge et les gens frappés de maladies chroniques qui sont touchés. Cette situation peut cependant, dans l’hypothèse d’une pandémie, se révéler totalement différente et concerner non seulement des gens issus de groupes de risques, mais également des personnes en bonne santé. Morbidité: pendant une épidémie, et bien plus encore en cas de pandémie, un grand nombre de personnes peuvent tomber malades presque en même temps. Il en résulte une charge considérable pour le médecin et l’ensemble du domaine de la santé. Et ce – également – parce que de plus en plus de personnes doivent être hospitalisées en raison de complications. Ceci peut conduire, en cas de pandémie essentiellement, à des crises passagères dans le secteur de la santé, qui sont difficiles à maîtriser. Le fort absentéisme dû à la maladie peut créer des problèmes sérieux pour l’économie et l’approvisionnement, car en cas de pandémie, 20 à 25% de la population peuvent être touchés. Des absences dans une telle proportion entraîneront forcément des difficultés, car le fonctionnement des entreprises ne peut plus être assuré. Prévisions de pandémies Comme déjà mentionné, des vagues de grippe ont lieu à un rythme relativement régulier. Mais l’apparition de souches totalement nouvelles avec des caractéristiques pandémiques n’est pas prévisible. A partir du grand réservoir de virus influenza A que constituent les animaux, il y aura toujours une transmission d’infections d’autres genres, transmission qui touchera également les êtres humains. Les virus pathogènes pour les animaux d’origines différentes sont sans cesse susceptibles d’infecter l’homme. Un exemple typique en a été le virus influenza A H5N1 à Hongkong, qui a pu passer directement des poules à l’homme. Six individus sont morts de cette infection. Heureusement, aucune chance n’a été donnée à ce virus de s’adapter à l’homme, car le réservoir a été détruit en éliminant les poules. Ceci montre à l’évidence qu’une pandémie n’aura lieu qu’à condition que le virus puisse suffisamment 31 Tableau 2: Plan d’action en cas de pandémies Echelon Procédure Echelon 0: mesures préparatoires en trois degrés de priorité Surveillance de l’activité de la grippe à l’échelle planétaire, afin de pouvoir déterminer si un nouveau virus est dangereux. (Cas normal du système de surveillance) Echelon 1: début d’une pandémie Déclaration de la pandémie par la «task force» de l’OMS après que soit établie la preuve qu’un nouveau virus circule et cause des atteintes à la santé Echelon 2: atteintes régionales et interrégionales Coordination des activités de prévention entre les pays, par l’OMS Echelon 3: affaiblissement de la première vague dans les régions initiales et, simultanément, propagation au niveau mondial Coordination des activités de prévention entre les pays, par l’OMS Echelon 4: autres vagues dans un intervalle de 3 à 9 mois Mesures de prévention contre d’autres vagues Echelon 5: fin de la pandémie Déclaration de la fin de la pandémie, par l’OMS (normalement après 2 à 3 ans) s’adapter aux hommes et qu’il commence ainsi à circuler dans la population. Plan d’action en cas de pandémies Pour les motifs mentionnés plus haut, une prévision de la prochaine pandémie est impossible. Le danger de voir se propager très rapidement un virus modifié est cependant très grand, vu l’augmentation constante de la population mondiale et de sa grande mobilité. Les conséquences seraient graves dans un tel cas de figure. Pour cette raison, l’OMS a élaboré un plan d’ac- tion ayant pour but de mieux maîtriser ce genre de situations. Il ne s’agit pas là d’un plan modèle, mais d’un moyen auxiliaire pour les autorités sanitaires nationales. Son but peut être décrit de la manière suivante: Il représente un moyen auxiliaire pour les autorités sanitaires nationales afin que celles-ci puissent élaborer un plan adapté à leurs besoins. Il définit le rôle de l’OMS et des autorités sanitaires en cas de pandémies. Ceci est particulièrement important, car dans cette hypothèse, des 32 Chaque hiver, une épidémie de grippe – mais à quand la prochaine pandémie? problèmes surgissent qui ne peuvent pas se résoudre uniquement au plan national. Le plan doit aider à régler la distribution de vaccins et de médicaments. Ceci surtout parce qu’une pandémie peut conduire à des impasses. Eviter la panique dans la population est un objectif important lié à toutes les mesures. Cela n’est pas une tâche facile car dans ce genre de crises, des réactions de panique se produisent très facilement. Le plan d’action de l’OMS est divisé en diverses phases. Ceci est une nécessité car lorsqu’apparaissent de nouvelles souches, il est très difficile de prédire si la souche en question a le potentiel nécessaire pour déclencher une pandémie. Se fondant sur les recommandations de l’OMS, la Suisse a également élaboré un plan d’action. Sa structure est analogue à celui de l’OMS. Le plan est en ce moment en consultation auprès des divers milieux intéressés. Il poursuit différents buts et doit également aider à mieux maîtriser des situations difficiles. Sous ces objectifs sont rangés les points suivants: Les effets d’une pandémie doivent être réduits par des mesures de prévoyance, ainsi que par des vaccinations ciblées de groupes de personnes ou de patients. Il est donc important que déjà dans des situations épidémiques, on attache une grande importance à la prévention, surtout en ce qui concerne des groupes à risques. Il s’agit de diminuer la morbidité grâce à une vaccination en masse. Celle-ci nécessite cependant de disposer à temps des vaccins en quantité suffisante. Le plan doit également régler les crises passagères dans le domaine de la santé. En effet, le grand nombre de maladies peut créer une surcharge totale de certains services sanitaires et ceux-ci peuvent donc se retrouver bloqués. L’approvisionnement de base de la population doit être garanti. Suite à une vague de maladies, il se peut que les services publics ne puissent plus fonctionner qu’en partie. Le plan doit parer à cette situation par des mesures appropriées. Garantie de la sécurité. Il est absolument évident que tous les problèmes ne sauraient être réglés par avance. Le paquet de mesures entend cependant donner aussi des pistes de réflexion, afin que des découvertes relativement récentes puissent être intégrées également. Vaccination et possibilités de traitement Dans tous les plans, une grande importance est attachée à la prévention sous forme de vaccination 33 contre la grippe. Divers travaux et études, entrepris surtout aux USA, ont clairement montré qu’une vaccination antigrippale est efficace et qu’elle est essentiellement en mesure de réduire drastiquement le taux de complications. En premier lieu, c’est le nombre des cas de grippe à évolution difficile qui est réduit très considérablement, d’où une décharge déterminante pour le domaine de la santé. Les absences au travail sont également moindres du fait de la vaccination à titre préventif. De ce point de vue, le vaccin est la solution avantageuse, même si un rappel doit être effectué chaque année. Il y a aujourd’hui divers types de vaccins qui, sous l’angle de leur efficacité, présentent des résultats comparables. On distingue les types suivants: Vaccins parentéraux: «Split vaccines» sont des vaccins qui contiennent un virus fragmenté. «Subunit vaccines» sont des vaccins contenant des protéines de surface du virus qui ont été purifiées. Les vaccins virosomaux contiennent des protéines de surface purifiées, intégrées dans des liposomes. Vaccin nasal: Vaccin par application nasale, qui contient les protéines virales sous forme de liposomes. Comme cela a déjà été évoqué plus haut, les divers vaccins sont comparables du point de vue de leur efficacité. Par contre, ils présentent certaines différences en ce qui concerne les effets secondaires. En cas de pandémie, il y aura toujours une phase durant laquelle aucun vaccin ne sera disponible. Les nouveaux médicaments (inhibiteurs de la neuraminidase), arrivés il y a peu sur le marché, permettront de traiter spécifiquement la maladie grippale. Mais ceci à condition que le traitement commence dans les 48 heures après l’apparition des premiers symptômes. L’efficacité de ces médicaments a pu être prouvée cliniquement dans diverses études. C’est principalement la durée de la maladie, l’absence au travail, la fréquence des complications et le taux des infections secondaires qui sont réduits. Un des médicaments peut aussi être utilisé à titre préventif. Les inhibiteurs de neuraminidase ne remplacent pas la vaccination, mais aident dans certaines situations spéciales, ainsi dans des EMS lorsque des cas se déclarent et que l’on veut protéger d’autres résidents. Cependant, la protection ne dure qu’aussi longtemps que le médicament est administré. Problèmes En dépit d’une planification minutieuse, il est impossible de régler à l’avance, et à satisfaction, certains problèmes. Il ne sera pas aisé non plus d’éviter tout mouvement de panique. Ceci essentiellement pour les raisons suivantes: 34 Chaque hiver, une épidémie de grippe – mais à quand la prochaine pandémie? Les fabricants de vaccins ne peuvent, pour des motifs d’ordre technique, fournir sur le marché des vaccins en quantité suffisante qu’avec un retard de 4 à 6 mois. En effet, la production ne peut commencer que lorsque le feu vert a été donné pour la production de la souche. Durant ce laps de temps, il n’est donc pas possible de protéger des personnes de manière ciblée par une vaccination. C’est pourquoi cette période de transition doit faire l’objet d’un recourt à d’autres moyens, par ex. à de nouveaux médicaments. Toutefois, lorsque leur utilisation n’a pas été prévue à l’avance, ils ne sont pas non plus disponibles en quantité suffisante dans les cas d’urgence, pour couvrir le besoin qui augmente vertigineusement à l’échelle planétaire. Si l’on veut être armé pour faire face à une telle situation, il y a encore bien à faire. Le but est d’avoir sur le moment un instrument efficace, car dans notre système, tout ne fonctionnera plus comme d’habitude. 35 Le cas pratique Proposition Un coiffeur indépendant, 37 ans, marié, nous a proposé l’assurance vie avec âge-terme à 65 ans: Assurance-mixte de 144 000 CHF, en cas de décès ou de vie. Rente annuelle en cas d’incapacité de gain de 12 000 CHF avec un délai d’attente de 24 mois. Libération du paiement des primes en cas d’incapacité de gain avec délai d’attente de 24 mois pour tout le contrat. Il ressortait de la déclaration de santé, que ce coiffeur avait séjourné à l’hôpital il y a trois ans pour une hernie discale. A l’heure actuelle, le traitement des douleurs vertébrale est terminé et tout est en ordre. Le proposant mesure 172 cm et pèse 65 kg. Appréciation du point de vue médico-actuariel Pour nous, le problème de la colonne vertébrale passe maintenant au second plan. Ce qui nous importe avant tout, c’est d’évaluer les suites éventuelles d’une hépatite virale C (HCV), du point de vue de l’assureur. En outre, il s’agissait dans ce cas d’une violation évidente de l’obligation de déclarer de la part du proposant. Comme dans ce dossier, l’hépatite C chronique agressive avait été confirmée par une biopsie de foie, nous avons admis que le cas finirait très vraisemblablement, pendant la durée du contrat de 28 ans, en une cirrhose du foie ou en carcinome hépatocellulaire (HCC); ceci étant, nous avons dû refuser cette proposition. Constat médical Après cette auto-déclaration, nous avons demandé des informations supplémentaires au sujet de la colonne vertébrale, au moyen d’un questionnaire médical et de questions spéciales adressées au médecin-traitant. S’agissant du syndrome lomboradiculaire avec hernie discale médiane L4/5, une amélioration a pu être obtenue au moyen d’un traitement conservateur. Mais nous avons pu découvrir en même temps, incidemment, une hépatite C chronique agressive peu active, confirmée par une biopsie hépatique. Le patient n’a pas réagi à un essai de traitement à l’Interféron. Commentaire Avec l’infection par l’HCV, nous avons affaire à une grave maladie avec, éventuellement, des conséquences notables sur la tarification dans le domaine de l’assurance vie. Depuis 1990, tous les donneurs de sang sont régulièrement testés au sujet des anticorps hépatite-C, et les nouvelles infections sont en net recul. Aujourd’hui, la contamination a lieu par des seringues infectées et par des contacts sexuels non protégés, avec des partenaires qui changent fréquemment. La campagne «safer-sex» et la distribution de seringues stériles sont à l’heure actuelle les mesures de prévention primaires les plus importantes. Peter Suter, Winterthur 36 Le cas pratique Les infections HCV évoluent le plus souvent de façon inaperçue sur le plan clinique ou sont accompagnées de symptômes non spécifiques. Seul un quart de tous les cas d’infections présente l’aspect clinique d’une hépatite virale. C’est précisément dans cette évolution «muette» de la majorité des maladies que réside d’une part la difficulté de base d’une évaluation exacte des suites à long terme de l’hépatite C. D’autre part, il en résulte pour l’assureur un potentiel général de risques, car de nombreux proposants ne sont pas du tout conscients de leur infection HCV. Conclusion Dans quelle mesure notre décision était correcte dans le cas d’espèce est impossible à vérifier après coup au moyen d’un contrôle de l’évolution, car un proposant qui n’a pas été accepté ne se trouve plus dans notre portefeuille d’assurés et nous ne recevons donc pas de nouvelles informations à son sujet. Schweizerischer Versicherungsverband Association Suisse d’Assurances Associazione Svizzera d’Assicurazioni