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avec Sieyès et ses partisans et qu'il partageait largement leurs vues1. A
partir du 18 brumaire, Fichte prend position contre Bonaparte2, dont les
tendances despotiques commencent alors àse dessiner et qui atteignent leur
pleine mesure avec le couronnement de 1804. Pour Fichte comme pour
Perret, Bonaparte est l'homme qui atrahi les idéaux de la Révolution; et
c'est là l'origine de la résistance de Fichte contre Napoléon.
Wilhelm Kalisch, qui aconnu personnellement Fichte dans les années
de l'insurrection, dira plus tard de lui qu'il «intervenait de façon lucide et
active sur l'histoire de son temps, travaillant àpréparer l'avenir au point
limite où, selon lui, science et expérience se rencontrent [...]. Réunissant
ces deux mondes avec le regard du visionnaire, il avait, dans le Caractère
de l'époque actuelle, qualifié celle-ci d'époque de l'égoïsme achevé et
prédit la nécessité du naufrage qui l'attendait»3. Il est certain que, dans le
Caractère de l'époque actuelle, Fichte avait déjà l'attention fixée sur le
bourreau de la Révolution, même s'il ne le mentionne pas nommément. La
situation connut une aggravation dramatique lorsque, après la victoire sur
l'Autriche (1805) et l'alliance avec la Prusse (1806) -qui entraîna, de son
côté, la dissolution du Saint Empire (également en 1806) -, Napoléon entra
en guerre et terrassa la Prusse dans les batailles de léna et d'Auerstedt.
Dès lors il ne s'agissait plus, pour Fichte, d'entreprendre une simple
interprétation de l'histoire, mais d'influer activement sur son cours. Il
cherche d'abord àdevenir prédicateur de l'armée, mais sa demande est
rejetée par le roi de Prusse. Et lorsqu'en 1807, après la fuite àKönigsberg
via Copenhague, il retourne àBerlin, c'est àses propres risques et périls
que, dans cette ville occupée par les Français, il expose les Discours àla
nation allemande, avec la puissance et l'énergie spirituelles d'un prophète.
Pour Fichte, un tel engagement était compatible avec ses convictions
scientifiques, parce qu'il conçoit la philosophie comme une connaissance
du tout de la réalité, dans le système uniquement de ses principes, et ce
système, pour des raisons qui lui sont internes, doit nécessairement être
complété par l'histoire concrète de la liberté et sa réalisation. La vision
d'un idéal àréaliser hic et nunc, qui est la tâche de celui qui détermine
l'histoire, ne repose nullement, selon les propres déclarations de Fichte,
«sur une démonstration par concepts».
Les concepts peuvent certes éclaircir la question, mais sont impuissants à
nous renseigner sur l'existence ou la valeur effective d'une chose, dont chacun ne
peut avoir connaissance que par expérience personnelle directe. Des millions de
gens peuvent dire, dans un cas comme le nôtre, que tout cela n'existe pas. mais en
1Cf. GA II. 6, 258; III. 2. 131-132. 183-184; III. 4. 34. 38. 124. 139. 141.
2Cf. Fichte im Gespräch, ed. Erich Fuchs, Stuttgart, àpartir de 1987, I, 418;
II, 3.
3National-Zeitung, Berlin, 1862. premier supplément du 21 mai.