Pathologies Risque de cancer après exposition aux rayonnements ionisants au cours d’examens par scanner durant l’enfance Période : avril 2013 à août 2013 Hélène BAYSSON | [email protected] IRSN - PRP-HOM – Laboratoire d’épidémiologie – 92260 Fontenay-aux-Roses – France Mots clés : Cancer, Radiations ionisantes, Scanner L’utilisation du scanner ou tomodensitométrie en pédiatrie s’est fortement développée au cours des dernières décennies dans la plupart des pays développés. C’est maintenant un outil diagnostique très utilisé dans l’évaluation de diverses pathologies chez l’enfant (détection et surveillance de cancers, traumatismes et inflammation). Mais le scanner délivre des doses de rayonnements ionisants dix à cent fois plus élevées que la radiologie conventionnelle. Une attention particulière est apportée en pédiatrie en raison d’une radiosensibilité accrue par rapport à celle des adultes, et une espérance de vie plus longue pour le risque de développement d’un cancer. S’agissant de risque de cancers attendus très faible, seules des études épidémiologiques portant sur des effectifs importants pourront les mettre en évidence. Cette note vise à présenter deux études qui ont étudié l’impact d’une exposition médicale aux radiations ionisantes dans l’enfance sur la survenue de cancer. L’article de Mathews et coll. présente les premiers résultats de l’étude australienne issue de 11 millions de personnes exposées ou non exposées aux rayonnements ionisants résultant d’examens diagnostiques par scanographie, et la survenue de cancer. L’article de Miglioretti et coll. présente quant à lui, une estimation du nombre de cancers attribuables en considérant les 4 millions d’examens scanners pédiatriques réalisés chaque année aux États-Unis. Risque de cancer parmi 680 000 personnes exposées à un scanner pendant l’enfance ou l’adolescence en Australie Mathews JD, Forsythe AV, Brady Z, Butler MW, Goergen SK, Byrnes GB, Giles GG, Wallace AB, Anderson PR, Guiver TA, McGale P, Cain TM, Dowty JG, Bickerstaffe AC, Darby SC. Cancer risk in 680 000 people exposed to computed tomography scans in childhood or adolescence : data linkage study of 11 million Australians. BMJ 2013;346:f2360. Résumé Afin d’étudier la survenue de cancers après exposition aux scanners pendant l’enfance ou l’adolescence, près de 11 millions d’individus ont été inclus dans cette étude. L’inclusion des individus âgés de moins de 19 ans au 01/01/1985 ou nés entre le 01/01/1985 et le 31/12/2005 a été réalisée à partir des données du régime australien d›assurance maladie universelle Medicare. L’incidence de cancers observée dans le groupe des individus exposés à au moins un scanner a été comparée à celle observée dans le groupe des individus « non exposés ». Les examens par scanographie financés par Medicare sur la période 1985-2005 ont été pris en compte. Les cas de cancers diagnostiqués ont été identifiés grâce au registre national de cancers. La durée moyenne de suivi après exposition était de neuf ans et demi. Au total, dans le groupe des 680 211 individus exposés, 866 580 examens par scanographie ont été comptabilisés sur la période 1985-2005, dont 59 % étaient des examens par scanographie du crâne. À la date de point (fixée au 31/12/2007), 57 524 diagnostics de cancer (tous types de cancer ou leucémie) étaient enregistrés parmi les individus non exposés au scanner et 3 150 diagnostics de cancer parmi les exposés. Ainsi 608 cas en excès ont été recensés chez les exposés par rapport au nombre attendu chez les individus non exposés, après prise en compte d’une période de latence d’un an entre l’examen par scanner et le diagnostic de cancer. Le rapport des taux d’incidence entre les individus exposés et non-exposés était alors de 1,24 (IC95 % = [1,20 ; 1,29]), après stratification sur l’âge, le sexe et l’année de naissance. Des associations significatives étaient observées entre l’exposition à au moins un scanner et l’apparition de cancers du cerveau, d’organes digestifs, des tissus mous, d’organes génitaux féminins, des voies urinaires, de la thyroïde, ainsi que des mélanomes, et des hémopathies telles que des lymphomes d’Hodgkin, des tumeurs lymphoïde autres que les lymphomes, des leucémies (sauf lymphoïde) et des myélodysplasies. Pour les leucémies et myélodysplasies, les auteurs estimaient un excès de risque relatif (ERR) par mGy de 0,039 [0,014 - 0,070], quelle que soit la zone anatomique explorée et en considérant une période de latence de 1 an. Pour les tumeurs cérébrales, ils estimaient un ERR par mGy de 0,021 [0,014 - 0,029] après un examen du cerveau et en considérant une période de latence de 5 ans. Enfin, il est à noter que le risque était plus élevé chez les filles, qu’il augmentait avec le nombre d’examens par scanner réalisés et lorsque ceux-ci avaient eu lieu aux âges les plus jeunes. Anses • Bulletin de veille scientifique n° 22 • Santé / Environnement / Travail • Décembre 2013 60 Risque de cancer après exposition aux rayonnements ionisants au cours d’examens par scanner durant l’enfance Hélène BAYSSON Commentaire Cette étude australienne sur la survenue de cancer après exposition aux radiations ionisantes par scanographie durant l’enfance ou l’adolescence montre un excès de risque de cancer, notamment de leucémies et de tumeurs cérébrales. Les estimations de risque obtenues sont concordantes avec celles publiées par Pearce en 2012 (1). Pour les leucémies et myélodysplasies, l’excès de risque relatif (ERR) par mGy était alors de 0,036 [0,005 - 0,120]. Pour les tumeurs cérébrales, l’ERR par mGy était alors de 0,023 [0,007 - 0,026] après un examen du cerveau. Les résultats obtenus demandent cependant à être confirmés. En effet, les données de l’étude australienne n’ont pas permis de prendre en compte un certain nombre de facteurs de confusion, en particulier la nature de la pathologie ayant nécessité un examen par scanographie, pathologie pouvant être associée à un risque accru de cancer. On peut aussi noter une durée de suivi relativement courte (moins de 10 ans en moyenne) et un âge en fin de suivi jeune puisque l’âge atteint maximum est de 41 ans. Or certains cancers peuvent survenir 30 à 40 années après l’exposition. Une autre limite de cette étude réside dans la difficulté pour les auteurs à reconstituer la dose reçue. Aucune information individuelle concernant les doses n’était connue : les calculs de doses ont été réalisés à partir d’estimations de dose efficace moyenne faisant l’objet de consensus et publiées dans la littérature nationale et internationale. De ce fait, l’analyse de la relation dose-effet reste limitée et les analyses principales n’ont pas pris en compte les doses cumulées aux organes. Le projet européen EPI-CT1, qui intègre la cohorte britannique, la cohorte française ainsi que sept autres cohortes européennes, permettra d’analyser l’incidence de cancers parmi un million d’enfants ayant bénéficié d’examens par scanographie. Les premiers résultats sont attendus à l’horizon 2016. Le projet EPI-CT se focalise particulièrement sur l’estimation précise des doses reçues au niveau individuel (2). Estimation du risque de cancer associé à l’exposition aux rayonnements ionisants au cours des examens par scanner en pédiatrie Miglioretti DL, Johnson E, Williams Andrew, Greenlee RT, Weinmann S, Solberg L, Feigelson HS, Robin D, Flynn MJ, Vanneman N, SmithBindman R. The use of computed tomography in pediatrics and the associated radiation exposure and estimated cancer risk. JAMA Pediatr 2013;167(8):700-7. Résumé Afin d’étudier l’évolution dans le temps du nombre de scanners réalisés en pédiatrie et d’estimer le nombre de cancers attribuables à l’exposition aux radiations ionisantes qui en résulte, la totalité des scanners réalisés chez des enfants de moins de 15 ans entre 1996 et 2010 issus de six systèmes de santé américains, soit près de 4,85 millions d’enfants-année ont été étudiés. Jusqu’en 2005, le nombre d’examens par scanners Pathologies réalisé a doublé pour les enfants âgés de moins de cinq ans et a triplé pour les enfants âgés de cinq à 14 ans. Après une stagnation en 2005-2007, ce nombre a commencé à décliner à partir de 2007. Entre 1996 et 2010 les scanners les plus réalisés ont été ceux de la tête dont le nombre a doublé, suivis des scanners abdominopelviens qui ont quintuplé chez les enfants âgés de cinq à 14 ans. Les doses à l’organe ont été calculées pour 744 examens scanners pédiatriques de la tête, de la poitrine, de l’abdomen et de la colonne vertébrale, réalisés entre 2001 et 2011. Les résultats montrent une large variation des doses délivrées selon le type de localisation. En se basant sur les modèles issus des études portant sur les survivants d’Hiroshima et Nagazaki (3) et ceux publiés par Berrington de Gonzalez en 2009 (4), les auteurs estiment un nombre de cas de cancers solides attribuables aux scanners plus élevé pour les patients jeunes et pour les filles comparativement aux patients plus âgés et aux garçons. Ils estiment un nombre de cas de leucémies attribuables plus élevé pour les patients de moins de cinq ans ayant eu un scanner de la tête. Les auteurs estiment que 4 870 futurs cas de cancers (intervalle de confiance à 95 % = [2 640 – 9 080]) pourraient être induits par les 4,2 millions d’examens par scanner pédiatriques réalisés chaque année aux États-Unis. En réduisant les doses se situant dans le quartile le plus élevé, les auteurs estiment que 43 % de ces 4 870 cancers pourraient être évités. Cette réduction est de 33 % en limitant d’un tiers le nombre de scanners réalisés. En combinant ces deux stratégies (réduction des doses et limitation du nombre de scanners), les auteurs estiment que 62 % de ces cancers seraient évités. Commentaire Des évaluations de risque avaient déjà montré que l’exposition aux radiations ionisantes au cours d’examens scanners réalisés durant l’enfance pouvait être associée à une augmentation du risque de cancer à long terme (5). Cette étude aboutit à une estimation du nombre de cancers attribuables plus élevée que celle publiée par Berrington de Gonzalez en 2009 (4) qui estimait à 4 350 cas de cancers attribuables aux examens scanners réalisés chaque année aux États-Unis. Cependant, dans l’étude publiée par Berrington de Gonzalez, la variabilité autour de la dose n’était pas prise en compte. Dans l’analyse de Miglioretti et coll., les paramètres techniques ont été relevés pour différentes installations et machines afin d’estimer une distribution des doses à l’organe, et en tenant compte également de la taille et du sexe du patient. Les estimations de risque obtenues sont néanmoins basées sur les modèles de risque établis à partir des données du suivi des survivants de Hiroshima-Nagasaki, avec toutes les incertitudes que cela implique quant à leur transposition sur d’autres populations. Cependant, les résultats obtenus par Miglioretti et coll., montrent clairement l’impact positif des stratégies visant à réduire les doses et le nombre des examens radiologiques dans l’enfance, en respectant notamment le principe ALARA2 en imagerie pédiatrique. Anses • Bulletin de veille scientifique n° 22 • Santé / Environnement / Travail • Décembre 2013 61 Pathologies Risque de cancer après exposition aux rayonnements ionisants au cours d’examens par scanner durant l’enfance Hélène BAYSSON Conclusion générale General conclusion Parmi les examens utilisant les rayonnements ionisants à des fins diagnostiques, la scanographie, plus irradiante que l’imagerie conventionnelle, est de plus en plus utilisée, notamment chez les enfants. Ces derniers présentent une radiosensibilité plus importante que les adultes. Ils ont également une espérance de vie plus longue et donc plus d’années à risque de développer un cancer. Dans une perspective de santé publique, les scientifiques s’interrogent sur un possible risque de développer un cancer chez des personnes ayant bénéficié d’examens diagnostiques par scanographie durant l’enfance. Une première étude publiée par Pearce en 2012 (1) avait montré une augmentation significative du risque de cancer du cerveau et de leucémie chez les enfants exposés à plusieurs scanners. Cette deuxième grande étude publiée par Mathews et coll. sur le risque de développer un cancer après des examens par scanographie montre à nouveau un excès de cancer, notamment chez les filles et les jeunes enfants, lié à une augmentation du nombre de ces examens. Malgré les bénéfices indéniables apportés par les examens par scanographie, la poursuite des efforts pour réduire les doses reçues et le nombre des examens radiologiques réalisés dans l’enfance reste essentielle. Le principe ALARA2 (As Low As Reasonably Achievable), devrait être mis en œuvre en imagerie pédiatrique. Ainsi, les estimations calculées par Miglioretti et coll. montrent que réduire les doses les plus élevées par examen, permettrait de prévenir plus de la moitié des cas de cancers attribuables aux examens scanners pédiatriques réalisés annuellement aux États-Unis. Among examinations using ionizing radiation for diagnostic purposes, CT scans, more irradiant than conventional imaging are increasingly used, especially in pediatrics. This is especially concerning for children because they have a higher radiosensitivity than adults. They also have a longer life expectancy and therefore more years at risk of developing cancer. The first study published by M. Pearce in 2012 (1) showed a significant increased risk of brain cancer and leukeamia in children exposed to several scanners. This second major study by Mathews et al. shows an excess risk of any cancer, including leukemia and brain tumors after examinations by CT. Despite the undeniable benefits of the CT examinations, continuing efforts to reduce the doses and the number of radiological examinations in childhood is essential, under, in particular, the ALARA principle to be implemented in pediatric imaging. The risk assessment published by Miglioretti et al. shows that reducing the highest 25 % of doses could reduce by 43 % the number of cancers induced by annual paediatrics exams performed in the USA. Lexique (1)EPICT : Le projet européen EPICT (Epidemiological Study to Quantify Risks for Paediatric Computerized Tomography and to Optimise Doses) implique neuf pays et vise à analyser le risque de cancer associé aux scanners pédiatriques au sein d’une cohorte de près d’un million d’enfants (http://epi-ct. iarc.fr/) (2) ALARA : As Low As Reasonably Achievable Publications de référence (1) Pearce MS, Salotti JA, Little MP, et al. Radiation exposure from CT scans in childhood and subsequent risk of leukaemia and brain tumours: a retrospective cohort study. Lancet 2012;380(9840):499-505. (2) Thierry-Chef I, Dabin J, Friberg EG, et al. Assessing organ doses from paediatric CT scans. A novel approach for an epidemiology study (the EPI-CT study). Int J Environ Res Public Health 2013;10(2):717-28. (3) Berrigton de Gonzalez A, Malash M, Kim K. Projected Cancer Risks From Computed Tomographic Scans Performed in the United States in 2007. Arch Intern Med 2009;169(22):2071-7. (4) Committee to Assess Health Risks from Exposure to Low Levels of Ionizing Radiation, National Research Council. Health Risks From Exposure to Low Levels of Ionizing Radiation: BEIR VII—Phase 2. Washington, DC: National Academies Press; 2005. (5) Brenner D, Elliston C, et al. Estimated risks of radiationinduced fatal cancer from pediatric CT. AJR Am J Roentgenol 2001;176(2):289-96. Anses • Bulletin de veille scientifique n° 22 • Santé / Environnement / Travail • Décembre 2013 62 Risque de cancer après exposition aux rayonnements ionisants au cours d’examens par scanner durant l’enfance Hélène BAYSSON Pathologies Autres publications identifiées Zondervan RL, Hahn PF, Sadow CA, et al. Body CT scanning in young adults: examination indications, patient outcomes, and risk of radiation-induced cancer. Radiology 2013;267(2):460-9 Ma S, Kong B, Liu B, et al. Biological effects of low-dose radiation from computed tomography scanning. Int J Radiat Biol 2013;89(5):326-33. Devries A, Young PC, Wall E, et al. CT scan utilization patterns in pediatric patients with recurrent headache. Pediatrics 2013;132(1):e1-8. Conflits d’intérêts Les auteurs déclarent : n’avoir aucun conflit d’intérêts ; avoir un ou plusieurs conflits d’intérêts. Anses • Bulletin de veille scientifique n° 22 • Santé / Environnement / Travail • Décembre 2013 63