Deuxième partie Pathologies mammaires et cancer du sein TABLE DES MATIÈRES Mammectomies sous-cutanées et reconstruction mammaire immédiate : indications et résultats ................................................ 137 G. BODY, L. OULDAMER (Tours) Quelles sont les patientes pouvant bénéficier d’un traitement anti-hormonal au-delà de 5 ans ? .................................................... 161 E. CHÉREAU, R. ROUZIER, J. GLIGOROV, S. ZILBERMAN, C. BEZU, S. UZAN, E. DARAÏ (Paris, Marseille) Discordance du statut HER entre tumeur primitive et métastases : implications thérapeutiques .......................................... 175 C. DUBOT, F. SELLE, J. GLIGOROV, A. KHALIL, J.P. LOTZ (Paris) Tumeurs triple négatives du sein : facteurs pronostiques et prédictifs .................................................................................................. 187 S. ZILBERMAN, M. BALLESTER, C. BEZU, E. DARAÏ, R. ROUZIER (Paris) Classification moléculaire (Oncotype DX). Quand y avoir recours ? Résultats, coût et implications thérapeutiques .............. 209 Y. DELPECH, G. BOUSQUET, J.P. BROULAND, E. BARRANGER (Paris) Place de la radiothérapie postopératoire après mastectomie pour adénocarcinome mammaire pN0 ............................................ 221 E. TOUBOUL *, F. HUGUET, L. MONNIER, S. HABERER, C. DELIMANN, E. BAMOGHO, F. DELUEN (Paris) 7 Les néoplasies lobulaires : lesquelles opérer ? .............................. 237 C. BEZU, S. ZILBERMAN, E. CHÉREAU-EWALD, R. ROUZIER, E. DARAÏ, S. UZAN (Paris, Marseille) Quelles indications aux analogues de la GnRH en situation non métastatique ? ................................................................................ 247 C. MATHELIN, J. OHL, C.Y. AKLADIOS (Strasbourg, Schiltigheim) Place des thérapies antiangiogéniques dans le cancer du sein .. 263 I. DESMOULINS, S. GUIU, B. COUDERT, P. FUMOLEAU (Dijon) La mammoscintigraphie à l’aide d’une caméra dédiée................ 285 I. THOMASSIN-NAGGARA, J. CHOPIER, S. BALOGOVA, P. CHAUCHAT, V. NATAF, J.N. TALBOT (Paris) Une nouvelle technique d’exploration du sein : la tomosynthèse ...................................................................................... 297 N. PERROT, C. RIBEIRO-CREUZE, I. THOMASSIN-NAGARRA (Paris) Actualités sur les tumeurs phyllodes du sein non métastatiques .......................................................................................... 307 M.C. VOLTZENLOGEL, L. VANDENBROUCKE, V. LAVOUÉ, A. KIANI, P. TAS, F. FOUCHER, J. LEVÊQUE (Rennes) Prise en charge des papillomes.......................................................... 325 A. KANE, E. VINCENS, C. FREY, C. DEHGHANI, D. SALET LIZÉE, P. GADONNEIX, R. VILLET (Paris) One Step Nucleic Acid Amplification (OSNA) pour l’analyse des ganglions sentinelles des patientes opérées d’un cancer du sein. Expérience du CRLCC Eugène Marquis ........................................ 343 F. GODEY, J. LEVÊQUE, P. TAS, G. GANDON, P. POREE, H. MESBAH, V. LAVOUÉ, V. QUILLIEN, C. BENDAVID ATHIAS (Rennes) Index des matières (2002-2011) .................................................... 621 Index des auteurs (2002-2011) ...................................................... 627 Tableau des niveaux de preuve et grades selon la HAS ........ 8 3 COLLÈGE NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS Président : Professeur F. Puech Deuxième partie Pathologies mammaires et cancer du sein 36ES JOURNÉES NATIONALES Paris, 2012 135 Mammectomies sous-cutanées et reconstruction mammaire immédiate : indications et résultats G. BODY *, L. OULDAMER (Tours) Résumé La chirurgie prophylactique mammaire, abordée ici sous l’angle des femmes présentant une prédisposition génétique, concerne deux types de patientes : d’une part les femmes mutées indemnes de cancer du sein, pour lesquelles la chirurgie peut être considérée comme une « vraie » prophylaxie ; d’autre part les femmes mutées non indemnes, déjà atteintes d’un cancer du sein, pour lesquelles le rôle de la chirurgie dite prophylactique est plus complexe. Les deux principaux types de mammectomie réalisée dans ce cadre sont la mammectomie avec conservation de l’étui cutané (skin sparing mastectomy) et la mammectomie avec conservation de l’étui cutané et de la PAM (nipple sparing mastectomy). Le type de reconstruction le plus couramment utilisé repose sur les implants prothétiques. L’utilisation des lambeaux libres reste rare, restant une option possible pour le choix d’une reconstruction bilatérale, essentiellement chez les patientes ayant une exigence esthétique très importante et/ou refusant la perspective de corps étrangers prothétiques. La mammectomie CHRU - Hôpital Bretonneau - Centre Olympe de Gouges - Pôle de gynécologieobstétrique, médecine fœtale, reproduction et génétique - Boulevard Tonnellé 37044 Tours cédex 01 * Correspondance : [email protected] 137 BODY & OULDAMER bilatérale prophylactique reste la mesure la plus efficace de prévention du risque de cancer du sein chez une femme indemne de cancer du sein porteuse d’une mutation BRCA1/2. Par contre, pour ce qui est de la mammectomie controlatérale prophylactique, il n’existe pas de preuve qu’elle permette une réduction du risque de décès, ce qui pourrait faire considérer celle-ci comme une « fausse » chirurgie mammaire prophylactique. Dans tous les cas les indications doivent être bien posées, en dehors de tout contexte d’urgence, après concertation pluridisciplinaire, la place du chirurgien et de l’onco-généticien étant essentielle ; le rôle de la patiente, après avoir reçu une information complète et, le cas échéant, avoir bénéficié d’une préparation psychologique adaptée, est primordiale, car dans tous les cas la décision finale relève de son choix personnel. Mots clés : chirurgie prophylactique, cancer du sein, reconstruction mammaire Déclaration publique d’intérêt Je déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION La question soulevée ici est celle de la mammectomie bilatérale, qu’elle soit d’emblée bilatérale, et dans ce cas le plus souvent prophylactique (MBP), ou qu’il s’agisse d’une mammectomie controlatérale prophylactique (MCP) chez une femme ayant ou ayant eu un cancer du sein. Cette chirurgie prophylactique, radicale et mutilante, connaît aux États-Unis un développement considérable sur lequel il est légitime de s’interroger. Concernant la MBP, le nombre croissant de familles mutées dépistées a multiplié les indications de la chirurgie prophylactique. Malgré l’amélioration de la surveillance grâce à la résonance magnétique nucléaire (IRM) tous les 6 mois, celle-ci ne permet pas de réduire le risque d’apparition d’un cancer du sein souvent grave chez des 138 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS femmes jeunes. Les données récentes qui font état d’une réduction de l’ordre de 95 % du risque de cancer du sein pour les femmes bénéficiant d’une chirurgie prophylactique ont entraîné une multiplication des indications de la chirurgie prophylactique. Pour ce qui est de la MCP, dans la base de données du Surveillance, Epidemiology, and End Results (SEER) Cancer Registry comportant 142 755 femmes traitées chirurgicalement pour un cancer du sein de stades I à III, on observe une augmentation du taux de MCP de plus de 150 % entre 1998 et 2003 [1]. Selon Arrington [2], 55,9 % des femmes qui subissent une mammectomie pour cancer du sein entre 2006 et 2007 choisissent une MCP. Pour Jones [3], le pourcentage de femmes optant pour la MCP est passé de 6 ,5 % en 1997 à 16,1 % en 2007. Cette tendance observée outre-Atlantique ne semble pas atteindre l’Europe : une étude multicentrique compare les pratiques entre les pays américains et européens : dans une population de 927 femmes mutées BRCA1 ou 2 traitées pour un cancer du sein unilatéral, 253 (27,3 %) ont subi une MCP. Les taux de MCP sont très différents selon les pays : 28 % au Canada et 49,3 % aux États-Unis, contre 0 % en Norvège, 4,4 % en Pologne, 5,9 % en Italie, 10 % en France et 15,8 % en Autriche [4]. Une autre étude confirme cette approche différente entre le continent nord-américain et l’Europe : dans une étude suisse [5] portant sur 881 patientes d’âge ≤ 80 ans, opérées pour un cancer du sein de stades I à III entre 1995 et 2009, traitées par chirurgie conservatrice dans 62,5 % des cas et par mammectomie dans 37,5 %, une MCP n’a été pratiquée que 23 fois soit 2,6 % sur l’ensemble de la population étudiée (7,0 % dans le groupe des patientes traitées par mammectomie), sans changement de la tendance au cours de la période étudiée. Pour expliquer ces différences observées entre les pratiques aux États-Unis et en Europe, les auteurs évoquent des facteurs médico-sociaux et culturels de la part du public ainsi que des approches chirurgicales différentes donnant une place plus grande à la chirurgie plastique. S’agissant d’une problématique se posant essentiellement chez les femmes à risque génétique, c’est donc essentiellement sur cette population que nous centrerons ce travail. Environ 25 % des femmes atteintes de cancer du sein ont un antécédent familial de cancer du sein. Dans 10 % des cas, un syndrome héréditaire est très probable [6]. Les moins rares concernent BRCA1 et BRCA2 dont les mutations rendent compte d’environ 2 à 5 % des cancers du sein. Nous considérerons ici essentiellement les mutations BRCA1 et BRCA2 qui représentent la grande majorité des indications de chirurgie préventive. Deux grandes situations très différentes doivent être bien individualisées : 139 BODY & OULDAMER – les femmes mutées indemnes de cancer du sein pour lesquelles la chirurgie peut être considérée comme une « vraie » prophylaxie ; – les femmes mutées non indemnes déjà atteintes d’un cancer du sein, pour lesquelles le rôle de la chirurgie dite prophylactique est plus complexe. Il n’existe en effet pas de preuve de la réduction du risque de décès par la MCP, ce qui pourrait faire considérer celle-ci comme une « fausse » chirurgie mammaire prophylactique. Ce texte s’est très largement inspiré des recommandations professionnelles de l’Institut national du cancer sur ce sujet, publiées en 2009 [7]. I. TECHNIQUES I.1. Quel bilan préalable à la chirurgie prophylactique ? I.1.a. L’IRM Le taux de lésions malignes occultes découvertes sur pièces de mammectomie prophylactique varie dans les études publiées de 0 à 10 % [8-11]. Cette variabilité s’explique par l’hétérogénéité des populations retenues, mutées ou non, indemnes ou non de cancer. La réalisation de cette chirurgie prophylactique doit impérativement être précédée d’un bilan comportant une IRM mammaire : il ne semble pas utile de la refaire si elle date de moins de 4 à 6 mois. Dans le cas où l’IRM est positive, il est recommandé de réaliser si possible une biopsie sous IRM. Une échographie ciblée suivie d’une biopsie (en cas de lésions retrouvées) peut être une alternative. I.1.b. Faut-il faire une procédure de prélèvement du ganglion sentinelle ? Dans toutes les séries, les lésions malignes sont majoritairement (au moins 2/3 des cas [12]) des carcinomes intracanalaires, le reste étant des canalaires invasifs de taille inférieure à 5 mm et donc à risque extrêmement faible d’atteinte ganglionnaire. La mammectomie totale serait donc le traitement suffisant de ce type de lésions. En cas de carcinome infiltrant, une exploration chirurgicale axillaire secondaire devrait néanmoins être discutée (ganglion sentinelle ± curage axillaire). Au total, l’excellent pronostic des rares lésions découvertes sur les pièces de mammectomie prophylactique ne justifie pas la réalisation systématique d’une procédure de ganglion sentinelle [10, 13], tout particulièrement si l’IRM est normale. 140 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS I.2. Mammectomie bilatérale prophylactique (MBP) I.2.a. La mammectomie Quelle que soit la technique utilisée, la mammectomie doit permettre l’ablation du maximum de tissu glandulaire. Cela peut paraître évident mais, en pratique, les limites anatomiques chirurgicales par rapport aux structures voisines qui assureraient l’exhaustivité de cette exérèse glandulaire ne sont pas bien définies, qu’il s’agisse des limites latérales (en particulier dans le quadrant supéro-externe) ou des limites superficielles (sous-cutanées) ; le seul plan anatomique net est le plan postérieur, constitué par le plan des muscles de la paroi thoracique. Concernant la dissection par rapport à la peau, celle-ci se fait dans le plan dit des crêtes de Duret et l’épaisseur de la peau et du tissu sous-cutané laissé en place ne devrait pas excéder 5 mm [14], de façon régulière sur toute l’étendue du décollement sous-cutané. La MBP peut se faire selon trois techniques : – mammectomie avec résection de peau et de la plaque aréolomamelonnaire (PAM) : cette technique est exclue du sujet abordé ici ; – mammectomie avec conservation de l’étui cutané (skin sparing mastectomy) : la PAM est enlevée en monobloc avec le reste de la glande. L’étui cutané est ainsi préservé soit dans sa totalité, soit en le réduisant (incision elliptique péri-aréolaire, ou incision en T inversé suivant un schéma de mammoplastie type Wise) lorsque le sein est très ptosé et/ou très large (pour limiter les risques vasculaires sur ce lambeau cutané « au hasard ») pour adapter l’étui cutané au volume que l’on souhaite reconstruire ; – mammectomie avec conservation de l’étui cutané et de la PAM (nipple sparing mastectomy) : encore parfois appelée mammectomie sous-cutanée, la dissection en arrière de la PAM se fait dans un plan laissant en place le moins de tissu glandulaire possible tout en préservant la vascularisation (épaisseur de 5 mm ?). Ces prélèvements rétro-PAM sont remis séparément du reste de la pièce pour une étude histologique ciblée, l’existence de lésions atypiques, voire malignes faisant réviser a posteriori (pas d’examen extemporané) la conservation de la PAM ou du cône mamelonnaire. – Il faut ajouter que la technique de conservation de la PAM ne peut être proposée que si la reconstruction associée peut remplacer « volume pour volume » le sein naturel (sans nécessité de réduction importante de l’étui cutané pour l’adapter au volume reconstruit). Au total, le geste chirurgical doit s’efforcer de trouver un équilibre entre les trois paramètres suivants : 141 BODY & OULDAMER – la crainte de laisser du tissu glandulaire en place, susceptible de faire le lit d’un cancer ultérieur ; – la crainte d’une exérèse trop poussée vers la peau, menaçant sa vascularisation et pouvant être responsable d’une nécrose cutanée qui aurait des conséquences extrêmement préjudiciables sur les suites d’une reconstruction mammaire faite dans le même temps opératoire (de plus réalisée le plus souvent à l’aide d’un implant prothétique) ; – le souci du meilleur résultat esthétique et « fonctionnel » possible, lié lui à la qualité, l’épaisseur et l’étendue des tissus cutanés et sous-cutanés préservés. Pour faire le choix de la technique chirurgicale dans le contexte de la chirurgie prophylactique, il n’y a jamais urgence. En conséquence il faut prendre le temps de bien expliquer à la patiente les risques inhérents à la technique chirurgicale choisie : – il existe un risque résiduel de cancer après MBP, vraisemblablement très faible, mais qu’on ne peut pas exclure en particulier en cas de préservation cutanée et surtout en cas de conservation de la PAM ; – les résultats esthétiques varient selon le type de mammectomie envisagé : ainsi les mammectomies avec conservation de l’étui cutané donnent de meilleurs résultats que les mammectomies conventionnelles, et les mammectomies préservant la PAM donnent de meilleurs résultats que celles ne conservant que l’étui ; – aucun bénéfice fonctionnel (sensibilité, facilité d’intégration de la reconstruction au schéma corporel, etc.) n’a été clairement démontré pour un type de mammectomie par rapport à un autre. I.2.b. La reconstruction mammaire La très grande majorité des MBP sont associées à une reconstruction, le plus souvent immédiate et le plus souvent par implants prothétiques. La décision d’une reconstruction relève du choix de la patiente après exposé des différentes possibilités (reconstruction ou non, immédiate ou différée, techniques de reconstruction possibles, avantages et inconvénients des différentes situations). Cette information doit être complète et objective, ce qui implique une durée et un nombre de consultations adaptées à chaque situation particulière. I.2.b.i. La reconstruction par prothèse Soixante-dix à 80 % des reconstructions sont effectuées par prothèse [15-17]. 142 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS La technique consiste à mettre en place une prothèse située au moins en partie en position rétro-musculaire (rétro-pectorale). Ces prothèses sont constituées d’une enveloppe de silicone et d’un contenant pouvant être soit du sérum physiologique, soit un gel de silicone (préféré le plus souvent en reconstruction pour éviter les effets de vagues (plissement) visibles des prothèses « salines »). Dans certains cas, la mise en place de cette prothèse préremplie est précédée par la mise en place d’une prothèse d’expansion (expander), prothèse qui peut être gonflée progressivement après sa mise en place par injections répétées transcutanées de sérum physiologique. Cette technique d’expansion peut être proposée lorsque le chirurgien estime que la qualité des tissus qui entoureront la prothèse ne permet pas d’avoir d’emblée le volume mammaire souhaité. En période préopératoire précoce, les effets secondaires et complications sont dominés par les douleurs, les hématomes, l’infection, la nécrose, la luxation de prothèse, plus à distance par la contracture capsulaire et la rupture. Ces « complications » surviennent dans les séries ne s’intéressant qu’aux mammectomies prophylactiques bilatérales [8, 15, 17] dans 30 à 66 % des cas, le chiffre le plus bas correspondant aux complications ayant nécessité une réintervention précoce ou tardive. L’équipe de la Mayo Clinic [17] insiste particulièrement sur la nécessité d’informer les patientes du risque de réintervention (52 % de leurs opérées ayant au moins une réintervention, 27 % au moins 2). Le risque de perte définitive de prothèse par complications ne dépasse pas 5 %. Enfin, les dernières revues et études de cohorte [18, 19] ont confirmé l’absence de sur-risque de maladies inflammatoires (connectivite, fibromyalgie) chez les porteuses de prothèse à gel de silicone. I.2.b.ii. La reconstruction par lambeau musculo-cutané C’est l’utilisation de tissus autologues transférés sur le site de mammectomie en conservant leur vascularisation d’origine (lambeaux pédiculés) ou après section du pédicule d’origine, rebranché (microanastomose) sur un pédicule local (lambeaux libres). Les lambeaux musculo-cutanés bilatéraux pédiculés (grand dorsal, TRAM) [20, 21] sont peu étudiés dans la littérature voire pas si l’on ne s’intéresse qu’aux reconstructions dans le cadre des prophylaxies pour risque génétique. Les lambeaux musculo-cutanés les plus utilisés actuellement pour une chirurgie prophylactique bilatérale sont les lambeaux libres (avec anastomoses microchirurgicales) permettant une épargne musculaire et limitant donc les séquelles du site donneur. La morbidité spécifique est constituée par le risque de nécrose du lambeau, partielle dans 2 à 9 % des cas [22, 23], totale dans moins de 143 BODY & OULDAMER 1 % des cas [22-24]. La nécrose peut également survenir au niveau du site des prélèvements (4,2 % des sites abdominaux pour les DIEP [25]). À plus long terme, la morbidité semble surtout celle du site de prélèvement : 0,7 à 6,6 % de hernie ou déhiscence de la paroi abdominale après DIEP [22, 25, 26]. Sur une série de 1 195 lambeaux libres [27], le taux de complications est estimé à 27,9 %, avec 7,7 % de complications majeures, 3 % de complications jugées irréversibles dans une autre série [15]. Le taux de réinterventions pour complications varie de 6 à 21 % [15, 23, 24]. I.2.b.iii. Au total La reconstruction par implants prothétiques est la technique la plus « simple » de reconstruction qui ne nécessite pas d’autre abord ni cicatrice que celui de la mastectomie et évite donc la morbidité propre des sites donneurs. Pour cette raison, cette technique est celle qui doit être privilégiée. Néanmoins, la présence des prothèses, corps étrangers non sensibles, peu ou pas mobiles notamment lors des changements de position, nécessite un temps d’adaptation plus ou moins long pour les femmes. Cette technique permet de reconstruire des seins de volume petit ou moyen, de forme plus ou moins ronde, non ou peu ptosés, d’aspect « figé », mais ne permettant pas d’obtenir des seins de très grande taille et/ou très ptosés. Les lambeaux libres (DIEP, fessiers...) donnent un résultat plus proche du sein naturel : volume, degré de ptose, consistance, mobilité, évolution à long terme, voire sensibilité permettant le plus souvent d’éviter la mise en place d’un corps étranger prothétique et ses inconvénients. En revanche, il s’agit d’une chirurgie lourde en moyens humains et matériels pour sa réalisation, nécessitant des équipes rompues à la microchirurgie, avec souvent un recours à deux équipes chirurgicales pour limiter le temps opératoire qui reste long, de 7 à 10 heures en moyenne [22, 25, 28, 29]. Pour la patiente, c’est accepter un site cicatriciel supplémentaire et des risques opératoires plus importants. En conclusion, la reconstruction est le plus souvent immédiate et par implants prothétiques. L’utilisation des lambeaux libres reste rare. Il s’agit cependant d’une option possible pour le choix d’une reconstruction bilatérale. La reconstruction par lambeaux libres peut être un choix technique retenu notamment pour des patientes ayant une exigence esthétique très importante et/ou refusant la perspective de corps étrangers prothétiques. Si cette option intéresse ou est retenue par la patiente, il faut alors savoir la référer, au moins pour avis, aux (rares) équipes spécialisées qui réalisent actuellement ce type de chirurgie. 144 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS I.3. La mammectomie controlatérale prophylactique (MCP) Le risque controlatéral est souvent l’objet d’une inquiétude majeure de la part de la patiente qui a eu l’expérience d’un cancer du sein. Le risque accru de cancer controlatéral constitue la différence la plus significative du risque de rechute entre les cancers du sein BRCA1/2 et les formes sporadiques. Il n’y a actuellement pas d’étude dans la littérature s’intéressant spécifiquement aux problèmes techniques de la chirurgie mammaire (particulièrement sur le plan de la reconstruction) pour les femmes ayant déjà eu un traitement pour cancer du sein et chez lesquelles se pose le problème d’un geste « prophylactique » contro-, voire bilatéral pour les patientes ayant bénéficié initialement d’un traitement conservateur. Le choix de la ou des techniques de reconstruction, si cette dernière est souhaitée par la patiente, va tenir compte de la situation différente des deux seins (déjà traités ou non) pour essayer d’obtenir un résultat aussi symétrique que possible alors que la situation de départ est différente. Deux types de situation se présentent selon que la question de la chirurgie prophylactique se pose chez une patiente ayant un antécédent de cancer du sein ou chez une patiente venant de se voir découvrir un cancer du sein. 1. La patiente a déjà eu un traitement complet de son cancer du sein et se trouve dans une situation de demande prophylactique uni (si le traitement initial n’était pas conservateur ou si le choix se porte uniquement sur le sein indemne) ou bilatérale. Le choix de la technique de conservation dépend bien sûr des différentes situations : – traitement antérieur radio-chirurgical conservateur d’un côté que l’on ne souhaite pas modifier et mammectomie prophylactique de l’autre en sachant alors que la technique de reconstruction devra être choisie pour donner un résultat morphologique aussi proche que possible du sein traité, car il est déconseillé de réaliser une symétrisation sur sein conservé irradié (risque de complications cicatricielles et glandulaires, techniques de plastie glandulaire difficiles à réaliser du fait de la mauvaise plasticité de la glande irradiée, risque de sein « pierreux » après ces plasties, et donc mauvais résultats esthétiques) ; – sein traité ayant déjà eu une reconstruction, la solution « idéale » est de proposer la même technique de reconstruction pour la chirurgie prophylactique controlatérale, en sachant qu’elle n’est pas toujours souhaitée par la patiente, notamment quand la reconstruction initiale a été faite par lambeau musculo-cutané et que la patiente juge ce geste « trop lourd » en termes fonctionnels ; 145 BODY & OULDAMER – sein traité ayant eu une mammectomie totale avec ou sans irradiation, ou totalisation demandée également du côté du traitement radio-chirurgical antérieur : les choix techniques devront prendre en compte le manque de tissu cutané du côté déjà traité, ainsi que des résultats différents que pourraient donner une même technique de reconstruction sur un sein irradié d’un coté et indemne de l’autre. 2. La patiente à contexte héréditaire chez laquelle vient de se voir découvrir un cancer du sein. Si celui-ci relève d’un traitement conservateur, il semble raisonnable de lui proposer la chirurgie conservatrice dans un premier temps, permettant ainsi d’obtenir les facteurs nécessaires aux traitements adjuvants et au pronostic (pertinence ou non du geste controlatéral selon l’importance du risque métastatique du cancer qui vient d’être découvert). La chirurgie conservatrice réalisée et les facteurs histologiques obtenus, se pose alors le problème d’intégrer la discussion du risque héréditaire. Dans l’idéal, la stratégie après chirurgie (en particulier le fait d’en rester à un traitement conservateur) devrait être décidée avant la réalisation de la radiothérapie. Le contexte anxiogène du diagnostic récent de cancer et de sa prise en charge, les délais nécessaires pour préciser le risque génétique rendent cette solution « idéale » difficilement réalisable en pratique. Il s’agit d’une situation nouvelle dont les acteurs de la prise en charge d’un cancer du sein doivent être avertis afin d’intégrer d’emblée le contexte héréditaire voire génétique, avec ses possibles retombées sur le traitement local, dès la première discussion stratégique de prise en charge de ces patientes. Dans une revue récente, Zacharia et al. [9] relèvent le fait qu’il n’y a pas d’étude s’intéressant spécifiquement aux suites et à la morbidité spécifique de la chirurgie prophylactique chez les patientes ayant déjà eu un cancer du sein. Une seule étude [8] relève des taux de complications comparables après reconstruction chez des patientes indemnes ou ayant eu un cancer avec un taux global de complications et effets secondaires de 50 %, dont 70 % avaient nécessité une réintervention. À noter dans cette étude, pour les complications précoces (infection, nécrose, saignement, luxation de prothèse) un taux d’infections plus élevé (26 versus 13 %) dans le groupe des patientes ayant déjà eu un cancer, alors que les taux étaient moindres pour les autres complications. Les taux de complications tardives (coque, luxation de la prothèse, mauvais résultats esthétiques) sont comparables dans les deux groupes. En conclusion, si l’augmentation du risque de cancer controlatéral en cas de mutation BRCA est acquise, le bénéfice éventuel sur la survie de la chirurgie préventive ou d’un diagnostic précoce du cancer controlatéral 146 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS n’est pas documenté. Les résultats publiés sont d’interprétation limitée par la petite taille des populations étudiées, le caractère rétrospectif de presque toutes les séries [30]. Enfin, ces études rétrospectives ne prennent pas en considération, du fait de la petite taille de l’échantillon, le gène en cause (BRCA1 ou BRCA2) qui n’est probablement pas indépendant du bénéfice du tamoxifène ou de la castration. II. INDICATIONS On ne saurait trop insister sur le fait que la MBP comme la MCP relèvent d’un choix personnel de la patiente et que le médecin doit s’efforcer de ne pas influencer ce choix par ses propres convictions. Cette position est d’autant plus importante que la chirurgie prophylactique ne s’appuie pas sur des certitudes absolues : pour Kurian [31], si la mammectomie prophylactique à l’âge de 25 ans associée à l’ovariectomie bilatérale prophylactique à l’âge de 40 ans entraîne une amélioration importante de la probabilité de survie, le dépistage par mammographie associée à l’IRM semble apporter une survie comparable à celle de la mammectomie prophylactique. II.1. Mammectomie bilatérale prophylactique (MBP) II.1.a. Femmes mutées porteuses d’une mutation BRCA1/2, indemnes Malgré son caractère mutilant, la mammectomie bilatérale prophylactique reste la mesure la plus efficace de prévention du risque de cancer du sein chez une femme indemne porteuse d’une mutation BRCA1/2. La mammectomie bilatérale prophylactique peut être envisagée sur demande de la patiente à condition toutefois qu’elle ait été correctement informée. Tout geste de mammectomie prophylactique doit être discuté après concertation du chirurgien et de l’onco-généticien impliqués dans la prise en charge de la patiente. Une consultation avec un psychologue doit systématiquement être proposée à la patiente. On veillera à ce qu’une période de réflexion pour la patiente soit respectée : les décisions ne doivent jamais être prises dans un contexte d’urgence. La mammectomie comme la reconstruction seront d’autant mieux acceptées que la patiente aura pris une place décisive dans les choix thérapeutiques. 147 BODY & OULDAMER II.1.b. Femmes non porteuses d’une mutation BRCA1/2, à risque génétique probable Une mammectomie bilatérale peut être envisagée dans le cas où il existe une volonté d’attitude préventive de la part de la femme et une forte présomption de prédisposition génétique, notamment en cas d’antécédents personnels de cancer. Compte tenu de la complexité de cette situation, la décision relève d’une approche multidisciplinaire avec au minimum le chirurgien et l’onco-généticien impliqués dans la prise en charge de la patiente. II.2. Mammectomie controlatérale prophylactique (MCP) Une revue Cochrane a répertorié en 2004 huit études incluant 1 708 patientes qui ont eu une MCP [30]. Les auteurs concluent que cette chirurgie diminue le risque de cancer controlatéral d’environ 95 % mais sans modifier la survie. Dans cette revue systématique les reculs sont variables, les indications dépassent le cadre de l’hérédité, les analyses moléculaires n’ont pas été faites, les modalités du geste chirurgical sont variables et ne répondent plus aux « standards » actuels. En particulier, les anciennes mammectomies « sous-cutanées » conservant la PAM laissaient en place une partie substantielle de la glande [1]. Il n’y a pas d’études randomisées, elles n’ont pas été faites et ne le seront sans doute jamais. Nous n’avons donc pas les moyens d’éviter le biais de sélection inévitable qui amène à la chirurgie controlatérale les patientes qui ont un pronostic favorable. Dans la série de Metcalfe (491 patientes atteintes de cancer du sein stades I et II, mutées BRCA1 ou BRCA2) [32] avec un suivi médian de 9,2 ans, une seule rechute sur la cicatrice est survenue parmi 146 femmes qui avaient eu une mastectomie bilatérale d’emblée ou une mastectomie préventive controlatérale secondaire, alors que dans le groupe des 336 femmes qui ont gardé le sein controlatéral, on compte 97 cancers controlatéraux (HR 0,03 ; p = 0,0005). Dans l’étude de Van Sprundel [33], 148 patientes mutées BRCA1/2 atteintes d’un cancer du sein de stades I à IIIa ont été suivies pendant 3,5 ans (suivi moyen) : une patiente a fait un cancer invasif du sein controlatéral dans le groupe MCP contre 6 dans le groupe des patientes ayant gardé leur sein controlatéral et bénéficiant d’une simple surveillance. La MCP réduit le risque de cancer du sein controlatéral de 91 %, indépendamment de l’effet de l’ovariectomie bilatérale prophylactique. L’étude ne permet pas d’analyser l’impact de la MCP sur la survie. Dans la série de Rotterdam (181 patientes, 148 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS environ la moitié sont mutées BRCA1/2), aucune n’a eu de cancer du sein controlatéral à 4,5 ans, mais 16 sont décédées du premier cancer du sein [8]. Le nombre de femmes atteintes qui s’orientent secondairement vers une chirurgie préventive controlatérale est important mais varie selon les séries (18 % à Washington [34], 53 % aux Pays-Bas [33]). Il varie aussi selon le moment où la mutation est connue [35]. Les études récentes confirment les différences de taux de chirurgies préventives controlatérales en fonction du pays [4, 36]. Ce taux varie de 0 en Norvège à quasiment 50 % aux États-Unis, et 5 % en Europe. Les facteurs prédictifs de mammectomie controlatérale en Amérique du Nord sont le jeune âge, le type de chirurgie initiale (15 % en cas de chirurgie conservatrice et 63 % en cas de mastectomie). Les femmes qui ont eu une annexectomie sont plus susceptibles d’avoir une mammectomie controlatérale (33 versus 18 %) [99]. D’autres facteurs peuvent influencer l’indication de MCP, tels qu’une histoire familiale de cancer du sein ou un cancer de type lobulaire retrouvés de signification plus fréquente [5]. Guerra et al. [37] a décrit une importante variation en fonction de la région du taux de chirurgies préventives faites dans son pays (le Canada) suggérant que la part de différence de « culture » n’est sans doute pas la seule à expliquer les variations connues entre les pays [38]. Il est vraisemblable que les différences de la relation médecinpatient expliquent aussi une partie de ces divergences. Dans la série de Montgomery [39], l’avis du médecin vient en premier lieu comme déterminant du choix de la chirurgie controlatérale. À noter que dans cette importante enquête internationale (n = 927), le taux de reconstruction mammaire immédiate (RMI) n’est pas mentionné et le cancer du sein était connu au moment du test génétique [36]. Lorsque la recherche de mutation est faite lors du diagnostic du cancer du sein, l’étude de Schwartz et al. rapporte que sur 31 femmes, pratiquement la moitié de celles qui ont une mutation choisissent la mastectomie bilatérale [40] et 7 sur 7 ont également fait ce choix dans l’étude de Weitzel et al. [41]. Les motivations amenant une femme à demander ou à accepter une MCP sont variées : dans l’étude de Han [42], qui n’est pas limitée aux seules indications génétiques, la principale motivation est représentée par la peur d’avoir un autre cancer dans 81 % des cas, loin devant l’âge au moment du diagnostic (40 %) et l’anxiété générée par la surveillance (37 %) , alors que l’influence de la famille ou des amis et le contexte familial ne représentent respectivement que 16 et 10 % [42]. 149 BODY & OULDAMER Quatre situations peuvent être envisagées : 1). Patiente mutée (BRCA1/2) chez laquelle est diagnostiqué un cancer Le traitement du cancer, l’évaluation de son pronostic et le risque controlatéral lié à la mutation doivent être pris en charge conjointement. Les risques de rechute et de décès à 10 ans peuvent être estimés par des logiciels (le plus utilisé est Adjuvant Online) selon les caractéristiques de la tumeur, mais il n’est pas acquis que les facteurs pronostiques traditionnels (taille tumorale, grade histopronostique) s’appliquent de la même façon en cas de mutation BRCA1 [43]. La plupart des femmes dans ces situations seront vraisemblablement surveillées par IRM, qui vont permettre des diagnostics plus nombreux [44, 45]. L’information sur le risque controlatéral fait partie de l’information sur les risques futurs (récidive locale, métastase à distance, rechute controlatérale). Les facteurs qui vont influencer le choix d’une chirurgie préventive controlatérale sont liés au risque de rechute du premier cancer et à la perception de ce risque par la patiente. La discussion doit prendre en compte d’une part les risques de récidive et le pronostic qui en découle, d’autre part le contexte personnel. Les facteurs qui influencent les risques de récidive et le pronostic qui en découle sont les suivants : – l’âge de survenue du cancer ; – le pronostic du cancer du sein (mesuré par la taille, l’atteinte ganglionnaire, le caractère invasif de la tumeur, le grade histologique, les récepteurs stéroïdiens, l’expression d’HER2-neu) ; – les traitements systémiques éventuellement associés (chimiothérapie, traitements à visée hormonale (tamoxifène, antiaromatase chez les femmes ménopausées, chirurgie préventive des annexes). Quant au contexte personnel, il est fonction de paramètres de plusieurs ordres : – la perception de la maladie à travers le vécu familial (nombre de cas de cancers du sein/ovaire, proximité des personnes touchées, nombre de décès par cancer dans la famille) ; – la présentation par les soignants des risques et des options ; – le type de chirurgie du sein atteint (mammectomie ou conservation possible) ; – les conditions de la reconstruction mammaire immédiate (RMI) uni- ou bilatérale ; – désir de symétrie en cas d’obésité. 150 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS 2). Cancer du sein survenant chez une femme non testée mais appartenant à une famille ayant une mutation connue Si la plupart des femmes appartenant à une famille dont le risque a été documenté par une mutation sont informées, elles ne consultent pas toujours [46]. Il se peut aussi que l’appartenance à une famille à risque ne soit reconnue que lors de l’apparition du cancer du sein. Lorsque la mutation familiale est identifiée, le laboratoire de biologie moléculaire est capable de confirmer rapidement (en quelques jours) la présence (ou l’absence plus rarement) de la mutation chez la personne atteinte. Il est préférable de s’assurer de la présence de la mutation familiale vu la possibilité de phénocopies (6 % pour Meijers-Heiboer [35]). Dans ce cas on en revient à la situation précédente d’un cancer du sein avec mutation BRCA1/2. La différence est dans la connaissance d’une mutation dans le contexte aigu de la prise en charge du cancer du sein. 3). Cancer du sein survenant chez une femme appartenant à une famille à risque héréditaire non encore testée Il s’agit d’une situation fréquente. La famille n’a peut être pas fait la démarche ou c’est la tumeur supplémentaire qui vient d’être diagnostiquée qui fait que la famille entre dans le cadre des analyses moléculaires à la recherche d’une mutation. Il peut s’agir aussi d’un cancer du sein survenant de façon apparemment isolée mais dont les caractéristiques (âge de survenue, phénotype basal/triple négatif) font évoquer une mutation BRCA1/2. Il est possible d’envisager une recherche de mutation BRCA1/2, en sachant que le délai nécessaire actuellement n’est pas compatible avec l’organisation habituelle du traitement. Ce délai est variable selon les laboratoires, mais l’analyse peut être demandée en priorité si elle influence le traitement resté en attente. L’importance des conséquences de la découverte d’une mutation BRCA peut sans doute légitimer de temporiser quelque temps avant de décider du traitement définitif [47], en particulier dans la discussion entre traitement conservateur radio-chirurgical associé à une surveillance controlatérale et mammectomie bilatérale, d’autant que les informations sur le risque controlatéral et ses possibles conséquences peuvent être lourdes à gérer au moment du diagnostic et pendant les traitements initiaux [48]. Le fait de commencer par un traitement systémique (chimiothérapie ou traitement à visée hormonale), si les circonstances cliniques (âge, taille de la tumeur) le justifient, peut permettre d’attendre les résultats des analyses moléculaires et de laisser le temps de la réflexion avant des décisions pour certaines irréversibles. 151 BODY & OULDAMER Il peut être judicieux de proposer une consultation d’oncogénétique dès la consultation initiale pour cancer du sein lorsque le contexte est évocateur d’une hérédité BRCA1/2. Ceci peut permettre d’adapter le traitement local en fonction des conclusions de la consultation d’oncogénétique, voire en fonction du résultat des analyses génétiques si les circonstances permettent d’obtenir le résultat avant la discussion sur le traitement local. En particulier, comme ce sont souvent des femmes jeunes avec une tumeur palpable, une chimiothérapie néo-adjuvante peut permettre d’obtenir la consultation d’oncogénétique, le résultat du séquençage des deux gènes et le temps de la réflexion avant de s’engager sur le traitement local du ou des seins. La majorité de ces femmes n’auront pas de mutation délétère identifiée, mais l’alternative chirurgie conservatrice/radiothérapie associée à une surveillance du sein controlatéral versus mammectomie bilatérale, avec éventuelle reconstruction immédiate pour celles qui ont une mutation, mérite probablement le passage sans retard par la consultation d’oncogénétique. Il est bon de rappeler pour le clinicien qui prend en charge la patiente que l’entretien avec un consultant en génétique n’est évidemment pas un engagement à faire les analyses. 4). Femme porteuse d’une mutation ayant un antécédent de cancer du sein traité Si les experts sont unanimes à recommander de faire le maximum pour identifier la mutation avant le diagnostic de cancer [49], de nombreuses patientes auront leur diagnostic de mutation en même temps ou après le cancer du sein. Actuellement, la consultation d’oncogénétique initiale se situe en effet le plus souvent à distance du traitement. Les recommandations de surveillance des cancers du sein donnent désormais les indications des consultations d’oncogénétique [50]. Les données de la littérature ne mentionnent pas toujours le délai entre le traitement du cancer du sein et la mammectomie controlatérale. Dans la série de Herrinton, un peu plus de la moitié des femmes ont eu l’intervention dans les 4 mois qui ont suivi le traitement initial, donc comme traitement de première intention [51]. On imagine que la proportion des femmes qui choisiront la mammectomie controlatérale comme traitement radical initial sera plus importante que celles qui s’orienteront secondairement vers le même geste. Néanmoins, les données de la littérature sur ce sujet restent limitées. 5). Conclusions Les situations sont extrêmement différentes selon que le cancer du sein vient d’être diagnostiqué ou est surveillé, selon que la famille a été 152 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS testée ou non, selon qu’une mutation familiale a été identifiée ou non, selon que la patiente est connue pour avoir ou pas une mutation. La mammectomie controlatérale immédiate, ou retardée par rapport au traitement du premier cancer, est une option envisageable en cas de mutation documentée BRCA1/2. Les situations sont complexes et particulières, les décisions doivent être réfléchies et discutées au cas par cas. Si la mutation n’est pas connue mais l’histoire familiale évocatrice d’un contexte héréditaire, une consultation d’oncogénétique peut être envisagée « en urgence » dans le but d’éclaircir l’histoire familiale et si nécessaire dans le but d’obtenir les résultats du test avant le traitement local de la tumeur mammaire, en particulier avant la radiothérapie en cas de possibilité de traitement conservateur (accord professionnel). L’information et la décision du geste chirurgical uni- ou bilatéral devront s’appuyer sur l’évaluation des risques à l’aide d’algorithmes ou de nomogrammes d’aide à la décision (Adjuvant Online pour le risque évolutif général du cancer, tufts-nemc.org/ibtr pour le risque de récidive locale après traitement conservateur du côté atteint, ces risques étant à mettre en balance avec le risque de 25 à 30 % à 10 ans d’atteinte du côté sain). II.3. Reconstruction mammaire (RM) II.3.a. Dans le contexte d’une MBP Les indications de la RM dans ce contexte sont très larges, voire quasi systématiques, cette chirurgie s’adressant à des femmes jeunes et indemnes de cancer. II.3.b. Dans le contexte d’une MCP Le contexte est ici différent car la femme a ou a eu un cancer du sein. Le pronostic est en conséquence très différent et, de ce fait, les priorités pour la femme également. La demande de reconstruction mammaire semble moins importante, ce qui paraît intuitivement peu surprenant. Dans la série de Han [42], le taux de RM n’est que de 52 %, avec une proportion plus importante chez les femmes de moins de 50 ans. La RM est très majoritairement réalisée par implant prothétique (93,5 %), et seulement près de la moitié (49,6 %) ont fait reconstruire la PAM. 153 BODY & OULDAMER III. RÉSULTATS Les complications liées à la conservation de l’étui cutané +/- de la PAM sont de divers ordres : III.1. Risques carcinologiques Le risque résiduel de cancer après mammectomie bilatérale prophylactique est vraisemblablement très faible. Il existe, quel que soit le type de mammectomie réalisée, mais ne semble pas dépendre (pour l’instant) du type de mammectomie choisie [52, 53]. Il est cependant difficile d’affirmer actuellement l’absence de sur-risque lié à la préservation cutanée et surtout à la préservation de la PAM, compte tenu de la rareté de l’événement considéré (1 récidive mamelonnaire pour 7 récidives locales chez 575 patientes [52], aucune récidive mamelonnaire sur 2 récidives locales sur 124 mammectomies prophylactiques [53]), du recul variable des études, de l’hétérogénéité des patientes incluses, mutées ou non, des techniques employées... et de l’absence d’étude prospective comparative. L’hypothèse d’un sur-risque lié à la préservation de l’étui cutané ou à la préservation de l’étui cutané et de la PAM n’a pas été confirmée ou infirmée jusqu’à maintenant. III.2. Conséquences esthétiques III.2.a. Complications D’étendue variable, la nécrose complique 5 à 25 % de ces mammectomies [8, 54, 55]. Elle est majorée lorsque sont associées des résections de cicatrice antérieure, une incision complexe type Wise (26,5 % de nécrose), des facteurs habituels de risque vasculaire tels que tabac et diabète [55]. La nécrose de la PAM survient dans 6 à 30 % des conservations [56, 57] et serait totale dans la moitié des cas [58]. Les autres complications de la conservation de PAM sont la décoloration (43 %), les malpositions et distorsions [59]. III.2.b. Résultats globaux Les mammectomies avec conservation de l’étui cutané et de la PAM donnent de meilleurs résultats esthétiques que les mammectomies conventionnelles, et les mammectomies préservant la PAM de meilleurs résultats que celles ne conservant que l’étui, tant du point de 154 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS vue des observateurs que des patientes elles-mêmes [53, 59], mais ce gain de meilleure image ne retentit pas, au contraire, sur le taux de satisfaction globale des patientes (peur du sur-risque de cancer ?, taux de réinterventions plus important ?...) [60]. Quant au bénéfice fonctionnel de la conservation de la PAM (fonction érectile et sensibilité), il a été peu étudié : 52 à 75 % des patientes [59, 61] disaient avoir conservé une sensibilité au moins partielle de leur PAM (mais une radiothérapie localisée était associée à la conservation de la PAM). III.3. Conséquences psychologiques Les conséquences psychologiques sont constantes car quel que soit le contexte, la mammectomie, a fortiori lorsqu’elle est bilatérale et prophylactique, est toujours vécue comme une mutilation avec une atteinte importante de l’image corporelle. Elles seront atténuées par l’obtention d’un résultat esthétique perçu comme bon par la patiente, l’absence de séquelles fonctionnelles, la conscience qu’elle a d’avoir fait un choix mûrement réfléchi dans lequel sa participation a été décisive, mais aussi par le bénéfice apporté par la chirurgie prophylactique la prévenant de façon très importante d’un risque de cancer ultérieur. Dans cet esprit et en l’absence de contexte d’urgence dans la très grande majorité des cas, l’information médicale et la prise en charge psychologique préopératoires sont essentielles. CONCLUSION Il n’existe actuellement pas d’étude dans la littérature s’intéressant spécifiquement au suivi des femmes porteuses d’une mutation ayant bénéficié d’une chirurgie prophylactique mammaire (avec ou sans reconstruction). Les deux enjeux de cette surveillance sont d’une part la détection de la survenue d’un cancer et d’autre part la détection des complications de la reconstruction. Compte tenu du faible risque de cancer ultérieur, de leur localisation essentiellement superficielle d’une part, et compte tenu du choix prophylactique fait pour « soulager » les patientes de leur anxiété vis-à-vis du cancer d’autre part, il ne semble 155 BODY & OULDAMER pas utile de proposer plus qu’une surveillance clinique avec inspection et palpation des sites mammaires et ganglionnaires indépendants. Reste le problème des complications à long terme de la reconstruction. Le seul ne relevant éventuellement pas d’un examen clinique pour sa détection, est le risque de rupture prothétique asymptomatique. La question essentielle est de savoir s’il existe un inconvénient à laisser en place une prothèse rompue sans retentissement clinique, y compris esthétique et quel serait pour la patiente le bénéfice à en faire le dépistage présymptomatique par un bilan d’imagerie. Cette question n’est pas résolue actuellement. En conséquence, après la reconstruction, il est recommandé de proposer une surveillance clinique, avec inspection et palpation des sites mammaires selon un rythme annuel ou biennal ; aucune imagerie systématique n’est recommandée. 156 MAMMECTOMIES SOUS-CUTANÉES ET RECONSTRUCTION MAMMAIRE IMMÉDIATE : INDICATIONS ET RÉSULTATS Bibliographie [1] Tuttle TM, Habermann EB, Grund EH et al. Increasing use of contralateral prophylactic mastectomy for breast cancer patients: a trend towards more agressive surgical treatment. J Clin Oncol 2007;25:5203-9. 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Nipple-sparing mastectomy in association with intraoperative radiotherapy (ELIOT): a new type of mastectomy for breast cancer treatment. Breast Cancer Res Treat 2006;96: 47-51. 159 Quelles sont les patientes pouvant bénéficier d’un traitement antihormonal au-delà de 5 ans ? E. CHÉREAU 1, 2 *, R. ROUZIER 1, 3, J. G LIGOROV 1, S. ZILBERMAN 1, C. B EZU 1, 4, S. UZAN 1, E. DARAÏ 1 (Paris, Marseille) Résumé But : la durée du traitement anti-hormonal et notamment sa prolongation au-delà de 5 ans est actuellement discutée et de nombreux essais sont en cours. Le but de cette revue est de reprendre les données actuellement disponibles et les résultats concluants afin d’aider à la décision thérapeutique. Matériels et méthodes : revue de la littérature des données disponibles concernant les traitement anti-hormonaux au-delà de 5 ans, d’une part après 5 ans de tamoxifène puis après 5 ans de traitement par inhibiteurs de l’aromatase. 1 — Hôpital Tenon - APHP - Service de gynécologie-obstétrique - 4 rue de la Chine 75020 Paris 2 — Institut Paoli Calmettes - Service de chirurgie oncologique - 232 boulevard SainteMarguerite - 13008 Marseille 3 — Institut Curie - 26 rue d’Ulm - 75005 Paris 4 — Hôpital Pitié-Salpêtrière - APHP - Service de gynécologie-obstétrique - 85 boulevard de l’Hôpital - 75013 Paris * Correspondance : [email protected] 161 CHÉREAU & COLL. Résultats : la prolongation du tamoxifène au-delà de 5 ans, dans l’état actuel des connaissances, ne semble pas légitime compte tenu de l’absence de bénéfice en termes de survie et de l’augmentation des effets indésirables graves comme le cancer de l’endomètre ou les accidents thromboemboliques. En revanche, la mise sous anti-aromatases après 5 ans de tamoxifène améliore la survie sans récidive, la survie globale, la survie sans métastase et diminue l’incidence des cancers du sein controlatéraux. Par ailleurs ce traitement a une bonne tolérance globale et n’impacte pas la qualité de vie. Néanmoins, il n’existe à l’heure actuelle pas suffisamment de résultats disponibles afin de statuer sur une prescription pour plus de 5 ans d’un traitement par anti-aromatase lorsque celle-ci a été administrée en première intention. Conclusion : il n’existe pas d’indication à prolonger un traitement par tamoxifène au-delà de 5 ans. En revanche, un relais par une anti-aromatase après 5 ans de tamoxifène améliore la survie. La durée optimale du traitement par anti-aromatase est encore à l’étude. Mots clés : cancer du sein, traitement anti-hormonal, tamoxifène, anti-aromatases, durée Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Élisabeth Chéreau, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. 162 QUELLES SONT LES PATIENTES POUVANT BÉNÉFICIER D’UN TRAITEMENT ANTI-HORMONAL AU-DELÀ DE 5 ANS ? INTRODUCTION Depuis les trente dernières années, le tamoxifène a été considéré comme le traitement adjuvant anti-hormonal standard pour les patientes présentant un cancer du sein exprimant des récepteurs hormonaux [1]. À ce jour, au vu des études disponibles, une prolongation du traitement par tamoxifène au-delà de 5 ans est d’une efficacité minime (si elle existe) et augmente les effets secondaires de façon substantielle [2]. Les inhibiteurs de l’aromatase ont démontré leur supériorité par rapport au tamoxifène en termes de réduction du risque de récidive dans plusieurs essais cliniques les plaçant comme une alternative dès la mise en route de l’hormonothérapie ou bien en association séquentielle possible avec le tamoxifène [3-6]. La question de la prolongation du traitement anti-hormonal par des anti-aromatases au-delà de 5 ans de traitement par des anti-aromatases ou en relais du tamoxifène, après 5 ans ou 2 à 3 ans, se pose actuellement. Par ailleurs, la durée optimale des traitements anti-hormonaux n’est pas encore définie. Plusieurs résultats sont déjà disponibles et plusieurs essais cliniques sont actuellement en cours et permettront de répondre à ces questions dans les années à venir. I. RISQUE DE RÉCIDIVE À DISTANCE ET NÉCESSITÉ DE TRAITEMENT ANTI-HORMONAL Les résultats de l’Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG) ont mis en évidence que plus de la moitié des récidives et plus de deux tiers des décès du cancer du sein surviennent au-delà de 5 ans par rapport au diagnostic [1]. Ceci concerne en particulier les métastases à distance qui sont le mode de récidive tardive le plus fréquent [7]. Sur une autre série de 1 086 patientes présentant un cancer du sein, 15 % des patientes ont présenté une récidive entre 5 et 10 ans après le diagnostic et 53 % d’entre elles avaient des métastases à distance [8]. Comme attendu, ces patientes présentaient une moins bonne survie. En effet, une série rétrospective a montré un risque relatif de décès de 13,6 (p < 0,001), comparé aux patientes sans récidive, lorsqu’il existe des métastases à distance et de 4,6 (p < 0,001) et 3 (p < 0,01) respectivement pour les récidives locorégionales et controlatérales [7]. 163 CHÉREAU & COLL. À partir des données de l’Eastern Cooperative Oncology Group, il est possible d’estimer le risque de récidive annuelle chez des patientes avec des récepteurs hormonaux positifs : 5,2 % par an entre 5 et 8 ans après le diagnostic, 4,6 % entre 8 et 12 ans. Par ailleurs, le risque de récidive après 4 ans est supérieur à celui des tumeurs n’exprimant pas les récepteurs hormonaux [9]. Enfin, certaines études ont retrouvé un risque de récidive et de mortalité supérieur à 10 ans par rapport à 5 ans après le diagnostic supportant l’idée de prolonger le traitement anti-hormonal au-delà de 5 ans, et ce y compris pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire de grade 1 [10]. II. DURÉE DU TRAITEMENT PAR TAMOXIFÈNE La méta-analyse de l’EBCTCG a mis en évidence, chez des patientes RH positives traitées par 5 ans de tamoxifène, une réduction significative du risque de récidive et de cancer du sein controlatéral de 41 % et de mortalité imputable au cancer du sein de 34 % [1]. Néanmoins, cette même étude a montré une persistance du risque de récidive après 5 ans et jusqu’à 15 ans sans phase de plateau pouvant soutenir le principe d’une prolongation du traitement anti-hormonal chez ces patientes. Par ailleurs, plusieurs essais ont montré une absence de bénéfice en termes de survie sans récidive ou de survie globale de la prolongation au-delà de 5 ans du traitement par tamoxifène [2, 11]. De plus, ils ont retrouvé une augmentation notable des complications liées au tamoxifène en cas de prolongation de traitement au-delà de 5 ans (accident cardiaque, cancer de l’endomètre, embolie pulmonaire) [12, 13] (Tableau 1). Le premier essai rapporté (NSABP B-14) est une étude randomisée en double aveugle comparant 5 à 10 ans de tamoxifène [2, 13]. Au total, 1 172 patientes sans atteinte ganglionnaire et sans récidive à 5 ans ont été incluses. Après un suivi médian de 6,75 ans après la randomisation, cette étude n’a pas retrouvé d’avantage en faveur d’une poursuite du traitement par tamoxifène. La survie globale était de 94 % dans le groupe placebo versus 91 % dans le groupe tamoxifène (p = 0,07). De plus, la survie sans récidive était en faveur du groupe placebo (82 % pour le groupe placebo versus 78 % pour le groupe traité, p = 0,03). En ce qui concerne l’incidence des cancers de l’endomètre, il a été noté une augmentation dans le groupe tamoxifène 164 QUELLES SONT LES PATIENTES POUVANT BÉNÉFICIER D’UN TRAITEMENT ANTI-HORMONAL AU-DELÀ DE 5 ANS ? Tableau 1 - Revue de la littérature des essais cliniques comparant 5 ans versus plus de 5 ans de tamoxifène Étude Nombre de patientes Durée du tamoxifène SSR SG Effets indésirables Fisher et al., JNCI 2001/1996 [2, 13] 579 (5 ans) versus 593 5 ans versus 10 ans 82 % versus 78 % (p = 0,03) 94 % versus 91 % (p = 0,07) Cancer endomètre 1,1 % versus 2,1 % (RR = 2, IC 95 % = 0,7-6,6) Stewart et al., JNCI 2001, BJC 1996 [14, 15] 169 (5 ans) versus 173 5 ans versus sans date d’arrêt 78 % versus 72 % (ns) Pas de différence ignificative Tendance à l’augmentation des cancers de l’endomètre (p = 0,06) Tormey et al., JNCI 1996 [16] 93 (5 ans) versus 100 5 ans versus sans date d’arrêt 73 % versus 85 % (ns) 89 % versus 86 % (ns) Pas d’augmentation des cancers de l’endomètre SSR : survie sans récidive, SG : survie globale, RR : risque relatif, IC 95 % : intervalle de confiance à 95 % (12 cancers versus 6). L’effet œstrogene-like du tamoxifène est supposé être explicatif de ces résultats. L’essai de Stewart et al. [14, 15] a randomisé les patientes sans atteinte ganglionnaire en deux groupes : 5 ans de tamoxifène (169 patientes) versus tamoxifène en continu sans date d’arrêt planifiée (173 patientes). Aucune différence n’a été mise en évidence entre les deux groupes tant en termes de survie sans récidive que de survie globale. En revanche, il a été noté une tendance à l’augmentation de l’incidence des cancers de l’endomètre (4 dans le groupe ayant poursuivi le tamoxifène versus 1 dans le groupe traité 5 ans, p = 0,064). Le dernier essai de Tormey et al. (ECOG E4181/E5181) a le même schéma que l’essai de Stewart et al. [16]. Contrairement aux deux autres, cet essai semble trouver un avantage à la prolongation du traitement par tamoxifène. En effet, dans le groupe des patientes présentant des récepteurs hormonaux positifs, il a été retrouvé une diminution significative de l’incidence des récidives et des cancers du sein controlatéraux (p = 0,014). Cette tendance a été confirmée par l’actualisation des résultats en 2000 concernant la survie sans récidive (p = 0,03). En revanche, aucune amélioration de la survie globale n’a pu être mise en évidence et il a été rapporté comme dans les autres études une tendance à l’augmentation de l’incidence des cancers endométriaux [17]. Plusieurs essais sont actuellement en cours afin de statuer sur l’intérêt en termes de survie de la prolongation du traitement par tamoxifène au-delà de 5 ans : l’essai ATLAS (Adjuvant Tamoxifene Longer 165 CHÉREAU & COLL. Against Shorter) dont les résultats préliminaires ont montré un petit avantage au traitement de plus de 5 ans [18] et l’essai ATTOM (Adjuvant Tamoxifen Treatment Offer More). Dans l’état actuel des connaissances, il n’est donc pas légitime de prolonger le traitement adjuvant par tamoxifène au-delà de 5 ans. Cette attitude sera à pondérer au vu des résultats des études en cours portant sur de plus larges échantillons de population. III. DURÉE DU TRAITEMENT PAR ANTI-AROMATASES III.1. Après 5 ans de tamoxifène III.1.a. Résultats de l’essai MA 17 L’étude MA 17 conduite par Goss et al. [19] a permis de répondre à la question de la prolongation du traitement anti-hormonal après 5 ans de tamoxifène par des anti-aromatases. Cette étude randomisée en double aveugle a inclus 5 187 patientes ayant reçu 4 à 6 ans de tamoxifène pour un cancer du sein. Moins de 3 mois après la fin du traitement par tamoxifène, les patientes étaient randomisées entre 5 ans d’anti-aromatases (létrozole 2,5 mg/jour) et un placebo. Le critère d’évaluation principal était la survie sans récidive. Les patientes ont été stratifiées en fonction de leur statut ganglionnaire, de leurs récepteurs hormonaux et de leurs traitements adjuvants associés notamment à la chimiothérapie. L’analyse intermédiaire planifiée lorsque 171 récidives seraient observées a été réalisée 2,4 ans après le début de l’étude. Ces résultats ont mis en évidence une diminution de 43 % du risque de récidive chez les patientes recevant l’anti-aromatase : 75 patientes dans le groupe létrozole versus 132 patientes dans le groupe placebo (HR = 0,57, IC 95 = 0,43-0,75, p = 0,00008). Ces résultats ont conduit à une levée de l’aveugle de cet essai et les patientes randomisées dans le groupe placebo ont dès lors pu choisir de recevoir des anti-aromatases. Les nombreux cross-over qui s’en sont suivis ont compliqué l’analyse des résultats à plus long terme mais les dernières données publiées ont mis en évidence un maintien significatif de la diminution du risque de récidive chez les patientes traitées par létrozole (à 64 mois, HR = 0,52, IC 95 = 0,45-0,61, p < 0,001) [20, 21]. De plus, il a aussi été mis en évidence un bénéfice en termes de survie globale (p < 0,001) et de survie sans métastase (p < 0,001). 166 QUELLES SONT LES PATIENTES POUVANT BÉNÉFICIER D’UN TRAITEMENT ANTI-HORMONAL AU-DELÀ DE 5 ANS ? Enfin, le bénéfice des anti-aromatases a été aussi démontré dans le groupe de patientes initialement randomisées dans le groupe placebo et ayant réalisé un cross-over après la levée d’aveugle en termes de survie sans récidive (p < 0,0001), de survie sans métastase (p = 0,004), de survie globale (p = 0,004) et de cancer du sein controlatéral (p < 0,0001) [22]. Malgré un intervalle sans traitement, il existe un bénéfice des anti-aromatases chez les patientes randomisées initialement dans le groupe placebo. III.1.b. Analyse en sous-groupes Plusieurs analyses en sous-groupes ont été réalisées avec la cohorte des patientes incluses dans l’essai MA 17. Tout d’abord, la durée optimale du traitement par anti-aromatases après 5 ans de tamoxifène a été étudiée. Avec un recul de 48 mois, il a été retrouvé que le bénéfice de la prolongation augmente avec la durée du traitement que ce soit pour la survie sans récidive (p < 0,0001) la survie sans métastases (p = 0,0013) ou la survie globale (p = 0,038) [23]. Une autre analyse comparant les patientes avec des tumeurs exprimant ou non des récepteurs hormonaux (RH) (3809 RH positifs versus 636 RH négatifs) a montré un bénéfice maximum du traitement en cas de RH positifs, mais ce bénéfice persiste dans le groupe de patientes avec tumeur sans récepteurs aux œstrogènes mais avec des récepteurs à la progestérone positifs. En revanche, aucun avantage en termes de survie sans récidive n’a été retrouvé chez les patientes avec des récepteurs aux œstrogènes positifs mais avec des récepteurs à la progestérone négatifs. Ce dernier résultat doit être analysé avec précaution car il s’agissait d’un échantillon très faible (636 patientes) [24]. L’effet de l’âge a aussi été analysé : le bénéfice en termes de survie sans récidive, de survie globale ou de survie sans métastase a été retrouvé dans chaque tranche d’âge y compris chez les patientes de plus de 70 ans en bon été général sans incidence néfaste sur le taux de complications ou sur la qualité de vie [25]. L’analyse en intention de traiter des données de cet essai prenant en compte la randomisation initiale malgré les 73 % de patientes ayant réalisé un cross-over après la levée d’aveugle a montré que les patientes initialement randomisées dans le groupe létrozole étaient les patientes qui avaient la meilleure survie sans récidive (p = 0,0002), survie sans métastase (p = 0,041) et le plus faible risque de cancer du sein controlatéral (p = 0,037). Cette différence était valable quel que soit le statut ganglionnaire [26]. 167 CHÉREAU & COLL. III.1.c. Effets secondaires Le traitement par anti-aromatases a un profil de tolérance différent du tamoxifène. Contrairement à ce dernier, il n’est pas associé à une augmentation du risque thromboembolique ou de cancers endométriaux. L’analyse de la tolérance de l’essai MA 17 a mis en évidence une bonne tolérance globale du traitement par létrozole. Néanmoins, il est important de noter que les patientes randomisées dans cet essai avaient toutes eu 5 ans de tamoxifène. Les patientes fragiles n’ayant pu aller au bout du traitement par tamoxifène n’avaient donc pas été incluses, ce sont donc des patientes en bon été général qui ont été analysées dans cette étude. Les effets secondaires principaux ont été analysés : fractures osseuses, découverte d’une ostéoporose, hypercholestérolémie, trouble cardiovasculaire, bouffées de chaleur, myalgies, arthralgies et alopécie. Le traitement par létrozole est associé de manière significative à une augmentation de l’incidence de l’ostéoporose de novo (p = 0,003), des bouffées de chaleur (p = 0,003), des myalgies (p = 0,004), des arthralgies (p = 0,001) et de l’alopécie (p = 0,01) [20]. Il est important de noter que, y compris chez les patientes du groupe placebo, un taux important notamment d’arthralgies a été noté (21 % versus 25 % dans le groupe létrozole). III.1.d. Qualité de vie L’essai MA 17 a aussi rapporté des données en termes de qualité de vie sur un échantillon de patientes sans récidive de leur cancer. La qualité de vie a été évaluée à l’aide de deux questionnaires : un général, le SF-36 (36-item Short-Form Health Survey) et un spécifique, le MENQOL (Menopause Specific Quality Of Life). Les auteurs n’ont pas retrouvé de différence entre les deux groupes pour le SF-36. En ce qui concerne le MENQOL, seule une différence sur les symptômes vasomoteurs a été retrouvée, plus de symptômes décrits dans le groupe létrozole (p < 0,001). Ces résultats montent donc que le traitement par létrozole n’a pas d’impact négatif majeur en termes de qualité de vie [27]. Les effets secondaires potentiels principaux ont été analysés : bouffées de chaleur, suées nocturnes, sueurs, modification de la libido, sécheresse vaginale, dépression, troubles de la mémoire, douleurs musculaires, prise de poids… Les seules différences retrouvées ont été une augmentation significative des bouffées de chaleur (17 % versus 22 %, p = 0,0002) et des sueurs (p = 0,003) chez les patientes traitées par anti-aromatases [27]. 168 QUELLES SONT LES PATIENTES POUVANT BÉNÉFICIER D’UN TRAITEMENT ANTI-HORMONAL AU-DELÀ DE 5 ANS ? III.1.e. Étude coût économique Une étude du coût-efficacité de l’essai MA 17 a été effectuée utilisant le modèle de Markov afin de déterminer du bénéfice de la prolongation du traitement après 5 ans de tamoxifène avec du létrozole [28]. Cette étude a mis en évidence que cette stratégie thérapeutique est coût-efficace en prenant en compte la perspective de la sécurité sociale anglaise avec un gain de 0,36 QALY (année ajustée sur la qualité de vie) par patient correspondant à 3 732 livres gagnées. III.1.f. Autres essais Deux autres essais randomisés ont été conduits afin de montrer un bénéfice de la prolongation du traitement anti-hormonal après 5 ans de tamoxifène. Ces essais ont été perturbés par la levée d’aveugle de l’essai MA 17 qui a engendré également leur levée d’aveugle. Le premier essai (NSABP B-33) [29] est un essai randomisé en double aveugle qui a comparé, après 5 ans de tamoxifène, une poursuite du traitement pas 5 ans d’exemastane à un placebo. La levée d’aveugle, due à l’obtention des résultats de l’essai MA 17, est survenue après inclusion de 1 598 patientes sur les 3 000 initialement prévues. Au moment de la levée d’aveugle, les auteurs ont mis en évidence une différence en termes de survie sans récidive (incluant la survie sans métastase et le risque de cancer du sein controlatéral) chez les patientes traitées par exemestane ((p = 0,004). En revanche, ils n’ont pas pu mettre en évidence une différence en ce qui concerne la survie globale (p = 0,07). Une autre étude autrichienne de l’ABCSG (Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group) a comparé l’anastrozole pour une durée de 3 ans à un placebo après 5 ans de tamoxifène (387 versus 857 patientes). Les auteurs ont mis en évidence un bénéfice au traitement par anastrozole en termes de survie sans récidive (p = 0,031) [30]. Ces trois essais confirment que la prolongation du traitement antihormonal, après 5 ans de tamoxifène, par un inhibiteur de l’aromatase (et particulièrement le létrozole) a priori pour une durée de 5 ans apporte un bénéfice en termes de survie sans récidive, survie globale, survie sans métastase et incidence des cancers du sein controlatéraux et ce quels que soient l’âge, le délai de début du traitement par les antiaromatases et le statut ganglionnaire. Par ailleurs ce traitement a une bonne tolérance globale et n’impacte pas la qualité de vie. Enfin, il est coût-efficace en perspective sociétale anglaise. 169 CHÉREAU & COLL. III.2. Après 5 ans d’anti-aromatases Plusieurs études sont actuellement en cours afin de déterminer le bénéfice de la prolongation au-delà de 5 ans du traitement par des inhibiteurs de l’aromatase. Cette question est donc actuellement en suspens [31]. Tout d’abord, l’essai MA 17 est actuellement prolongé dans le but de répondre à cette question (essai MA 17 R). Les patientes ayant reçu 5 ans de tamoxifène puis 5 ans de létrozole sont randomisées entre poursuite du létrozole ou placebo [32]. En plus de cette étude, plusieurs autres sont en cours afin de préciser la durée du traitement par les inhibiteurs de l’aromatase, ces quatre essais ont pour objectif principal la survie sans récidive : — l’essai NSABP B-42 qui compare 5 à 10 ans de traitement antihormonal : après 5 ans d’anti-aromatase ou 2-3 ans de tamoxifène suivi de 2-3 ans d’anti-aromatase, les patientes sont randomisées entre létrozole ou placebo pour une durée de 5 ans [33] ; — l’essai de l’ABCSG (SALSA : Secondary Adjuvant Long-term Study in Arimidex ® ) a repris un schéma similaire en utilisant l’anastrozole ; — l’essai LEAD (LEtrozole Adjuvant therapy Duration) randomise après 3 ans de tamoxifène 5 ans de létrozole versus 2-3 ans de létrozole ; — l’essai DATA (Different Duration of Adjuvant Anastrozole Therapy) du groupe allemand a repris le même schéma que l’essai précédent mais avec l’anastrozole. CONCLUSION Au vu des données disponibles dans la littérature, certaines conclusions peuvent être faites. Néanmoins, compte tenu du nombre d’études en cours concernant la prolongation du traitement anti-hormonal pour plus de 5 ans, que ce soit pour le tamoxifène ou les inhibiteurs de l’aromatase, ces conclusions devront être revues avec l’avancée de ces essais. Concernant la prolongation du tamoxifène au-delà de 5 ans, dans l’état actuel des connaissances, celui-ci ne semble pas légitime compte tenu de l’absence de bénéfice en termes de survie et de l’augmentation 170 QUELLES SONT LES PATIENTES POUVANT BÉNÉFICIER D’UN TRAITEMENT ANTI-HORMONAL AU-DELÀ DE 5 ANS ? des effets indésirables graves comme le cancer de l’endomètre ou les accidents thromboemboliques. Concernant la mise sous anti-aromatases pour 5 ans après 5 ans de tamoxifène, trois essais confirment un bénéfice en termes de survie sans récidive, survie globale, survie sans métastase et incidence des cancers du sein controlatéraux et ce quels que soient l’âge, le délai de début du traitement par rapport à l’arrêt du tamoxifène et le statut ganglionnaire (et particulièrement avec le létrozole). Par ailleurs ce traitement a une bonne tolérance globale, n’impacte pas la qualité de vie et est coût-efficace. Enfin, il n’existe à l’heure actuelle pas suffisamment de résultats disponibles afin de statuer sur une prescription pour plus de 5 ans d’un traitement par anti-aromatase, que ce soit en relais du tamoxifène (prescrit 2 à 5 ans) ou après 5 ans d’anti-aromatase. 171 CHÉREAU & COLL. Bibliographie [1] Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG). 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LOTZ (Paris) Résumé La prise en charge du cancer du sein métastatique a progressé ces dernières années tant du point de vue de la chimiothérapie que des thérapeutiques ciblées. Notamment, le trastuzumab ainsi que les autres thérapeutiques ciblant HER2 ont permis d’améliorer la survie globale des patientes atteintes d’un cancer du sein surexprimant HER2. Cependant, la gravité de cette maladie métastatique fait que son pronostic reste altéré et que les rechutes sont de règle, posant ainsi la question des éléments venant participer à la résistance des cellules tumorales au cours de l’évolution carcinologique. Parmi les facteurs explicatifs possibles, l’instabilité phénotypique des cellules cancéreuses est un phénomène bien décrit qui contribue à changer l’expression des récepteurs hormonaux et de HER2 à la surface des cellules tumorales. Ces dernières années, une littérature fournie a été produite sur la question de l’objectivation au moyen de biopsies de la modification du statut d’expression de ces cibles membranaires au niveau des sites métastatiques ganglionnaires ou à distance. Des cas de discordance entre expression phénotypique de la tumeur initiale et des métastases ont ainsi été rapportés à des taux variables. La mise à Hôpital Tenon - Service d’oncologie médicale - 4 rue de la Chine - 75020 Paris * Correspondance : [email protected] 175 DUBOT & COLL. disposition du clinicien de cette information de discordance aboutit à une remise en question des modalités thérapeutiques théoriquement basées sur le phénotype de la tumeur initiale. Cette revue a pour objectif de décrire les différents cas de discordance d’expression des récepteurs HER2 rapportés dans les séries de la littérature, leurs conséquences en termes d’adaptation du choix thérapeutique ainsi que leur valeur pronostique, dans le but de discuter l’indication d’une biopsie d’un site métastatique dans la pratique courante. Mots clés : cancer du sein métastatique, HER2, discordance Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Coraline Dubot, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Malgré les apports liés aux différents traitements adjuvants dans la prise en charge initiale d’un cancer du sein localisé, environ 20 % des patientes auront une rechute métastatique [1]. Les marqueurs tels que les récepteurs aux œstrogènes (RE), les récepteurs à la progestérone (RP) et HER2, connus sur la tumeur initiale sont alors utilisés lors des décisions thérapeutiques en phase métastatique. En particulier, HER2 surexprimé dans 12 à 15 % des tumeurs primitives [2] indique une valeur pronostique mais aussi une valeur prédictive de l’efficacité du trastuzumab tant en situation adjuvante, avec une réduction du risque de récidive ou de décès d’environ 50 % [3], qu’en situation métastatique. Le traitement par trastuzumab en situation métastatique permet ainsi d’effacer le mauvais pronostic de cette population de patientes en restaurant un pronostic globalement identique à celui d’une population ne surexprimant pas HER2 [4]. Les enjeux d’un tel traitement pèsent donc dans le choix thérapeutique en phase métastatique. 176 DISCORDANCE DU STATUT HER ENTRE TUMEUR PRIMITIVE ET MÉTASTASES : IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES Cependant, plusieurs études ont rapporté une discordance des statuts de ces récepteurs entre la maladie initiale et la rechute, reflétant ainsi des variations phénotypiques entre la tumeur primitive et les métastases ganglionnaires ou à distance. Cette hétérogénéité tumorale a déjà été rapportée depuis plus de 30 ans [5] et sous-tend la question de la résistance aux traitements en phase métastatique. En effet, les cellules tumorales sont soumises à une instabilité génomique qui génère une multiplicité des altérations géniques lors de la progression tumorale. Les choix thérapeutiques basés sur les cibles thérapeutiques connues sur la tumeur primitive peuvent donc être remis en question par une modification de ces cibles sur les cellules métastatiques. Dans le but de décrire ces modifications phénotypiques des cibles thérapeutiques que sont RE, RP et HER2 entre site primitif et rechute métastatique, de nombreuses études rétrospectives proposant des séries de biopsies des sites métastatiques comparées aux données anatomopathologiques de la tumeur initiale ont été rapportées. Deux études prospectives de grande envergure [6, 7] de même qu’une méta-analyse [8] ont été récemment publiées afin d’évaluer l’impact d’une discordance d’expression des récepteurs dans le choix thérapeutique ainsi que sa valeur pronostique. REVUE DE LA LITTÉRATURE 1. Données rétrospectives Une synthèse des données publiées est résumée dans le tableau 1. La plupart de ces études rétrospectives ont été menées sur des effectifs relativement réduits de patientes et ont porté sur la variabilité d’expression des RH et de HER2 tant pour les récidives locorégionales que pour les rechutes métastatiques. Les taux de discordance rapportés ont varié de 10 à 40 % pour les RE et RP [9]. Concernant HER2, les taux de discordance retrouvés dans la littérature sont moindres et avoisinent les 5 % [10]. La série de Santinelli et al. a rapporté un taux de discordance de 13,3 % pour les récidives locorégionales et de 28,6 % dans les récidives métastatiques métachrones [11]. Une autre étude de Regitnig et al. portant sur 31 patientes a rapporté 15 cas de modification du statut HER2, dont 3 ayant impacté la décision thérapeutique [12]. Sur les 48 patientes rapportées par Zidan et al., 14 % ont eu une modification de leur statut HER2 entre tumeur primitive et métastatique [13]. Une série 177 DUBOT & COLL. Tableau 1 - Résultats d’études rétrospectives de discordance du statut HER2 (d’après [9, 16]) Auteurs Masood et al. [25] Shimizu et al. [26] Simon et al. [27] Tanner et al. [28] Vincent-Salomon et al. [29] Lindström et al. [17] Gancberg et al. [30] Taucher et al. [31] Burstein et al. [32] Regitnig et al. [12] Carlsson et al. [33] Zidan et al. [13] Gong et al. [34] Pectasides et al. [35] Hurley et al. [36] D’Andrea et al. [37] Harris et al. [38] Mittendorf et al. [39] Simmons et al. [40] Lower et al. [41] Wilking et al. [42] Thompson et al. [6] Cardoso et al. [43] Lear-Kaul et al. [44] Lorincz et al. [45] Santinelli et al. [11] Tapia et al. [46] Niikura et al. [16] Aitken et al. [47] Amir et al. [7] Broom et al. [48] Xiao et al. [14] Guarneri et al. [49] Hoefnagel et al. [50] Idirisinghe et al. [51] Liedtke et al. [52] Curigliano et al. [15] Sari et al. [53] Sekido et al. [54] Wu et al. [55] Localisation secondaire biopsiée Nombre de patientes (n) Ma LR b/M Nc M M M M LR LR M N M LR/M M RL N LR LR M M LR/N/M M N M M LR/N/M M M N LR/M M M M M LR/M M M LR/M LR/M M 50 21 125 46 44 104 107 85 23 31 47 58 60 16 23 90 18 25 13 382 151 137 370 12 23 119/M (35) 105 182 194 271 100 66 75 233 117 789 255 78 44 10 Taux de discordance HER2 T. primitive/site métastatique 8% 0% 9,6 % 0% 4,5 % 14,5 % 6% 10 % 26 % 22 % 0% 14 % 3% 38 % 43 % 3,9 % 11 % 32 % 0% 34 % 10 % 9% 2% 41 % IHC-0 % FISH 8,7 % 28,6 % M 7,6 % 24 % 8,9 % 10 % 5,5 % 15,1 % 16 % 5,2 % 7% 13,6 % 13,9 % 14,7 % 4,5 % 50 % a : rechute métastatique ; b : rechute locorégionale ; c : rechute ganglionnaire 178 Taux de modification thérapeutique 7% 14 % 13 % 12,1 % - DISCORDANCE DU STATUT HER ENTRE TUMEUR PRIMITIVE ET MÉTASTASES : IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES de 66 patientes avec une tumeur primitive surexprimant HER2 a été rapportée par Xiao et al. dans le but de déterminer l’impact du traitement par trastuzumab sur la variabilité de l’expression de HER2. Une concordance du statut HER2 a été montrée pour 84,9 % des patientes, mais les tests de corrélation évaluant l’impact du trastuzumab ou des autres thérapeutiques anti-tumorales se sont avérés non concluants [14]. Récemment, quelques études rétrospectives de plus grande envergure ont été rapportées, posant la question du changement d’option thérapeutique consécutif aux résultats de biopsies des sites métastatiques et de l’impact des discordances tumorales en termes de survie. Une série de 255 patientes ayant eu une biopsie hépatique d’une lésion métastatique métachrone d’une tumeur primitive mammaire a été sélectionnée à partir des 1 250 biopsies hépatiques disponibles entre 1999 et 2009 sur la base de données de l’European Institute of Oncology [15]. Parmi ces 255 patientes, 27 (14,5 %) ont eu une modification pour le statut RE, 124 pour le statut RP (48,6 %) et 24 pour le statut HER2 (13,9 %). Le changement de thérapeutique global induit par ces résultats a concerné 31 patientes, soit 12,1 % de la cohorte. Le MD Anderson Cancer Center a également rapporté une série de 182 patientes surexprimant HER2 sur leur tumeur initiale pour lesquelles une biopsie d’un site métastatique avait été pratiquée entre 1997 et 2008 [16]. Quarante-quatre (24 %) de ces patientes ont eu une négativation de leur statut HER2. Les taux de discordance rapportés ont été significativement plus élevés pour les patientes ayant reçu une chimiothérapie (p = 0,022) mais n’ont pas été influencés par l’administration de trastuzumab (p = 0,296). Une diminution significative de la survie globale a concerné les patientes ayant une discordance de leur statut HER2 comparativement aux patientes ayant un statut HER2 stable (hazard ratio [HR] = 0,43 ; p = 0,003). Bien qu’elle porte essentiellement sur les modifications d’expression des RH, l’étude suédoise du Karolinska Cancer Center est intéressante [17], tant de par ses effectifs (plus de 1 000 patientes) que par la description qu’elle offre des variabilités d’expression des différents récepteurs au cours de rechutes successives (plusieurs biopsies ont été pratiquées au fur et à mesure des différentes rechutes chez une même patiente). Les taux de discordances observés sur cette cohorte ont été de 32,4 %, 40,7 % et 14,5 % pour les RE, les RP et HER2 respectivement. Les rechutes successives (2 à 6 rechutes) ont été évaluées pour l’expression de RE (119 patientes), des RP (116 patientes) et de HER2 (32 patientes) et ont montré une variabilité de 33,6 %, 32 % et 15,7 % respectivement. La survie des patientes ayant négativé leur statut RE a été significativement altérée comparativement aux patientes exprimant les RE de façon stable (hazard ratio = 1,48 ; 95 % CI, 1,08-2,05). 179 DUBOT & COLL. 2. Données prospectives L’essai BRITS est un essai prospectif, multicentrique, incluant 205 patientes en rechute locorégionale et/ou métastatique d’un cancer du sein [10]. Après la biopsie du site métastatique, un total de 137 patientes a été retenu avec un âge moyen à 62,6 ans, ménopausées pour 60,6 % d’entre elles, présentant une rechute après un délai médian de 92,2 mois par rapport au diagnostic initial. L’objectif de cet essai était de décrire les taux de discordance dans l’expression des récepteurs RE, RP et HER2 et de déterminer la proportion de patientes qui, du fait de cette discordance, a connu un changement de choix thérapeutique. Un switch du statut de RE a été observé dans 10,2 % des cas (n = 14), 24,8 % (n = 34) pour les RP et 2,9 % (n = 4) pour HER2. La rechute a été métastatique dans 35,8 % des cas mais aucune différence n’a été observée dans le taux de discordance selon que la rechute était métastatique ou bien locorégionale. In fine, 24 patientes ont vu leur thérapeutique modifiée par le changement du statut de leurs récepteurs. Les auteurs concluent que la biopsie d’une localisation métachrone à distance d’un cancer du sein permet de modifier l’orientation thérapeutique dans un cas sur six. En 2009, une étude pilote a inclus 40 patientes atteintes d’un cancer du sein avec une suspicion de rechute métastatique, parmi lesquelles 35 ont pu avoir une biopsie permettant d’avoir 29 échantillons, tous relus de façon centralisée [18]. La discordance concernant les RH a été évaluée à 40 % et 8 % concernant le statut HER2. Ces variations se sont traduites par un changement de thérapeutique dans 20 % des cas. C’est sur les bases de cette étude pilote qu’a été mené l’essai DESTINY rapporté par Amir et al. en 2012 [7]. Il s’agit d’un essai prospectif portant sur 121 patientes en rechute métastatique ou bien locorégionale inopérable d’un cancer du sein. Quatre-vingt pour cent des biopsies ont pu être analysées retrouvant une discordance pour RE, RP et HER2 de 16 %, 40 % et 10 % respectivement. L’objectif principal de cet essai était de déterminer le taux de modifications thérapeutiques consécutif aux résultats des biopsies : il a été de 14 %. Les objectifs secondaires étaient la description du taux de discordances, des risques liés à la biopsie, l’évaluation de la satisfaction des patientes biopsiées ainsi que leur survie. Les complications ont été rares, mais la procédure a généré un délai médian de prise en charge thérapeutique de 15 jours (2-56). Les patientes ont cependant adhéré à la procédure puisque le questionnaire de satisfaction révèle que 87,8 % d’entre elles recommanderaient aux autres patientes de faire une biopsie d’un site métastatique. Contrairement aux observations des cohortes rétrospectives, la survie sans progression de 180 DISCORDANCE DU STATUT HER ENTRE TUMEUR PRIMITIVE ET MÉTASTASES : IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES même que la survie globale n’ont pas été corrélées à l’existence d’une discordance d’expression des récepteurs. Récemment, une méta-analyse regroupant les données individuelles des patientes incluses dans les essais BRITS et DESTINY a été rapportée [8]. Un total de 289 patientes présentant une rechute locorégionale ou métastatique de leur cancer du sein ont été analysées. Les résultats des biopsies ont révélé un autre diagnostic dans 7,6 % des cas (pathologie bénigne ou bien second cancer), et des discordances dans les statuts de RE, RP et HER2 dans 12,6 %, 31,2 %, et 5,5 % des cas, respectivement. La décision thérapeutique a été modifiée par le résultat pour 14,2 % des patientes. Le taux de discordance n’a pas été corrélé au profil initial de la tumeur, ni au site de rechute ou encore à l’intervalle libre entre le diagnostic initial et la rechute. D’autre part, l’impact de la discordance sur la survie n’a pas été analysé étant donné que l’essai BRITS ne disposait pas de ces données. 3. Discussion Les données actuelles de la littérature permettent de montrer la variabilité phénotypique des cellules tumorales au cours de leur évolution. L’ensemble de ces résultats plaide en faveur de la pratique d’une biopsie au moment de la rechute, qu’elle soit métastatique ou locorégionale, car elle permettrait une adaptation de la décision thérapeutique dans environ un cas sur sept [7, 15]. Ainsi, certaines patientes ne seraient pas inutilement exposées à une thérapeutique antiHER2 et verraient leur traitement adapté de la façon la plus appropriée possible. La question réside de savoir pourquoi, alors qu’il existe un faisceau d’arguments en sa faveur, la réalisation d’une biopsie d’un site métastatique est peu effectuée dans la pratique courante. La première critique qui peut être apportée à l’ensemble de ces études demeure dans les limites des techniques anatomopathologiques utilisées pour évaluer le statut des récepteurs cibles. En effet, les techniques d’immunohistochimie (IHC) sont opérateur-dépendantes et ont une reproductibilité relativement limitée. L’évaluation du statut HER par FISH est communément admise comme plus fiable, mais seule une partie de ces études y a fait appel exclusivement [7, 29, 37, 40, 46], les autres ayant associé une technique d’IHC +/- FISH selon le score de surexpression de HER2 [11-13, 27, 29, 30, 33, 34, 44, 45, 47, 49-55]. Par exemple, bien qu’il existe une relecture centralisée pour l’étude DESTINY [7], il n’a pas été retenu par les auteurs d’effectuer une relecture dans le cas où la biopsie réalisée sur la tumeur initiale 181 DUBOT & COLL. avait été pratiquée dans leur centre. Cependant, ce choix peut s’avérer critiquable [19] au vu des résultats d’une étude ayant testé trois laboratoires centraux qui avaient participé à de grands essais de phase III en adjuvant [20]. Les résultats ont montré qu’au sein d’une même institution, une interprétation de mêmes données d’immunohistochimie ou de FISH pouvait occasionner des discordances de conclusion dans 8 % des cas. Au-delà des considérations portant sur les techniques analytiques, la question soulevée par ces différentes études est de savoir si la balance bénéfice/risque pèse en faveur d’une biopsie systématique des sites métastatiques. Autrement dit, l’impact sur la décision thérapeutique démontré par certaines de ces études est-il suffisant pour justifier la pratique courante de ces biopsies ? La démonstration d’un impact sur la survie permettrait sans doute de trancher cette question, cependant les données disponibles sur la relation entre survie et discordance du statut HER2 sont contradictoires. En effet, des données rétrospectives ont pu rapporter une altération de la survie chez les patientes présentant une discordance du statut de leurs récepteurs [16, 17], mais cela n’a pas été démontré en prospectif [7]. La démonstration du bénéfice par une amélioration de la survie des patientes ayant vu leur thérapeutique modifiée par la connaissance d’une discordance de leur statut HER2 est donc un point essentiel qui n’a pas encore été éclairci. La réticence à effectuer un geste invasif est également un argument souvent mis en avant pour expliquer la réserve des praticiens à l’égard d’un geste biopsique de la maladie métastatique. Les données de l’étude de Amir et al. ont effectivement montré qu’un tel geste peut occasionner un délai médian de prise en charge de 15 jours [7]. Malgré tout, les auteurs rapportent une bonne acceptabilité de la part des patientes. Toutefois, les données de l’étude de Centre Karolinska [17] semblent indiquer la nécessité de biopsier les métastases à chaque nouvelle évolution de la maladie, ce qui paraîtrait concordant avec l’idée d’un processus continu d’évolution tumorale que connaîtraient les cellules au cours de la maladie métastatique. Faut-il alors imposer un geste invasif à nos patientes à chaque évolution tumorale, lorsqu’il est techniquement réalisable ? D’autre part, étant donné l’objectivation faite d’une telle hétérogénéité tumorale, se pose la question de la variabilité phénotypique d’un site métastatique à l’autre. Bien que des études portant sur des autopsies n’aient pas démontré une grande variabilité entre les différents sites métastatiques au sein d’une même maladie tumorale [21], l’expérience de chacun a déjà été d’être confronté à une réponse dissociée entre plusieurs sites métastatiques à 182 DISCORDANCE DU STATUT HER ENTRE TUMEUR PRIMITIVE ET MÉTASTASES : IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES l’issue d’une ligne thérapeutique. Y a-t-il donc d’autres moyens moins invasifs à même de pouvoir préjuger de l’hétérogénéité tumorale et de son évolutivité ? Il semblerait que certaines alternatives puissent être proposées, ou du moins des informations complémentaires apportées à celles révélées par une biopsie de métastases. Concernant l’évaluation du statut HER2, un premier élément de réponse peut être apporté par l’utilisation du dosage du taux circulant de la portion extra-membranaire de HER2. Cette portion extra-membranaire du récepteur HER2 peut être clivée puis larguée dans la circulation. Cette protéine tronquée circulante semblerait corrélée au statut HER en immunohistochimie [22], mais l’existence d’une relation entre le taux de protéine tronquée circulante et une conversion du phénotype des métastases n’est pas établie. Des avancées peuvent également paraître intéressantes dans l’analyse du statut HER2 sur les cellules tumorales circulantes (CTC). Cependant, le seuil de détection des CTC (30 à 60 % des patientes [23]), leur corrélation plus ou moins variable avec le statut HER2 évalué sur biopsie d’une cible métastatique [23] et le faible nombre de patientes évaluées pour cette technique à l’heure actuelle ne permettent pas encore d’entrevoir leur utilisation en pratique courante. Enfin, l’imagerie nucléaire par tomographie par émission de positons (TEP), en utilisant un traceur ciblant les cellules sur-exprimant HER2 serait peut-être à l’avenir un outil intéressant. En effet, dans une publication récente, le traceur 18F-ZHER2:342-Affibody a démontré sur des modèles murins une bonne corrélation au statut HER2 en immunohistochimie, et une spécificité meilleure que le 18-FDG [24]. CONCLUSION La prise en charge des patientes atteintes d’un cancer du sein en phase métastatique se doit d’être adaptée au mieux dans l’optique d’optimiser leur survie. La démonstration de plus en plus étoffée de la variation phénotypique des statuts des RH et de HER2 à la surface des cellules tumorales dans le cadre d’une évolution métastatique d’un cancer du sein plaide en faveur d’une réévaluation du phénotype tumoral par le moyen de biopsies des cibles métastatiques. Bien que l’impact thérapeutique d’une telle réévaluation soit désormais clair, l’estimation de son influence sur la survie des patientes évaluées demeure une question essentielle. 183 DUBOT & COLL. Bibliographie [1] Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG). Effects of chemotherapy and hormonal therapy for early breast cancer on recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet 2005;365:1687-1717. [2] Navolanic PM, Steelman LS, McCubrey JA. EGFR family signalling and its association with breast cancer development and resistance to chemotherapy. Int J Oncol 2003;22:237-52. [3] Viani GA, Afonso SL, Stefano EJ, De Fendi LI, Soares FV. Adjuvant trastuzumab in the treatment of Her-2-positive early breast cancer: a meta-analysis of published randomized trials. BMC Cancer 2007;7:153. [4] Dawood S, Broglio K, Buzdar AU, Hortobagyi GN, Giordano SH. 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ROUZIER (Paris) Résumé Les cancers du sein « triple négatifs » représentent environ 17 % des cancers du sein et constituent un groupe hétérogène caractérisé par l’absence de récepteurs hormonaux aux œstrogènes et à la progestérone et l’absence de surexpression du facteur de croissance HER-2 en immunohistochimie. Ce sous-type de cancers du sein est associé à un profil clinique défavorable avec un haut risque de rechute métastatique précoce du fait du caractère agressif de ces tumeurs, de leur réponse partielle à la chimiothérapie et du manque actuel de thérapies ciblées utilisées en pratique clinique. L’identification précise des facteurs pronostiques de ce sous-type de cancers, ainsi que des facteurs prédictifs de la réponse tumorale aux différents traitements, et l’apport des thérapies ciblées sont des pistes susceptibles d’améliorer la prise en charge et la survie des patientes atteintes par ces cancers au pronostic péjoratif. Mots clés : cancer du sein triple négatif, facteurs pronostiques et prédictifs, classification moléculaire, cancer du sein basal-like Hôpital Tenon - APHP - Service de gynécologie-obstétrique - CancerEst - GRC-UPMC 6 Université Pierre et Marie Curie Paris VI - 4 rue de la Chine - 75020 Paris * Correspondance : [email protected] 187 ZILBERMAN & COLL. Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Sonia Zilberman, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Le cancer du sein est une maladie hétérogène tant du point de vue clinique qu’histopathologique et biologique avec des pronostics et des réponses aux différentes thérapeutiques très variés. Les cancers du sein triple négatifs (CSTN), ainsi nommés car ils n’expriment ni les récepteurs aux œstrogènes (RO), ni les récepteurs à la progestérone (RP) et ni le récepteur HER2, surviennent le plus souvent chez des femmes jeunes, non ménopausées, et sont associés à un risque plus élevé de récidives précoces, de métastases viscérales et de décès, plus particulièrement dans les 5 premières années du suivi [1, 2]. Ainsi, bien que ne représentant que 17 % des cancers du sein, les CSTN sont responsables d’une proportion élevée des décès par cancer du sein [1, 3] et ont fait l’objet depuis la première mention du terme « triple négatif » de très nombreuses études. Les CSTN, qui forment eux-mêmes un sous-groupe hétérogène, ont permis de mettre en évidence que la biologie tumorale primait sur la masse tumorale en termes de réponse aux traitements. Encore inaccessibles à un traitement ciblé et semblant plus agressifs que les autres sous-types de cancer du sein, les CSTN sont aujourd’hui un enjeu majeur pour les oncologues, les anatomopathologistes et les généticiens. 188 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS Dans cette revue nous étudierons les données récentes de la littérature permettant d’identifier cette entité particulière afin de définir ses implications thérapeutiques et la mise en évidence de facteurs pronostiques et prédictifs de réponse au traitement. I. DÉFINITION DES TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES I.1. Description immunohistochimique : tumeurs triple négatives/tumeurs basal-like Le terme tumeur « triple négative » (TN) est une définition immunohistochimique correspondant à l’absence d’expression des récepteurs aux œstrogènes et à la progestérone et à l’absence d’expression du récepteur HER2, et il est utilisé en pratique clinique. En France, les seuils de négativité retenus sont de moins de 10 % de cellules marquées pour les récepteurs hormonaux (RH), et un marquage membranaire d’HER2 de score 0 ou 1+ ou bien 2+ mais sans amplification en FISH pour ERBB2. Cependant, il paraît important de rappeler ici, à l’instar des recommandations de plusieurs groupes internationaux [4], que la définition retenue pour les CSTN correspond bien à une parfaite négativité des RH (absence de toute cellule marquée) et à l’absence d’expression ou d’amplification de HER2. I.1.a. Tumeurs basal-like (BL) Les tumeurs BL sont habituellement RO-négatives, RP-négatives et HER2-négatives et expriment un ou plusieurs des marqueurs spécifiques basaux (CK5/6, CK14, CK17 et EGFR) [5]. Les tumeurs ainsi identifiées comme BL par l’immunohistochimie constituent un groupe très hétérogène et il faut distinguer 2 sous-groupes : – les BL de phénotype BL pur exprimant les cytokératines basales, – les BL de phénotype myoépithélial exprimant la P63, l’actine muscle lisse ou la PS100. En pratique les tumeurs BL sont souvent assimilées aux CSTN et sélectionnées à partir de ce groupe, or ces 2 groupes ne sont pas synonymes [6]. En effet, il semble plus exact de dire que la majorité, et non la totalité, des tumeurs TN ont un phénotype BL et que la majorité, et non la totalité, des tumeurs BL ont un phénotype TN. Les études extrapolant les résultats et les conclusions portant sur des CSTN 189 ZILBERMAN & COLL. aux tumeurs BL ou inversement sont maintenant perçues comme inexactes. Les derniers chiffres de la littérature internationale montrent que 80 % des tumeurs TN ont un phénotype BL [7], qu’environ 80 % des tumeurs BL sont des tumeurs TN [8] et qu’au moins 20 % des tumeurs BL expriment les RO ou surexpriment HER2, ces chiffres pouvant aller de 18 % à 40 % [9]. I.1.b. Tumeurs de phénotype apocrine Si un CSTN n’exprime ni les cytokératines de haut poids moléculaire, ni EGFR, ni c-KIT, on retient un phénotype apocrine [10] se définissant par une positivité aux récepteurs aux androgènes (RA). I.2. Description morphologique Le cancer du sein triple négatif ne correspond pas à une maladie mais à un statut immunohistochimique commun à un ensemble de tumeurs avec une carte d’identité tumorale et une évolution clinique différentes. Ainsi, si ces tumeurs, environ 17 % des cancers du sein, sont majoritairement constituées de carcinomes canalaires infiltrants classiques de haut grade, on y retrouve aussi une concentration importante de types rares de cancer du sein dont le pronostic est moins péjoratif comme les carcinomes sécrétants juvéniles, les carcinomes adénoïdes kystiques, les carcinomes médullaires, les carcinomes métaplasiques et dans une moindre mesure les carcinomes apocrines [11]. I.3. Description moléculaire et tumeurs de type basal-like et claudin-low L’apparition de la classification intrinsèque moléculaire des cancers du sein basée sur leur profil d’expression génique, issu d’études sur puces à ADN, décrite pour la première fois par l’équipe de Perou et Sorlie en 2000 [12] et explicative de la classification phénotypique, a permis de dégager des profils différents, au-delà des critères classiques décrits précédemment. Elle a ainsi aidé à mieux comprendre les différentes formes de présentation clinique et profils de rechute, de métastases ou de survie. La classification initiale distingue cinq sous-groupes : 190 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS – profil luminal A : caractérisé par une très forte expression de tous les gènes associés aux récepteurs aux œstrogènes (RO) et par une stabilité du génome ; – profil luminal B : expression plus faible des gènes précédents, le génome tumoral est plus instable, on peut retrouver quelques amplifications (dont HER2) et délétions et mutations (comme P53) ; – profil HER2 « enrichi » : ERBB2 est amplifié, de nombreuses autres amplifications et délétions sont retrouvées en array CGH (aCGH) ; – profil basal-like (BL) : n’exprime ni RO, ni HER2, présente quasiment toujours des altérations de P53, une grande instabilité génétique, une forte prolifération et l’expression variable de EGFR, du récepteur aux androgènes supposant des sous-groupes biologiques ; – profil normal-like : il correspond au profil d’expression de gènes non épithéliaux. Il s’agit en fait d’un artefact lié à l’étude génétique de tumeurs paucicellulaires dont les gènes tumoraux ont été dilués par les gènes du stroma. Il n’a aucune signification clinique. Ainsi cette nouvelle classification des cancers mammaires est basée sur l’expression par la tumeur de nombreux gènes impliqués dans la prolifération et la différenciation. Ces gènes sont, avant tout, régulés différemment selon l’expression ou non d’ESR1, le gène codant pour les récepteurs aux œstrogènes et ensuite selon la surexpression ou non du gène ERBB2 codant pour les récepteurs HER2. Ces 2 gènes sont des gènes majeurs de la carcinogénèse mammaire [12]. Dans ces profils d’expression, on retrouve également les gènes différenciant les 2 principales couches cellulaires du tissu mammaire normal, d’une part les cellules luminales, et d’autre part les cellules basales/myoépithéliales et des gènes de la prolifération cellulaire. I.3.a. Tumeurs de type BL Les tumeurs BL, issues des cellules basales/myoépithéliales, se caractérisent par : – la sous-expression de gènes de la signature luminale correspondant aux gènes des RO ou des RP ainsi qu’une sousexpression des gènes GATA3, LIV1 ou BCL2 ; – l’absence de surexpression du gène HER2 ; – une forte expression des gènes des CK de haut poids moléculaire, dites basales (CK5/6, 14 et 17), des gènes EGFR, CKIT, FABP7, cavéolines 1 et 2. Le gène de la P-cadhérine est également fortement exprimé ; 191 ZILBERMAN & COLL. – l’expression forte de gènes de prolifération comme STK6, BUB1 et TOPOIsomérase 2alpha. Du point de vue génomique, une mutation de P53 est mise en évidence dans 95 à 100 % des carcinomes BL [13]. Il existe aussi très souvent des pertes d’expression ou des altérations du gène PTEN avec activation de la voie AKT/mTOR [14]. Les analyses par puces d’hybridation génomique comparative (aCGH) ont montré des remaniements du génome très variés et nombreux, représentés par des anomalies de nombres des chromosomes liés à des gains ou des pertes mais peu d’amplifications géniques majeures [15]. La figure 1 représente le recouvrement entre les formes BL et TN de cancer du sein. I.3.b. Tumeurs de type claudin-low Très récemment, un nouveau sous-groupe moléculaire bas en claudine a été mis en évidence, appelé claudin-low [16]. Les tumeurs de type claudin-low expriment faiblement les protéines des jonctions intercellulaires et se caractérisent par une expression basse ou absente des marqueurs de différenciation luminale [16]. Par ailleurs, elles expriment fortement les marqueurs de transition épithélio-mésenchymateuse, les Figure 1 - Recouvrement des formes de cancer du sein TN, BL et BRCA1 192 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS gènes de la réponse immunitaire et les marqueurs des cellules souches cancéreuses (ALDH1…). Il s’agit du sous-type moléculaire le moins fréquent (12-14 %) avec des tumeurs typiquement de haut grade [17] souvent richement infiltrées par des lymphocytes. La plupart des tumeurs claudin-low sont des carcinomes canalaires infiltrants auxquels s’ajoutent de fréquents carcinomes médullaires et métaplasiques [16]. Finalement, au sein des CSTN, les deux sous-types moléculaires les plus fréquemment identifiés seraient d’une part le type claudin-low, proche du phénotype des cellules souches, correspondant à la première étape de différenciation d’une cellule tumorale, et d’autre part le type BL, plus tardif dans la carcinogénèse, secondaire à l’altération du gène BRCA1. Ce groupe récent claudin-low n’est pas admis par tous et est encore largement discuté. I.4. Mutation de BRCA1 et tumeurs BL/TN En plus du phénotype BL, il existe un recouvrement entre tumeurs TN et mutations germinales de BRCA1. Ainsi parmi les tumeurs survenant chez des patientes porteuses de mutations germinales de BRCA1, 80 % sont des CSTN et 80 à 90 % sont des tumeurs BL. Parmi les CSTN, 10 % sont diagnostiqués chez des patientes présentant des mutations germinales de BRCA1 [18]. Un lien très fort est donc décrit entre la voie BRCA1 et les cancers du sein TN ou BL. I.5. Tumeurs BL/TN sporadiques Les cancers du sein BL sporadiques et ceux survenant chez des patientes porteuses de mutation BRCA1 ont des profils génétiques moléculaires proches mais ils diffèrent par l’absence de mutations BRCA1 dans le groupe des tumeurs BL sporadiques. Cependant, il existe dans ces tumeurs un important dysfonctionnement de BRCA1 par d’autres mécanismes qu’une mutation germinale. Un dysfonctionnement de la voie BRCA1 est présent dans la majorité des cancers du sein BL sporadiques. Un niveau d’expression significativement plus faible de la protéine BRCA1 est retrouvé dans les tumeurs de phénotype BL, mais aussi dans les tumeurs de haut grade (SBR3) ou n’exprimant pas les récepteurs hormonaux [19]. Les tumeurs BL sporadiques ont une inactivation somatique (c’està-dire intratumorale, acquise) de BRCA1. Concernant les mécanismes 193 ZILBERMAN & COLL. d’inactivation de BRCA1 dans les tumeurs sporadiques, des hypothèses de sous-régulation médiée par des mécanismes épigénétiques ont été envisagées [20] à type de méthylation de gènes promoteurs et/ou de transcription silencieuse de BRCA1. Les mutations de BRCA1 entraînent la perte de la fonction de réparation, et une grande instabilité génomique (perte d’hétérozygotie, mutation de gènes tels que P53…) au sein de la tumeur [21]. L’ensemble des similitudes morphologiques, immunophénotypiques et moléculaires entre les carcinomes des patientes porteuses de mutations BRCA1 et les carcinomes BL sporadiques pourrait presque inciter à parler de « carcinomes BRCA1-like » [22]. En pratique clinique, le phénotype BL ou TN d’un cancer du sein doit faire évoquer la possibilité d’une mutation du gène BRCA1 surtout s’il s’agit d’une patiente jeune avec des antécédents familiaux ; une enquête oncogénétique doit être à envisager. II. FACTEURS PRONOSTIQUES DES CANCERS TRIPLE NÉGATIFS Les différents consensus internationaux, dont le plus récent est le consensus de St Gallen 2009 [23], ont identifié plusieurs facteurs pronostiques dans le cancer du sein : l’âge, la taille tumorale, l’atteinte ganglionnaire, l’infiltration lymphovasculaire, le degré de différenciation selon Scarff Bloom et Richardson (grades I à III), la présence des récepteurs hormonaux aux œstrogènes et à la progestérone, et la surexpression de HER2. Les facteurs histopronostiques, en particulier l’hormonosensibilité et le statut HER2 de la tumeur, sont devenus les déterminants de l’attitude thérapeutique au détriment de l’ancienne classification TNM [24]. Ils permettent une approche individualisée dans le traitement du cancer du sein en sélectionnant le traitement le plus efficace correspondant à un type particulier de cancer mammaire. II.1. Pronostic des CSTN Les CSTN ont un pronostic péjoratif par comparaison aux tumeurs hormonosensibles ou avec surexpression d’HER2 [1, 25]. Les CSTN se déclarent chez des patientes plus jeunes, le plus souvent non ménopausées [26]. Lors du diagnostic, les CSTN sont 194 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS habituellement de haut grade avec des tumeurs plus volumineuses et avec un profil plus agressif : faible expression de BCL2 (tumeurs BL), forte expression de p53 et Ki67 élevé. Dans ce sous-groupe, contrairement aux autres sous-types tumoraux, il existerait une relative indépendance du risque d’atteinte ganglionnaire vis-à-vis de la taille tumorale [1]. II.1.a. Risque de récidive locorégionale La corrélation entre le statut TN et une augmentation du risque de récidives locorégionales reste débattue. Cependant, même si certains auteurs tel qu’Haffty [2] ne constatent pas de majoration du risque de récidives locorégionales mais bien un sur-risque d’évolution métastatique, un faisceau croissant de données cliniques évoque le contraire (étude réalisée sur 482 cancers du sein, dont 117 cancers du sein triple négatifs avec un suivi médian de 7,9 années). Tan et al. en 2008 [27], sur 245 cancers du sein TN et BL, ne retrouvent pas non plus d’impact sur la rechute locorégionale mais ne précisent pas le type de traitement local. Kyndi et al. [28] ont rapporté, sur une population de 1 000 patientes, un moins bon taux de contrôle locorégional après radiothérapie adjuvante, tant chez les tumeurs TN (p = 0,002) que les tumeurs RH-/HER2+ (p = 0,0003). Un résultat similaire était retrouvé chez 519 patientes dans l’étude de Solin et al. [29], avec des taux d’échec local à 8 ans de 8 % contre 4 % dans le reste de la population (p = 0,041). Il est intéressant de noter que dans l’étude de Voduc et al. [30], ce sur-risque semble concentré sur les BL alors que les autres tumeurs TN ne présentaient pas d’augmentation du risque de récidive locorégionale. II.1.b. Risque de métastase à distance Dans l’étude de cohorte de Toronto ayant étudié le devenir de 1 601 patientes atteintes d’un cancer du sein, 180 patientes étaient atteintes d’un cancer TN [1]. Comparativement aux autres sous-types tumoraux, elles présentaient un plus fort risque de récidives métastatiques (HR 2,6 ; IC 2,0-4,5, p < 0,0001) et de décès (HR 3,2 ; IC 2,3-4,5, p < 0,001). En revanche, ce sur-risque était maximal dans les 5 premières années du suivi. Le groupe des TN présentait un pic de récidives dans les 3 premières années, risque qui ensuite déclinait rapidement, alors que dans le reste de la population ce risque de récidives, quoique plus faible, persistait dans le temps. Cette donnée est confirmée dans les études de Nofech-Mozes et d’Esserman [25, 31]. 195 ZILBERMAN & COLL. Ainsi, si on compare le taux de survie à 3 ans entre un groupe de tumeurs TN et un groupe de tumeurs non-TN, il est respectivement de 76,8 % versus 93,5 % (p < 0,0001), de même, si on compare des carcinomes BL et non-BL, le taux de survie à 3 ans est respectivement de 77,4 % versus 93,4 % (p < 0,0001) [32]. Comparativement aux autres sous-types tumoraux, les tumeurs TN donnent plus fréquemment des métastases viscérales, notamment hépatiques et cérébrales, peut-être moins de métastases osseuses (mais cette donnée n’est pas retrouvée dans l’étude de Dent [33]) et très peu de métastases séreuses [33-35]. Ici aussi, certaines modulations peuvent être faites si l’on considère les tumeurs BL comparativement aux autres tumeurs TN non-BL. Ainsi, Kennecke rapporte dans une série de 3 726 patientes que les tumeurs BL présentent un taux plus important de métastases cérébrales, pulmonaires et ganglionnaires, mais avec significativement moins de métastases osseuses et hépatiques, alors que les tumeurs TN non-BL présentent un profil relativement similaire, mais avec des taux plus importants de métastases hépatiques [36]. Pour ce qui est du risque de développer des métastases cérébrales, il resterait inférieur à celui des tumeurs HER2+, mais cependant nettement plus élevé que celui des tumeurs RH+ [37]. Le pronostic des métastases cérébrales est plus sombre dans les cancers du sein TN que pour les autres tumeurs mammaires [38, 39]. Après cette période de 3 à 5 ans, le risque de rechute diminue rapidement et les rechutes à plus de 10 ans après le diagnostic initial sont exceptionnelles. Au final, les survivantes à long terme (au-delà de 10 ans) dans la population TN ou BL pourraient avoir une survie comparable à la population non-TN ou non-BL [32]. Il apparaît donc qu’en tant que groupe, les tumeurs TN et BL ont un pronostic péjoratif ; cependant, le pronostic devrait être évalué au sein des différents sous-types répondant à la définition de CSTN. II.2. Facteurs pronostiques histologiques : un ensemble de sous-groupes aux pronostics différents Les CSTN forment un groupe hétérogène. L’étude histologique permet d’isoler des tumeurs triple négatives rares, mais à excellent pronostic : tumeur adénoïde cystique, tumeur apocrine, tumeur sécrétoire et tumeur médullaire [40-42]. Il est indispensable d’individualiser ces sous-types à meilleur pronostic auxquels des chimiothérapies agressives pourraient être épargnées et, au contraire, de bien cibler les patientes au pronostic 196 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS sombre chez qui un traitement systémique est indispensable. Ainsi les tumeurs de profil moléculaire apocrine définies en IHC par l’expression des récepteurs aux androgènes (RA) sont associées à une survie relativement meilleure parmi celles n’exprimant pas les RO [43]. Les cancers médullaires, quant à eux, sont souvent de type BL et partagent leur taux élevé de mutation de p53 et certaines altérations génomiques ainsi que leur pronostic péjoratif [44-46] (Tableau 1). Tableau 1 - Pronostic des sous-types histologiques des tumeurs triple négatives Mauvais pronostic Bon pronostic Carcinome canalaire infiltrant de haut grade Carcinome apocrine bas grade Carcinome médullaire Carcinome lobulaire infiltrant de haut grade Carcinome métaplasique bas grade Carcinome métaplasique haut grade Carcinome secrétant juvénile Carcinome myoépithélial Carcinome adénoïde kystique Carcinome neuro-endocrine haut grade II.3. Facteurs pronostiques « traditionnels » liés à la masse tumorale Des facteurs pronostiques cliniques traditionnels sont aussi retrouvés pour ces tumeurs TN. Une atteinte ganglionnaire axillaire et une taille tumorale importante sont des facteurs de mauvais pronostic [47]. II.3.a. Taille tumorale Les tumeurs BL et TN ont tendance à être de plus grande taille, souvent > 2 cm, que les autres sous-types de cancers mammaires [1, 48]. Ceci pourrait être lié à une croissance rapide et une incidence relativement élevée de ces tumeurs chez de jeunes patientes chez qui la détection mammographique est plus difficile. II.3.b. Statut ganglionnaire Concernant l’extension locorégionale, les carcinomes BL seraient plus souvent indemnes de métastases ganglionnaires que les autres sous-types tumoraux [49]. Contrairement aux carcinomes TN non BL, les tumeurs de phénotype BL auraient un risque de récidives locales plus élevé que les cancers RO+ [30]. 197 ZILBERMAN & COLL. II.4. Facteurs pronostiques liés à la biologie tumorale II.4.a. Tumeur basal-like : un pronostic sombre L’expression des cytokératines 5/6 et du récepteur à l’EGF (HER1) en immunohistochimie, définissant le groupe de tumeurs BL, a un pronostic particulièrement péjoratif [49]. Les tumeurs BL sont le plus souvent plus volumineuses [26, 44, 46], de grade tumoral élevé (75100 % sont de grade 3) [45, 50, 51], et avec une faible différenciation. Différentes études ont ainsi montré que l’expression des marqueurs basaux (CK5/6, CK14, CK17 ou EGFR) était associée à un plus mauvais pronostic quelle que soit l’expression des RH. Carey et al. [26] ont montré que les tumeurs BL avaient le pronostic le plus péjoratif en termes de survie spécifique comparé à tous les autres sousgroupes de cancers du sein pour les patientes N+ et N-. Van de Rijn et al. [52] ont, eux, observé que l’expression des cytokératines CK 15 et/ou CK 5/6 était un facteur de mauvais pronostic indépendant de la taille tumorale et du grade seulement pour les patientes N- mais pas pour les patientes N+, alors que pour Nielsen et al. [53], la présence des cytokératines basales est associée à un mauvais pronostic seulement chez les patientes N+. Le pronostic des tumeurs BL serait encore plus péjoratif au sein du groupe des CSTN [5, 32]. L’association de mutations de BRCA1 et du phénotype BL est maintenant bien décrite [54]. Il a été suggéré que la présence d’une mutation BRCA1 serait un facteur de bon pronostic pour ces tumeurs [55] car pourvoyeuse d’une plus grande chimiosensibilité. II.4.b. Taux de Ki67 Une forte expression de Ki67 permettrait d’isoler un sous-groupe de plus mauvais pronostic [56]. Dans une étude sur 105 patientes atteintes d’une tumeur du sein TN et bénéficiant d’une chimiothérapie néoadjuvante, Keam et al. [56] montraient qu’un Ki67 supérieur à 10 %, bien qu’associé à un taux plus élevé de réponses complètes à la chimiothérapie (pCR), était significativement associé à des survies sans récidive et des survies globales plus courtes (p = 0,005, p = 0,019). II.4.c. p53, BCl2 et récepteur aux androgènes Plusieurs études ont mis en évidence une valeur pronostique péjorative de la surexpression de p53. Biganzoli et al. montrent, sur une série de 1 709 patientes issues de 2 centres différents, que la recherche de l’expression de p53 permet d’identifier 2 groupes au pronostic significativement différent en termes de survie globale et de survie sans récidive [57]. Cette étude conforte 198 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS les résultats de Chae et al. [58] sur 135 patientes atteintes d’un cancer du sein et ayant bénéficié d’une chimiothérapie adjuvante par anthracyclines. Chez les patientes TN, l’expression de p53 apparaît comme un facteur pronostique péjoratif avec une survie sans récidive et une survie globale significativement diminuées (p = 0,013 et p = 0,049, respectivement). La faible expression de Bcl2 et l’absence d’expression du récepteur aux androgènes sont aussi identifiées comme des facteurs de mauvais pronostic [47]. II.5. Réponse à la chimiothérapie néoadjuvante En situation néoadjuvante, il apparaît de plus en plus clairement que c’est précisément la réponse au traitement qui constitue le facteur pronostique le plus important. Ainsi, il est bien démontré que la réponse histologique complète (pCR) à la chimiothérapie néoadjuvante est un facteur pronostique indépendant concernant la survie [59-61]. Cependant, de nombreuses études ont montré que les CSTN avaient un taux de pCR plus élevé que les autres tumeurs du sein mais un pronostic plus sombre [3, 62, 63]. Dans l’étude de Liedtke et al. [3], sur 1 118 patientes, celles présentant un CSTN avaient un taux de réponses histologiques complètes significativement plus important que les autres patientes (22 % contre 11 %). Les patientes TN avec une réponse complète avaient une excellente survie, cependant les patientes avec de la maladie résiduelle après chimiothérapie néoadjuvante avaient un pronostic significativement moins bon que les autres patientes (p < 0,0001), particulièrement dans les trois premières années. Ces facteurs pronostiques doivent cependant être affinés. En effet, le bénéfice du traitement n’est pas le même pour toutes les patientes, et ce malgré des facteurs pronostiques identiques. À l’heure actuelle, il paraît important de définir des facteurs prédictifs de la réponse tumorale à un traitement donné. 199 ZILBERMAN & COLL. III. FACTEURS PRÉDICTIFS DES TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES Un facteur prédictif est un facteur associé à une sensibilité ou à une résistance à un traitement spécifique. La chimiothérapie conventionnelle est le traitement standard des CSTN. Dans la littérature, les taux de réponses complètes à la chimiothérapie néoadjuvante conventionnelle basée sur l’association anthracycline/taxane varient entre 13 et 45 % [3]. Les tumeurs du sein TN sont caractérisées par une prolifération élevée, un taux important de mutations de p53, une mutation ou un dysfonctionnement de BRCA, des anomalies de la réparation de l’ADN, une dérégulation de l’apoptose, une angiogenèse importante… De telles caractéristiques pourraient constituer des facteurs prédictifs de réponse à certains traitements. D’autres pistes, afin d’identifier des facteurs prédictifs potentiels, non limitées aux TNBC incluent la surexpression de la topisomerase II cible des anthracyclines, ou l’analyse de l’augmentation de la sensibilité aux taxanes chez les patientes mutées p53. III.1. Anomalies de la réparation de l’ADN Les dysfonctions dans la réparation de l’ADN des CSTN mises en évidence par leur haute instabilité génomique peuvent rendre ces tumeurs plus sensibles aux thérapies favorisant les lésions de l’ADN. Ainsi, l’évaluation des anomalies de réparation de l’ADN pourrait nous permettre d’identifier les patientes plus à même de bénéficier de thérapies ciblant l’ADN comme les anthracyclines, les sels de platine et les inhibiteurs de PARP. Le test Comète (SIngle Cell Gel Electrophoresis test) utilise une technique simple et sensible pour la détection des lésions de l'ADN au niveau de la cellule. La longueur de la queue de la comète sur le gel d’électrophorèse est proportionnelle au nombre et à la fréquence des cassures de l’ADN [64]. La technique standard permet d’identifier les cellules tumorales comportant de nombreuses cassures de l’ADN. Cette technique, couplée à des techniques d’hybridation in situ avec des sondes marquées, peut même donner des informations plus précises sur les types d’altérations de l’ADN et sur les processus de réparation de l’ADN mis en œuvre par la cellule [65]. 200 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS Un modèle de profil de réparation d'ADN, basé sur 4 gènes, a été créé et validé sur TMA comme outil pronostique à partir de 143 biopsies de tumeurs TN [66]. Le groupe identifié comme à haut risque avait un risque de récidive plus important et survie sans récidive plus courte. III.2. BRCA1/mutation/dysfonctionnement La mutation ou le dysfonctionnement de la voie BRCA1 n’est probablement pas seulement un marqueur pronostique mais aussi un marqueur prédictif de réponse à la chimiothérapie. Des études précliniques et des analyses cliniques exploratoires montrent un gain de bénéfices aux chimiothérapies altérant l’ADN, les anthracyclines et les sels de platine, en présence de dysfonctionnement de la voie BRCA1 [67, 68]. Une signature génétique (panel de gènes), identifiée chez des patientes avec une mutation familiale délétère du gène BRCA1, a été recherchée chez 12 patientes atteintes d’un CSTN sporadique localement avancé afin d’identifier les tumeurs présentant un dysfonctionnement de la voie BRCA1 et de rechercher une corrélation à la réponse aux anthracyclines. L’expression de la signature génétique BRAC1 était significativement associée à un taux plus élevé de réponses complètes à la chimiothérapie [69]. Les données pour tenter de corréler le statut BRCA1 et la réponse aux taxanes sont encore limitées et controversées à l’heure actuelle [70, 71]. III.3. Signatures génétiques On peut imaginer qu'un biomarqueur seul ne puisse être suffisant dans la prédiction d’une réponse à la chimiothérapie. Pour faire face à la diversité biologique des tumeurs, un panel de gènes prédictifs ou signature génétique peut être nécessaire. De façon intéressante, une étude comparant des taux de réponses à la chimiothérapie néoadjuvante a montré que, malgré l'équivalence de taux de pCR (réponse complète) entre les sous-groupes basal-like et « Her2-positif », il n'y avait aucun chevauchement entre les gènes associés à la pCR pour les deux groupes. Ceci suggère que les mécanismes sous-tendant la chimiosensibilité ne sont pas les mêmes pour les différents sous-groupes moléculaires de cancer du sein et 201 ZILBERMAN & COLL. qu’une signature génétique prédictive de la réponse à la chimiothérapie pourrait être un « sous-groupe » spécifique [72]. Des résultats prometteurs ont récemment été rapportés pour l’utilisation d’une puce à ADN utilisant 50 gènes de cancers mammaires (PAM50) [73] qui, en plus d’identifier précisément le soustype de cancers, participerait à la prédiction de réponses à la chimiothérapie (FAC/taxanes). Contrairement aux tumeurs hormonosensibles, la réponse immunitaire à la prolifération tumorale semble être un des mécanismes moléculaires intimement associés au pronostic dans les CSTN. Ainsi, certaines signatures génétiques de gènes liés à l’immunité ont été rapportées comme associées à un bon pronostic chez les patientes porteuses de tumeurs RH-négatives et triple négatives [74-76]. De nouvelles thérapies ciblant les mécanismes de réponse immunitaire utilisant des signatures de gènes de l’immunité comme outils prédictifs pourraient améliorer le pronostic des patientes porteuses d’un CSTN. III.4. Topo-isomérase II alpha Une des principales cibles des anthracyclines, traitement adjuvant de référence des CSTN, est la topo-isomérase II alpha (topoIIa) qui contrôle la structure topologique de l’ADN et dont l’expression est influencée par la prolifération cellulaire. L’isoforme active de la topoIIa est donc la cible idéale à identifier et quantifier afin de prédire la chimiosensibilité aux anthracyclines. Une analyse quantitative automatisée par immunofluorescence (AQUA) est capable d’identifier et de quantifier la topoIIa [77]. Cet outil pourrait permettre de corréler la quantité de topoIIa présente à la sensibilité aux anthracyclines et ainsi être utilisé comme outil prédictif majeur. Ainsi, la recherche de facteurs prédictifs est particulièrement développée dans le cancer du sein, plus que dans les autres domaines de l’oncologie, et pourrait permettre de mieux individualiser les traitements. Des marqueurs prédictifs pourraient guider l’utilisation de chimiothérapie par l’identification de sous-populations de patientes TN ayant une maladie chimiosensible, ou prévoir plus spécifiquement la sensibilité ou la résistance aux différentes molécules de chimiothérapie. Cependant, actuellement il n’y a aucun outil clinique pour recommander ou proscrire l’utilisation de chimiothérapies spécifiques, et les choix thérapeutiques se basent alors davantage sur les facteurs pronostiques. 202 TUMEURS TRIPLE NÉGATIVES DU SEIN : FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS CONCLUSION Les CSTN représentent un sous-groupe hétérogène de cancers du sein associé à un mauvais pronostic. À l’heure actuelle, ils sont définis en immunohistochimie par l’absence d’expression des récepteurs aux œstrogènes, à la progestérone et à HER2. En l’absence de marqueurs immunohistochimiques ou de signature moléculaire disponibles en routine capables de définir des sous-groupes plus précis, les décisions thérapeutiques, et notamment l’introduction d’une chimiothérapie conventionnelle, sont basées sur ce statut « triple négatif » alors même que seule une faible proportion des patientes atteintes d’un CSTN ont une maladie très chimiosensible et un pronostic excellent. Il apparaît nécessaire aujourd’hui de se doter de stratégies thérapeutiques plus agressives et surtout plus adéquates et de développer des outils prédictifs capables de nous guider dans le choix des traitements : que ce choix s’oriente vers la molécule de chimiothérapie la plus adaptée à la biologie tumorale ou vers de nouvelles thérapies ciblées comme les très prometteurs inhibiteurs de PARP. Une telle approche ne peut être réalisée sans une caractérisation biologique optimale, permettant de comprendre la complexité de ce sous-groupe de tumeurs, et nécessite une collaboration internationale dans des essais cliniques impliquant anatomopathologistes, oncologues et chercheurs fondamentaux. 203 ZILBERMAN & COLL. Bibliographie [1] Dent R, Trudeau M, Pritchard KI, Hanna WM, Kahn HK, Sawka CA, Lickley LA, Rawlinson E, Sun P, Narod SA. Triple-negative breast cancer: clinical features and patterns of recurrence. Clin Cancer Res 2007;13(15 Pt 1):4429-4434. [2] Haffty BG, Yang Q, Reiss M, Kearney T, Higgins SA, Weidhaas J, Harris L, Hait W, Toppmeyer D. Locoregional relapse and distant metastasis in conservatively managed triple negative early-stage breast cancer. J Clin Oncol 2006;24(36):5652-5657. [3] Liedtke C, Mazouni C, Hess KR, Andre F, Tordai A, Mejia JA, Symmans WF, GonzalezAngulo AM, Hennessy B, Green M et al. 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Résultats, coût et implications thérapeutiques Y. DELPECH 1a *, G. BOUSQUET 2, J.P. B ROULAND 1b, E. BARRANGER 1a (Paris) Résumé Face à l’extrême hétérogénéité du cancer du sein, les facteurs clinico-pathologiques sont mis en défaut à l’échelle individuelle du fait d’un manque de marqueurs capables de regrouper les patientes en sous-types biologiquement et cliniquement homogènes. Grâce au développement de la biologie moléculaire cette dernière décennie, il est maintenant devenu possible de mesurer l’expression de milliers de gènes permettant de mieux appréhender différents sous-types de cancer du sein à l’histoire naturelle distincte. Le Recurrence Score (RS) délivré par Oncotype DX ou « signature des 21 gènes » est actuellement approuvé par la plupart des sociétés savantes chez les patientes ayant une tumeur exprimant les récepteurs aux œstrogènes (RO+) et sans envahissement ganglionnaire (N-). Plusieurs importantes études rétrospectives ont montré l’excellente corrélation pronostique indépendante du RS avec les autres facteurs clinico-pathologiques, et 1 - Hôpital Lariboisière - APHP - Université Denis Diderot Paris VII - 2 rue Ambroise Paré - 75010 Paris a : service de gynécologie et obstétrique - b : service d’anatomopathologie 2 - Hôpital Saint-Louis - APHP - Service d’oncologie médicale - Université Denis Diderot Paris VII - 1 avenue Claude Vellefaux - 75019 Paris * Correspondance : [email protected] 209 DELPECH & COLL. également la valeur du RS pour la prédiction du bénéfice de la chimiothérapie. De plus lorsque le RS est intégré par les cliniciens dans l’algorithme décisionnel du traitement adjuvant, le RS conduit à une modification des prescriptions dans près de 30 % des cas au bénéfice d’une réduction du nombre de chimiothérapies. L’ensemble des données économiques est également en faveur d’un bénéfice de l’intégration d’Oncotype DX dans les référentiels. Cependant l’absence de validation prospective d’Oncotype DX est un frein à sa généralisation à grande échelle. La publication de l’essai TailorX sera l’élément décisif pour l’adoption d’Oncotype DX en pratique courante mais celle-ci n’interviendra pas avant 5 ans. L’ère de la biologie moléculaire au lit du patient est maintenant devenue une évidence. Mots clés : cancer du sein précoce, Oncotype DX, pronostic, prédiction, coût, chimiothérapie Déclaration publique d’intérêt Yann Delpech, Guilhem Bousquet, Jean-Philippe Brouland et Emmanuel Barranger déclarent ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel, ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Aujourd’hui les indications de chimiothérapie adjuvante chez les patientes atteintes de cancer du sein reposent sur la combinaison de facteurs clinico-pathologiques classiques comme la taille tumorale, le type histologique, le grade, l’envahissement ganglionnaire, l’expression des récepteurs hormonaux, le statut HER2. L’ensemble de ces facteurs a un lien avec le pronostic de la tumeur (survie) et la prédiction de la réponse aux traitements. Afin d’en optimiser l’utilisation, ces facteurs ont été combinés dans des algorithmes décisionnels tels que Adjuvant ! Online, la conférence de St Gallen, le Nottingham Prognostic Index (NPI). 210 CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE (ONCOTYPE DX) - QUAND Y AVOIR RECOURS ? De nombreuses publications ont largement validé leur impact en pratique quotidienne. Cependant face à l’extrême hétérogénéité du cancer du sein, les facteurs clinico-pathologiques peuvent être mis en défaut à l’échelle individuelle du fait d’une lacune de marqueurs susceptibles de discriminer chaque situation particulière. L’inadéquation risque/traitement qui en résulte conduit le plus souvent vers un sur-traitement qui a pour conséquence une augmentation de la morbidité et du coût de la santé. Oncotype DX, ou la signature dite des « 21 gènes », a initialement été développée par Paik et al. (Genomic Health, Redwood City, CA) comme marqueur pronostique permettant de prédire le risque de récurrence à 10 ans chez les patientes présentant un cancer du sein sans envahissement ganglionnaire (N-), avec des récepteurs aux œstrogènes positifs (RO+) et traitées par tamoxifène [1]. Oncotype DX a également été évalué avec succès quant à sa valeur prédictive du bénéfice de la chimiothérapie dans ce sous-groupe de patientes [2]. De fait, Oncotype DX est apparu comme un outil complémentaire prometteur susceptible de pallier les lacunes prédictives des marqueurs clinico-pathologiques usuels. Cependant, devant l’absence de validation prospective randomisée d’ Oncotype DX, l’Institut national du cancer (INCa) a conclu en 2009 qu’il « n’y a pas de preuve que l’information apportée par Oncotype DX améliore la valeur pronostique et/ou prédictive apportée par les marqueurs phénotypiques usuels » limitant ainsi les prescriptions et les possibilités de remboursement de cet examen coûteux [3]. Néanmoins d’autres sociétés savantes comme l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), le National Comprehensive Cancer Network (NCCN), l’European Society for Medical Oncology (ESMO) et le comité d’experts de St Gallen ont d’ores et déjà intégré Oncotype DX en tant qu’option pour guider certaines indications de chimiothérapie [4-7]. L’objectif de cette revue est de rapporter les principaux résultats d’Oncotype DX publiés dans la littérature, les indications potentielles qui en découlent, les coûts et implications thérapeutiques de cet examen. I. ONCOTYPE DX : RÉSULTATS Oncotype DX permet d’analyser, à partir d’ARN extrait de tissu tumoral fixé (en formol) et inclus en paraffine, suivi d’une transcription inverse puis d’une PCR quantitative (RT-qPCR), l’expression des 21 gènes, incluant 16 gènes cibles et 5 gènes de référence. Les gènes 211 DELPECH & COLL. inclus dans cette signature sont principalement les gènes des voies des récepteurs hormonaux (Era, PR, SCUBE2, BCL2), HER2 (HER2, GRB7), de prolifération (Ki67, STK15, Survivine, Cycline B1, MYBL2) et d’invasion (stromélysine 3, cathepsine L2). Un algorithme a été défini par les auteurs à partir des valeurs d’expression de ces différents gènes permettant de calculer un score de risque de récurrence (Recurrence Score : RS). Techniquement, la bonne reproductibilité des résultats d’Oncotype DX a été rapportée pour l’analyse d’un même échantillon effectuée à des dates différentes et par des opérateurs différents [8]. En revanche, il existe peu de données concernant les fluctuations des résultats d’Oncotype DX en fonction des techniques de fixation des tissus, et en fonction de l’hétérogénéité intratumorale. Une série de données non publiées semble rassurante sur ces points [9]. Le pronostic du RS d’Oncotype DX a été démontré rétrospectivement dans différents groupes de patientes RO+, avec différents critères de jugement. Dans l’étude princeps de Paik et al., la valeur pronostique de cette signature a été testée chez des patientes ayant un cancer du sein N-, RO+ traitées par tamoxifène après réanalyse de 668 échantillons provenant de l’essai NSABP B-14. Les taux de récidive à distance à 10 ans étaient de 6,8 %, 14,3 % et 30,5 % pour les patientes ayant un RS faible (inférieur à 18), intermédiaire (entre 18 et 30), et élevé (supérieur à 30). Cette excellente prédiction du pronostic par Oncotype DX a également été démontrée pour la prédiction des récidives locorégionales dans les effectifs des études NSABP B-14 et B-20 [10] et pour les patientes post-ménopausées sous anti-aromatases dans l’étude TransATAC [11]. Puis dans un deuxième temps, la valeur du RS d’Oncotype DX a été démontrée pour la prédiction du bénéfice de la chimiothérapie chez les patientes RO+. La prédiction du RS a été rapportée dans plusieurs études rétrospectives testant différents protocoles adjuvants. L’essai NSABP B-20 a montré un bénéfice indiscutable de la chimiothérapie de type CMF ou MF (cyclophosphamide, méthotrexate, 5-FU) chez les patientes avec RS élevé (RS > 30) (HR = 0,26, IC 95 % = [0,13-0,53]) [2]. Puis le même bénéfice a été retrouvé chez les patientes avec RS élevé après chimiothérapie de type FAC (5-FU, adriamycine, cyclophosphamide) dans une reprise rétrospective de l’étude SWOG8814 [12]. Finalement l’intergroupe ECOG 2197 a rapporté les résultats de patientes présentant une tumeur avec RO+ traitées par doxorubicine et docétaxel [13]. Au-delà des résultats prometteurs de ces différentes études, aucune validation prospective d’Oncotype DX n’a été encore publiée. De plus, 212 CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE (ONCOTYPE DX) - QUAND Y AVOIR RECOURS ? la stratégie optimale des patientes ayant un RS intermédiaire reste à être définie sachant que 25 à 40 % des patientes RO+ sont classées dans cette catégorie [14]. L’essai TailorX, lancé depuis 2006 en Amérique du Nord, a pour objectif de valider la signification pronostique et prédictive de cette signature en incluant 7 000 patientes RO+, N- [15]. Cet essai utilise Oncotype DX comme marqueur décisionnel thérapeutique du traitement adjuvant. Les patientes avec un RS faible ou élevé reçoivent respectivement une hormonothérapie ou une hormono-chimiothérapie. Les patientes avec un RS intermédiaire sont randomisées entre hormonothérapie ou hormono-chimiothérapie. Les seuils RS retenus dans l’essai TailorX diffèrent légèrement de ceux utilisés dans les études rétrospectives préliminaires afin de diminuer le risque de soustraitement des patientes à RS élevé (seuils TailorX = 11 ≤ RS intermédiaire ≤ 25 versus seuils précédents = 18 ≤ RS intermédiaire ≤ 30). Ces nouveaux seuils ne semblent pas affecter la pertinence de prédiction du RS comme le rapporte une réanalyse de l’essai NSABP B-20 [14]. Les résultats très attendus de l’essai prospectif TailorX sont programmés par les investigateurs pour 2017. Chez les patientes RO+ avec envahissement ganglionnaire, peu de données ont été rapportées à ce jour [16]. Quelques résultats, notamment à partir de l’étude SWOG-8814, suggéreraient que l’utilisation d’Oncotype DX chez les patientes avec envahissement ganglionnaire apporterait des informations complémentaires en termes de risques de récurrence [12]. L’essai prospectif randomisé en cours SWOG S-1007, qui vise à déterminer l’intérêt de la chimiothérapie chez les patientes avec 1 à 3 N+, RO+, HER2-, faible RS par Oncotype DX, devrait permettre d’apporter un niveau de preuve suffisant pour intégrer les patientes N+ aux indications d’Oncotype DX [17]. II. COMPARAISON ONCOTYPE DX / MARQUEURS CLINICO-PATHOLOGIQUES La fiabilité de prédiction des récurrences par Oncotype DX a été comparée aux prédictions de récurrence faites à partir des données clinico-pathologiques usuelles. Plusieurs études suggèrent la supériorité du pronostic établi par Oncotype DX par comparaison aux marqueurs clinico-pathologiques usuels chez les patientes RO+ traitées par hormono-chimiothérapie [1820]. La supériorité d’Oncotype DX semble rester valable lorsque les 213 DELPECH & COLL. marqueurs clinico-pathologiques sont combinés dans des prédicteurs comme Adjuvant ! Online [19]. La combinaison des paramètres clinicopathologiques avec le RS permettrait d’obtenir d’encore meilleurs résultats de prédiction. Gong Tang et al. ont rapporté les résultats d’un score combiné prometteur, le RSPC (RS-Pathology Clinical) [20]. Le RSPC a montré une supériorité de prédiction sur les effectifs du NSABP B14 et TransATAC (647 et 1 088 patientes) en termes de prédiction de récidive. De plus, le RSPC permettait d’augmenter le nombre de patientes à bas risque (63,8 versus 54,2) et de diminuer le nombre de patientes à risque intermédiaire (17,8 % versus 26,7 %). Le RSPC devrait être accessible online prochainement. Le Ki67 détecté en routine par immunohistochimie est un marqueur pronostique de survie, prédictif de chimio-sensibilité en particulier en situation néoadjuvante. Le Ki67 est fortement corrélé au RS d’Oncotype DX [21]. Cette corrélation n’est pas surprenante compte tenu du fait qu’Oncotype DX intègre dans sa signature les gènes de proliférations dont celui du Ki67. Cependant le chevauchement entre Ki67 et Oncotype DX n’est pas parfait, en particulier pour le sousgroupe avec RS faible qui contiendrait un nombre important de patientes avec Ki67 intermédiaire ou élevé [21]. Oncotype DX serait plus performant que le Ki67 du fait de l’intégration d’autres paramètres de prolifération comme STK15, Survivin, CCNB1 [21]. À l’opposé de ces études, d’autres auteurs suggèrent qu’une optimisation des marqueurs mesurés en IHC permettrait d’obtenir une estimation du pronostic équivalente à celle Oncotype DX. Cuzick et al. ont rapporté le score IHC4 combinant 4 mesures quantitatives obtenues par IHC : RO, récepteur à la progestérone (RP), HER2 et Ki67 [22]. Le score IHC4 permettrait une prédiction des récidives à distance équivalente au RS de Oncotype DX. Cependant le score IHC4 a été établi sur des patientes n’ayant pas reçu de chimiothérapie (bras hormonothérapie de l’essai ATAC) et n’a pas été validé sur une population externe, cela limitant les conclusions des auteurs. Pour Allisson et al. un RS faible ou un RS élevé respectivement seraient hautement prévisibles en cas de tumeur grade 1, RP fort, Ki67 < 10 % (sous-groupe risque faible) ou de tumeur grade 3, faible PR Ki67 > 10 % (sous-groupe risque élevé) [23]. Les auteurs concluaient au faible intérêt d’Oncotype DX dans ces deux sous-groupes. Effectivement, aucune patiente du sous-groupe risque faible n’avait un RS élevé après Oncotype DX. Cependant dans le sous-groupe à risque élevé, 20 % des patientes avaient en réalité un RS faible, ce qui signifie un sur-traitement potentiel pour ces patientes. En plus de délivrer le RS, Oncotype DX délivre également une évaluation quantitative des RO, des RP et de HER2 basée sur les 214 CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE (ONCOTYPE DX) - QUAND Y AVOIR RECOURS ? données d’expression génique. Le degré de concordance pour RO entre le résultat d’Oncotype DX et l’immunohistochimie conventionnelle était de 93 % (IC 95 %, 91 à 95 %) dans la cohorte de l’ECOG2197. Pour le RP la concordance était de 90 % (IC 95 %, 88 à 92 %) [13]. De plus le niveau d’expression des RO provenant d’Oncotype DX était corrélé aux récurrences (p = 0,014) alors que les RO définis par IHC ne l’étaient pas (p = 0,091). Ces résultats ont été confirmés récemment par Kraus et al. avec néanmoins une concordance moins évidente pour l’évaluation semi-quantitative et un biais potentiel lié à l’absence d’analyse morphologique du tissu [24]. Concernant la concordance avec HER2, il existe des résultats contradictoires suggérant l’attente de données complémentaires [25-27]. Un important taux de faux négatifs avec Oncotype DX a été rapporté récemment soulignant probablement le manque de standardisation pour l’évaluation de HER2. III. INDICATIONS ET IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES Le test Oncotype DX est recommandé en option par le NCCN pour guider les indications de chimiothérapie pour les patientes sans envahissement ganglionnaire avec une tumeur du sein RO+, HER2négative, mesurant de 0,6 à 1 cm et modérément à faiblement différenciée, ou mesurant > 1 cm quel que soit le grade. Ces indications diffèrent légèrement des recommandations émises par le comité d’experts de St Gallen qui sont d’intégrer le test Oncotype DX pour les patientes en cas de tumeurs du sein RO+, grade 2, prolifération intermédiaire (Ki67 entre 16 et 30 %) et mesurant de 2,1 à 5 cm. L’impact des modifications thérapeutiques après restadification par Oncotype DX a été rapporté dans différentes séries rétrospectives portant sur des sous-groupes de patientes plus ou moins variables. Néanmoins la tendance générale reste pour une prescription moins fréquente de la chimiothérapie [28]. L’impact d’Oncotype DX a été évalué chez les patientes RO+ HER2N-, considérées comme intermédiaires par le NCCN. Ces patientes représentent aujourd’hui un challenge car il n’existe aucun marqueur susceptible de prédire dans ce groupe le bénéfice de la chimiothérapie. D’après une série rétrospective rapportant les résultats d’Oncotype DX chez 288 patientes intermédiaires (RO+, N-, stade I à II, grade 2), il semblerait qu’Oncotype DX permette de reclasser différemment les patientes dans 60 % des cas. En effet les auteurs rapportaient dans ce 215 DELPECH & COLL. groupe 53 % de patientes classées en RS faible (RS < 18) et 8 % de patientes en RS élevé (RS > 31), ceci permettant de surseoir à la chimiothérapie ou non. Cependant pour 40 % des patientes (n = 110) Oncotype DX n’apportait pas d’élément décisionnel supplémentaire car les patientes restaient classées avec un risque intermédiaire selon le RS (18 ≤ RS < 31). Actuellement pour les patientes ayant un RS intermédiaire, le bénéfice de la chimiothérapie est inconnu. Seuls les résultats de l’essai TailorX permettront de répondre à cette question. L’impact de changement thérapeutique d’Oncotype DX a également été évalué chez des patientes ER+ HER2- N- quel que soit le grade. Dans l’étude espagnole transGEICAM, 32 % des 107 patientes ont vu leur indication de chimiothérapie modifiée. Vingt et un pour cent des patientes sont passées de l’indication de chimiothérapie à l’hormonothérapie exclusive et 11 % de l’hormonothérapie vers la chimiothérapie [29]. De même Joh et al. ont rapporté les modifications de traitements après Oncotype DX chez des patientes RO+. Vingtquatre virgule neuf pour cent des patientes ont vu leur indication de chimiothérapie modifiée [30]. Les oncologues avaient tendances à surtraiter les patientes du fait d’une surestimation du risque de récurrence. En France, Gligorov et al. ont rapporté la première évaluation prospective de l’impact d’Oncotype DX au congrès annuel de l’ASCO 2012. Sur une population de 100 patientes RO+, HER2-, N- ou N(mi), la prescription de chimiothérapie passait de 49 % à 26 % (p < 0,001) [31]. Ces données confirmaient l’impact majeur d’Oncotype DX sur les référentiels actuels français. Une méta-analyse, incluant 9 études et publiée sous forme de poster lors de la conférence de St Gallen 2011, a rapporté un taux de réduction globale de la chimiothérapie de 22 à 24 % après reclassification des patientes RO+ par Oncotype DX. Trente pour cent des recommandations initiales pour l’association hormonothérapie et chimiothérapie étaient réduites en hormonothérapie seule et 5 % des recommandations pour l’hormonothérapie seule étaient transformées avec adjonction d’une chimiothérapie [32]. IV. ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE Oncotype DX fournit une valeur pronostique et prédictive chez les patientes RO+ atteintes d’un cancer du sein précoce. Néanmoins le coût élevé de l’examen limite l’accessibilité du test à l’ensemble des patientes. 216 CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE (ONCOTYPE DX) - QUAND Y AVOIR RECOURS ? De nombreuses études internationales ont déjà montré que l’utilisation du test prédictif était une stratégie coût-efficace intéressante. Indépendamment des pratiques cliniques de chaque pays, il a été retrouvé que l’utilisation du test prédictif chez toutes les patientes éligibles améliorait l’espérance de vie mais également l’espérance de vie ajustée sur la qualité de vie (QALY) grâce à l’optimisation des décisions thérapeutiques [33-40]. Cependant il est très difficile de transposer ces résultats directement à la France tant les disparités entre les pratiques cliniques et les coûts sont importantes d’un pays à l’autre. Dans une étude récente, Chéreau et al. ont rapporté une réduction de coût avec un gain de QALYs de 0,14 confirmant qu’une prise en compte du risque de récidive basée sur Oncotype DX apparaîtrait moins coûteuse et plus efficace en France [41]. Ces résultats récents seront capitaux à considérer en cas d’incorporation d’Oncotype DX dans les référentiels français. CONCLUSION Le RS délivré par Oncotype DX est actuellement approuvé par la plupart des sociétés savantes chez les patientes RO+ N-. Le RS a montré son excellente corrélation pronostique indépendante avec les autres facteurs clinico-pathologiques, et également sa prédiction de bénéfice de la chimiothérapie. Le RS conduit à une modification des prescriptions de traitement adjuvant dans près de 30 % au bénéfice d’une réduction du nombre de chimiothérapies. L’ensemble des données économique est en faveur d’un bénéfice de l’intégration d’Oncotype DX dans les référentiels. L’ensemble de ces informations convergentes fait d’Oncotype DX un marqueur de plus en plus incontournable malgré l’absence de validation prospective. Il est fort probable que la publication de l’essai TailorX sera l’élément décisif pour l’adoption d’Oncotype DX en pratique courante, mais celui-ci n’interviendra pas avant 5 ans. L’ère de la biologie moléculaire au lit du patient est maintenant devenue une évidence. Resteront à définir les places respectives des autres signatures moléculaires qui seront disponibles après validation comme Mammaprint. 217 DELPECH & COLL. Bibliographie [1] Paik S, Shak S, Tang G et al. A multigene assay to predict recurrence of tamoxifen-treated, node-negative breast cancer. N Engl J Med 2004;351:2817-26. [2] Paik S, Tang G, Shak S et al. Gene expression and benefit of chemotherapy in women with node-negative, estrogen receptorpositive breast cancer. J Clin Oncol 2006; 24:3726-34. [3] Institut national du cancer, Société française de sénologie et pathologie mammaire. Rapport 2009 sur l'état des connaissances relatives aux biomarqueurs tissulaires uPA-PAI1, OncotypeDX et Mammaprint dans la prise en charge du cancer du sein. In: INCa, editor. Traitements, Soins, Innovations : www.ecancer.fr; 2009. [4] Aebi S, Davidson T, Gruber G, Castiglione M. Primary breast cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. 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Cependant, elles restent discutées. Certains auteurs considèrent que le risque de RLR pour des tumeurs ≥ 5 cm de diamètre, en l’absence de RT, est globalement ≤ 10 % et qu’une RT n’aurait qu’un impact relativement faible sur la survie, à contrebalancer avec le risque de toxicité radioinduite bien qu’il ait été considérablement réduit avec les techniques modernes de RT. D’autres auteurs ont rapporté un risque de RLR > 10 % en l’absence de RT lorsqu’au moins 2 facteurs de risques suivants sont présents comme : la présence d’emboles Hôpital Tenon - Service d’oncologie-radiothérapie - APHP - Groupe hôpitaux universitaires est parisiens (GH HUEP) - Faculté de médecine Pierre et Marie Curie Université Paris VI - 4 rue de la Chine - 75020 Paris * Correspondance : [email protected] 221 TOUBOUL & COLL. tumoraux intravasculaires, le grade histologique 3, la taille tumorale > 2 cm, une marge de tissu sain insuffisante et l’âge < 50 ans ou un état hormonal préménopausique. Dans ces cas, ils proposent une RT postopératoire. En cas de chimiothérapie néoadjuvante, l’intérêt d’une RT postopératoire est discuté pour des tumeurs classées initialement stade II ou III A (T3, N1) et Y pN0 après chimiothérapie. Lorsqu’une RT postopératoire est proposée, l’indication d’une RT pariétale est consensuelle car la rechute tumorale pariétale est de loin la plus fréquente des RLR. En revanche, l’impact de la RT systématique des aires ganglionnaires sus-claviculaires et mammaire interne reste à prouver. L’ensemble de ces questions non résolues n’aura de réponse que dans le cadre d’études prospectives randomisées. Mots clés : cancer du sein, mastectomie, radiothérapie postopératoire, pN0 Déclaration publique d’intérêt Les auteurs n’ont aucun intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Bien que les résultats de la méta-analyse du Early Breast Cancer Trialist’s Collaborative Group (EBCTCG) 2005 [1] ont montré qu’une radiothérapie postopératoire locorégionale après mastectomie pour un adénocarcinome classé pN0 diminue significativement le risque absolu de rechute locorégionale de 4 % à 5 ans et de 4,9 % à 10 ans (p = 0,0002), l’irradiation externe postopératoire n’est pas recommandée en routine clinique pour les tumeurs classées pN0, sans extension tumorale cutanée ou pariétale, de moins de 4 ou 5 cm de diamètre selon les guides de recommandation [2-4]. De plus, la méta-analyse du EBCTCG 2005 [1] a révélé une augmentation du taux de mortalité spécifique à 15 ans de 3,6 % dans le groupe irradié (p = 0,01), probablement liée à 222 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 des techniques d’irradiation obsolètes dont les effets étaient délétères. Quelques résultats publiés suggèrent que certains facteurs, lorsqu’ils sont associés, comme la présence d’emboles tumoraux intravasculaires, la taille tumorale > 2 cm, ou une marge de tissu sain < 1 mm chez une femme non ménopausée ou de moins de 50 ans, un grade histologique 3, ou une forme multifocale, augmenteraient le risque de rechute locale et pourraient faire discuter une radiothérapie postopératoire. Les études prospectives randomisées fournissent peu d’informations concernant l’impact d’une radiothérapie postopératoire en présence des facteurs individuels sus-cités après mastectomie pour un adénocarcinome infiltrant mammaire sans extension ganglionnaire axillaire. Nous nous proposons de réaliser une revue de la littérature concernant l’intérêt d’une radiothérapie postopératoire en termes de réduction de rechute tumorale locorégionale et éventuellement sur la survie à partir d’études prospectives randomisées et d’études rétrospectives, retenues selon les critères proposés dans le tableau 1. Tableau 1 - Critères de qualité pour inclure une étude prospective ou rétrospective dans cette revue de littérature, toutes les patientes ayant eu une mastectomie et un curage ganglionnaire axillaire I. PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE APRÈS MASTECTOMIE PREMIÈRE ET CURAGE AXILLAIRE La plupart des résultats publiés rapportent des taux de rechute locorégionale, sans distinguer la probabilité de risque de rechute locale pariétale et de risque de rechute locorégionale ganglionnaire. Dans la majorité des séries prospectives randomisées ou rétrospectives retenues selon les critères sus-cités, la radiothérapie était effectuée à la fois sur la paroi thoracique et les aires ganglionnaires locorégionales homolatérales : 223 TOUBOUL & COLL. sus-claviculaire, axillaire et mammaire interne (Tableaux 2 et 3). Bien qu’après mastectomie la paroi thoracique soit le site de rechute locorégionale le plus fréquent dont l’impact sur la survie est défavorable [13], les résultats publiés ne permettent pas d’apprécier avec précision l’impact de la radiothérapie pariétale seule sur le risque de rechute pour des tumeurs relativement rares, généralement classées pT3-4, N0, M0. En effet, si la radiothérapie postopératoire pouvait améliorer la survie globale dans certains sous-groupes à risque élevé de rechute, il est difficile de déterminer à quel volume irradié en reviendrait le bénéfice : irradiation pariétale, sus-claviculaire, mammaire interne, axillaire, ou à la fois pariéto-ganglionnaire ? Tableau 2 - Études prospectives randomisées retenues ; adénocarcinome mammaire pN0 ; critères d’inclusion, modalités des traitements adjuvants Pts : patientes ; G : ganglions ; P : pariétal ; Ax : axillaire ; SC : sus-claviculaire ; CMI : chaîne mammaire interne ; CMF : cyclophosphamide, méthotréxate, 5-fluorouracile ; Tam. : tamoxifène ; DBCG : Danish Breast Cancer Cooperative Group Tableau 3 - Études de cohorte retenues ; adénocarcinome mammaire pN0 traité par mastectomie et curage axillaire et radiothérapie postopératoire ; critère d’inclusion et modalités de la radiothérapie Pts : patientes ; CT : chimiothérapie ; HT : hormonothérapie 224 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 I.1. Impact de la radiothérapie sur la rechute locorégionale I.1.a. Études prospectives randomisées de phase III Les trois études prospectives randomisées retenues pour la qualité du traitement et les critères d’inclusion [5-8] confirment les résultats de la méta-analyse du EBCTCG 2005 [1]. Le risque de rechute locorégionale varie de 17 % à 23 % en l’absence de radiothérapie contre 2 % à 6 % après radiothérapie postopératoire, avec un recul médian compris entre 9,5 ans et 16 ans, selon les études (Tableau 4). Une métaanalyse réalisée sur ces trois études montre une réduction du risque de rechute locorégionale à 10 ans de 83 % (RR : 0,17, intervalle de confiance 95 % du risque relatif : 0,09-0,33 ; p < 0,00001) [14], pour des tumeurs classées T3 > 5 cm de diamètre ou T4. Tableau 4 - Études prospectives randomisées retenues ; radiothérapie après mastectomie et curage axillaire pour adénocarcinome du sein pN0 ; impact sur la rechute tumorale locorégionale et la survie Pts : patientes ; RT : radiothérapie ; DBCG : Danish Breast Cancer Cooperative Group I.1.b. Études de cohortes En l’absence de radiothérapie, le taux global de rechute tumorale locorégionale avec ou sans métastase synchrone à 10 ans est de l’ordre de 6 à 14 % selon les séries et le taux de rechute locorégionale isolée est de l’ordre de 4 à 8 % selon les séries (Tableau 5). Après radiothérapie postopératoire, le taux global de rechute locorégionale avec ou sans métastase synchrone à 10 ans est de l’ordre de 2,3 à 12 % selon les séries (Tableau 6). Le site de rechute tumorale locorégionale le plus fréquent est pariétal, sous la cicatrice de mastectomie : 80 à 100 % des cas pour les rechutes locorégionales isolées [18, 23, 25] et 66 à 86 % des cas pour les rechutes locorégionales avec ou sans métastase synchrone [18, 24, 26]. 225 TOUBOUL & COLL. Tableau 5 - Étude de cohorte ; risque de rechute locorégionale en l’absence de radiothérapie postopératoire après mastectomie et curage axillaire pour les tumeurs pN0 Pts : patientes ; CT : chimiothérapie ; HT : hormonothérapie ; RLR : rechute locorégionale ; a : courbe actuarielle ; méta : métastase Tableau 6 - Étude de cohorte ; risque de rechute locorégionale après mastectomie et curage axillaire et radiothérapie postopératoire pour les tumeurs pN0 Pts : patientes ; CT : chimiothérapie ; HT : hormonothérapie ; RLR : rechute locorégionale ; a : courbe actuarielle ; méta : métastase * 19 pts : RT pariétale et 25 pts : RT pariétoganglionnaire (dose non explicitée) 226 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 I.1.c. Facteurs de risque de rechute locorégionale en l’absence de radiothérapie Après analyse multifactorielle, 5 études ont montré que la présence d’emboles tumoraux intravasculaires est un facteur de risque indépendant de rechute tumorale locorégionale. D’autres études ont rapporté que le jeune âge ≤ 50 ans ou l’état préménopausique, le grade histologique 3, la marge de tissu sain insuffisante et la taille de la tumeur peuvent significativement et de manière indépendante augmenter le risque de rechute locorégionale (Tableau 7). Le tableau 8 montre que lorsque plusieurs des facteurs de risque sus-cités sont associés, la probabilité de risque de rechute tumorale locorégionale augmente. Pour les tumeurs classées pT1-3, N0, elle serait de 1 à 8 % en l’absence de facteur de risque associé, de 0 à 16 % avec 1 facteur, de 15 à 20 % avec 2 facteurs et de 19 à 56 % avec 3 facteurs, selon les séries [18, 21, 23, 27, 28]. Bien Tableau 7 - Facteurs de risque de rechute tumorale locorégionale en l’absence de radiothérapie après mastectomie et curage axillaire pour des tumeurs pN0 ; analyse multifactorielle HR : hazard ratio ; RR : risque relatif 227 TOUBOUL & COLL. que la radiothérapie postopératoire ne soit généralement recommandée qu’aux tumeurs ≥ 5 cm, N0 ou pT4, N0, elle pourrait être évoquée au cas par cas, en présence d’au moins deux facteurs de risque sus-cités. Cependant, cette attitude reste discutée et devrait faire l’objet d’études complémentaires [24, 25]. Tableau 8 - Risque de rechute locorégionale après mastectomie et curage axillaire et association de facteurs de risque Pts : patientes I.2. Impact de la radiothérapie sur la survie Deux études américaines ont évalué l’impact de la radiothérapie postopératoire après mastectomie et curage axillaire pour des tumeurs classées pT3N0 à partir des données du National Cancer Institute Surveillance and End Results (SEER). La première reposait sur 1 777 cancers du sein dont 568 ont reçu une radiothérapie postopératoire [29], la seconde concernait 1 844 patientes dont 623 ont eu une radiothérapie postopératoire [30]. Le taux de survie globale pour la première et le taux de survie spécifique pour la seconde n’étaient pas significativement améliorés par la radiothérapie postopératoire. Cependant, l’intérêt de ces deux études est limité par l’absence d’information concernant les rechutes locales, la présence de facteurs pronostiques comme les emboles 228 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 tumoraux intravasculaires, les modalités de la radiothérapie et l’administration d’un traitement systémique. La méta-analyse du EBCTCG 2005 a inclus 1 428 patientes dans 9 études ayant randomisé la radiothérapie postopératoire après chirurgie non conservatrice [1]. La radiothérapie postopératoire avait un impact négatif sur la survie spécifique, avec une réduction absolue à 15 ans de 3,6 % (p = 0,01). Cette augmentation significative de la mortalité était probablement liée à l’inclusion d’études randomisées réalisées sur une longue période, de 1964 à 1990, dont 5 ont été effectuées avec une technique de traitement obsolète, en termes d’appareillage et de technique de radiothérapie, de dose totale d’irradiation et de fractionnement, avec un risque significatif de mortalité par toxicité pulmonaire, cardiovasculaire ou par cancers radio-induits. Une méta-analyse des trois études prospectives randomisées retenues pour la qualité du traitement et les critères d’inclusion [5-8, 14] a montré que la radiothérapie postopératoire entraînait une diminution du risque de mortalité globale à 10 ans de 14 %, mais non significative (RR : 0,86, intervalle de confiance 95 % : 0,69-1, 06, p = 0,16). I.3. Quel volume anatomique irradié ? La paroi thoracique est le site de rechute tumorale locorégionale le plus fréquent. Il est par conséquent logique d’effectuer une radiothérapie pariétale lorsqu’une irradiation postopératoire est proposée, à la dose totale de 45 à 50 Gy à raison de 2 Gy par séance, 5 séances par semaine. Bien que les études prospectives randomisées et la plupart des études de cohorte retenues aient effectué une radiothérapie ganglionnaire axillosus-claviculaire et mammaire interne (Tableaux 1 et 2), l’irradiation ganglionnaire postopératoire des tumeurs classées pN0 est difficile à justifier. En effet, le risque de rechute ganglionnaire sus-claviculaire homolatérale est compris entre 0,7 et 5 % selon les séries [18, 31-33]. Le risque de rechute ganglionnaire axillaire après curage axillaire est faible, de l’ordre de 0,3 à 3 % selon les séries [34-36] et une irradiation externe axillaire après curage axillaire augmente de manière très significative le risque de lymphœdème du membre supérieur [37]. L’intérêt d’une irradiation externe de la chaîne ganglionnaire mammaire interne reste controversé. Pour les tumeurs pN0, le risque d’extension ganglionnaire mammaire interne histologiquement prouvé serait de l’ordre de 4 à 16 % selon les séries : 7 à 20 % pour les tumeurs des quadrants internes, 2 à 12 %, pour les tumeurs centrales et 3 à 13 % pour les quadrants externes [38-43]. L’évaluation chirurgicale systématique de l’état 229 TOUBOUL & COLL. ganglionnaire mammaire interne a été abandonnée. La lymphoscintigraphie développée pour la recherche du ganglion sentinelle permet d’objectiver la présence ou non d’un drainage lymphatique mammaire interne. Cependant, la visualisation d’un drainage lymphatique mammaire interne ne correspond pas forcément à une atteinte histologique. Une revue sur 6 études prospectives a évalué les résultats de biopsies ganglionnaires mammaires internes, en cas de visualisation du ganglion mammaire interne, après repérage par lymphoscintigraphie avec injection péritumorale ou intratumorale [44]. Pour les tumeurs classées pN0, un envahissement ganglionnaire mammaire interne histologiquement prouvé n’a été observé que dans 7,8 % des cas, avec un taux de réussite de la biopsie ganglionnaire mammaire interne compris entre 58 et 93 % et un risque de brèche pleurale ou d’hémorragie par blessure d’un vaisseau mammaire interne de l’ordre de 5 %. Avec cette technique, le taux de faux négatifs n’est pas évaluable. Le taux de rechute ganglionnaire mammaire interne est cliniquement difficile à connaître avec précision. En effet, la sensibilité et la spécificité de l’imagerie tomodensitométrique pour détecter une atteinte ganglionnaire mammaire interne ne sont, respectivement, que de 40 % et 85 % et pour la tomodensitométrie par émission de positons au 18afluoro-déoxyglucose respectivement de 85 % et 90 % [45]. Aucune étude prospective randomisée n’a pu démontrer un impact significatif de la radiothérapie mammaire interne sur la survie dans les formes pN0. L’étude française prospective randomisée de phase III est la seule à avoir évalué l’intérêt de l’irradiation mammaire interne après mastectomie et curage axillaire avec l’inclusion de formes pN0 [46]. L’étude n’a pu démontrer une différence significative de survie à 10 ans, aussi bien dans les formes pN+ que pour les 25 % des patientes ayant une tumeur classée pN0. Les résultats de l’étude randomisée de l’European Organization for Research and Treatment of Cancer trial, portant sur 4 000 patientes atteintes d’une tumeur pN+ et/ou de topographie centrale ou interne et évaluant l’impact d’une irradiation externe ganglionnaire mammaire interne et sus-claviculaire, sont attendus. Enfin, l’irradiation externe de la chaîne ganglionnaire mammaire interne peut être à l’origine d’une toxicité radio-induite coronarienne ou myocardique [47] et pulmonaire [48]. Cependant, les techniques modernes d’irradiation ont considérablement réduit le risque de cardiotoxicité et de pneumopathie radio-induite [49]. 230 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 II. PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE APRÈS MASTECTOMIE ET CURAGE AXILLAIRE PRÉCÉDÉE D’UNE CHIMIOTHÉRAPIE NÉOADJUVANTE Malgré l’absence d’étude prospective randomisée de phase III dans le cadre des cancers du sein traités par chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une mastectomie et curage axillaire, l’irradiation externe postopératoire pariéto-ganglionnaire homolatérale est recommandée pour les tumeurs classées stade IIB (cT2N1, cT3N0), stade IIIA (cT0-2, N2 et T3, N1-2), stade IIIB (cT4N0-2) et, a fortiori, stade IIIC (tout cT, N3) au diagnostic et/ou ypN > 3+ [50], pour lesquelles elle améliore le contrôle tumoral locorégional et la survie. Bien qu’il n’y ait que quelques rares études rétrospectives publiées reposant sur un nombre réduit de patientes [51], l’indication d’une radiothérapie postopératoire est discutée et controversée dans les formes en réponse tumorale histologique complète ypT0, N0, initialement classées cT1-2, N0-1 ou cT3, N0-1 (Tableaux 9 et 10). Dans une revue récente réalisée par Fowble et al. [51], les auteurs proposent d’effectuer des études prospectives randomisées pour des patientes atteintes d’une tumeur traitée par chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une mastectomie et curage axillaire à faible risque de rechute tumorale locorégionale < 10 %, en l’absence de radiothérapie postopératoire : stades I et II (cT1-2, N0-1, cT3N0), ypT0-N0 ou N1-3+ et stade IIIA (cT3, N1) ypT0, N0, afin d’évaluer de manière objective Tableau 9 - Rechute locorégionale avec ou sans métastase après chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une mastectomie et curage axillaire avec ou sans radiothérapie postopératoire ; études rétrospectives comparatives, pour des tumeurs ypN0 GG Ax : ganglion axillaire ; pts : patientes ; RT : radiothérapie ; LR : locorégionale ; RH : réponse histologique ; CT néoadj. : chimiothérapie néoadjuvante ; Doxo : doxorubicine ; Tax : taxane 231 TOUBOUL & COLL. Tableau 10 - Suivi après chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une mastectomie et curage axillaire avec ou sans radiothérapie postopératoire ; études rétrospectives comparatives, pour des tumeurs ypN0 GG Ax : ganglion axillaire ; CT néoadj. : chimiothérapie néoadjuvante ; RT : radiothérapie ; RH : réponse histologique ; Doxo : doxorubicine ; Tax : taxane * survie globale l’impact éventuel d’une radiothérapie postopératoire sur le taux de rechute locorégionale et la survie. Certains auteurs ont proposé d’effectuer une procédure de prélèvement du ganglion sentinelle et de guider la définition des volumes cibles ganglionnaires à irradier en postopératoire [56]. Cependant, la validité de cette technique et sa place avant ou après la chimiothérapie néoadjuvante dans les cancers localement avancés restent à préciser [56]. La recherche de nouveaux marqueurs biologiques prédictifs de rechute locorégionale après mastectomie et curage axillaire permettrait de mieux apprécier l’intérêt d’une radiothérapie postopératoire [57]. CONCLUSION Après mastectomie et curage axillaire de première intention pour un adénocarcinome mammaire pN0, le risque de rechute tumorale locorégionale repose sur la présence de facteurs de risque comme la présence d’emboles tumoraux intravasculaires, le grade histologique 3, la taille tumorale > 2 cm, une marge de tissu sain insuffisante et l’âge < 50 ans ou un état hormonal préménopausé. Après une chirurgie non conservatrice sans radiothérapie postopératoire, le risque de rechute tumorale locorégionale est ≤ 5 % en l’absence de facteurs de risque 232 PLACE DE LA RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE APRÈS MASTECTOMIE POUR ADÉNOCARCINOME MAMMAIRE PN0 sus-cités, ≤ 10 % en présence d’un seul de ces facteurs et ≥ 15 % en présence d’au moins deux facteurs. La radiothérapie postopératoire entraînerait globalement une réduction du risque relatif de rechute locorégionale de 83 % à 10 ans et une diminution non significative de la mortalité de 14 % [14]. Les tumeurs classées pT3 ≥ 5 cm ou T4, N0 sont des indications classiques à une irradiation externe pariétale postopératoire. Cependant, l’indication est controversée pour les tumeurs classées pT3 ≥ 5 cm, N0, en l’absence d’autres facteurs de risque associés. Pour les tumeurs comprises entre 2 et 5 cm, et pour certains auteurs de plus de 5 cm de diamètre, les recommandations pourraient être les suivantes : — pour une tumeur présentant au moins trois facteurs de risque suscités, la radiothérapie externe pariétale homolatérale devrait être recommandée. En revanche, bien que dans les études prospectives randomisées l’irradiation externe était systématiquement à la fois pariétale et ganglionnaire, l’intérêt de l’irradiation ganglionnaire systématique sus-claviculaire et mammaire interne homolatérale reste à prouver ; — en présence de deux facteurs de risque, l’irradiation externe pariétale pourrait être recommandée ou faire proposer l’inclusion dans une étude prospective randomisée ; — en présence d’un seul facteur de risque, l’irradiation pariétale ne devrait être considérée que dans le cadre d’une étude prospective ; — en l’absence de facteur de risque, il n’y a pas d’indication à une radiothérapie pariétale. Les adénocarcinomes mammaires cliniquement initialement classés stades II et IIIA (cT3, N1), ypN0 après chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une mastectomie et curage axillaire devraient faire l’objet d’études prospectives randomisées afin de connaître l’impact d’une radiothérapie postopératoire pour laquelle l’intérêt de l’irradiation ganglionnaire sus-claviculaire et mammaire interne n’est pas prouvée. 233 TOUBOUL & COLL. Bibliographie [1] Early Breast Cancer Trialist’s Collaborative Group (EBCTCG). Effects of radiotherapy and of differences in the extent of surgery of early breast cancer on local recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet 2005;366:2087-106. [2] Harris JR, Halpin-Murphy P, Mc Neese M. Consensus statement on post mastectomy radiation therapy. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1999;44:989-90. [3] Recht A, Edge SB, Solin LJ et al. Postmastectomy radiotherapy: clinical practice guidelines of the American Society of Clinical Oncology. 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Rôle de l’irradiation locorégionale adjuvante en l’absence d’envahissement ganglionnaire après chimiothérapie néoadjuvante, mastectomie totale et lymphadénectomie axillaire pour un cancer du sein. Expérience de l’Hôpital René-HugueninInstitut Curie. Cancer/Radiother 2011;15:675-82. [55] Huang EH, Tucker SL, Strom EA et al. Postmastectomy radiation improves loco-regional control and survival for selected patients with locally advanced breast cancer treated with neoadjuvant chemotherapy and mastectomy. J Clin Oncol 2004;22:4691-9 [56] Chung A, Giuliano A. Axillary staging in the neoadjuvant setting. Ann Surg Oncol 2010; 17:2401-10. [57] Cheng SH, Horng CF, West M et al. Genomic prediction of locoregional recurrence after mastectomy in breast cancer. J Clin Oncol 2006;24:4594-602. 236 Les néoplasies lobulaires : lesquelles opérer ? C. B EZU 1 *, S. ZILBERMAN 2, E. CHÉREAU-EWALD 3, R. ROUZIER 4, E. DARAÏ 2, S. UZAN 2 (Paris, Marseille) Résumé Les néoplasies lobulaires intraépithéliales du sein regroupent les lésions de carcinomes lobulaires in situ et les hyperplasies lobulaires atypiques. Ce sont des entités rares dont l’histoire naturelle et les facteurs de risque d’évolution sont encore mal connus. Ce texte a pour objectif d’établir un bilan des connaissances des néoplasies lobulaires intraépithéliales et de préciser celles qui nécessitent une prise en charge thérapeutique chirurgicale à partir des recommandations des différentes sociétés savantes. Mots clés : néoplasie lobulaire intraépithéliale, cancer lobulaire in situ, hyperplasie lobulaire atypique, cancer du sein 1 - Hôpital Pitié-Salpêtrière - APHP - Service de gynécologie-obstétrique - 85 boulevard de l’Hôpital - 75013 Paris 2 - Hôpital Tenon - APHP - Service de gynécologie-obstétrique - 4 rue de la Chine 75020 Paris 3 - Institut Paoli Calmettes - Service de chirurgie oncologique - 232 boulevard SainteMarguerite - 13008 Marseille 4 - Institut Curie - 26 rue d’Ulm - 75005 Paris * Correspondance : [email protected] 237 BEZU & COLL. Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Corinne Bezu, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Les connaissances sur les néoplasies lobulaires intraépithéliales (NLI) ont évolué depuis une quarantaine d’années, depuis la publication de Haagensen et Rosen en 1978 qui avaient regroupé les lésions de carcinomes lobulaires in situ (CLIS) et les hyperplasies lobulaires atypiques (HLA) sous un seul terme : les néoplasies lobulaires intraépithéliales [1]. L’augmentation récente de l’incidence des NLI peut être expliquée par l’augmentation des découvertes fortuites de la mammographie de dépistage. Cependant ce type de lésions reste une entité rare et représente 0,34 à 2,9 % de toutes les biopsies mammaires selon une étude de Cangiarella en 2008 [2]. La rareté de cette entité explique l’hétérogénéité de la littérature constituée essentiellement de séries rétrospectives avec des faibles effectifs ne permettant de conclure sur une attitude thérapeutique consensuelle. Le but de ce travail est d’établir un état des lieux des connaissances, d’en soulever les problématiques, de préciser les recommandations récentes de la prise en charge thérapeutique, notamment chirurgicale et enfin de soulever les questions encore en suspens. I. DÉFINITION, HISTORIQUE Les NLI ont été décrites pour la toute première fois en 1919 par Ewing [3] mais c’est des années plus tard que Foote et Stewart ont créé le terme de carcinome lobulaire in situ (CLIS) pour caractériser cette forme rare de lésion s’apparentant au carcinome lobulaire invasif mais encore entourée par la membrane basale [4]. Le CLIS est une entité 238 LES NÉOPLASIES LOBULAIRES : LESQUELLES OPÉRER ? pathologique de cellules uniformes, rondes, non cohésives intéressant au moins la moitié d’une unité lobulaire du sein. L’unité ductolobulaire colonisée est distendue et la lumière des canaux obstruée. La distinction avec les HLA est souvent délicate, mais dans ces dernières, l’unité ductolobulaire n’est pas distendue par la prolifération cellulaire et la lumière non obstruée. La différence entre les deux lésions repose également sur un critère quantitatif, ce qui complique un peu plus encore l’interprétation des anatomopathologistes d’autant que les deux entités coexistent très souvent. En raison de leur similarité, Haagensen et Rosen [1] avaient regroupé les deux lésions sous le terme de néoplasie lobulaire intraépithéliale, puis en 2003 Tavassoli a proposé en association avec l’OMS une nouvelle classification (Tableau) qui est celle en vigueur actuellement, utilisant le terme de « lobular intraepithelial neoplasia » ou « LIN » de catégories 1, 2 et 3 [5]. Au sein des LIN 3, trois sous-catégories sont importantes à distinguer : – le sous-type 1 correspond aux LIN classiques, – le sous-type 2 correspond aux LIN avec présence de cellules proliférantes de type « bague à chaton » ou pléiomorphe, – le sous-type 3 correspond aux LIN avec nécrose centrale. Tableau - Classification OMS des lésions lobulaires [5] En immunohistochimie, concernant les « LIN classiques », une perte de l’expression de la molécule d’adhésion E-cadhérine est fréquemment observée, ils expriment les récepteurs aux estrogènes et à la progestérone et sont négatifs pour HER2 et p53 [6, 7]. Les LIN 3, de sous-types 2 et 3, doivent absolument être distingués des « LIN classiques » par l’histologiste car cette catégorie, de par ses caractéristiques (aspect 239 BEZU & COLL. pléiomorphe, ou de cellules en bague à chaton ou encore de nécrose), s’apparente aux carcinomes intracanalaires et leur prise en charge thérapeutique sera différente des « LIN classiques ». Outre la perte d’expression de l’E-cadhérine, on peut observer une surexpression de l’HER2 dans un quart des cas, l’index de prolifération Ki67 peut être plus élevé et la protéine p53 peut être mutée. En génétique, quelle que soit la catégorie de NLI, la région 16q22 qui contient le gène CDH1 codant pour la protéine d’adhésion E-cadhérine est très souvent perdue, ce qui est un argument pour certains d’un risque évolutif vers un carcinome lobulaire invasif [8]. II. PROBLÉMATIQUES II.1. Augmentation du risque de survenue d’un cancer invasif L’une des premières problématiques des NLI est celle d’une augmentation du risque de survenue d’un cancer invasif. Cependant, la mesure de ce facteur de risque est difficile à évaluer compte tenu de la rareté de ce type de lésions, les études manquant de puissance. Les différentes études sont par ailleurs très hétérogènes et les populations étudiées comportent souvent des lésions associées aux NLI biaisant les interprétations concernant les données des lésions de NLI seules. Selon Lakhani, un antécédent de NLI représente une augmentation du risque de survenue d’un cancer invasif de 1 à 2 % par an [9]. Un travail d’Arpino et al. a également prouvé ce risque évolutif en 2005 rapportant un risque relatif de cancer invasif de 6 à 10 selon les différentes études rapportées [7]. Concernant le risque cumulé sur la vie de développer un cancer invasif pour une patiente ayant un antécédent de NLI, il serait en moyenne de 8 % avec une variabilité entre 5 et 32 % selon une revue de la littérature publiée par l’équipe d’Ansquer [10]. II.2. Signification biologique des NLI ? : précurseur non obligatoire ? Il existe cependant dans la littérature des arguments supportant la notion que les NLI pourraient ne pas être des précurseurs obligatoires vers un carcinome invasif. 240 LES NÉOPLASIES LOBULAIRES : LESQUELLES OPÉRER ? Tout d’abord, on constate un temps de latence entre l’antécédent de NLI et la survenue éventuelle d’un cancer invasif relativement long : selon Chuba et al., le risque cumulé de cancer invasif est évalué à 4 % à 5 ans, à 7 % à 10 ans, 11 % à 15 ans, 14 % à 20 ans et 18 % à 25 ans [11]. Deuxièmement, on constate chez une patiente ayant un antécédent de NLI une fréquence de survenue d’un carcinome invasif équivalente aussi bien dans le sein ipsilatéral que controlatéral, ce qui n’apparaît pas logique si l’on supporte la notion que les NLI seraient des précurseurs obligatoires à l’apparition d’un cancer invasif. Enfin, le type histologique invasif survenant après une NLI est soit canalaire soit lobulaire, avec toutefois une représentation plus fréquente du type lobulaire par rapport à la population générale [12, 5]. Afin de clarifier la signification biologique des NLI, plusieurs analyses biologiques du tissu de la biopsie mammaire et/ou de la pièce opératoire mammaire pourraient fournir des biomarqueurs capables de prédire le risque de cancer invasif. La recherche moléculaire et génomique permettra très certainement de progresser dans la compréhension de la pathogénicité des NLI. Les études génomiques disponibles suggèrent que les lésions d’HLA comportent beaucoup plus d’altérations génomiques que les CLIS [13]. Les deux entités ont en revanche en commun une augmentation du nombre de copies de gènes dans les régions AKT1 et CSF1R, gènes qui modifient la polarisation de la cellule pouvant influencer les effets de prolifération et de différenciation sur la cellule [14, 15]. À l’inverse de ces gains de gènes observés, en 2009, Green a mis en évidence que la région 16q22 qui contient le gène CDH1 codant pour la protéine d’adhésion Ecadhérine est très souvent perdue dans les NLI, ce qui est un argument pour certains d’un risque évolutif vers un carcinome lobulaire invasif [16]. Cependant, la perte de l’expression de l’E-cadhérine n’apparaît pas comme suffisante pour le processus de tumorogenèse. La perte d’autres gènes suppresseurs de tumeurs semble impliquée comme le suggère encore une fois Green dans une étude intéressant le facteur CTCF et le dipeptide DPEP1 dont les expressions sont diminuées dans les CLIS [8]. Au total, il persiste encore aujourd’hui des incertitudes à la fois sur la signification biologique des NLI et sur leur impact clinique. Dans ce contexte, quelle est la place de l’exérèse chirurgicale dans la prise en charge de ces lésions aujourd’hui ? 241 BEZU & COLL. III. RECOMMANDATIONS La prise en charge est orientée par la classification de Tavassoli et de l’OMS de 2003 [5]. Les experts de Saint-Paul-de-Vence se sont concertés sur ce sujet en 2007 [17]. Tout d’abord les experts soulignent que, quel que soit le grade des NLI, ces lésions sont l’apanage des confrontations anatomo-radiochirurgicales. Chaque décision thérapeutique doit être prise en concertation pluridisciplinaire avec la connaissance complète du dossier clinique et radiologique. À noter deux précisions concernant le volet radiologique : — en dehors d’essai, il n’y a pas d’indication à une IRM mammaire en raison des nombreux faux positifs ; — les patientes aux antécédents de NLI considérées donc comme à risque histologique de cancer du sein doivent être sorties du dépistage organisé. Parmi les points qui ont donné lieu à un accord entre les experts, la prise en charge chirurgicale des NLI n’a pas été détaillée selon les différents grades des NLI. Les experts se sont accordés sur le fait que « diagnostiquées, le plus souvent sur macrobiopsie, elles doivent faire l’objet d’une exérèse chirurgicale » dans le but de mieux quantifier le niveau réel de risque et limiter les sous-estimations diagnostiques de la biopsie. Les premières recommandations sur la prise en charge chirurgicale des NLI en France ont été établies par un consensus d’experts en octobre 2009 par l’INCa en association avec la SFSPM (Société française de sénologie et de pathologie mammaire) [18]. LIN 1 et 2 — Une surveillance est recommandée : elle est identique à celle des carcinomes intracanalaires traités par un traitement conservateur : examen clinique, mammographie et échographie bilatérales annuelles. — En cas de facteurs de risques (antécédents familiaux ou personnels, lésions histologiques à risques) ou de discordance radiopathologique : discuter une exérèse chirurgicale afin de diminuer le risque de sous-estimation des lésions par la biopsie. — Si exérèse chirurgicale envisagée : pas de reprise si berges atteintes. — Il n’y a aucune indication à une mastectomie, à un traitement par radiothérapie ou à une hormonothérapie. 242 LES NÉOPLASIES LOBULAIRES : LESQUELLES OPÉRER ? LIN 3 type 1 — Exérèse chirurgicale et examen anatomopathologique de la pièce définitive. — Pas de reprise si berges atteintes. — Il n’y a pas d’indication à un traitement par radiothérapie ou à une hormonothérapie. — Surveillance : examen clinique, mammographie et échographie bilatérales annuelles. LIN 3 type 2 ou 3 : — Exérèse chirurgicale et examen anatomopathologique de la pièce définitive. — Nécessité d’avoir des berges saines pour le contingent pléiomorphe/cellules en bague à chaton/nécrose. — Traitement adjuvant par radiothérapie à discuter en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). — Surveillance : examen clinique, mammographie et échographie bilatérales annuelles. Enfin, précisons que s’il existe d’autres lésions pathologiques associées aux lésions de NLI, la prise en charge thérapeutique doit être guidée par l’autre contingent histologique pathologique. IV. QUESTIONS EN SUSPENS ET PERSPECTIVES IV.1. Problème des marges d’exérèse Les marges d’exérèse restent encore un sujet à débat même s’il apparaît que le caractère pléiomorphe, en s’apparentant au carcinome intracanalaire nécessite un passage in sano. Encore une fois, les études sont limitées par les petites séries ; la première série qui s’est intéressée aux marges d’exérèse de ces lésions est celle de Downs-Kelly en 2010 portant sur 26 patientes [19]. L’auteur a étudié la récurrence des patientes ayant eu une exérèse chirurgicale pour un CLIS pléiomorphe selon 3 catégories : celles dont les marges étaient ≤ 1 mm ; celles dont les marges étaient comprises entre 1,1 mm et 2 mm ; celles dont les marges étaient > 2,1 mm. L’auteur retrouve une seule récurrence avec un suivi médian de 33 mois, cependant, en dehors du faible nombre de patientes incluses, soulignons que la radiothérapie adjuvante n’a pas été systématique pour les 26 patientes de cette série mais discutée au cas par cas. 243 BEZU & COLL. IV.2. Génomique L’examen histologique par Hématéine-Eosine puis par immunohistochimie (E-cadhérine) a été le premier pas vers une caractérisation des NLI mais l’identification notamment des LIN 3 de type pléiomorphes, plus agressifs, nécessite une meilleure compréhension de la signification biologique des NLI et les efforts se concentrent actuellement sur la recherche translationnelle. Les prochaines études seront moléculaires et génomiques, en mettant en évidence éventuellement des marqueurs circulants, afin de mieux évaluer les risques de cancer invasif et encore mieux préciser les indications chirurgicales. IV.3. Plan cancer 2009-2013 - Femmes à risques aggravés : observatoire national ? Projet soumis à réflexion Dans le cadre du plan cancer 2009-2013, un des objectifs pour le cancer du sein est « la prise en charge des femmes à risques aggravés ». Tout au long de cet exposé, une des principales limites dans la prise en charge des NLI est la difficulté d’une part à identifier la population concernée, et d’autre part à mesurer objectivement ce facteur de risque. Il semblerait intéressant de mettre en place un observatoire national telle une banque de données à la fois clinique, radiologique et biologique. CONCLUSION La place de la chirurgie dans la prise en charge des NLI reste encore un sujet à controverse car les données de la littérature font défaut. Les questions cruciales concernant leur signification biologique et leur impact clinique doivent être résolues afin d’établir une attitude consensuelle, et l’avenir est actuellement entre les mains de la génomique. Afin de permettre à la recherche translationnelle d’être la plus optimale, le projet soumis à réflexion d’une base de données clinicoradio-biologique mérite d’être étudié avec grand intérêt. 244 LES NÉOPLASIES LOBULAIRES : LESQUELLES OPÉRER ? Bibliographie [1] Haagensen CD, Lane N, Lattes R, Bodian C. Lobular neoplasia of the breast. Cancer 1978;42:737-769. [2] Cangiarella J, Guth A, Axelrod D, Darvishian F, Singh B, Simsir A. Is surgical excision necessary for the management of atypical lobular hyperplasia and lobular carcinoma in situ diagnosed on core needle biopsy? Arch Pathol Lab Med 2008;132:979983. [3] Ewing J. Neoplasic diseases: a textbook on tumors. Philadelphia, PA. WB Saunders 1919. [4] Foote FW Jr, Stewart FW. Lobular carcinoma in situ: a rare form of mammery carcinoma. Am J Pathol 1941;17:491-499. [5] Tavassoli FA, Millis RR, Boecker W, Lakhani SR. Lobular neoplasia. In: Tavassoli FA, Devilee P, editors. World Health Organization Classification of Tumors. Pathology and genetics of tumors of the breast and female genital organs. Lyon: IARC Press 2003:60-62. [6] Bratthauer GL, MoinfarF, Stamatakos MD, Mezzetti TP, Shekitka KM, Man YG. Combined E-cadherin and high molecular weight cytokeratin immunoprofile differentiates lobular, ductal, and hybrid mammary intraepithelial neoplasia. Hum Pathol 2002; 33:620-627. [7] Arpino G, Bardou VJ, Clark GM, Elledge RM. Infiltrating lobular carcinoma of the breast: tumor characteristics and clinical outcome. Breast Cancer Res 2004;6:R149-56. [8] Green AR, Krivinskas S, Young P. Loss of expression of chromosome 16q genes DPEP1 and CTCF in lobular carcinoma in situ of the breast. Breast Cancer Res Treat 2008;113:59-66. [9] Lakhani SR, Audretsch W, CletonJensen AM, Cutuli B, Ellis L, Eusebi V. The management of lobular carcinoma in situ. Eur J Cancer 2006;42:2205-2211. [10] Ansquer Y, Santulli P, Colas C, Jamali M, Tournigand C, Duperray L, Duperray B, Jannet D, Carbonne B. Néoplasies lobulaires intraépithéliales : hyperplasie lobulaire atypique et cancer lobulaire in situ. J de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction 2011;39:91-101. [11] Chuba PJ, Hamre MR, Yap J, Severson RK, Lucas D, Shamsa F. Bilateralrisk for subsequent breast cancer after lobular carcinoma in situ. J Clin Oncol 2005;23:5534-5541. [12] Fisher ER, Land SR, Fisher B, Mamounas E, Gilarski I, Wolmark N. Pathologic findings from the National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project: twelve-year observations concerning lobular carcinoma in situ. Cancer 2004;100:238-244. [13] Mastracci TL, Boulos FI, Andrulis IL, Lam WL. Genomics and premalignant breast lesions: clues to the development and progression of lobular breast cancer. Breast Cancer Res 2007;9:215. [14] Debnath J, Walker SJ, Brugge JS. Akt activation disrupts mammary acinar architecture and enhances proliferation in an mTORdependent manner. J Cell Biol 2003;163:315326. [15] Wrobel CN, Debnah J, Lin E, Beausoleil S, Roussel MF, Brugges JS. Autocrine CSF-1R activation promotes Src-dependent disruption of mammary epithelial architecture. J Cell Biol 2004;165:263-273. [16] Green AR, Krivinskas S, Young P, Rakha EA, Paish EC, Powe DG. Loss of expression of chromosome 16q genes DPEP1 and CTFC in lobular carcinoma in situ of the breast. Breast Cancer Res Treat 2009;113:59-66. [17] Recommandations pratiques cliniques Saint-Paul-de-Vence 2007. www.has-sante.fr/. [18] Recommandations professionnelles INCa et SFSPM 2009. www.e-cancer.fr. [19] Downs-Kelly E, Bell D, Perkins G, Sneige N, Middleton L. Clinical implications of margin involvement by pleomorphic lobular carcinoma in situ. Arch Pathol Lab Med 2011 Jun;135(6):737-43. 245 Quelles indications aux analogues de la GnRH en situation non métastatique ? C. MATHELIN 1 *, J. OHL 2, C.Y. AKLADIOS 1 (Strasbourg, Schiltigheim) Résumé Le cancer du sein est dans 70 à 80 % des cas un cancer hormonodépendant. En situation adjuvante, le tamoxifène constitue l’hormonothérapie de référence pour les patientes non ménopausées présentant une tumeur hormonosensible. La suppression ovarienne par les analogues de la GnRH (Gonadotrophin Releasing Hormone) est indiquée en cas de contre-indications au tamoxifène. En l’absence d’antécédents thromboemboliques et de pathologies gynécologiques, la place des analogues de la GnRH (a-GnRH) reste mal définie. Des essais sont en cours pour définir leur intérêt, notamment après chimiothérapie chez les femmes de moins de 40 ans et en association avec des inhibiteurs de l’aromatase. Par ailleurs, de nombreux essais cliniques ont tenté d’évaluer l’impact des a-GnRH utilisés au cours des chimiothérapies adjuvantes ou 1 - CHRU - Hôpitaux universitaires de Strasbourg - Hôpital de Hautepierre - Pôle de gynécologie-obstétrique - Avenue Molière - 67200 Strasbourg cedex 2 - CHRU - Centre médico-chirurgical et obstétrical - Pôle de gynécologie-obstétrique Service de gynécologie SIHCUS - 19 rue Louis Pasteur - BP 4120 67303 Schiltigheim cedex * Correspondance : [email protected] 247 MATHELIN & COLL. néoadjuvantes sur la fonction ovarienne et la fertilité. Les méta-analyses récentes semblent montrer leur efficacité sur la récupération des cycles menstruels, leur impact sur la survenue d’une grossesse étant plus contradictoire. Des doutes subsistant dans cette indication sur l’innocuité carcinologique des a-GnRH, leur prescription ne doit pas être encouragée en dehors d’essais cliniques. Mots clés : analogues de la GnRH, cancer du sein, castration, fertilité, hormonothérapie Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Mathelin Carole, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION En France, on observe annuellement 53 000 nouveaux cas de cancers mammaires, dont un quart concerne des femmes non ménopausées. Actuellement, les tumeurs mammaires sont classées en différents sous-types : luminal A, luminal B avec ou sans surexpression ou amplification d’HER2, HER2 positives, basal-like, et variétés morphologiques particulières (Tableau 1) [1]. De nombreux sous-types nécessitent une hormonothérapie qui peut être la seule thérapeutique adjuvante nécessaire (c’est le cas pour la plupart des tumeurs de type luminal A ou de variété cribriforme, mucineuse ou tubuleuse) ou associée à la chimiothérapie et/du trastuzumab (c’est le cas pour les tumeurs de type luminal B ou HER-2 positive). Chez les femmes non ménopausées, l’hormonothérapie de première intention, prescrite pour les tumeurs hormonosensibles, est le tamoxifène. Vingt essais cliniques ayant comparé 5 années de 248 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? Tableau 1 - Définitions des sous-types de cancers mammaires selon la conférence de consensus de Saint-Gallen tamoxifène à la prise d’un placebo ont été menés ces trois dernières décennies. Ils ont été colligés par l’Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG) qui a montré, après 15 ans de suivi, une diminution du risque de récidive de 50 % et une réduction d’environ 30 % du taux de mortalité annuelle pour les patientes ayant pris 5 ans de tamoxifène [2]. En 2011, l’EBCTCG a mis à jour cette méta-analyse portant sur 21 457 patientes [3]. La réduction de mortalité se confirme largement au-delà de 10 ans. En revanche, la place de la suppression ovarienne par analogues de la Gonadotrophin Releasing Hormone (a-GnRH) n’est pas clairement établie chez les patientes non ménopausées n’ayant pas de contreindications au tamoxifène. Ainsi, des essais ont été menés pour évaluer l’intérêt de la suppression ovarienne seule ou en association au tamoxifène ou aux inhibiteurs de l’aromatase ou bien encore à divers types de chimiothérapie. Néanmoins, plusieurs d’entre eux ont inclus des patientes dont les tumeurs n’avaient pas de récepteurs hormonaux ou les dosages des récepteurs n’étaient pas réalisés [4]. Or la suppression ovarienne n’a d’intérêt qu’en cas de tumeurs hormonosensibles. Ceci entraîne donc un biais majeur dans l’interprétation des résultats. 249 MATHELIN & COLL. Par ailleurs, certaines études n’ont pas distingué les types de suppression ovarienne (par a-GnRH, chirurgie ou radiothérapie), ce qui entraîne également des biais d’interprétation. Ainsi, les résultats disponibles sont contradictoires et certains essais ne sont pas encore évalués. Il est cependant admis qu’en cas d’antécédents thromboemboliques ou de pathologies endométriales, les a-GnRH constituent une alternative au tamoxifène. Par ailleurs, leur prescription pour corriger certains effets indésirables liés au tamoxifène est également validée. En effet, le tamoxifène se comporte comme un inducteur de l’ovulation, pouvant conduire à une augmentation parfois considérable des estrogènes circulants et aboutir à l’apparition de kystes ovariens fonctionnels, pouvant être traités par l’adjonction d’aGnRH. La chimiothérapie est quant à elle indiquée chez les femmes préménopausées ayant une tumeur de type luminal B, HER2 positive, basal-like ou certaines variétés histologiques particulières (apocrine, métaplasique, médullaire atypique). L’insuffisance ovarienne induite par la chimiothérapie peut provoquer une infertilité. De nombreux essais cliniques ont tenté d’évaluer l’impact des a-GnRH utilisés en cours de chimiothérapie sur la fonction ovarienne et la fertilité. Les essais publiés sont contradictoires et des doutes subsistent dans cette indication sur l’efficacité des a-GnRH et leur innocuité carcinologique. Les buts de l’exposé sont donc de définir la place des a-GnRH dans l’arsenal de l’hormonothérapie en situation adjuvante chez la femme préménopausée et de faire un état des lieux des essais ayant utilisé les a-GnRH en vue de maintenir la fertilité des jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein. I. LE CHOIX DES A-GNRH COMME HORMONOTHÉRAPIE CHEZ LA FEMME NON MÉNOPAUSÉE Il existe trois méthodes de suppression ovarienne. Les castrations définitives (par chirurgie ou radiothérapie) permettent une suppression ovarienne complète et définitive. Elles entraînent des effets indésirables nombreux, liés à la carence estrogénique : ostéopénie ou ostéoporose, prise de poids, bouffées vasomotrices, troubles de l’humeur et du sommeil, diminution de la libido… De ce fait, leurs indications ont très nettement régressé au profit de la castration hormonale, utilisant les a-GnRH (triptoréline, Décapeptyl®, goséréline, Zoladex®, leuproréline, 250 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? Enantone®), qui ont l’avantage « théorique » d’être réversibles. L’administration d’a-GnRH aboutit, après un court moment de stimulation, à une freination des sécrétions des gonadotrophines, dont la conséquence est une diminution très importante de la sécrétion ovarienne des estrogènes et de la progestérone. Cependant, contrairement au tamoxifène dont la durée de prescription est établie (5 ans), la durée optimale de la suppression ovarienne par a-GnRH n’est pas connue. Ces derniers sont généralement prescrits pour 2 à 3 ans puis sont interrompus pour permettre une reprise de l’activité ovarienne. Ceci mérite toutefois d’être nuancé. En effet, la reprise des cycles ovariens est très variable, allant de 60 % à 90 % selon les séries publiées [5-8], les taux de réversibilité de l’aménorrhée variant notamment en fonction de la durée du traitement et de l’âge des patientes. Par ailleurs, les a-GnRH ne permettent pas toujours une suppression ovarienne complète, avec persistance d’une activité ovarienne ayant même abouti dans de rares cas à des grossesses inopinées [9, 10]. I.1. Suppression ovarienne seule en cas de tumeur hormonosensible L’EBCTCG [2] a analysé les essais portant sur la suppression ovarienne (chirurgicale, radiothérapique ou par a-GnRH) ayant inclus 8 000 patientes avec une tumeur hormonosensible ou de status hormonal inconnu. Il a ainsi pu être démontré un bénéfice de la suppression ovarienne sur les taux de récidive et de mortalité par cancer. Ces effets ont été plus modestes chez les patientes traitées par chimiothérapie. Ceci s’explique probablement par l’aménorrhée induite par la chimiothérapie, atténuant l’effet de la suppression ovarienne induite par les a-GnRH. I.2. Suppression ovarienne associée à une chimiothérapie Dans l’étude Intergroup 0101, ayant inclus des patientes préménopausées traitées pour une tumeur hormonosensible avec atteinte ganglionnaire (N+), l’association d’a-GnRH (goséréline) à la chimiothérapie avec anthracyclines a permis d’améliorer la survie sans récidive des patientes de moins de 40 ans par comparaison à celles de plus de 40 ans [11]. De la même manière, l’International Breast Cancer Study Group (IBCSG) trial VIII a randomisé des patientes préménopausées ayant 251 MATHELIN & COLL. une tumeur hormonosensible sans atteinte ganglionnaire (N0) en 3 groupes : chimiothérapie par cyclophosphamide/méthotrexate/ 5-fluoro-uracile (CMF), goséréline pendant 2 ans, ou CMF suivi de goséréline pendant 18 mois [8]. Là encore, l’administration d’a-GnRH a eu un impact sur la survie sans récidive à 5 ans, ce bénéfice étant maximal chez les femmes de moins de 40 ans (hazard ratio de 0,34). La méta-analyse de Cuzick [12] a colligé les essais comportant une détermination des récepteurs hormonaux et l’utilisation d’a-GnRH comme méthode de suppression ovarienne. Le suivi moyen a été de 6,8 ans. Un bénéfice en termes de diminution des récidives ou des décès par cancer a été observé lorsque les a-GnRH avaient été utilisés après la chimiothérapie (seuls ou en association avec du tamoxifène) chez les femmes de moins de 40 ans. Dans ce groupe d’âge en effet, la chimiothérapie entraîne moins d’aménorrhée, car les follicules ovariens de la femme jeune sont moins sensibles aux agents cytotoxiques. L’étude IBCSG 11-93 [13] a tenté d’évaluer l’impact d’une chimiothérapie adjuvante chez des patientes non ménopausées traitées par suppression ovarienne et tamoxifène durant cinq ans. Cette étude devait inclure 760 patientes avec atteinte ganglionnaire mais a dû être arrêtée après l’inclusion de 174 patientes par insuffisance de recrutement. Après dix ans de suivi, il n’a été observé aucun bénéfice à l’administration de quatre cures de chimiothérapie de type anthracycline et cyclophosphamide. Pour les experts réunis à NiceSaint-Paul-de-Vence en 2011 [14], ces résultats manquent de puissance pour exclure un bénéfice de la chimiothérapie chez des patientes non ménopausées recevant un traitement hormonal optimal, mais la question reste posée. L’essai PERCHE (Premenopausal Endocrine Responsive CHEmotherapy, NCT00066807) qui abordait ce sujet a dû être également fermé, faute d’inclusions. I.3. Suppression ovarienne associée à d’autres hormonothérapies L’étude ABCSG-12 (Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group), réalisée par un groupe national autrichien, a inclus 1 803 patientes préménopausées atteintes d’une tumeur hormonosensible. Elles ont été randomisées en 4 bras : goséréline (tous les 28 jours) avec tamoxifène ou anastrozole avec ou sans acide zolédronique (4 mg en intraveineux tous les 6 mois) pendant 3 ans. Après un suivi médian de 47,8 mois, les taux de survie sans récidive ont été respectivement de 92,8 % dans le groupe goséréline/tamoxifène et 92,0 % dans le groupe goséréline/anastrozole (pas de différence significative). Ces taux ont été 252 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? significativement différents dans les groupes traités par hormonothérapie seule ou associée à de l’acide zolédronique, respectivement de 90,8 % et 94,0 % (p = 0,01). Cette étude est donc intéressante à plusieurs niveaux. D’une part elle a montré le bénéfice de l’acide zolédronique en situation adjuvante. D’autre part, elle a confirmé que l’abstention de chimiothérapie adjuvante chez des patientes préménopausées atteintes d’une tumeur hormonosensible était envisageable et qu’un blocage hormonal complet seul pouvait aboutir à une survie sans rechute supérieure à 90 % à cinq ans [15]. Les inhibiteurs de l’aromatase associés aux a-GnRH n’apportaient pas de bénéfices supplémentaires par rapport au tamoxifène, et même un résultat inférieur chez les patientes en surpoids (indice de masse corporelle supérieur à 25) avec une augmentation significative du risque de rechute et de décès [16]. Dans cette étude, seulement un quart des patientes étaient âgées de moins de 40 ans. L’hormonothérapie des patientes non ménopausées a également été évaluée dans l’étude ZIPP (Zoladex® In Premenopausal Patients) (2 710 patientes) [17]. La réduction du risque de rechute apportée par le tamoxifène ou la suppression ovarienne par a-GnRH était équivalente, alors que la prescription concomitante de ces deux hormonothérapies n’était pas supérieure à l’administration d’une seule de ces deux modalités. I.4. Les essais en cours Ainsi, même si le traitement de référence des femmes non ménopausées atteintes d’un cancer mammaire hormonosensible est le tamoxifène prescrit pour une durée de 5 ans, des essais prospectifs ont été conduits pour connaître l’éventuel impact de la suppression ovarienne comparée au tamoxifène seul. L’essai randomisé prospectif SOFT (Suppression of Ovarian Function Trial) compare la suppression ovarienne associée à un inhibiteur de l’aromatase (exemestane), la suppression ovarienne associée au tamoxifène et le tamoxifène seul (Tableau 2). Plus de 3 000 femmes ont été randomisées dans cet essai, les dernières inclusions s’étant terminées en janvier 2011. L’essai randomisé prospectif TEXT (tamoxifène and EXemestane Trial) compare la suppression ovarienne par un a-GnRH associé à un inhibiteur de l’aromatase (exemestane) ou du tamoxifène pour 5 ans, la chimiothérapie étant optionnelle (Tableau 2). Plus de 2 600 femmes ont été randomisées dans cet essai, les dernières inclusions ont eu lieu en mars 2011. 253 MATHELIN & COLL. Les autres essais en cours sont résumés dans le tableau 2. Ces nouvelles données permettront peut-être d’optimiser les indications d’hormonothérapie chez les femmes non ménopausées ayant une tumeur hormonosensible et notamment chez les plus jeunes d’entre elles où les a-GnRH ont peut-être une place en complément du tamoxifène. Tableau 2 - Essais en cours portant sur l’impact de la suppression ovarienne chez les femmes non ménopausées ayant un cancer du sein 254 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? I.5. Les recommandations actuelles En attendant les résultats des essais en cours, le groupe de travail de Saint-Paul-de-Vence [14] a émis des recommandations en 2011 concernant l’hormonothérapie. Ainsi, avant la ménopause, le tamoxifène reste le traitement standard (cinq ans) pour les tumeurs hormonodépendantes (niveau 1, grade A). Il n’existe pour le moment pas d’arguments pour proposer un traitement par a-GnRH en complément du tamoxifène après chimiothérapie (accord professionnel). La prescription d’un aGnRH est une option en cas de contre-indications à la prescription de tamoxifène (niveau 1, grade A). Les experts de l’American Society of Clinical Oncology [18] ont également émis des recommandations concernant la suppression ovarienne chez les patientes préménopausées ayant un cancer infiltrant du sein hormonosensible. La suppression ovarienne ne doit pas être systématiquement associée à la chimiothérapie, au tamoxifène, ou à l’association des deux traitements. La suppression ovarienne seule ne doit pas être une alternative aux traitements adjuvants en dehors des cas d’intolérance à ces traitements ou de refus de ces derniers. Enfin, selon l’avis du Breast Cancer Disease Site Group, si des a-GnRH sont utilisés, c’est la forme injectable mensuelle qui doit être privilégiée, car c’est celle qui est utilisée dans les essais cliniques. L’injection trimestrielle semble toutefois efficace. Pour le panel d’experts réunis à Saint-Gallen en 2011, chez les femmes non ménopausées ayant une tumeur hormonosensible, la prescription de tamoxifène seul ou associé à une suppression ovarienne est possible, la préférence étant toutefois donnée au tamoxifène seul. En cas de contre-indications au tamoxifène, la suppression ovarienne seule ou associée aux inhibiteurs de l’aromatase est envisageable [1]. II. L’INTÉRÊT DES A-GNRH DANS LA PRÉVENTION DES SÉQUELLES OVARIENNES CHIMIO-INDUITES L’administration d’a-GnRH mettant l’ovaire au repos, ce dernier devient en théorie moins vulnérable à l’action des cytotoxiques. En 1985, Ataya et al. [19] ont testé cette hypothèse sur des rats traités par cyclophosphamide. Ils ont ainsi pu montrer que l’utilisation d’a-GnRH dans ce modèle animal préservait les petits follicules ovariens au cours de la chimiothérapie. Ce modèle animal ayant été critiqué en raison de 255 MATHELIN & COLL. la voie d’administration intrapéritonéale des cytotoxiques, la même équipe [20] a utilisé des singes rhésus et montré l’effet protecteur sur le capital folliculaire de l’utilisation des a-GnRH au cours d’une chimiothérapie intraveineuse. En clinique humaine, Blumenfeld et al. [21-25] ont testé à plusieurs reprises les a-GnRH dans la prévention de la toxicité ovarienne chimio-induite, chez des patientes atteintes d’hémopathies malignes ou de maladies auto-immunes sévères. Les patientes ont été comparées à des témoins, traités par la même chimiothérapie sans administration d’a-GnRH. Pour les groupes sous a-GnRH, il a été observé en moyenne plus de 90 % de récupération ovarienne, alors que cette dernière n’a eu lieu que chez la moitié des contrôles. Cet effet protecteur des a-GnRH sur la fonction ovarienne n’a en revanche pas été retrouvé par le groupe de Waxman [26] dans une petite étude randomisée portant sur 18 patientes traitées pour une maladie de Hodgkin. L’innocuité carcinologique des a-GnRH, utilisés lors d’une chimiothérapie afin d’en diminuer la toxicité ovarienne, est controversée dans le cas de cancers du sein hormonosensibles. Il y a donc moins de travaux concernant cette question publiée en cancérologie mammaire. En 2002, Recchia et al. [27] ont mené une étude pilote de phase II incluant 64 patientes non ménopausées (moyenne d’âge de 42 ans), atteintes d’un cancer du sein et recevant différents protocoles de chimiothérapie associés à des a-GnRH. L’étude ne comprenait pas de groupe contrôle. Après un suivi de 55 mois, 86 % des patientes avaient conservé des cycles menstruels et une patiente avait donné naissance à un enfant en bonne santé. En 2006, la même équipe [28] a publié les résultats d’une étude rétrospective comportant 100 patientes traitées de la même manière avec une moyenne d’âge de 43 ans. Après une médiane de suivi de 75 mois, 100 % des patientes de moins de 40 ans et 56 % des patientes de plus de 40 ans avaient des cycles menstruels. Trois grossesses ont été rapportées. La même année, Del Mastro et al. [29] ont rapporté les résultats d’une étude de phase II visant à estimer l’impact ovarien des a-GnRH chez 29 patientes atteintes de cancer du sein et traitées par chimiothérapie adjuvante. À l’issue de la chimiothérapie, les règles étaient présentes chez 16 des 17 patientes de moins de 40 ans (94 %) et chez 5 des 12 patientes de plus de 40 ans (42 %). L’étude de Fox et al. [30] a concerné 24 patientes traitées par a-GnRH au cours de leur chimiothérapie pour cancer du sein. Six grossesses ont été rapportées chez cinq patientes, dont trois ont nécessité l’utilisation de techniques d’assistance à la procréation. Trois patientes n’ont pu obtenir de grossesse malgré un traitement de l’infertilité. 256 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? Tous ces travaux ont été critiqués en raison de plusieurs biais méthodologiques, notamment l’absence de groupe contrôle pour certaines études, leur caractère parfois rétrospectif, l’absence de randomisation pour d’autres études, ou encore l’utilisation de doses supérieures d’agents alkylants (plus ovariotoxiques) dans certains groupes contrôles [31]. De ce fait, les essais cliniques prospectifs randomisés ont été encouragés. La première étude prospective randomisée publiée en 2008 par Ismail-Khan et al. [32] a inclus 49 patientes dont 44 ont été suivies pendant 6 mois, 42 pendant 12 mois, et 34 pendant 18 mois. Dans le groupe ayant reçu des a-GnRH, le retour des règles est survenu chez 83 % des patientes à 12 mois (versus 79 % pour les contrôles) et 88 % à 18 mois (versus 84 % pour les contrôles). Deux grossesses spontanées ont été rapportées dans le groupe contrôle. Ces différences n’étant pas significatives, l’étude a été interrompue. En 2009, l’essai ZIPP a montré qu’un an après la fin de la chimiothérapie et du traitement hormonal, 36 % des patientes du groupe goséréline avaient des règles, comparativement à 7 % pour le groupe goséréline et tamoxifène, 13 % pour le groupe tamoxifène et 10 % pour le groupe contrôle. Dans cette étude, l’effet protecteur des a-GnRH sur la fonction ovarienne a pu être démontré chez les femmes traitées par CMF. Cet effet n’a cependant pas été retrouvé lorsque les a-GnRH étaient associés au tamoxifène [33]. L’étude contrôlée randomisée de Badawy et al. [34] a permis l’inclusion de 78 patientes traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein, la moitié d’entre elles recevant un traitement par a-GnRH. Dans le groupe a-GnRH, 89,6 % des patientes ont eu des règles et 69,2 % des ovulations spontanées dans les 3 à 8 mois après la fin du traitement. Dans le groupe contrôle, seules 33,3 % des patientes avaient des cycles menstruels et 25,6 % une fonction ovarienne normale. En 2011, Del Mastro et al. [35] a publié les résultats de l’étude italienne multicentrique randomisée de phase III PROMISE-GIM6 (Prevention of menopause induced by chemotherapy: a study in early breast cancer patients - Gruppo Italiano Mammella 6). Cet essai a inclus 281 patientes non ménopausées traitées pour une tumeur mammaire par chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante avec ou sans triptoréline. Un an après le dernier cycle de chimiothérapie, les taux de ménopause précoce ont été de 25,9 % dans le bras chimiothérapie seule et 8,9 % dans le bras chimiothérapie et triptoréline, cette différence étant significative. L’étude prospective randomisée multicentrique (German Breast Group 37 ZORO study) [36] a inclus 60 patientes non ménopausées de 257 MATHELIN & COLL. moins de 46 ans traitées pour une tumeur mammaire non hormonosensible par chimiothérapie néoadjuvante (anthracycline/cyclophosphamide avec ou sans taxane) avec ou sans goséréline. Cinquante-trois patientes (88,3 %) ont eu une aménorrhée temporaire (93,3 % avec goséréline et 83,3 % sans goséréline). Six mois après la chimiothérapie, les règles sont réapparues chez 56,7 % des patientes du groupe contrôle et chez 70 % des patientes du groupe goséréline (p = 0,284). Les règles sont survenues après un délai moyen de 6,8 mois dans le groupe goséréline versus 6,1 mois dans le groupe contrôle (p = 0,304). Très récemment en 2012, Munster et al. [37] ont publié une étude comparable devant inclure 124 patientes, mais arrêtée après l’inclusion de 49 patientes (âge moyen 39 ans ; extrêmes 21 à 43 ans). Quarantetrois patientes ont été finalement analysées. Les patientes n’étaient pas ménopausées et traitées pour une tumeur mammaire par chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante (4 cures d’anthracycline/ cyclophosphamide/paclitaxel ou 6-fluoro-uracile/épirubicine/ cyclophosphamide) avec ou sans triptoréline. En plus de l’analyse des cycles menstruels, des dosages de FSH (follicle-stimulating hormone) et d’inhibine A et B ont été réalisés. Les règles sont réapparues chez 19 (90 %) des 21 patientes du groupe contrôle et chez 23 (88 %) des 26 patientes du groupe triptoréline (p = 0,36) après un délai moyen de 5,8 mois (1 à 19 mois) dans le groupe triptoréline versus 5,0 mois (0 à 28 mois) dans le groupe contrôle (p = 0,58). Deux patientes de 28 et 35 ans du groupe contrôle ont eu une naissance à terme. Les dosages de FSH et d’inhibine B ont été corrélés aux cycles menstruels. La puissance de cet essai a été fortement critiquée du fait du petit nombre d’inclusions notamment [38]. Les résultats des essais cliniques sont donc contradictoires. Deux méta-analyses récentes ont toutefois montré que les a-GnRH avaient un impact favorable sur la récupération des cycles ovariens après chimiothérapie [39, 40] avec en effet favorable sur les taux de grossesses pour Clowse [39]. D’autres essais cliniques randomisés sont encore en cours. Par ailleurs, il n’existe pas de preuves concernant l’innocuité carcinologique des a-GnRH prescrits au cours d’une chimiothérapie pour favoriser le maintien de cycles ovariens, notamment lorsque la tumeur est hormonosensible [41]. En effet l’aménorrhée induite par la chimiothérapie a peut-être dans certains cas une utilité thérapeutique. 258 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE ? CONCLUSION Dans l’attente des résultats des études en cours, il ne faut pas encourager l’utilisation « non contrôlée » des a-GnRH comme hormonothérapie adjuvante (en dehors des contre-indications au tamoxifène), ni comme moyen de préserver la fertilité après chimiothérapie notamment chez les patientes ayant une tumeur hormonodépendante mais favoriser les inclusions dans les essais cliniques contrôlés. Bibliographie [1] Goldhirsch A, Wood WC, Coates AS, Gelber RD, Thurlimann B, Senn HJ. Strategies for subtypes--dealing with the diversity of breast cancer: highlights of the St. Gallen International Expert Consensus on the Primary Therapy of Early Breast Cancer 2011. Ann Oncol 2011 Aug;22(8):1736-47. [2] Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (EBCTCG). 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Preservation of fertility and ovarian function and minimizing gonadotoxicity in young women with systemic lupus erythematosus treated by chemotherapy. Lupus 2000; 260 QUELLES INDICATIONS AUX ANALOGUES DE LA GNRH EN SITUATION NON MÉTASTATIQUE 9(6):401-5. [24] Blumenfeld Z, Haim N. Prevention of gonadal damage during cytotoxic therapy. Ann Med 1997 Jun;29(3):199-206. [25] Blumenfeld Z, Avivi I, Linn S, Epelbaum R, Ben-Shahar M, Haim N. Prevention of irreversible chemotherapy-induced ovarian damage in young women with lymphoma by a gonadotrophin-releasing hormone agonist in parallel to chemotherapy. Hum Reprod 1996 Aug;11(8):1620-6. [26] Waxman JH, Ahmed R, Smith D, Wrigley PF, Gregory W, Shalet S et al. Failure to preserve fertility in patients with Hodgkin’s disease. Cancer Chemother Pharmacol 1987; 19(2):159-62. [27] Colleoni M, Rotmensz N, Robertson C, Orlando L, Viale G, Renne G et al. Very young women (<35 years) with operable breast cancer: features of disease at presentation. 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Sa surexpression a été observée dans de nombreux cancers du sein, particulièrement les cancers du sein inflammatoires et est associée à un pronostic plus défavorable comparativement aux tumeurs ne présentant pas de surexpression. La plupart de ses fonctions sont médiées par le récepteur du VEGFR-2. De nombreux agents bloquant la voie de signalisation du VEGF ont été développés dans les cancers du sein à différents stades. Actuellement seul le bévacizumab a démontré son impact en association avec le paclitaxel sur la survie sans rechute des patients traités en première ligne métastatique des cancers du sein. Les inhibiteurs de tyrosine kinase que sont notamment le sunitinib et le sorafénib n’ont pas confirmé en phase III les données prometteuses des résultats des études plus précoces. Les données actuelles de combinaison soit à la chimiothérapie, soit à d’autres thérapies ciblées (hormonothérapie ou trastuzumab) Centre Georges-François Leclerc - Département d’oncologie médicale - 1 rue du Pr Marion 21000 Dijon * Correspondance : [email protected] 263 DESMOULINS & COLL. montrent des résultats satisfaisants en termes de survie sans progression ou en termes de réponse histologique en situation néoadjuvante. Il est nécessaire par ailleurs de développer de nouveaux paramètres pour prédire et évaluer l’efficacité des traitements antiangiogéniques (cellules endothéliales circulantes, taux de VEGF-A, imagerie fonctionnelle). Mots clés : VEGF, VEGFR, cancer du sein, bévacizumab Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Isabelle Desmoulins, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. Le traitement habituel des cancers du sein inclut, hormis la chirurgie, une hormonothérapie et/ou une chimiothérapie. Que ce soit en phase précoce ou en phase métastatique, de nouvelles perspectives apparaissent depuis le développement de molécules ciblées sur le processus de progression tumorale et notamment sur l’angiogenèse tumorale. Des agents antiangiogéniques ont montré des résultats encourageants dans les essais cliniques, en particulier le bévacizumab anticorps monoclonal humanisé ciblant le VEGF ou VEGF-A (vascular endothelial growth factor) ou des inhibiteurs de tyrosine kinase agissant contre la tyrosine kinase des récepteurs du VEGF ou de PDGF (platelet-derived growth factor). I. MÉCANISMES GÉNÉRAUX DE L’ANGIOGENÈSE I.1. Angiogenèse et cancer du sein L’angiogenèse, le processus aboutissant à la formation de nouveaux vaisseaux, joue un rôle central à la fois dans la croissance de la tumeur 264 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN primitive mammaire et dans le développement des métastases [1]. Des données précliniques suggèrent qu’elle joue un rôle essentiel dans le développement du cancer du sein, l’invasion et les métastases. Retrouvée dans des modèles murins, au niveau de papillomes mammaires [2] et de lobules normaux adjacents aux tissus cancéreux mammaires [3], ce phénomène précède la transformation de l’hyperplasie vers la malignité. La transfection de cellules tumorales avec des peptides stimulant l’angiogenèse augmente la croissance tumorale, l’invasion et les métastases. A contrario, la transfection des cellules tumorales avec des inhibiteurs de l’angiogenèse diminue ces mêmes paramètres [4]. I.2. Rôle des métalloprotéinases Les métalloprotéinases de la matrice (MMP) sont des enzymes qui dégradent les membranes basales et la matrice extracellulaire. Leur action est contrebalancée par des inhibiteurs endogènes (TIMP) inhibiteurs tissulaires des métalloprotéinases. Dans des conditions physiologiques normales, il existe un équilibre entre MMP et TIMP. Cet équilibre est rompu lors de l’induction d’une angiogenèse active. L’expression de MMP augmente lors de la progression du phénotype bénin vers le pré-invasif (in situ), l’invasif et les métastases, et est de plus associée au grade histologique. Les micrométastases demeurent quiescentes jusqu’au moment où elles subissent un switch angiogénique, résultant vraisemblablement d’une mutation additionnelle. Ce switch angiogénique est souvent associé à une augmentation de l’expression des MMP [4]. I.3. Hypoxie, VEGF et angiogenèse L’hypoxie est un facteur clé de l’induction de l’angiogenèse. Les hypoxia-inducible factors (HIF1 et HIF2) sont des facteurs de transcription comportant deux sous-unités a et b. La sous-unité b est exprimée de façon constitutive alors que la sous-unité est protégée quant à sa dégradation seulement lors de conditions hypoxiques [5, 6]. L’expression de HIF1a augmente lors du passage du tissu mammaire normal à l’hyperplasie canalaire, au carcinome canalaire, au carcinome canalaire invasif. Elle est plus élevée dans les carcinomes mammaires peu différenciés que dans les tumeurs bien différenciées. De plus, elle est associée à une augmentation de la prolifération et du taux de vascular endothelial growth factor (VEGF). Le VEGF-A, sécrété par les cellules tumorales et le stroma, se lie à des 265 DESMOULINS & COLL. récepteurs transmembranaires endothéliaux de type tyrosine kinase (VEGR1 et 2) induisant l’activité mitotique, liée au VEGF-A [7]. Il est actuellement décrit au moins six familles de récepteurs tyrosine kinase, qui se différencient par leur ligand et leur structure chimique mais qui possèdent des caractéristiques communes, et sept récepteurs « orphelins » [8]. Chaque récepteur comporte : – un domaine extracellulaire, site de fixation du ligand (partie Nterminale de la molécule) ; – un domaine intracellulaire, site d’ancrage dans la membrane cytoplasmique ; – un domaine intracellulaire riche en résidu tyrosine, possédant une activité tyrosine kinase. Les récepteurs de la classe VI concernent essentiellement les cellules endothéliales et l’angiogenèse. L’expression de l’anhydrase carbonique IX, une enzyme dépendante de HIF1a et intervenant dans la régulation du pH, est associée à une survie sans rechute et à une survie globale diminuée chez les patientes suivies pour un cancer du sein invasif [9, 10]. II. RÉSULTATS THÉRAPEUTIQUES DES ANTICORPS MONOCLONAUX Les anticorps monoclonaux peuvent être dirigés contre des ligands ou des récepteurs de type tyrosine kinase spécifiques des cellules endothéliales ou des péricytes. C’est particulièrement le cas du vascular epithelial growth factor (VEGF) et de son récepteur VEGFR. L’anticorps anti-VEGF le plus connu est le bévacizumab (Avastin®) (93 % humain, 7 % murin) qui reconnaît tous les isoformes du VEGF (Kd = 8 x 10-10 M, demi-vie 17-21 jours). Les résultats de plusieurs études sont disponibles en situation métastatique et néoadjuvante. II.1. Bévacizumab dans les cancers du sein métastatiques II.1.a. Étude de phases I/II bévacizumab en monothérapie [11] Une étude de phases I/II a testé l’escalade de dose de bévacizumab en monothérapie tous les 15 jours. Cet essai a inclus 75 patientes comparant bévacizumab aux doses de 3 mg/kg (n = 18) versus 10 mg/kg (n = 41) versus 20 mg/kg (n = 21) jusqu’à progression. Les objectifs principaux étaient la tolérance et le taux de réponses (Tableau 1). 266 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN Tableau 1 - Réponses et toxicité du bévacizumab en phases I/II Réponse et survie 3 mg/kg 10 mg/kg 20 mg/kg RC (n, %) 0 1 (2,4) 0 RP (n, %) 1 (5,6) 4 (9,8) 1 (6,3) RC-RP-stabilisation à 22 semaines (n, %) 2 (11) 7 (17) 3 (19) 3,1 5,5 8 Durée de réponse (mois) Survie médiane (mois) 14 12,8 7,6 Événements 3 mg/kg 10 mg/kg 20 mg/kg HTA (n, %) 4 (22) 7 (17) 3 (19) Protéinurie (n, %) 1 (6) 1 (2) 1 (6) Thrombose (n, %) 0 2 (5) 0 Saignement (n, %) 0 0 0 IC/cardiomyopathie (n, %) 0 1 (2) 1 (6) Céphalée (n, %) 0 0 3 (19) RC = réponse complète ; RP = réponse partielle ; IC = insuffisance cardiaque Cette étude a ainsi montré une certaine activité du bévacizumab dans le traitement du cancer du sein avec un profil de tolérance correct. II.1.b. Étude de phase II bévacizumab et vinorelbine en 2e ou 3e ligne de traitement [12] Dans cette étude de phase II, la vinorelbine était administrée de façon hebdomadaire à la dose de 25 mg/m2 et le bévacizumab tous les 15 jours à la dose de 10 mg/kg. À partir de 54 patientes évaluables, le taux de réponses est de 31 % avec persistance des réponses au-delà de 1 an. II.1.c. Étude de phase II bévacizumab + docétaxel en métastatique 1re ou 2e ligne [13] Dans cette étude de phase II, le docétaxel était administré de façon hebdomadaire à la dose de 35 mg/m2, 3 semaines sur 4, et le bévacizumab tous les 15 jours à la dose de 10 mg/kg. À partir de 25 patientes évaluables, le taux de réponses est de 52 %, le temps médian jusqu’à progression atteint 7,5 mois (95 % CI = 6,2-8,3) avec une durée médiane de réponses de 6 mois (95 % CI = 4,6-6,5). II.1.d. Étude de phase II bévacizumab + docétaxel + capécitabine en 1re ligne métastatique [14] Quarante-cinq patientes évaluables ont été incluses dans cette étude de phase II évaluant l’association bévacizumab (15 mg/kg), docétaxel 267 DESMOULINS & COLL. (75 mg/m2) et capécitabine (1 750 g/m2/jour 14 jours) toutes les 3 semaines. Étaient évaluées l’efficacité ainsi que la tolérance (Tableaux 2 et 3). Tableau 2 - Résultats de la phase II bévacizumab + taxotère + capécitabine Critère N (IC 95 %) 53 % (38-68 %) Réponse Survie sans progression (mois) 8,4 Taux de survie sans progression à 6 mois 74 % (61-90) Taux de survie globale à 6 mois 95 % (88-100) Tableau 3 - Toxicités de l’association bévacizumab + taxotère + capécitabine Toxicité grades 3/4 % HTA (n, %) 2 Protéinurie (n, %) 0 Thrombose (n, %) 0 Saignement (n, %) 0 Diarrhée (n, %) 18 Syndrome main-pied (n, %) 27 Nausée (n, %) 13 Asthénie 20 II.1.e. Étude de phase II bévacizumab + trastuzumab, en 1re ligne métastatique chez des patientes HER-2 positif [15] L’hyperexpression de HER-2 est associée à une induction du VEGF et il existe une forte corrélation entre HER-2/VEGF et le devenir d’un cancer du sein. Dans des modèles précliniques de xénogreffes, il existe par ailleurs une efficacité supérieure du trastuzumab lorsque celui-ci est associé au bévacizumab. Une étude de phase I n’avait pas révélé d’interaction pharmacocinétique entre les 2 agents, et la dose recommandée était de 10 mg/kg toutes les 2 semaines associée au schéma hebdomadaire classique du trastuzumab. Dans cette étude de phase II ayant inclus 28 patientes évaluables, le taux de réponses est de 46 %. Les toxicités de grade 3/4 sont les suivantes chez 30 patientes : dyspnée (n = 1) ; altération de la fonction ventriculaire gauche (n = 1) ; hypertension (n = 5), protéinurie (n = 1). II.1.f. Étude de phase II bévacizumab, trastuzumab, capécitabine en 1re ligne métastatique [16] Les patientes recevaient du bévacizumab : 15 mg/kg/3 semaines, du trastuzumab : 8 puis 6 mg/kg/3 semaines et de la capécitabine : 268 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN 1 000 mg/m2 2 fois par jour 14 jours toutes les 3 semaines. Quatrevingt-huit patientes ont été incluses dont 46 sont encore sous traitement avec un suivi médian de 8,8 mois (0,9-17,1 mois). Le taux de réponses global était de 73 % dont 7 % de réponses complètes. La survie sans progression médiane était de 14,4 mois. Le traitement était bien supporté avec 22 % de syndrome main-pied de grade 3, 9 % de diarrhées grade 3 et 7 % d’hypertension de grade 3. Au total, 44 % des patientes ont une toxicité de grade 3. Treize ont arrêté définitivement le traitement. Une insuffisance cardiaque a été rencontrée chez 2 patientes. II.1.g. Étude de phase III bévacizumab + capécitabine versus capécitabine, en 2e et 3e lignes métastatiques [17] Cette étude de phase III randomisée a inclus 462 patientes et comparé l’association bévacizumab à la dose de 15 mg/kg toutes les 3 semaines plus capécitabine (n = 232) versus capécitabine seule (n = 230) jusqu’à progression. L’objectif principal était la survie sans progression, les objectifs secondaires le taux de réponses, la durée de la réponse et la survie globale (Tableaux 4 et 5). Tableau 4 - Résultats bévacizumab et capécitabine en 2e et 3e lignes métastatiques Critère Réponse (%) Investigateurs Revue indépendante Capécitabine + bévacizumab Capécitabine 30,2 19,1 19,8 9,1 Survie sans progression (mois) 4,86 4,17 Survie médiane (mois) 15,1 14,5 Tableau 5 - Toxicités du bévacizumab en 2e et 3e lignes métastatiques Toxicité grades 3/4 Capécitabine + bévacizumab Capécitabine HTA (n, %) 17,9 0,5 Protéinurie (n, %) 0,9 0 Thrombose (n, %) 5,6 3,7 Saignement (n, %) 0,4 0,5 IC/cardiomyopathie (n, %) 3 1 Syndrome main-pied (n, %) 27,5 24,2 Nausée (n, %) 2,6 1,9 269 DESMOULINS & COLL. Il existe une augmentation significative du taux de réponses mais aucune différence significative quant à la survie sans rechute (objectif principal) et la survie globale entre les deux groupes. II.1.h. Étude de phase III bévacizumab + paclitaxel hebdomadaire versus paclitaxel hebdomadaire en 1re ligne métastatique [18] Cette étude de phase III randomisée a inclus 680 patientes et comparé le bévacizumab à la dose de 10 mg/kg toutes les 2 semaines plus paclitaxel hebdomadaire (n = 341) versus paclitaxel hebdomadaire (n = 339) jusqu’à progression (Tableau 6). Les données publiées montrent une augmentation significative du taux de réponses et de la survie sans rechute. Il n’existe pas d’augmentation de la survie globale. Tableau 6 - Résultats association bévacizumab et paclitaxel en 1re ligne métastatique Critère p Bévacizumab + paclitaxel Réponse (%) < 0,0001 37,7 16 Survie sans progression (mois) < 0,0001 11,4 6,11 0,12 28,4 26,2 Survie médiane (mois) Paclitaxel II.1.i. Étude de phase III bévacizumab + docétaxel versus docétaxel hebdomadaire en métastatique 1re ligne : étude AVADO [19] Cette étude de phase III a inclus 736 patientes et a comparé, en première ligne métastatique de cancers du sein HER2 négatif, le docétaxel seul associé ou non au bévacizumab à la dose de 7,5 mg/kg et 15 mg/kg. La combinaison du docétaxel au bévacizumab 15 mg/kg mais non 7,5 mg/kg a permis d’augmenter la survie sans progression (SSP) (placebo mSSP, 8,2 mois, 7,5 mg/kg mSSP, 9,0 mois (hazard ratio (HR) 0,86 = 0,12) ; 15 mg/kg mSSP, 10,1 mois (HR 0,77 ; p = 0,006)). Les taux de réponses étaient également augmentés avec le bévacizumab 15 mg/kg (46 % bras placebo versus 55 % bras 7,5 mg/kg versus 64 % bras 15 mg/kg). La survie globale n’était pas augmentée par l’adjonction du bévacizumab. L’addition du bévacizumab avait peu d’impact sur la toxicité connue du docétaxel. II.1.j. Phase III, RIBBON-1, du bévacizumab en 1re ligne métastatique [23] De façon plus récente, un autre essai de phase III, RIBBON-1, évaluait l’effet de l’addition du bévacizumab à la chimiothérapie en 270 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN première ligne métastatique chez des patients dont la tumeur ne surexprimait pas HER2. Les patientes étaient randomisées 2:1 chimiothérapie + bévacizumab ou chimiothérapie + placebo. Le bévacizumab était administré toutes les trois semaines jusqu’à progression à la dose de 15 mg/kg. L’investigateur choisissait entre un bras capécitabine (2 000 mg/m2 14 jours/21), un bras à base de taxanes (taxotère 75 ou 100 mg/m2 ou nab-paclitaxel 260 mg/m2) ou un bras à base d’anthracyclines (doxorubicine ou épirubicine combinées avec le cyclophosphamide et le fluoro-uracile), la chimiothérapie étant administrée toutes les trois semaines. Le choix de la cohorte de chimiothérapie était laissé à l’investigateur. L’objectif principal était la survie sans progression, les objectifs secondaires la survie globale, le taux de réponses objectives et le taux de survie à un an. Mille deux cent trente-sept patients ont été inclus (615 dans la cohorte capécitabine, 622 dans la cohorte taxanes/ anthracyclines). Dans les deux cohortes analysées (cohorte chimiothérapie à base de capécitabine ou cohorte anthracyclines/taxanes), la survie sans progression était augmentée significativement (de 5,7 à 8,6 mois dans le bras capécitabine, p < 0,001 ; de 8,0 à 9,2 mois dans le bras taxanes/anthracyclines, p < 0001). II.1.k. Trois méta-analyses du bévacizumab en 1re ligne métastatique [20-22] Ces trois méta-analyses ont confirmé les résultats des études randomisées. L’adjonction du bévacizumab à la chimiothérapie de première ligne des cancers du sein métastatiques permet d’augmenter les taux de réponses, la survie sans progression mais sans bénéfice en termes de survie globale. II.1.l. Phase III, AVEREL, évaluant en 1re ligne métastatique des cancers du sein HER2 positif, l’association bévacizumab, trastuzumab, docétaxel [24] Les patientes étaient randomisées entre docétaxel 100 mg/m2 + trastuzumab (8 mg/kg en dose de charge puis 6 mg/kg) toutes les trois semaines et docétaxel + trastuzumab aux mêmes doses + bévacizumab à 15 mg/kg toutes les trois semaines. Le trastuzumab et le bévacizumab étaient poursuivis jusqu’à progression ou toxicité. Le docétaxel était également donné jusqu’à progression ou toxicité (au minimum 6 cycles). L’objectif principal était la survie sans progression, les objectifs secondaires la survie globale, le taux de réponses, la durée de réponse, la tolérance et la qualité de vie. 271 DESMOULINS & COLL. La survie sans progression a été améliorée de 3 mois dans le bras bévacizumab (13,9 versus 16,8 mois, HR = 0,72, p = 0,0162). Le taux de réponses est passé de 65,9 % à 76,5 % (p = 0,0265). Les effets secondaires de grade 3 ont été pour certains plus importants dans le bras bévacizumab : hypertension (11,6 % versus 0,5 %), protéinurie (1,4 % versus 0). En revanche, le taux de neutropénies de grade 3 a été plus important dans le bras docétaxel + trastuzumab (25,7 % versus 20,5 %). Dans cette étude, une analyse rétrospective de la survie sans progression en fonction du taux de VEGF-A à baseline a été conduite, la survie était plus longue si le taux de VEGF-A était élevé au début du traitement suggérant un potentiel effet prédictif de ce marqueur. Cette étude a donc permis de démontrer une amélioration de la survie par l’adjonction du bévacizumab (objectif principal) en analyse intermédiaire, il n’y a pas de différence entre les deux bras en termes de survie globale. II.1.m. Phase III RIBBON-2 en 2e ligne métastatique [25] Plus récemment, l’étude de phase III, RIBBON-2, a comparé l’association bévacizumab à une chimiothérapie de deuxième ligne métastatique dans les cancers du sein métastatiques ne surexprimant pas HER2. Les patientes étaient randomisées 2:1 entre chimiothérapie + bévacizumab et chimiothérapie + placebo. En fonction du choix de la chimiothérapie par l’investigateur (capécitabine, taxanes, gemcitabine ou vinorelbine), le bévacizumab ou le placebo étaient donnés soit toutes les trois semaines à la dose de 15 mg/kg ou tous les quinze jours à la dose de 10 mg/kg. L’objectif principal était la survie sans progression. Les objectifs secondaires étaient la survie globale, le taux de réponses objectives, la durée de réponse objective, la survie à un an et la tolérance. Six cent quatre-vingt-quatre patients ont été inclus (225 dans le bras placebo, 459 dans le bras bévacizumab) ; le taux de réponses objectives et la survie sans progression étaient améliorés significativement dans le bras bévacizumab (39,5 % versus 29,6 %, p = 0,0193 et 7,2 mois versus 5,1 mois, p = 0,0072). La tolérance du traitement a été marquée par plus de toxicités de grade 3 dans le bras bévacizumab pour l’hypertension et la protéinurie. Il n’y avait pas de différence significative en termes de survie globale. II.1.n. Tolérance du bévacizumab [26, 27] L’étude ATHENA est une étude de phase IV menée chez 2 251 patientes qui a permis d’évaluer la tolérance et l’efficacité du bévacizumab 272 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN chez des patientes recevant une chimiothérapie à base de taxanes et ayant un cancer du sein HER2 négatif, en rechute local ou métastatique et en première ligne. L’objectif primaire était la tolérance, un des objectifs secondaires était le temps jusqu’à progression. Le bévacizumab était poursuivi jusqu’à progression ou toxicité. Le temps moyen de suivi a été de 12,7 mois. Le bévacizumab était administré toutes les deux semaines à 10 mg/kg ou toutes les trois semaines à 15 mg/kg en fonction de la chimiothérapie associée (paclitaxel, docétaxel ou combinaison de chimiothérapie avec taxane mais aucun régime avec anthracyclines). Les effets secondaires de grades 3/4 les plus fréquents reliés au bévacizumab étaient l’hypertension (4 %), les thromboses artérielles ou veineuses (3,2 %), la protéinurie (1,7 %) et les saignements (1,4 %). Une analyse en sous-groupe a été réalisée chez 585 patientes (26 %) porteuses de cancer du sein triple négatif. Dans cette population, le taux de réponses était de 49 %, incluant 10 % de réponses complètes. Le temps jusqu’à progression était de 7,2 mois et la médiane de survie de 18,3 mois. Le taux de survie globale à un an était de 60 % ; les toxicités étaient celles attendues. L’adjonction de bévacizumab à la chimiothérapie dans ce sous-groupe de patientes de mauvais pronostic permet d’obtenir une bonne réponse avec un profil de toxicité acceptable faisant de ce régime de traitement un standard efficace. II.2. Bévacizumab utilisé en néoadjuvant II.2.a. Bévacizumab néoadjuvant dans les cancers du sein HER2 négatif Plusieurs études de phase II avec le bévacizumab en association avec la chimiothérapie, en traitement néoadjuvant des cancers du sein HER2 négatifs ont été présentées ces dernières années. Ces études pilotes ont montré des résultats encourageants : réponse clinique globale comprise entre 68 et 89 %, réponse clinique complète comprise entre 16 et 54 %, réponse pathologique complète comprise entre 15 et 42 %, chirurgie conservatrice possible dans 5 à 83 % des cas. Malgré quelques complications postopératoires parfois citées (hématomes, problèmes de cicatrisation), la tolérance générale a été bonne. Cependant, les faibles effectifs de ces essais et leurs différences en termes de méthodologie, de chimiothérapie utilisée et de profil tumoral des patientes traitées, n’ont pas permis de fixer la place du bévacizumab en situation néoadjuvante. 273 DESMOULINS & COLL. Les premiers résultats des études de phase III étaient donc très attendus… L’étude GeparQuinto-HER2 négatif a comparé de manière randomisée dans des cancers du sein HER2 négatif, opérables, localement avancés ou inflammatoires, la chimiothérapie constituée de 4 cures d’EC90 (épirubicine-cyclophosphamide) suivies de 4 cures de docétaxel associé ou non au bévacizumab [28]. Les taux de réponses histologiques (14,9 % versus 18,4 % ; p = 0,04) sont améliorés mais les taux de conservations mammaires (66,6 %) ne sont pas influencés par l’adjonction du bévacizumab. L’étude NSABP40 a évalué chez 1 206 patientes 3 schémas de 4 cures à base de docétaxel associé ou non au bévacizumab 15 mg/kg toutes les 3 semaines : soit docétaxel 100 mg/m2 (T-AC), soit docétaxel 75 mg/m2 et capécitabine 825 mg/m2 2 fois par jour, 14 jours par cure (TX-AC), soit docétaxel 75 mg/m2 associé à de la gemcitabine 1 g/m2 à J1 et à J8 (TG-AC). Les patientes recevaient ensuite 4 cures d’AC (60 mg/m2 ; 600 mg/m2) associées ou non au bévacizumab pour les 2 premières cures. Ensuite une chirurgie était mise en place et les patientes recevaient le bévacizumab en adjuvant (10 cures) [29]. Les patientes présentaient à l’inclusion une tumeur opérable T2 ou T3, HER-négative, N0-N2a et étaient stratifiées selon la taille (≤ ou > 4 cm), l’extension ganglionnaire déterminée cliniquement (N0 versus autres), le statut hormonal (ER et/ou PR + versus ER et/ou PR -) et l’âge (< ou ≥ 50 ans). Au final, 52 % des patientes avaient moins de 50 ans, 54 % une tumeur supérieure à 4 cm, 53 % étaient sans extension ganglionnaire et 59 % étaient porteuses d’une tumeur hormonodépendante. Même si le bévacizumab a augmenté de façon significative le taux de réponses histologiques complètes mesuré au niveau du sein (critère principal) qui passe de 28,4 à 34,5 % (p = 0,027), cette différence n’est plus significative (p = 0,09) si on tient compte de la réponse au niveau ganglionnaire. Le bévacizumab accroît également de façon significative le taux de réponses cliniques : 55,8 versus 64,3 % (p = 0,006). En revanche, le taux de chirurgies conservatrices n’a pas été modifié avec ou sans antiangiogénique : 47 et 45 %. L’analyse en sous-groupes montre une augmentation significative du taux de réponses complètes pathologiques (sein) dans les tumeurs exprimant les récepteurs hormonaux (RH+) : 15,2 versus 23,3 % (p = 0,008) alors que la différence n’est pas significative pour les 479 tumeurs triple négatives : 47,3 versus 51,3 % (p = 0,458). Sur le plan de la tolérance, l’addition de bévacizumab a augmenté le taux d’hypertension (23 %), de syndromes main-pied en cas d’association 274 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN avec la capécitabine, et de mucites mais n’a pas entraîné de modification de la fonction cardiaque. Avec les résultats contrastés de ces deux grands essais, la place du bévacizumab en situation néoadjuvante n’est toujours pas définie. Les 2 équipes GerparQuinto et NASABP-B40 collaborent ensemble à la meilleure compréhension des signaux d’activité du bévacizumab, notamment au travers d’un vaste programme d’analyse des biomarqueurs tumoraux. II.2.b. Étude néoadjuvante BEVERLY-2 dans les cancers du sein HER2 positif [30] BEVERLY-2 est une étude de phase II ouverte visant à évaluer l’efficacité et la tolérance de l’association trastuzumab-bévacizumab et chimiothérapie dans les cancers du sein inflammatoire HER2+ en situation néoadjuvante. Avant la chirurgie, les patientes recevaient une chimiothérapie par fluoro-uracile, épirubicine et cyclophosphamide associés au bévacizumab pour 4 cures suivies de trois cures de chimiothérapie par docétaxel associé au trastuzumab et bévacizumab pour quatre cycles. Après la chirurgie, le trastuzumab et le bévacizumab étaient poursuivis. Les patientes avaient de la radiothérapie adjuvante. L’objectif principal était le taux de réponses complètes histologiques. Cinquante-deux patientes ont été incluses. Trente-trois (63,5 %) patientes ont eu une réponse histologique complète. Les effets secondaires ont été marqués principalement par des nausées et une asthénie, 48 % de neutropénies grades 3-4, un seul événement de grade 3 dans le bras bévacizumab (hypertension). Cette étude confirme la faisabilité de cette association et son profil de tolérance acceptable. II.3. Bévacizumab utilisé en adjuvant En phase adjuvante, le bévacizumab en association soit à la chimiothérapie seule, soit à des thérapies ciblées, est en cours d’évaluation. L’essai BEATRICE étudie chez les patientes ayant une tumeur triple négative (récepteurs hormonaux et HER2 négatifs) l’efficacité du bévacizumab associé à la chimiothérapie. L’essai E5103, initié par le Breast Cancer Intergroup va comparer, chez les patientes ayant un cancer du sein avec atteinte ganglionnaire 275 DESMOULINS & COLL. ou sans atteinte ganglionnaire à haut risque de récidive, l’adjonction du bévacizumab à la chimiothérapie. L’essai BETH va permettre d’évaluer l’association bévacizumabtrastuzumab et chimiothérapie en phase adjuvante des cancers du sein HER2 positif. Le NSABP-B46 va comparer en situation adjuvante l’association taxane/cyclophosphamide ou taxane/cyclophosphamide/anthracycline à l’association taxane/cyclophosphamide + bévacizumab pour les tumeurs mammaires avec atteinte ganglionnaire ou sans atteinte ganglionnaire mais à haut risque de récidive. III. INHIBITEURS DE TYROSINE KINASE DU RÉCEPTEUR DU VEGF Le ciblage de l’angiogenèse au niveau des récepteurs du VEGFR a été l’une des avancées majeures dans le développement des thérapies ciblées. L’histoire naturelle de certains cancers considérés jusqu’à il y a peu comme réfractaire a ainsi été modifiée (cancer du rein, hépatocarcinome) avec l’avènement des molécules inhibitrices de tyrosine kinase. Il existe trois sous-types de récepteurs transmembranaires à activité tyrosine kinase : VEGFR-1 (FLT-1), VEGFR-2 (KDR ou FLK1) et VEGFR-3 (FLT-4). Toutes les molécules inhibitrices de l’activité tyrosine kinase du récepteur développées agissent sur plusieurs cibles moléculaires mais ne sont spécifiques d’aucun sous-type de récepteurs. Ces petites molécules peuvent inhiber la phosphorylation et l’activation de la voie de signalisation en amont. Plusieurs agents ont déjà été testés alors que d’autres sont encore en développement. III.1. Sunitinib C’est une petite molécule inhibant le domaine intracellulaire tyrosine kinase du VEGFR-1 et du VEGFR-2 mais aussi du PDGFR, de c-KIT, de FLT-3 et de RET [31]. Dans les cancers du sein métastatiques, une étude de phase II, après échec des taxanes et des anthracyclines, a permis d’obtenir un taux de réponses de 14 % chez 51 patientes évaluables. Le sunitinib était utilisé à la dose de 50 mg par jour (4 semaines on, 2 semaines off). Les toxicités de grade 3 incluaient : neutropénie (21 %), thrombopénie 276 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN (6 %), diarrhées (7,2 %), nausées (4,9 %), asthénie (5 %) et syndrome main-pied (7,3 %) [32]. Plus récemment, plusieurs études de phase III ont étudié l’apport du sunitinib seul ou en association à la chimiothérapie dans les cancers du sein métastatiques en première ou deuxième ligne [33-35]. Malheureusement les données de ces études n’ont pas confirmé les résultats prometteurs des essais de phase II, ces études étant négatives ou ayant été stoppées : absence de bénéfice en termes de survie sans progression et mauvais profil de tolérance, notamment en association avec la chimiothérapie. III.2. Sorafénib Le sorafénib est une petite molécule inhibant la tyrosine kinase de plusieurs récepteurs : VEGFR-2, FLT-3, PDGFR et FGFR-1. En phase I, le sorafénib a montré un profil de toxicité acceptable dans différentes tumeurs solides avancées à la dose de 400 mg deux fois par jour [36]. Dans un second temps en phase II, le sorafénib n’a montré qu’une activité faible en monothérapie. Enfin, une étude de phase IIb a évalué l’association capécitabine + sorafénib à la capécitabine + placebo dans les cancers du sein localement avancés ou métastatique HER2 négatifs. Les patients recevaient la capécitabine en première ou deuxième ligne 1 000 mg/m2 deux fois par jour, quatorze jours sur 21, associée au sorafénib 400 mg deux fois par jour ou placebo. L’objectif principal était la survie sans progression [37, 38]. Celle-ci a été améliorée dans le bras sorafénib (6,4 versus 4,1 mois) sans amélioration de la survie globale (22,2 versus 20,9 mois) et au prix d’une toxicité non négligeable, avec notamment dans le bras sorafénib des toxicités de grades 3-4 en ce qui concernait le syndrome main-pied. Un essai de phase III va être conduit pour confirmer ces données, en réduisant la posologie du sorafénib [39]. III.3. Axitinib L’axitinib, inhibiteur de VEGFR et PDGFR a été évalué en phase II en association au docétaxel dans les cancers du sein métastatiques. L’objectif principal qui était la survie sans progression n’a pas été atteint [40]. 277 DESMOULINS & COLL. III.4. Pazopanib Le pazopanib est un inhibiteur de VEGFR-1 et 2, PDGFR, c-KIT. Il a montré des résultats prometteurs en association au lapatinib dans un essai de phase II de première ligne métastatique dans les cancers du sein HER2 positif. Les résultats d’autres études sont en attente pour la confirmation de son efficacité dans le cancer du sein. De nombreuses autres molécules sont en cours de développement [41]. IV. FACTEURS PRÉDICTIFS DE RÉPONSE OU DE TOXICITÉ La valeur prédictive des taux de VEGF ou VEGFR n’a pas été complètement établie. Dans l’étude associant le bévacizumab à la vinorelbine dans les cancers du sein avancés, des taux bas à baseline de VEGF plasmatique étaient associés à une plus longue survie sans progression. Par la suite, des données rétrospectives issues de l’étude E2100 n’ont pas montré de relation significative entre le taux circulant de VEGF et l’efficacité du bévacizumab. Dans un autre essai évaluant le bévacizumab en association au létrozole et à la chimiothérapie en préopératoire, les taux de cellules endothéliales circulantes (CEC) et leurs progéniteurs étaient dosés à baseline et au moment de la chirurgie. Un taux élevé initial de progéniteurs circulant était corrélé à une meilleure réponse clinique [42]. Plusieurs études menées dans différents types de cancer ont montré que les variations précoces de CTC (cellules tumorales circulantes) détectées dans le sang étaient un marqueur d’efficacité des traitements à visée anti-tumorale, et notamment dans les cancers du sein métastatiques [43, 44]. En France, une étude de validation prospective des facteurs prédictifs biologiques et d’imagerie de la réponse au bévacizumab associé à une chimiothérapie par paclitaxel hebdomadaire en première ligne de traitement des cancers du sein métastatiques va être mise en place (étude COMET). L’étude biologique prendra en compte le taux de CTC initial et la variation de CEC/CTC. Par ailleurs, une analyse du VEGFA à l’inclusion et avant le 2e cycle de chimiothérapie sera faite pour évaluer la valeur pronostique du taux de VEGFA initial et ses variations au cours du traitement de chimiothérapie en association 278 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN au bévacizumab. Enfin, une étude d’imagerie portant sur la graisse viscérale va être réalisée afin de déterminer si la graisse viscérale est un facteur prédictif de réponse et de survie comme cela avait pu être démontré dans le cas de tumeurs du colon ou du rein [45, 46]. L’apparition d’une hypertension au cours du traitement par bévacizumab a été aussi proposée comme possible indicateur d’activité du bévacizumab. Dans l’étude E2100, les patients qui présentaient une hypertension de grade 3 ou 4 avaient une médiane de survie globale plus longue. D’autres études notamment dans les cancers digestifs ont donné des résultats similaires qui cependant devront être confirmés dans des études de phase III [47]. Enfin, dans l’étude E2100, des données rétrospectives d’analyse des polymorphismes génétiques ont permis de montrer que certains génotypes étaient prédictifs d’une meilleure survie globale [48]. L’ensemble de ces données soulève de nombreuses hypothèses quant à l’utilisation de ces différents biomarqueurs. De larges études prospectives devront être réalisées de façon à valider ces biomarqueurs afin de déterminer différents sous-groupes de patientes bénéficiant des traitements antiangiogéniques ou étant à risque plus important de toxicité. V. ÉVALUATION DES THÉRAPEUTIQUES ANTIANGIOGÉNIQUES Le développement de ces nouvelles thérapies antiangiogéniques a remis en cause les critères standard d’évaluation des traitements en oncologie médicale (critères morphologiques OMS ou RECIST). Ces traitements ciblant la néovascularisation vont entraîner une nécrose tumorale sans modification évidente de la taille tumorale. L’apport de l’imagerie fonctionnelle (scanner de perfusion, IRM dynamique et échographie de contraste) a permis de mettre en évidence de façon précoce des modifications de la perfusion tissulaire chez les patients traités par antiangiogéniques. Ces nouvelles techniques d’imagerie fonctionnelle évaluent précocement l’effet thérapeutique des antiangiogéniques en fonction des modifications de vascularisation observées, et ce avant la modification de la taille tumorale. 279 DESMOULINS & COLL. CONCLUSION Par son rôle clé dans l’angiogenèse tumorale, le VEGF est une cible thérapeutique intéressante dans le traitement des cancers du sein. Le bévacizumab, anticorps monoclonal anti-VEGF, a une AMM européenne dans le cancer du sein métastatique en association au paclitaxel hebdomadaire. Cependant, le bénéfice observé dans les études ayant permis de valider cette AMM est actuellement remis en cause par la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis. Par ailleurs, différentes réflexions sont soulevées par l’avènement de ces nouvelles thérapeutiques : identification des patientes bénéficiant de ces nouvelles thérapies, nécessité de déterminer dans un avenir proche des facteurs prédictifs solides de réponse ou de toxicité et définir d’éventuels surrogate markers, prise en compte dans cette nouvelle ère médicale du rapport coût/bénéfice. 280 PLACE DES THÉRAPIES ANTIANGIOGÉNIQUES DANS LE CANCER DU SEIN Bibliographie [1] Folkman J. Tumor angiogenesis: therapeutic implications. N Engl J Med 1971 Nov 18;285 (21):1182-6. [2] Brem SS, Gullino PM, Medina D. Angiogenesis: a marker for neoplastic transformation of mammary papillary hyperplasia. Science 1977 Mar 4;195(4281):880-2. [3] Jensen HM, Chen I, DeVault MR, and Lewis AE. Angiogenesis induced by normal human breast tissue: a probable marker for precancer. Science 1982 Oct 15;218(4569):293-5. [4] Miller K, Sledge G. 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TALBOT 2 (Paris) Résumé Ce texte expose les principes techniques de la mammoscintigraphie pratiquée à l’aide d’une caméra dédiée, rappelle l’indication retenue dans l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des radiopharmaceutiques sestaMIBI (99mTc) et tétrofosmin (99mTc), résume les indications actuellement recommandées par un consensus d’experts et discute des principaux résultats de la technique afin d’en préciser la place parmi les examens d’imagerie dans l’exploration de la pathologie mammaire néoplasique, afin d’obtenir le rapport bénéfice/risque optimal pour les patientes. Mots clés : mammoscintigraphie, sein, cancer Hôpitaux universitaires Paris Est - Site Tenon - Institut universitaire de cancérologie (IUC) Pierre et Marie Curie - Cancer Est - 4 rue de la Chine - 75020 Paris 1 - Service d’imagerie médicale 2 - Service de médecine nucléaire 3 - Unité de radiopharmacie * Correspondance : [email protected] 285 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. Déclaration publique d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION La mammoscintigraphie est une technique d’imagerie fonctionnelle scintigraphique basée sur la capacité d’un traceur cationique marqué au 99mTc à se concentrer dans les cellules néoplasiques dont l’augmentation du métabolisme énergétique va de pair avec un renforcement du potentiel électronégatif des mitochondries. Ce type de radiopharmaceutique a l’avantage d’être facilement disponible dans les services de médecine nucléaire pour l’étude de la perfusion myocardique ou la détection des adénomes parathyroïdiens. La technique de mammoscintigraphie a l’avantage d’être peu opérateurdépendante et peu onéreuse lorsque le radiopharmaceutique technétié a été reconstitué pour d’autres examens. I. BREF RAPPEL TECHNIQUE Historiquement, les premières études portant sur la mammoscintigraphie étaient réalisées à l’aide de gamma-caméras non dédiées qui étaient limitées par une résolution spatiale trop faible (de l’ordre de 10 mm) du fait en particulier de la taille des détecteurs, prévus pour l’imagerie du corps entier, qui ne pouvaient pas être placés au plus près 286 LA MAMMOSCINTIGRAPHIE À L’AIDE D’UNE CAMÉRA DÉDIÉE des lésions mammaires à caractériser. Puis, plus récemment s’est développée la mammoscintigraphie pratiquée avec une caméra dédiée, appelée dans la littérature de langue anglaise « breast-specific gamma imaging » (ou BSGI), qui a permis d’améliorer nettement la résolution spatiale de cette technique, jusqu’à quelques mm (prototype décrit par Maini et al. [1]), par exemple 3,5 mm de résolution intrinsèque avec la machine que nous utilisons à l’hôpital Tenon. L’originalité de cette technique pratiquée avec une camera dédiée par rapport à la mammoscintigraphie conventionnelle est donc l’acquisition d’images à haute résolution à petit champ de vue. Dans les deux techniques, l’examen est pratiqué après injection d’un radiopharmaceutique électropositif, le sestaMIBI (99mTc) ou le tétrofosmin (99mTc), tous deux développés initialement pour la scintigraphie du myocarde. II. CONDITIONS DE RÉALISATION DE L’EXAMEN L’examen doit être réalisé entre J2 et J12 du cycle menstruel chez les patientes en période d’activité génitale. La grossesse est une contreindication à cet examen, du fait de l’irradiation du fœtus dans l’utérus, même si cette dose reste très inférieure aux doses entraînant des risques de malformations. Aussi, un test de grossesse est souhaitable si la patiente a un retard de règles. Dans le post-partum, l’interruption de l’allaitement n’est pas nécessaire, seulement une pause pendant 24 h. Cet examen doit être pratiqué avant la réalisation de biopsies mammaires, car en cas de cytoponction dans les 15 jours précédant l’examen ou de microbiopsies dans les 30 jours avant celui-ci, il est décrit des cas de faux positifs du fait de l’inflammation. En cas de biopsies, il est possible de réaliser l’examen dans les 72 h après celui-ci, période pendant laquelle les artefacts décrits sont moins importants [2]. Une activité de 750 MBq de sestaMIBI (99mTc) est administrée par voie intraveineuse suivie de 10 ml de sérum physiologique. Des activités allant jusqu’à 1 000 MBq sont possibles selon l’AMM du sestaMIBI, voire plus dans les guidelines américaines (et de fait nous augmentons l’activité injectée en cas d’obésité) ; selon l’AMM, elles sont limitées à 750 MBq pour le tétrofosmin. Il est préférable d’injecter le radiopharmaceutique du côté opposé à l’anomalie suspectée ou à caractériser, en particulier pour éviter une extravasion locale du radiopharmaceutique avec cheminement lymphatique vers la région axillaire ; en cas d’anomalies bilatérales, une injection au niveau du pied est recommandée. 287 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. III. ACQUISITION DES IMAGES À Tenon, la machine utilisée est une Dilon 6800 comportant un collimateur parallèle haute résolution, 3 069 cristaux détecteurs pixelisés d’iodure de sodium dopés au thallium de 6 mm d’épaisseur et 48 tubes photomultiplicateurs. La patiente est assise tout au long de l’examen, contrairement au procubitus qui était indiqué lorsqu’une gamma-caméra « corps entier » était utilisée. On réalise les mêmes incidences qu’en mammographie, soit une incidence de face et une incidence oblique (à 45 °). L’acquisition des images débute 5 à 10 minutes après l’injection du radiopharmaceutique et se poursuit pendant 10 minutes pour chaque incidence réalisée. Il ne faut pas attendre trop longtemps après injection en raison du phénomène de wash-out bien connu en IRM mammaire pour les tumeurs malignes qui diminuerait la sensibilité de la technique [3]. Des clichés complémentaires peuvent être réalisés, tout comme en mammographie, en fonction des anomalies à caractériser (cliché de profil franc, cliché centré sur le creux axillaire, technique d’Eklund pour refouler une prothèse mammaire en arrière et bien dégager la glande…). Les clichés centrés sur la région axillaire doivent être réalisés au moins 10 minutes après injection, la patiente gardant le bras levé, et durer 3 min ou au moins 2 minutes si la patiente ne peut pas tenir davantage la position [4]. Si l’on a un doute sur une extravasation au site d’injection entraînant une fixation non spécifique au niveau des ganglions de drainage, l’acquisition d’une image au niveau du site d’injection sur 60 secondes peut aider pour l’interprétation. IV. ANALYSE DES IMAGES Brem et al. ont publié une classification en 5 catégories de degré de suspicion sur une appréciation subjective de la fixation [5]. Une activité du radiopharmaceutique homogène de l’ensemble du sein et du creux axillaire est physiologique et classée BI-RADS 1. Une activité hétérogène de l’ensemble du sein dont la distribution correspond au parenchyme de la glande mammaire sur le cliché mammographique est classée BI-RADS 2. Lorsqu’il existe une hyperactivité d’intensité faible à modérée au niveau d’une zone dont les contours sont réguliers, il s’agit probablement d’un processus bénin et il est classé BI-RADS 3. 288 LA MAMMOSCINTIGRAPHIE À L’AIDE D’UNE CAMÉRA DÉDIÉE Lorsqu’il existe une hyperactivité focale de faible intensité, il s’agit d’une lésion indéterminée classée BI-RADS 4. Enfin, lorsqu’il existe une hyperactivité focale d’intensité modérée à intense, l’anomalie est suspecte et classée BI-RADS 5 (Figure 1). Figure 1 - Exemple de mammoscintigraphie sur camera dédiée Patiente de 58 ans, ménopausée, sans facteurs de risque familiaux avec en mammographie une masse à l’union des quadrants inférieurs du sein droit, d’autres lésions du sein droit et plusieurs formations nodulaires du sein gauche. L’IRM est d’interprétation difficile en raison d’un défaut de saturation de la graisse. Elle confirme la présence d’une atteinte multifocale du sein droit centrée sur le quadrant inféroexterne, la présence d’un ganglion intramammaire au niveau du quadrant supéro-externe droit et de multiples masses dans le sein classées ACR4. La patiente bénéficie d’une mammoscintigraphie sur la machine dédiée Dilon qui confirme une lésion hypermétabolique multifocale à droite de fixation intense, une fixation franche par un foyer ganglionnaire intramammaire supérieur droit et une fixation bien moins intense par les lésions du sein gauche, pas en faveur d’une bilatéralité du cancer. Ces résultats sont confirmés par des prélèvements biopsiques dont l’histologie montre un adénocarcinome infiltrant de grade III à l’union des quadrants inférieurs du lobe droit et des adénofibromes dans les deux fragments biopsiques à gauche. G D V. INDICATIONS L’EMA (European Medicine Agency) a délivré il y a plus de 10 ans une AMM à diverses préparations de sestaMIBI et de tétrofosmin avec l’indication suivante : « diagnostic du cancer du sein en complément des 289 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. explorations conventionnelles lorsque celles-ci ne permettent pas de conclure ». La SNM (Society of Nuclear Medicine aux États-Unis) a publié en 2010 des guidelines incluant les principales indications de la mammoscintigraphie avec machine dédiée en pratique clinique [2]. Elles sont basées sur l’analyse d’une vingtaine d’études effectuées majoritairement avec une gamma-caméra conventionnelle, et aussi sur un consensus d’experts. Les indications proposées par la SNM sont les suivantes : 1- chez les patientes avec diagnostic récent de cancer du sein pour : a. évaluer l’extension locale initiale, b. détecter une néoplasie multifocale ou bilatérale, c. évaluer la réponse à la chimiothérapie néo-adjuvante ; 2- chez les patientes à haut risque de cancer du sein : a. en cas de suspicion de récidive, b. en cas de mammographie d’interprétation difficile ou d’antécédents de cancer non décelé sur la mammographie ; 3- chez les patientes avec des anomalies non caractérisées ou un doute diagnostique : a. écoulement mammaire avec une mammographie ou une échographie anormale (que la galactographie soit ou non pratiquée), b. écoulement mammaire sanglant avec mammographie ou galactographie normale, c. écoulement mammaire et galactographie non conclusive, d. anomalie ACR 3 chez des patientes que l’on ne pourra pas surveiller correctement, e. caractériser des lésions décelées sur d’autres techniques d’imagerie, f. caractériser des lésions palpables sans traduction mammographique et échographique, g. caractérisation de lésions multiples dans un sein, h. guider une biopsie, i. microcalcifications diffuses ou regroupées, j. adénopathie axillaire prouvée comme maligne sans cancer primitif retrouvé, k. évaluation d’une distorsion architecturale inexpliquée, l. évaluation d’une anomalie mammographique visible sur une seule incidence, m. améliorer la spécificité en cas de prise de contraste en IRM mammaire ; 4- chez les patientes ayant une mammographie d’interprétation difficile : 290 LA MAMMOSCINTIGRAPHIE À L’AIDE D’UNE CAMÉRA DÉDIÉE a. en cas de seins de densité type IV, b. patientes porteuses de prothèses au silicone ou d’injection de silicone ou de paraffine dans le sein ; 5- chez les patientes ayant une indication d’IRM mammaire qui n’est pas réalisable en raison des éléments suivants : a. patientes porteuses d’un stimulateur cardiaque ou d’une pompe implantable, b. implants ferromagnétiques, c. risque de fibrose néphrogénique systémique en rapport avec l’injection de gadolinium, d. volume corporel incompatible avec l’anneau d’IRM, notamment une fois que l’antenne sein est placée, e. seins trop volumineux pour être placés dans l’antenne d’IRM, f. claustrophobie, g. autres causes de non-acceptation de l’IRM, h. alternative à l’IRM chez des patientes devant bénéficier d’un dépistage par IRM : gène de susceptibilité au cancer du sein, mère, sœur ou fille atteinte de cancer du sein, risque de cancer du sein estimé entre 20 % et 25 %, radiothérapie thoracique à un âge compris entre 10 et 30 ans ; 6- chez les patientes traitées par chimiothérapie néo-adjuvante afin d’évaluer la réponse au traitement et de planifier l’intervention chirurgicale. Ces indications sont très larges et peuvent être discutables. Elles recouvrent principalement les indications de l’IRM mammaire (et se discuteront surtout en cas de contre-indications), ainsi que plusieurs indications de la TEP au FDG, comme l’évaluation de la réponse à la chimiothérapie néo-adjuvante ou la recherche de récidive locorégionale. VI. RÉSULTATS De nombreuses études de la littérature ont comparé la valeur diagnostique de la mammoscintigraphie à celle de l’imagerie conventionnelle d’une part et à l’IRM mammaire ensuite. 291 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. VI.1. Détection de lésions potentiellement néoplasiques À la lecture des différentes études multicentriques réalisées sur plus de 5 000 patientes au total, la sensibilité de la mammoscintigraphie varie de 62 à 96 % avec une moyenne de 84 % et la spécificité de 69 à 100 % avec une moyenne de 86 %, en fonction des populations étudiées. Le point fort est la forte valeur prédictive négative. Ces valeurs sont dépendantes de plusieurs facteurs avec en tête la taille de la lésion à détecter ou à caractériser. La sensibilité est autour de 95 % pour les lésions supracentimétriques. La sensibilité décroît avec la taille tumorale, aucun cancer de moins de 5 mm n’a été décelé en mammoscintigraphie avec une gamma-caméra, ce qui exclut le dépistage. La sensibilité est meilleure lorsqu’une lésion est palpable ; elle diminue en moyenne à 72 % en l’absence de lésion palpable. Mais contrairement aux techniques radiologiques (mammographie, échographie, IRM), des faux négatifs sont également observés en cas de tumeurs malignes de taille > 30 mm [6]. Cette sensibilité varie également en fonction de l’activité métabolique du cancer reflétée par son statut ganglionnaire, le score de Scarff et Bloom, la présence des récepteurs hormonaux, et l’expression des protéines responsables de la résistance multidrogue, PGP en particulier, pouvant être une hypothèse en cause dans les résultats faux négatifs des tumeurs volumineuses. L’avantage de la mammoscintigraphie par rapport à la mammographie est que sa performance diagnostique n’est pas altérée par la densité mammaire, d’où son indication en cas de sein dense, d’antécédent de chirurgie mammaire ou en présence d’une prothèse mammaire. En ce qui concerne la spécificité, l’hyperfixation des cas de faux positifs est expliquée par une intense densité et activité mitochondriale, plus fréquemment retrouvée dans les tumeurs malignes mais également observée dans certaines pathologies bénignes, en particulier la maladie fibrokystique proliférative où les foyers de fixation sont généralement diffus, de contours flous et d’intensité modérée, la mastite aiguë, le papillome ou le fibroadénome juvénile. La fixation du radiopharmaceutique en mammoscintigraphie varie également en fonction de la perfusion tissulaire rejoignant par ce facteur les caractéristiques de l’IRM mammaire avec ses avantages et ses limites. Dans une des premières études sur la mammoscintigraphie utilisant une caméra dédiée [7] qui portait sur le dépistage des patientes à haut risque de cancer du sein et de l’ovaire (n = 94) avec bilan conventionnel normal (examen clinique, mammographie et échographie), la mammoscintigraphie permettait de détecter 2 cancers occultes dont les tailles mesuraient 6 et 8 mm (2 %). Il existait 14 faux positifs (15 %) liés 292 LA MAMMOSCINTIGRAPHIE À L’AIDE D’UNE CAMÉRA DÉDIÉE à des remaniements physiologiques avec un suivi négatif à 6 mois (n = 5), de la mastopathie fibrokystique (n = 7), un fibroadénome (n = 1), une cytostéatonécrose (n = 1) biopsiés guidés par échographie. Ainsi, la mammoscintigraphie présentait dans cette étude prospective une sensibilité de 100 %, une spécificité de 85 %, une valeur prédictive positive de 12,5 %, une valeur prédictive négative de 100 % et une exactitude diagnostique de 85 %. Cependant, ces très bonnes valeurs de spécificité n’ont pas été confirmées par la suite par la même équipe en 2008 [5] où étaient rapportées des valeurs de spécificité autour de 60 %, principalement en raison d’une sélection de population différente. Dans cette étude, il s’agissait de patientes présentant une anomalie palpable sans explication sur le bilan conventionnel. Cette étude révélait par contre une amélioration de la sensibilité avec une sensibilité de 93,8 % pour les CCIS et de 97 % pour les lésions invasives avec ainsi des valeurs supérieures à l’IRM mammaire, notamment pour les lésions in situ. VI.2. Stadification d’un cancer du sein La mammoscintigraphie avec caméra dédiée a également été évaluée pour le bilan d’extension locorégional du cancer du sein [8] dans une étude rétrospective ayant porté sur 138 patients (69 CCI, 20 CLI, 32 DCIS et 17 cancers invasifs mixtes canalaires et lobulaires). La technique découvrait 10,9 % de cancers occultes au bilan conventionnel avec seulement 7,2 % de bilan complémentaire inadéquat (lésions bénignes). Ce dernier pourcentage est bien moins important que celui décrit en IRM mammaire pour la même indication, et fait de la mammoscintigraphie un concurrent sérieux à l’IRM mammaire dans l’évaluation préopératoire de l’extension du tissu néoplasique dans les seins. Sur 82 patientes adressées dans ce contexte, la BSGI a entraîné un changement de procédure chirurgicale dans 22 % des cas et décelé un autre cancer dans 9 % des cas [9]. Cette technique pourrait améliorer l’appréciation de l’extension ganglionnaire en préopératoire, qui reste mal évaluée en IRM mammaire tout comme en imagerie conventionnelle [4] et en TEP du corps entier au FDG qui n’est indiquée qu’en cas de cancer localement avancé. Les résultats en mammoscintigraphie conventionnelle ont été décevants (sensibilité de 29 % selon Massardo et al. [10]), mais l’amélioration de résolution obtenue avec la machine dédiée mérite de réévaluer les performances. Sur une série rétrospective de 26 patientes, l’analyse de la cinétique de la fixation du radiopharmaceutique dans le ganglion serait 293 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. significativement plus importante dans les ganglions envahis par rapport aux ganglions bénins [11]. Si l’on peut écarter l’hypothèse d’une migration du radiopharmaceutique par voie lymphatique, la valeur prédictive positive de sa fixation par les ganglions pour prédire la malignité est forte, mais c’est la valeur prédictive négative qui pose problème et conduit à conseiller la pratique de la détection du ganglion sentinelle. Des études prospectives complémentaires sont souhaitables pour préciser la VPN, avec pour étalon de vérité l’histologie du ganglion sentinelle, méthode de référence pour détecter les métastases de petite taille, et/ou du curage ganglionnaire. VI.3. Mammoscintigraphie et chimiothérapie Le sestaMIBI et le tétrofosmin sont des substrats pour les protéines responsables de la chimiorésistance, en particulier la PGP. Une faible fixation par une lésion néoplasique connue laisse donc prévoir l’inefficacité de la chimiothérapie par un agent cytotoxique. Les quelques études proposant l’utilisation de la mammoscintigraphie pour évaluer la réponse tumorale durant la chimiothérapie sont anciennes. La plus récente date de 2009 [12] et cette indication est assurée par la TEP au FDG qui est bien mieux quantifiable. VI.4. Mammoscintigraphie et IRM Ainsi, les avantages de la mammoscintigraphie par rapport à l’IRM mammaire sont, pour des performances équivalentes : le meilleur confort de la patiente, le nombre d’images beaucoup moins important à interpréter et le coût (3 fois moins cher). Le principal inconvénient est l’irradiation occasionnée. Si l’IRM mammaire n’occasionne aucune irradiation du sein, la mammoscintigraphie engendre une faible irradiation sur le sein (de 2 à 3 mGy selon l’activité injectée, environ 1,5 mGy avec le tétrofosmin). Par contre, la dose efficace est supérieure à celle de la mammographie numérique chez une patiente âgée de 40 ans [13]. Ceci est dû au fait qu’en mammographie seul le tissu fibroglandulaire mammaire est exposé au rayonnement alors qu’une mammoscintigraphie engendre une irradiation de l’ensemble des organes. Les tissus qui reçoivent la plus forte dose sont la vésicule biliaire, le côlon, les reins et la vessie. Le risque lié à cette faible irradiation est à considérer dans le cadre du dépistage chez des patientes asymptomatiques, mais ce n’est pas une 294 LA MAMMOSCINTIGRAPHIE À L’AIDE D’UNE CAMÉRA DÉDIÉE indication de la mammoscintigraphie, il doit être cependant relativisé dans le cas de patientes à risque ou atteintes d’un cancer chez qui l’utilisation de ces techniques peut modifier la thérapeutique et être bénéfique pour améliorer le traitement. Aussi, l’information des patientes est importante, confirmant que l’équilibre bénéfice/risque a été évalué et considéré comme favorable dans leurs cas avant de demander cet examen. VII. SYNTHÈSE ET CONCLUSION La mammoscintigraphie pratiquée avec une machine dédiée est actuellement une technique à envisager comme une alternative ou un complément à l’IRM mammaire ; elle est tout particulièrement intéressante chez des femmes jeunes porteuses de seins denses afin de détecter des lésions de petite taille. Cette technique est particulièrement intéressante chez ces patientes car il existe le plus souvent chez les femmes jeunes un rehaussement matriciel de fond important gênant l’interprétation de l’IRM mammaire. Considérant le rapport bénéfice/risque, elle est indiquée en priorité chez les patientes porteuses de cancers du sein avec suspicion de multifocalité. Aussi voit-on aujourd’hui se développer des améliorations techniques : — une amélioration du rendement du détecteur de la gammacaméra dédiée et de sa résolution en énergie, en remplaçant les cristaux d’iodure de sodium par un détecteur CZT, ce qui permet de raccourcir la durée de l’examen tout en injectant une activité plus faible de radiopharmaceutique qui occasionne une irradiation plus faible et une meilleure acceptabilité de l’examen avec moins de risque de mouvements ; — l’introduction de la mammoTEP, en anglais PEM (positron emission mammography) offrant une résolution encore améliorée et une quantification reproductible, avec des résultats extrêmement prometteurs en utilisant le FDG et une ouverture sur de nombreux autres radiopharmaceutiques. L’avenir comprendra sûrement les techniques de médecine nucléaire dans le bilan des cancers du sein, en raison de leur excellente sensibilité et de leur bonne spécificité. 295 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. Bibliographie [1] Maini CL, de Notaristefani F, Tofani A et al. 99mTc-MIBI scintimammography using a dedicated nuclear mammograph. J Nucl Med 1999;40:46-51. [2] Goldsmith SJ, Parsons W, Guiberteau MJ et al. SNM practice guideline for breast scintigraphy with breast-specific gamma-cameras 1.0. Journal of Nuclear Medicine Technology 2010;38:219-24. [3] Satake H, Nishio A, Ikeda M et al. Predictive value for malignancy of suspicious breast masses of BI-RADS categories 4 and 5 using ultrasound elastography and MR diffusionweighted imaging. American Journal of Roentgenology 2011;196:202-9. [4] Jones EA, Phan TD, Johnson NM et al. A protocol for imaging axillary lymph nodes in patients undergoing breast-specific gammaimaging. Journal of Nuclear Medicine Technology 2010;38:28-31. [5] Brem RF, Floerke AC, Rapelyea JA et al. Breast-specific gamma imaging as an adjunct imaging modality for the diagnosis of breast cancer. Radiology 2008;247:651-7. [6] Alonso O, Massardo T, Delgado LB et al. Is (99m)Tc-sestaMIBI scintimammography complementary to conventional mammography for detecting breast cancer in patients with palpable masses? Journal of Nuclear Medicine 2001;42:1614-21. [7] Brem RF, Rapelyea JA, Zisman G et al. Occult breast cancer: scintimammography with high-resolution breast-specific gamma camera in women at high risk for breast cancer. Radiology 2005;237:274-80. [8] Zhou M, Johnson N, Gruner S et al. Clinical utility of breast-specific gamma imaging for evaluating disease extent in the newly diagnosed breast cancer patient. American Journal of Surgery 2009;197:159-63. [9] Killelea BK, Gillego A, Kirstein LJ et al. George Peters Award: how does breast-specific gamma imaging affect the management of patients with newly diagnosed breast cancer? American Journal of Surgery 2009;198:470-4. [10] Massardo T, Alonso O, Llamas-Ollier A et al. Planar Tc99m--sestaMIBI scintimammography should be considered cautiously in the axillary evaluation of breast cancer protocols: results of an international multicenter trial. BMC Nuclear Medicine 2005;5:4. [11] Werner J, Rapelyea JA, Yost KG et al. Quantification of radio-tracer uptake in axillary lymph nodes using breast specific gamma imaging (BSGI): benign radio-tracer extravasation versus uptake secondary to breast cancer. The Breast Journal 2009;15:579-82. [12] Marshall C, Eremin J, El-Sheemy M et al. Monitoring the response of large (> 3 cm) and locally advanced (T3-4, N0-2) breast cancer to neoadjuvant chemotherapy using (99m)TcSestaMIBI uptake. Nuclear Medicine Communications 2005;26:9-15. [13] Hendrick RE. Radiation doses and cancer risks from breast imaging studies. Radiology 2010;257:246-53. 296 Une nouvelle technique d’exploration du sein : la tomosynthèse N. P ERROT 1, 2, C. RIBEIRO-CREUZE 1, I. THOMASSIN-NAGARRA 2 * (Paris) Résumé Ce texte expose les principes techniques de la tomosynthèse, résume les indications et discute des principaux résultats de la technique afin d’en préciser la place parmi les examens d’imagerie dans l’exploration de la pathologie mammaire. Mots clés : tomosynthèse, sein, cancer 1 - Centre d’imagerie médicale Pyramides - 13 avenue de l'Opéra - 75001 Paris 2 - Hôpital Tenon - Service de radiologie - 4 rue de la Chine - 75020 Paris * Correspondance : [email protected] 297 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. Déclaration publique d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION La mammographie de dépistage a démontré son intérêt pour diagnostiquer les cancers infracliniques et en permettre le traitement précocement. Son incidence sur la mortalité a été prouvée par de nombreuses études. Toutefois, malgré cet indéniable succès, la mammographie ne détecte pas tous les cancers. Les résultats des études effectuées pour évaluer la pertinence diagnostique de la mammographie ont montré un taux de sensibilité de 45 à 88 % [1]. Un des facteurs influant négativement sur la sensibilité est la densité mammaire ; la sensibilité de la mammographie décroît avec l’augmentation de la densité de la glande. Des auteurs ont montré que les trois quarts des cancers non diagnostiqués l’ont été dans des seins denses [2]. La possibilité pour un cancer d’être masqué par du parenchyme glandulaire normal est due à la loi de confusion des plans en radiologie 2D. Ceci entraîne une image obtenue par la sommation de toutes les structures superposées les unes sur les autres dans un seul plan. Cette sommation d’image glandulaire dense peut masquer l’image d’un cancer. À l’opposé, la sommation de plages de glandes peut simuler une image suspecte de cancer, créer ainsi un faux positif et demander des clichés supplémentaires (localisés) et la réalisation d’une échographie. Il apparaît donc qu’il faut essayer de se soustraire ou de minimiser la loi de confusion des plans et des images de sommation qu’elle entraîne. Un espoir important avait été émis dans la mammographie numérisée plein champ en remplacement de la mammographie analogique conventionnelle. Les performances de la mammographie 298 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE numérisée se sont avérées supérieures dans les seins denses et les patientes jeunes. Mais l’échographie [3] et l’IRM ont continué à être développées en complément pour le diagnostic positif de cancer du sein. Il reste donc toujours une place pour une méthode de diagnostic mammographique qui offrirait une meilleure sensibilité pour le diagnostic de cancer du sein. L’idée est venue de développer une mammographie 3D permettant de dissocier les différents plans de la glande mammaire. Nous allons développer l’aspect technique de la méthode, puis les différents aspects des différentes pathologies en tomosynthèse versus mammographie 2D. En effet, si la tomosynthèse augmente la sensibilité pour le diagnostic de cancer du sein, il faut pour cela étudier deux possibilités : — la visualisation du cancer en mammographie 3D doit être égale, ou mieux, supérieure si le cancer est visible par les 2 techniques ; — la mammographie 3D doit détecter des cancers non vus en mammographie 2D. Ensuite nous verrons les aspects mammographiques suspects de pathologie en mammographie 2D (faux positifs nécessitant un rappel et des examens complémentaires), innocentés en mammographie 3D. Dans ce cas, l’échographie complémentaire doit confirmer ce diagnostic ainsi que le suivi sur 2 ans. I. QU’EST-CE QUE LA TOMOSYNTHÈSE ? C’est une technique d’imagerie radiologique en trois dimensions qui permet d’obtenir les images d’un sein sous différents angles pendant que le tube à rayons X décrit un arc de cercle de 15° au-dessus du sein. Les images obtenues sont reconstruites en haute résolution en une série de coupes fines espacées de 1 mm. Ceci permet une analyse beaucoup plus fine de la sémiologie, en particulier des contours d’une éventuelle pathologie. Cela permet d’autre part de s’affranchir des superpositions de tissus glandulaires, sources de difficultés diagnostiques et de faux négatifs, en particulier dans les seins denses ou hétérogènes. En pratique, les images de tomosynthèse (ou mammographie 3D) sont obtenues dans le même temps que les clichés mammographies classiques (2 D). L’acquisition des images en mammographie 3D ne prend que quelques secondes (4 secondes) de plus que pour les clichés de mammographie. L’acquisition en tomosynthèse s’obtient avec le même 299 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. mammographe, dans le même temps que la mammographie classique, sans mobiliser la patiente ou le sein. Il est possible d’obtenir une acquisition en tomosynthèse dans les 3 plans (oblique-face-profil). Il est bien sûr possible d’effectuer toujours une mammographie seule sans tomosynthèse. Il est aussi possible d’effectuer une tomosynthèse seule sans mammographie dans le même temps. Il faut toutefois insister sur le fait que cette méthode tire son maximum d’intérêt si on réalise l’acquisition tomosynthèse et le cliché de mammographie dans le même temps d’examen sans mobiliser la patiente ou le sein. À noter que pour le confort de la patiente, il est possible en tomosynthèse d’effectuer un cliché avec une réduction modérée de la compression. Cette réduction modérée ne semble pas affecter la qualité des résultats en particulier la sensibilité de la méthode [5]. I.1. Quelle dose d’irradiation supplémentaire ? Ceci est un facteur important, en particulier pour déterminer la réalisation d’une ou de deux incidences en tomosynthèse. La dose d’irradiation en tomosynthèse est de l’ordre de 1,2 à 1,4 fois la dose correspondant à l’incidence mammographique 2D lui correspondant. Gennaro et coll. [4] ont, sur ce point, montré que la réalisation d’un seul cliché mammographique associé à une incidence de tomosynthèse n’était pas inférieure à la séquence classique de 2 clichés mammographiques face et oblique. La spécificité pour les lésions bénignes est même meilleure pour le couple mammographie-tomosynthèse. I.2. Quel temps supplémentaire pour l’interprétation ? Une mammographie 2D classique comprend 4 clichés (une face cranio-caudale et une oblique-latérale pour chaque sein). À l’opposé, une acquisition en tomosynthèse sur un sein de 4,5 cm d’épaisseur comprend la lecture d’environ 45 « mammographies » contiguës correspondant à 45 coupes d’un millimètre d’épaisseur. La plupart des auteurs s’accordent à dire que le temps supplémentaire de lecture d’une incidence de tomosynthèse varie entre 1 à 2 minutes [2]. Ceci ne change donc pas fondamentalement le temps d’interprétation, ce d’autant plus que la tomosynthèse évite la perte de temps due à la réalisation d’éventuels clichés focalisés pour une suspicion de masse, de distorsion ou pour une asymétrie de densité. 300 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE I.3. Quel surcoût pour la patiente ? Aucun. L’adjonction de cette technique à la mammographie numérisée classique n’est pas, pour le moment, dans la nomenclature des actes médicaux. II. RÉSULTATS II.1. Anatomie normale du sein L’anatomie normale du sein, visible en mammographie conventionnelle, est le plus souvent beaucoup mieux définie avec l’image de tomosynthèse. Toute l’anatomie du sein projetée sur un seul cliché de mammographie se retrouve séparée en multiples plans en fonction de l’épaisseur de la glande mammaire. Chaque plan sera donc vu, étudié, évalué séparément sur le plan de la peau, du tissu cellulaire sous-cutané, des vaisseaux, de la glande mammaire ainsi que de possibles ganglions intramammaires physiologiques. Ceci est particulièrement intéressant dans les seins denses et/ou hétérogènes. II.2. Artefacts Ils sont peu nombreux. Ils sont le fait de lésions à très haut contraste telles que les macrocalcifications de kyste ou de cytostéatonécrose ainsi que de clips postchirurgicaux ou postmacrobiopsie stéréotaxique qui forment deux petits artefacts localisés se répétant sur plusieurs plans contigus. Ces images ne détériorent pas la qualité de l’image et ne diminuent pas la sensibilité du diagnostic. II.3. Les microcalcifications Elles ne sont pas modifiées par la superposition tissulaire comme le sont les distorsions et les masses. Elles sont donc bien visualisées en mammographie 2D classique, en particulier avec des appareils numériques de haute définition. Toutefois leur caractère « regroupé » dans les amas de microcalsifications est bien visible et confirmé par la tomosynthèse ; en effet un amas de microcalcifications ne sera visible 301 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. que sur une ou deux coupes contiguës au maximum. Leur contraste est meilleur que sur la mammographie 2D surtout si le sein est dense [5]. Cependant, leur « typage » nécessite toujours la réalisation d’un cliché de face et surtout de profil en agrandissement [6]. II.4. Les masses Contrairement aux asymétries de densité, les masses sont visibles sur les deux incidences en oblique et de face. Parfaitement visibles sur les seins de densité 1 ou 2, les masses sont parfois très difficiles à voir sur les seins hétérogènes, denses, de type 3 ou a fortiori 4. De plus, même visibles, les contours sont souvent mal définissables en raison des superpositions de la glande. À l’opposé, avec la tomosynthèse, les contours sont mieux appréciés sur les quelques coupes contiguës intéressant la masse. On distingue donc mieux les masses à contours réguliers, spiculés, microlobulés ou indistincts [7-10]. L’échographie ciblée, dans un deuxième temps, confirme le diagnostic : masse liquide kystique, solides contours réguliers ou non, et permet la réalisation de microbiopsies échoguidées si nécessaire. II.5. Les distorsions architecturales Les distorsions architecturales réalisent souvent des images subtiles de diagnostic très difficile, en particulier dans les seins denses ou très hétérogènes. En effet, la visibilité d’une petite distorsion minime sous la forme d’une petite image spiculée peut apparaître extrêmement difficile à visualiser au sein de la glande mammaire si le sein est dense ou très hétérogène. La tomosynthèse réalise là, vraisemblablement, ses meilleures performances [11-13], mettant en évidence sur 1 à 2 coupes contiguës une image de la masse spiculée avec de fins prolongements de longueur variable. À cette image de type « stellaire ou nodulostellaire », le diagnostic n’est souvent visible que sur une coupe. Cette image est invisible sur le cliché standard en mammographie 2D classique. La tomosynthèse met en évidence une image suspecte. Elle permet dans un 2e temps la réalisation d’une échographie, non pas classique de « dépistage » complémentaire de la mammographie, mais ciblée sur le cadran où existe l’image suspecte en tomosynthèse. Ceci permet d’augmenter de façon très significative la sensibilité de l’examen mammographique pour le diagnostic de cancer du sein. Les 302 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE premières publications montrent un gain d’environ 8 à 20 % de diagnostic de cancer du sein non visible sur les clichés en mammographie classique 2D [14-15]. Certaines études montrent même un taux supérieur de sensibilité. Il semble donc tout à fait souhaitable de continuer cette étude pour confirmer cette impression sur de plus grandes séries. II.6. Les ganglions intramammaires Les ganglions du creux ou du prolongement axillaire ne posent pas de problème particulier. En revanche, les ganglions intramammaires situés dans les secteurs externes posent le problème d’une opacité (masse). La tomosynthèse montre, sur les coupes passant par le ganglion, une opacité ovalaire à contours très réguliers, présentant un sinus (concavité) sur une des faces. De plus, on voit bien en évidence le centre clair, graisseux à l’intérieur du ganglion. II.7. Les asymétries de densité À l’opposé des masses, les asymétries de densité ne sont visibles que sur une incidence. La tomosynthèse est très utile dans ce cas, confirmant une opacité anormale au sein de la glande ou une distorsion. À l’inverse, elle montre sur plusieurs coupes que ce sont des structures conjonctives ou glandulaires de directions variées qui en se superposant forment ainsi une image construite de pseudomasse ou de distorsion. II.8. En pratique, que faire ? Aujourd’hui, l’examen de base est la mammographie 2D avec réalisation de clichés en incidence oblique et en incidence craniocaudale pour chaque sein. Nous venons de voir qu’il est possible d’y adjoindre des clichés en tomosynthèse sur ces 2 incidences. Il n’y a aujourd’hui pas de consensus sur la réalisation d’une ou 2 incidences de tomosynthèse en complément. Il semble que si l’on ne réalise qu’une seule incidence, il faille choisir l’incidence oblique. La réalisation de l’incidence cranio-caudale en tomosynthèse en complément double l’irradiation et le temps demandé pour l’interprétation. 303 THOMASSIN-NAGARRA & COLL. CONCLUSION En se perfectionnant constamment, la mammographie de diagnostic et de dépistage a montré son efficacité en réduisant le taux de mortalité dans le cancer du sein. Cependant, la mammographie 2D présente des imperfections, en particulier par sa sensibilité limitée dans les parenchymes mammaires denses. L’adjonction de l’échographie a tenté de combler ce déficit. Toutefois, la sensibilité de l’échographie en particulier dans les seins denses et surtout dans les seins très volumineux est moindre ; de plus l’examen peut être de réalisation technique difficile. L’adjonction de la tomosynthèse en complément et durant le même temps d’examen que la mammographie 2D semble être une option très intéressante pour augmenter de façon sensible le diagnostic de cancer du sein, en particulier de petits cancers visibles seulement sous la forme de petites distorsions architecturales (images subtiles) présentes seulement sur une ou deux coupes de tomosynthèse. Dans le même temps, la tomosynthèse, en « déconstruisant » l’image du sein, permet d’innocenter certaines images en particulier des plages d’asymétrie de densité sur la mammographie 2D classique. Ceci permettrait ainsi de diminuer le nombre d’échographies complémentaires. 304 UNE NOUVELLE TECHNIQUE D’EXPLORATION DU SEIN : LA TOMOSYNTHÈSE Bibliographie [1] Fletcher SW, Black W, Harris R, Rimer BK, Shapiro S. Report of the international workshop on screening for breast cancer. J Natl Cancer Inst 1993 Oct 20;85(20):1644-56. [2] Rafferty EA. Digital mammography: novel applications. Radiol Clin North Am 2007 Sep;45(5):831-43, vii. Review. [3] Nothacker M, Duda V, Hahn M, Warm M, Degenhardt F, Madjar H, Weinbrenner S, Albert US. Early detection of breast cancer: benefits and risks of supplemental breast ultrasound in asymptomatic women with mammographically dense breast tissue. A systematic review. BMC Cancer 2009;9:335. [4] Gennaro G, Hendrick RE, Ruppel P, Chersevani R, di Maggio C, La Grassa M, Pescarini L, Polico I, Proietti A, Baldan E, Bezzon E, Pomerri F, Muzzio PC. Performance comparison of single-view digital breast tomosynthesis plus single-view digital mammography with two-view digital mammography. Eur Radiol 2012 Sep 14 (sous presse). [5] Saunders RS Jr, Samei E, Lo JY, Baker JA. Can compression be reduced for breast tomosynthesis? Monte Carlo study on mass and microcalcification conspicuity in tomosynthesis. Radiology 2009 Jun;251(3):673-82. [6] Kopans D, Gavenonis S, Halpern E, Moore R. Calcifications in the breast and digital breast tomosynthesis. 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One-to-one comparison between digital spot compression view and digital breast tomosynthesis. Eur Radiol 2012 Mar;22(3):539-44. Epub 2011 Oct 11. [11] Baker JA, Lo JY. Breast tomosynthesis: state-of-the-art and review of the literature. Acad Radiol 2011 Oct;18(10):1298-310. Review. PubMed PMID: 21893296. [12] Gur D, Abrams GS, Chough DM, Ganott MA, Hakim CM, Perrin RL, Rathfon GY, Sumkin JH, Zuley ML, Bandos AL. Digital breast tomosynthesis: observer performance study. AJR Am J Roentgenol 2009 Aug;193(2):586-91. [13] Michell MJ, Iqbal A, Wasan RK, Evans DR, Peacock C, Lawinski CP, Douiri A, Wilson R, Whelehan P. A comparison of the accuracy of film-screen mammography, full-field digital mammography, and digital breast tomosynthesis. Clin Radiol 2012 Oct;67(10):976-81. [14] Skaane P, Gullien R, Bjørndal H, Eben EB, Ekseth U, Haakenaasen U, Jahr G, Jebsen IN, Krager M. Digital breast tomosynthesis (DBT): initial experience in a clinical setting. Acta Radiol 2012 Jun 1;53(5):524-9. [15] Svahn TM, Chakraborty DP, Ikeda D, Zackrisson S, Do Y, Mattsson S, Andersson I. Breast tomosynthesis and digital mammography: a comparison of diagnostic accuracy. Br J Radiol 2012 Jun 6 (sous presse). 305 Actualités sur les tumeurs phyllodes du sein non métastatiques M.C. VOLTZENLOGEL 1, L. VANDENBROUCKE 1, V. LAVOUÉ 1, 2, A. KIANI 2, P. TAS 2, F. F OUCHER 1, 2, J. LEVÊQUE 1, 2 * (Rennes) Résumé Les tumeurs phyllodes du sein (TPS) sont des tumeurs rares survenant à partir de la 4e décennie le plus souvent d’étiopathogénie mal connue. Il s’agit d’un spectre lésionnel en anatomopathologie qui s’étend des TPS bénignes difficiles à distinguer des adénofibromes aux TPS malignes autrefois dénommées sarcomes phyllodes. Leur diagnostic peut être évoqué en préopératoire sur des éléments cliniques et d’imagerie (âge de survenue inhabituel pour un adénofibrome, taille de la lésion importante ou croissance brutale, aspect hétérogène en imagerie témoin de l’existence de nécrose tumorale) : ceci permet au chirurgien de proposer une excision large avec une marge de sécurité d’au moins 1 cm, clé du pronostic local et général. En effet, ces lésions récidivent localement, notamment chez les patientes les plus âgées, présentant les tumeurs les plus agressives et de taille conséquente, d’autant plus que leur résection est insuffisante. L’évolution 1 - CHU Anne de Bretagne - Service de gynécologie - 16 boulevard de Bulgarie BP 90347 - 35203 Rennes cedex 2 2 - Institut rennais du sein - CRLCC Eugène Marquis - Rue de la Bataille Flandres Dunkerque - CS 44229 - 35042 Rennes cedex * Correspondance : [email protected] 307 LEVÊQUE & COLL. métastatique est l’apanage des TPS malignes ou borderline, là aussi en cas de traitement initial insuffisant et lorsque s’accumulent les facteurs péjoratifs. Ces récidives locales et métastatiques peuvent se manifester sous une forme plus agressive et justifient un suivi régulier en particulier les deux premières années. Le traitement conservateur chirurgical doit être privilégié sans lymphadénectomie axillaire en l’absence d’adénopathies palpables, la radiothérapie adjuvante pouvant être proposée en cas d’éléments pronostiques inquiétants. Mots clés : tumeurs phyllodes, tumorectomie, radiothérapie, récidive Déclaration publique d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Les tumeurs phyllodes du sein (TPS), décrites initialement par l’Allemand Johannes Muller en 1838 sur leur aspect en feuille à la coupe (fuvllon, feuille en grec), sont des tumeurs mammaires mixtes fibroépithéliales, rares (moins de 0,5 % de l’ensemble de tumeurs du sein, 2,5 % des tumeurs fibro-épithéliales du sein), particulières par leur histologie qui décrit un spectre lésionnel allant des TPS bénignes à malignes en passant par les formes borderline [1], et leur évolution lors de récidives locales et métastatiques avec un glissement possible vers une forme histologiquement plus agressive. Dans cette revue de la littérature internationale récente, nous allons insister sur les aspects pratiques de la prise en charge des TPS non métastatiques : possibilités diagnostiques, traitement en particulier chirurgical, et devenir des patientes après traitement. 308 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES I. ÉPIDÉMIOLOGIE DESCRIPTIVE ET ANALYTIQUE Le pic de fréquence des TPS est situé entre 40 et 45 ans, soit après celui des fibroadénomes et avant celui des cancers du sein et leur incidence reste modeste (incidence des TPS malignes estimée à 2,1/1 million de femmes par le réseau de surveillance épidémiologique américain [2], avec un sur-risque inexpliqué chez les migrantes caucasiennes d’Amérique du Sud) : l’âge de découverte des TPS malignes semble plus tardif que celui des TPS bénignes (50 ans dans la série de 821 cas de TPS malignes de la SEER database, avec toutefois une survenue chez des adolescentes (12 ans) et des patientes âgées de 92 ans [3]). L’étiopathogénie des TPS reste mystérieuse, aucun facteur prédisposant n’ayant été mis en évidence, hormis les mutations constitutionnelles de TP53 dans le cadre du syndrome de Li-Fraumeini qui ne sont responsables que d’une faible part des TPS [4]. L’hypothèse classique était que les fibroadénomes mammaires résultaient d’une prolifération polyclonale du stroma, tandis que les TPS étaient dues à une prolifération monoclonale, la prolifération épithéliale étant dans les deux lésions histologiques polyclonale [5]. En réalité, l’étude de 3 patientes ayant des adénofibromes ayant évolué secondairement en TPS a montré que le caractère monoclonal de la prolifération a été retrouvé tant sur les TPS que les adénofibromes [6]. Les interactions entre l’épithélium lactifère et le stroma fibrovasculaire sont nécessaires au développement mammaire et leurs dysfonctionnements sont relevés en pathologie mammaire maligne : à ce titre, les TPS avec leur double composante constituent un modèle d’étude important [7]. Plusieurs hormones et facteurs de croissance ont été mis en cause dans la genèse et l’histoire naturelle des TPS : – le composant épithélial des TPS surexprime volontiers les récepteurs estrogéniques (ER) et à la progestérone (PR), ce qui n’est que rarement le cas au niveau du stroma expliquant sans doute leur hormono-insensibilité ; de plus, l’expression des ER est corrélée au grade de la TPS (et non l’expression de PR) en remarquant que le grade des TPS est déterminé exclusivement sur la composante stromale de la tumeur [8] ; – la surexpression des récepteurs EGF (EGFR) est corrélée au grade tumoral et aux facteurs classiques de mauvais pronostic (positivités respectives des EGFR de 16,2 %, 30,6 % et 56 % dans les tumeurs bénignes, de malignité intermédiaire et malignes [9]) : toutefois, la surexpression de Her2-neu n’a jamais été observée au niveau stromal, et la surexpression épithéliale notée dans 60 % des cas n’est pas corrélée aux autres facteurs histopronostiques classiques ; 309 LEVÊQUE & COLL. – à l’identique, une surexpression du Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) est retrouvée dans les TPS (surexpression dans 31 % des cellules stromales et 29 % des cellules épithéliales), avec une corrélation avec l’agressivité tumorale (grade et facteurs histopronostiques comme index mitotique et invasion des marges) [10] ; – d’autres voies de transduction du signal (voie WNT/B Catenine) stimulant la voie anti-apoptotique et la prolifération cellulaire, protéines du cycle cellulaire, facteurs angiogénétiques, métalloprotéases (CD10), et protoconcogènes (c-kit) jouent un rôle dans l’histoire naturelle des TPS. On s’oriente ainsi vers un défaut d’interactions physiologiques entre composants épithélial et stromal qui serait à la base de la constitution des TPS, suivi d’une stimulation de la croissance de la composante stromale autonome et son développement au sein d’un environnement devenu favorable [7]. Ceci expliquerait de plus que l’on retrouve chez les patientes opérées de TPS une histoire d’adénofibrome beaucoup plus fréquemment que ne le voudrait le simple hasard : ainsi dans la grande série du Sloan Kettering Memorial Hospital, 109 patientes sur 293 avaient un antécédent de fibroadénome mammaire [11], avec une égale répartition entre les TPS bénignes et malignes. II. LE DIAGNOSTIC PRÉ, PER- ET POSTOPÉRATOIRE Le diagnostic est difficile tant les TPS ont une symptomatologie voisine des adénofibromes qui eux sont beaucoup plus communs : or c’est une des difficultés, car le traitement chirurgical diffère. Cliniquement, les TPS se présentent sous la forme de masses souples, bien limitées, indolores sans adénopathie axillaire associée (dans la plus grande série publiée de 443 TPS, seulement 45 patientes ont subi un curage axillaire et une adénopathie métastatique n’a été histologiquement retrouvée que dans 1 cas [12]), unilatérales le plus souvent (3,5 % de bilatéralité dans la série du Memorial Sloan Kettering Hospital [11]). Des phénomènes d’ulcération cutanée sont notés dans les tumeurs les plus volumineuses (Figure 1), dont on peut voir la vascularisation veineuse par transparence, tandis que la rétraction mamelonnaire ou l’écoulement mamelonnaire sont plus rares [13]. Plusieurs éléments peuvent mettre la puce à l’oreille : – la survenue une décennie plus tard que les adénofibromes ; 310 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES Figure 1 - Volumineuse TPS bénigne avec ulcération cutanée – la taille tumorale plus importante (passée de 7 cm à 4 cm en moyenne dans les séries les plus récentes [14]), avec une taille d’autant plus importante que la TPS est de haut grade [11, 12, 14] ; – la croissance rapide (ou une reprise de croissance après une phase de stagnation) et la présence de modifications cutanées assez rares en cas de fibroadénomes. Les observations de TPS survenant lors de la grossesse sont rares (7 cas rapportés) et présentent quelques particularités [15] : – taille volontiers importante pouvant imposer une mammectomie, – découverte volontiers au dernier trimestre de la grossesse, – mais le traitement et le pronostic sont sans particularité. En mammographie, les TPS apparaissent comme des opacités homogènes arrondies ou polylobées évoquant donc des adénofibromes ; l’étude des marges est importante : dans la série tunisienne de Ben Hassouna [16], sur les 79 TPS ayant été explorées mammographiquement, les marges tumorales sont régulières dans les 56 cas de TPS bénignes et irrégulières dans 5 cas sur 8 TPS borderline et dans tous les cas de TPS malignes ; plus rarement des macrocalcifications sont notées témoignant alors de phénomènes de nécrose tumorale mais cela est observé également dans les adénofibromes vieillis [17, 18]. Toutefois, le diagnostic radiologique reste difficile en particulier devant des lésions de taille plus modeste que celles observées par Ben Hassouna : dans la série de l’Institut des tumeurs de Milan [19], les corrélations entre le diagnostic radiologique préopératoire et histologique de la pièce sont médiocres : sur les 14 mammographies 311 LEVÊQUE & COLL. classées comme malignes seules 5 étaient confirmées histologiquement (35,7 %) et 7 étaient en réalité des lésions bénignes. Les images échographiques typiques sont celles de formations hypoéchogènes bien limitées qui peuvent contenir des zones kystiques, ce qui peut alerter [18]. L’IRM enfin apparaît peu contributive retrouvant des masses lobulées circonscrites, présentant des septa en séquence T1, avec un hypersignal T2 hétérogène en raison des zones kystisées ; après injection de Gadolinium, un réhaussement intense est observé au niveau des portions tumorales solides, et un aspect dynamique donnant des courbes avec une prise de contraste rapide et intense suivie d’un washout de type III évocateur de malignité, le tout avec une certaine corrélation avec le diagnostic histologique [20]. En pratique, une conjonction d’éléments inhabituels pour un fibroadénome fait poser l’indication d’une vérification histologique, clé de voûte du diagnostic. La cytologie par aspiration a été étudiée dans quelques courtes séries de la littérature dont les cas étaient connus des cytologistes : la concordance diagnostique est estimée en moyenne à 63 % [32 %-77 %] et est très dépendante de l’échantillonnage du fait de l’hétérogénéité des TPS, et de l’expérience du cytopathologiste. Les aspects cytologiques les plus marquants sont : – la présence de fragments de stroma hypercellulaire, – l’existence de plus de 30 % de cellules avec un noyau allongé en fuseau au sein de cellules stromales dispersées, – la présence de grappes de cellules épithéliales de plus d’1 mm, l’ensemble prenant un aspect allongé en vague ou plié. Les biopsies percutanées sont actuellement préférées d’autant qu’elles sont réalisées aisément sous guidage échographique ; l’aspect histologique des TPS est identique à celui des adénofibromes intracanaliculaires (galactophores étirés, et refoulés par endroit par des protrusions papillaires du stroma), mais l’activité mitotique anormale du stroma et son hypercellularité permettent d’évoquer le diagnostic [21]. Une étude « rétrospective » (c’est-à-dire partant du diagnostic histologique final et le comparant aux diagnostics des biopsies percutanées) retrouve 4 critères majeurs permettant de distinguer les adénofibromes des TPS avec un taux de reproductibilité supérieur à 60 % [22] : cellularité du stroma supérieure à 50 % à celle observée dans les adénofibromes, prédominance du stroma sur la composante épithéliale (avec un grossissement x 10, absence de composante épithéliale), fragmentation de la composante épithéliale retrouvée aux 2 extrémités des carottes biopsiques (témoin indirect de la prolifération stromale qui étire les canaux) et présence de tissu adipeux dans le stroma (dont la signification est obscure : témoin de l’envahissement du tissu 312 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES mammaire par la TPS ou partie propre de la TPS). Le pléomorphisme du stroma et la présence de cellules atypiques sont quant à eux la marque de la nature maligne de la TPS [23]. D’autres aspects histologiques sont mentionnés par divers auteurs dont le plus important est l’existence d’une infiltration aux marges des TPS (mais retrouvée aussi dans les adénofibromes [24]), et l’existence de mitoses stromales dans 30 à 70 % des TPS [22, 24]. Une série américaine portant sur 57 biopsies percutanées de lésions fibro-épithéliales (âge moyen des patientes de 42 ans, taille moyenne des lésions de 1,1 cm) confirme l’intérêt des biopsies percutanées dans la gestion des TPS [25] : – après biopsie percutanée le diagnostic était douteux dans 9 cas qui se sont avérés être partagés entre TPS (4 cas) et adénofibromes (5 cas) ; – le diagnostic était suspecté dans 48 cas : 23 suspicions de TPS qui furent confirmées dans 19 cas, et 25 suspicions de fibroadénomes dont seulement 2 se sont avérées être in fine des TPS toutes deux de bas grade ; on voit donc que la pratique des biopsies percutanées permet non seulement de diagnostiquer les TPS mais aussi d’en évoquer le pronostic histologique [23]. L’utilisation des marqueurs de prolifération cellulaire (phase S, ploïdie, expression de p53 et Chi67) donnent des résultats contrastés dans la littérature : si ces marqueurs semblent correlés au grade tumoral, leur intérêt dans le diagnostic différentiel des adénofibromes est discuté [21]. Enfin, il faut reconnaître qu’environ 30 % des biopsies percutanées effectuées pour des TPS sont des faux négatifs : l’hypothèse la plus vraisemblable est que les TPS sont hétérogènes (et d’autant plus que les tumeurs sont de fort volume), avec donc une marge d’erreur liée au siège du prélèvement même s’il est certain que parfois les TPS surviennent sur d’authentiques adénofibromes mammaires [22, 26]. Un score (dit de « Paddington ») a été proposé pour inciter les cliniciens à réaliser les biopsies percutanées devant la présence de 2 éléments ou plus parmi un panel d’éléments cliniques d’imagerie et cytologiques (Tableau 1) [21]. Ceci explique que le diagnostic opératoire (extemporané) est demandé sur des critères clinico-radiologiques et biopsiques, mais il présente de sérieuses limites : la série taïwannaise de Chen [27] qui comporte 113 examens extemporanés sur 172 cas de TPS (131 TPS bénignes, 12 borderline et 29 malignes) ne confirmait le diagnostic de TPS que dans 47 cas (41,6 % de concordance diagnostique). Le diagnostic de certitude ne peut venir donc que de l’étude anatomopathologique classique. Macroscopiquement, les TPS se présentent sous la forme de masses de taille variable (allant de 1 à 40 cm), 313 LEVÊQUE & COLL. Tableau 1- Eléments cliniques et d’imagerie pouvant faire évoquer une tumeur phyllode (score de Paddington) [21] Éléments cliniques Masse de croissance rapide ou subissant une brusque accélération de croissance Tumeur d’aspect conjonctif mais : – de plus de 3 cm – après 35 ans Éléments radiologiques Masse de contours lobulés Présence de flaques d’aspect kystique au sein de la lésion Éléments cytologiques après aspiration Présence de fragments de stroma hypercellulaire Aspect indéterminé charnues, bosselées, refoulant la glande mammaire sans l’envahir (absence de véritable capsule), présentant à la coupe un aspect foliacé avec des zones de remaniement nécrotico-hémorragique. Microscopiquement, les TPS couvrent un spectre de lésions mimant un fibroadénome hypercellulaire à un sarcome de haut grade du sein. Les 2 contingents épithélium et stroma sont susceptibles de présenter des modifications telles qu’hyperplasie, atypie ou métaplasie (64 % des TPS de l’importante série de Singapour présentaient des lésions d’hyperplasie épithéliale, légère (3,5 %), modérée (28,1 %) et sévère (9,3 %) [28]) : des lésions épithéliales authentiquement malignes sont retrouvées régulièrement au sein des TPS [28, 29], et de rares cas (moins de 5 % des cas) de différenciation sarcomateuse de TPS ont été décrits [30]. L’aspect du stroma (déséquilibre de la composante stromale surreprésentée aux dépens de la composante épithéliale, hypercellularité du stroma en particulier) est en pratique l’élément déterminant permettant tout à la fois de distinguer (mais cela repose sur des critères subjectifs) les TPS des adénofibromes, et de classer les tumeurs phyllodes en 3 catégories distinctes [31] (bénignes malignes et borderline) (Tableau 2). Tableau 2 - Principaux éléments permettant la classification des TPS [31] Aspects histologiques TPS bénigne TPS borderline TPS maligne Activité mitotique stromale < 4/10 champs à fort grossissement 4 à 9/10 champs à fort grossissement ≥ 10/10 champs à fort grossissement Atypies cellulaires stromales Faibles Marquées Marquées Hypertrophie stromale Absente Absente Présente Marges tumorales Circonscrites Variables Présence d’infiltration 314 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES III. LE PRONOSTIC ET L’ÉVOLUTION DES TUMEURS PHYLLODES NON MÉTASTATIQUES Le pronostic global des TPS est bon avec 80 % environ de survie sans récidive à 10 ans [12] toutes histologies confondues : cependant leur devenir est imprévisible en l’absence de corrélation nette entre nature histologique et évolution clinique, ce qui fait dire à certains que toute TPS doit être considérée comme maligne [32] ; ainsi : – les TPS qualifiées de bénignes (plus de 50 % des cas) peuventelles récidiver localement avec un risque de récidive sous une forme histologiquement agressive, voire présenter une évolution métastatique, – les TPS qualifiées de malignes (environ 25 % des cas) peuventelles rester quiescentes fort longtemps chez la majorité des patientes, même si elles restent à plus haut risque métastatique. De nombreuses études ont donc eu pour objet de définir des facteurs pronostiques impliqués dans le risque de récidive locale, et métastatique avec des implications évidentes sur la conduite à tenir thérapeutique. La plus intéressante car multicentrique, internationale avec forte participation française, et numériquement la plus conséquente porte sur 443 patientes (40 ans d’âge moyen) présentant des TPS (bénignes : 284 (64 %), borderline : 80 (18 %) et malignes : 79 (18 %)) prises en charge entre 1971 et 2003 (traitement conservateur dans 85 % des cas, avec radiothérapie (50 Gy) dans 9 % des cas, et chimiothérapie comprenant des anthracyclines dans 3 % des cas) avec un suivi moyen de 106 mois (12-387 mois) [12]. Les récidives locales. Dans cette série, elles sont de 17 % tous types histologiques confondus et des éléments importants sont à souligner que l’on retrouve à des degrés divers dans la littérature : – les récidives locales sont majoritairement observées dans les 2 premières années [13, 19] mais peuvent survenir relativement tardivement, ce qui nécessite un suivi prolongé : en effet dans la série de Belkacémi [12], les taux passent de 14 % à 5 ans à 20 % à 10 ans (les séries avec un suivi plus court ne pouvant mettre en évidence que les récidives les plus précoces), toutefois les TPS malignes récidivent plus précocement que les bénignes [13, 27, 32-34] ; – le diagnostic de récidive locale est utile car le traitement est efficace : la mammectomie « de rattrapage » guérit 70 patientes sur les 76 ayant récidivé (92 % de taux de guérison) dans la série suscitée (même si la mammectomie n’est pas nécessaire pour tous comme nous le verrons infra). 315 LEVÊQUE & COLL. Les facteurs pronostiques de récidive locale dans cette série sont classiques et retrouvés dans toutes les séries où leurs poids respectifs varient dans la littérature selon le type de recrutement des centres ayant publié le nombre de patientes traitées et le recul : – le type histologique des TPS : les TPS bénignes ont un taux de récidive locale de 11 % contre 29 % et 28 % pour les TPS borderline et malignes (contrôle local des TPS bénignes de 92 % [88-96] à 5 ans et 87 % [83-91] à 10 ans, pour 74 % [66-82] à 5 ans et 64 % [54-74] à 10 ans pour les TPS malignes et borderline), – d’autres facteurs histopronostiques comme la faible activité mitotique, l’absence d’atypies cellulaires, d’hypertrophie stromale, et de nécrose (apanage des TPS bénignes) au niveau de la composante stromale, – des éléments cliniques : taille de moins de 3 cm et patiente non ménopausée, – des éléments thérapeutiques : absence de résidu tumoral, marges in sano à plus d’1 cm et radiothérapie dans les TPS borderline et malignes exclusivement. L’analyse multivariée dans cette série (qui ne porte que sur les 146 dossiers contenant l’ensemble des données) ne retient que 4 facteurs indépendants de récidive locale : – l’histologie bénigne (RR = 0,43 versus borderline et malin), – l’existence de marges à plus de 1 cm (RR = 2,13 versus marges envahies ou proches), – l’absence de tumeur résiduelle (RR = 1,98 versus résection incomplète), – l’absence de radiothérapie (dans les TPS borderline ou malignes RR = 3,30 versus une radiothérapie externe). Les récidives locales présentent plusieurs particularités : – elles se font sur un mode histologique plus agressif dans 15 à 30 % des cas [11, 14, 16, 19], et plus rarement sur un mode moins agressif (25 % de récidives histologiquement plus péjoratives contre 11 % de récidives sur un mode plus bénin dans une série de 43 récidives survenues chez 335 patientes [28]), – elles prédisposeraient à une autre récidive [35] : dans la même série de Tan [28], 12,8 % des patientes présentaient une récidive et 21 % une deuxième récidive, – elles seraient anormalement fréquentes chez les patientes présentant une récidive métastatique (46 % des patientes de la série de Singapour [28]), et constituent un facteur de risque reconnu de décès spécifique (dans la série américaine de Pezner [36], le HR de décès en cas de récidive locale est de 2,5 en analyse multivariée). 316 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES Les récidives métastatiques. Elles sont rares dans la série de Belkacemi [12] (3 % à 5 ans et 4 % à 10 ans), et concernent exclusivement les TPS malignes (13 récidives systémiques sur 79 cas (16,5 %)) et borderline dans une moindre mesure (2 cas sur 80 soit 2,5 %). Dans cette série, les 15 récidives métastatiques étaient pulmonaires dans 13 cas soit 87 % des cas : plus rarement des localisations métastatiques osseuses, cérébrales et autres sont décrites [13]. Ces récidives métastatiques surviennent à plus de 90 % dans les 3 ans [13, 16]. La survie dans récidive (SSR) et la survie globale (SG) sont les reflets du risque métastatique : les résultats des différentes séries sont tous bons et la comparaison des SG et SSR, d’une part confirme l’intérêt thérapeutique des mammectomies secondaires en cas de récidive locale, et d’autre part révèle que les récidives métastatiques surviennent majoritairement dans les 5 premières années : ainsi, la SG à 5 ans et 10 ans est de 97 % et 96 % tandis que les SSR aux mêmes dates sont de 83 % et 78 %. Les facteurs pronostiques qui impactent favorablement les SG et SSR sont souvent les mêmes que ceux retrouvés dans les récidives locales : – la nature histologique des TPS et la faible activité mitotique stromale : les survies comparées à 5 et 10 ans des TPS bénignes et des TPS borderline plus malignes sont de : • SSR 5 ans : 93 % versus 67 % et 10 ans : 87 % versus 68 %, • SG 5 ans : 100 % versus 93 % et 10 ans : 100 % versus 88 %, – l’âge de moins de 40 ans et le statut préménopausique sont des éléments de bon pronostic, – ainsi que la taille tumorale de moins de 3 cm et l’existence de marges saines. En analyse multivariée, ne persistent dans le travail de Belkacemi [12] : – pour la SSR, que les critères histologiques (TPS bénignes versus TPS malignes et borderline : RR de récidive = 0,48, et une faible activité mitotique), – et pour la SG, que la taille tumorale de moins de 3 cm et l’absence de nécrose comme facteurs favorables et dans le sousgroupe des TPS borderline et malignes le traitement chirurgical radical (RR de récidive en cas de traitement conservateur = 1,61). La survenue d’une récidive métastatique est un élément de mauvais pronostic à court terme (avec un décès dans les 4 à 6 mois [13, 14, 37]) : la réponse à la chimiothérapie quand elle existe est en règle de courte durée [32], et l’hormonothérapie inefficace même en cas de tumeur présentant des récepteurs estrogéniques [38]. 317 LEVÊQUE & COLL. IV. LE TRAITEMENT DES TUMEURS PHYLLODES NON MÉTASTATIQUES Le traitement des TPS non métastatiques repose en premier lieu sur l’excision chirurgicale avec une marge de sécurité de 1 cm au moins quelle que soit la nature histologique de la lésion : si le traitement conservateur doit être privilégié, la mammectomie est conseillée si cette condition ne peut être remplie [30, 39]. Le curage axillaire n’est indiqué qu’en cas de d’adénopathies cliniquement suspectes : dans une grande série californienne de 752 patientes présentant des TPS malignes [34], l’existence d’adénopathies axillaires envahies (témoin d’une maladie locorégionale) est retrouvée dans 8 % des cas avec un impact pronostique majeur (survie globale à 10 ans de 90,9 % versus 61,5 % en cas de métastases ganglionnaires) ; toutefois, le curage axillaire ne semble pas apporter de bénéfice en termes de survie [30]. Le traitement conservateur (bien conduit) offre une sécurité cancérologique comparable à la mammectomie en particulier dans les TPS malignes ; dans la série américaine issue de la SEER database [3], portant sur 821 patientes porteuses d’une TPS maligne : – 52 % des patientes ont été traitées par mammectomie (et 48 % de manière conservatrice avec une nette tendance au fil du temps à privilégier cette 2e option), – avec un suivi moyen de 5,7 ans, la survie spécifique était de 91 %, 89 % à 5 ans et 10 et 15 ans sans différence entre les 2 types de traitement. La question de la reprise chirurgicale en l’absence de marges non in sano n’est pas tranchée : – la mammectomie de rattrapage en cas de récidive locale guérit nombre de patientes [12] (tout en restant un geste mutilant), et la radiothérapie semble un traitement efficace mais prophylactique après un traitement chirurgical bien conduit comme pour le carcinome mammaire (en tout état de cause les séries rapportant une radiothérapie effectuée pour marges non in sano ne sont pas suffisamment étoffées pour la conseiller de principe) [40] ; – la récidive locale est en particulier dans les TPS malignes et borderline un facteur d’évolution métastatique [12, 36, 41] ; – il semble logique de discuter chaque dossier au cas par cas : ainsi, on proposera une reprise chirurgicale d’autant plus facilement que la TPS est agressive, les marges sont proches, la taille tumorale initiale est importante, la patiente est âgée, et… que les seins sont généreux. 318 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES La radiothérapie est probablement sous-utilisée dans les TPS en particulier malignes [40] même si son bénéfice est incertain [3] et pourrait être proposée selon le même schéma que celui utilisé dans les carcinomes mammaires et sarcomes des tissus mous (50 Gy en 5 semaines avec une surimpression de 10 à 15 Gy en 1 à 2 semaines [36]. Deux séries récentes plaident en faveur de la radiothérapie adjuvante dans les TPS malignes ou borderline : – dans la série de Belkacemi [12], 38 patientes ont bénéficié de radiothérapie adjuvante qui constitue un facteur favorable au contrôle local dans les TPS malignes et borderline en particulier dans l’analyse multivariée (RR = 3,30 de récidive locale en l’absence de radiothérapie), – dans la série prospective de Barth [33], aucune des 46 patientes irradiées n’a présenté de récidive locale avec un suivi moyen de 56 mois. La place de la chimiothérapie (protocoles utilisés dans les sarcomes des tissus mous (isofosfamides/doxorubicine ou cisplatine/étoposide) est encore plus débattue : certains la proposent en cas de facteurs d’évolution métastatique dans les TPS malignes (taille tumorale élevée, stade locorégional, prolifération stromale importante avec atypie) [34], mais une étude mexicaine portant sur 28 cas de TPS malignes de fort volume n’a pas retrouvé de bénéfice à une chimiothérapie adjuvante (4 cycles de doxorubicine et dacarbazine et radiothérapie adjuvante associée dans 7 cas) chez les 17 patientes traitées par rapport aux 11 contrôles avec une survie sans récidive de 86 % et 58 % respectivement (différence non significative) ; dans cette étude très limitée, tous les décès spécifiques sont survenus dans le bras chimiothérapie dans un délai moyen de 6,5 mois. Là encore, la rareté des TPS est un frein à des études prospectives randomisées : la place de la radiothérapie et de la chimiothérapie adjuvantes est à discuter au cas par cas en tenant compte de facteurs pronostiques cliniques et histologiques. Le traitement des récidives locales n’est pas réellement codifié : – le réseau américain NCCN conseille la réalisation d’une réexcision sans curage axillaire et évoque la possibilité d’une radiothérapie sur la paroi ou le sein (mais avec un niveau de preuve faible, 2B) [42], – Chaney [40] évoque l’intérêt d’une radiothérapie adjuvante systématique après une récidive, – enfin certains auteurs recommandent la pratique d’une mammectomie systématique, ce qui paraît aujourd’hui très excessif en particulier en cas de récidive peu agressive [32]. 319 LEVÊQUE & COLL. Enfin, il semble logique de proposer en cas de récidive sur un mode agressif un bilan d’extension simple comprenant un scanner thoracique. CONCLUSION Les TPS du fait de leur rareté sont de prise en charge délicate car elles sont encore découvertes lors de la visite postopératoire : pour éviter ce piège, quelques conseils simples tels la pratique d’une biopsie percutanée (avec un pathologiste dûment averti des interrogations du clinicien) en cas d’éléments discordants (patiente de plus de 30 ans, taille de la lésion importante ou croissance rapide, aspect hétérogène ou zones kystisées en imagerie, contours non parfaitement nets en particulier). Un diagnostic préopératoire suspecté permet d’envisager une résection large avec une marge de plus de 1 cm qui est le meilleur garant d’une diminution du risque de récidive locale et par là d’évolution métastatique (la tendance actuelle étant à proposer autant que faire se peut des traitements conservateurs, avec éventuellement une radiothérapie pour les TPS malignes présentant d’autres facteurs pronostiques inquiétants). Le risque de récidive locale y compris pour les TPS bénignes ayant bénéficié d’un traitement local selon les règles impose un suivi régulier clinique et par imagerie en sachant qu’elles surviennent plus volontiers dans les 2 premières années et qu’elles exposent à un sur-risque métastatique principalement pulmonaire de pronostic sévère à court terme. 320 ACTUALITÉS SUR LES TUMEURS PHYLLODES DU SEIN NON MÉTASTATIQUES Bibliographie [1] WHO. Histological typing of lung tumours. Tumori 1981;67:253-72. [2] Bernstein L, Deapen D, Ross RK. The descriptive epidemiology of malignant cystosarcoma phyllodes tumors of the breast. Cancer 1993;71:3020-4. [3] Macdonald OK, Lee CM, Tward JD, Chappel CD, Gaffney DK. Malignant phyllodes tumor of the female breast: association of primary therapy with cause-specific survival from the Surveillance, Epidemiology, and End Results (SEER) program. Cancer 2006;107:212733. [4] Birch JM, Alston RD, McNally RJ, Evans DG, Kelsey AM, Harris M, Eden OB, Varley JM. 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Special considerations: phyllodes tumors; 2012. http://www.nccn.org. 323 Prise en charge des papillomes A. KANE *, E. VINCENS, C. F REY, C. DEHGHANI, D. SALET LIZÉE, P. GADONNEIX, R. VILLET (Paris) Résumé La maladie papillaire comprend un large spectre de lésions considérées à haut risque en raison d’un taux important de malignité (15 à 20 %) retrouvée après exérèse chirurgicale. Le diagnostic, historiquement chirurgical devant un écoulement mamelonnaire repose actuellement sur les biopsies percutanées échoguidées ou stéréotaxiques. Cependant la valeur prédictive de la biopsie reste sub-optimale en raison de la fragmentation de la pièce, de la taille de l’échantillonnage et de l’association fréquente d’autres lésions papillaires pouvant ainsi sous-estimer la maladie papillaire de 10 % à 15 % pour les papillomes bénins jusqu’à 67 % pour les papillomes atypiques. Ce risque de sous-estimation diagnostique persistant malgré l’utilisation des macrobiopsies par aspiration, et l’absence de critères prédictifs de malignité sur l’imagerie, doivent conduire à recommander l’exérèse chirurgicale large de l’ensemble des papillomes. Hôpital Diaconesses Croix Simon - Service de chirurgie viscérale et gynécologique Site Reuilly - 12-18 rue du Sergent Bauchat - 75012 Paris * Correspondance : [email protected] 325 KANE & COLL. L’avènement du système INTACT palliant certains de ces inconvénients permettrait selon plusieurs études récentes de diminuer ce risque de sous-estimations. Néanmoins des études randomisées sont nécessaires afin de valider cette technique d’exérèse radiologique pour les papillomes bénins et ainsi surseoir à la chirurgie. Mots clés : papillome, hyperplasie atypie, carcinome in situ, biopsie percutanée Déclaration publique d’intérêt Je soussignée, Aminata Kane, déclare ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION Les lésions papillaires sont relativement peu fréquentes, elles représentent un peu plus de 5 % de l’ensemble des biopsies mammaires et correspondent à moins de 10 % des lésions bénignes, et seulement entre 0,5 à 2 % des néoplasies mammaires sont de type papillaire [1-3]. Elles comprennent un large spectre de lésions allant du bénin (papillome bénin, papillomatose) à l’atypie (papillome atypique, papillome avec hyperplasie canalaire atypique), au malin (carcinome intrapapillaire, carcinome papillaire invasif). Ces lésions papillaires sont définies par la présence de digitations stromales présentant un axe conjonctivo-vasculaire et sur lesquelles sont disposées des cellules épithéliales luminales associées ou non à des cellules myoépithéliales. Les critères diagnostiques permettant de différencier ces différentes lésions sont basés sur leur architecture globale, le type de cellules épithéliales les constituant, la présence ou l’absence de cellules myoépithéliales et l’expression des anticorps spécifiques du P63 et des kératines de haut poids moléculaire en immunohistochimie [4]. 326 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Les papillomes peuvent être de localisation centrale (péri- ou rétroaréolaire) ou périphériques et peuvent être uniques ou multiples (papillomatose). Les papillomes périaréolaires sont plus souvent uniques et s’accompagnent fréquemment d’écoulement mamelonnaire uniporique séreux ou séro-hématiques. Les papillomes multiples se voient plus souvent chez des patientes plus jeunes et sont fréquemment asymptomatiques, bilatéraux et d’avantage à risque de récidive après résection. Ils seraient également plus à risque de malignité, mais aussi bien les papillomes solitaires que les papillomes multiples sont associés à une augmentation du risque de cancer du sein justifiant une prise en charge particulière. Radiologiquement les lésions papillaires mammaires peuvent se présenter sous forme d’une distorsion architecturale, d’une asymétrie de densité, d’une masse nodulaire associées ou non à des microcalcifications ou plus rarement de microcalcifications seules. Historiquement le diagnostic était chirurgical lors de la réalisation d’une pyramidectomie permettant après repérage du canalicule sécréteur l’exérèse de la branche galactophorique incriminée. L’utilisation des biopsies percutanées échoguidées ou stéréotaxiques s’est par la suite généralisée dans le diagnostic des lésions mammaires occultes ou palpables remplaçant progressivement la cytoponction et la biopsie chirurgicale. Cependant la valeur prédictive de la biopsie reste sub-optimale en raison de la fragmentation de la pièce, de la taille de l’échantillonnage et de l’association fréquente d’autres lésions papillaires pouvant ainsi sous-estimer la maladie papillaire [5, 6]. Ce risque de sous-estimations diagnostiques a contribué à recommander l’exérèse chirurgicale large de l’ensemble des papillomes permettant l’ablation de celui-ci et du tissu adjacent. En effet, les atypies associées aux papillomes sont le plus souvent retrouvées en périphérie du papillome et parfois à proximité du papillome [7]. L’avènement de la macrobiopsie par aspiration, et plus récemment du système INTACT palliant certains de ces inconvénients, permettrait selon plusieurs études récentes de diminuer ce risque de sousestimations. Ainsi l’exérèse des lésions papillaires par ces méthodes radiologiques pourrait, pour certains auteurs et en respectant des critères stricts, permettre de surseoir à la chirurgie dans certains cas. 327 KANE & COLL. I. RAPPEL HISTOLOGIQUE : LES DIFFÉRENTS TYPES DE LÉSIONS PAPILLAIRES I.1. Les lésions papillaires bénignes Depuis les travaux de Ohuchi et al. [3], on distingue 2 types de lésions papillaires : – le papillome intragalactophorique central qui se définit comme une lésion centrale, en général unique, se développant au niveau d’un ou de plusieurs gros galactophores, voisins de la région sous-aréolaire ; – le papillome périphérique, qui se présente le plus souvent sous la forme de plusieurs lésions prenant naissance dans différents lobules (papillomes multiples) avec ou sans extension dans les galactophores de gros calibre. Le terme de micropapillome est utilisé pour désigner des papillomes périphériques de découverte microscopique fortuite, siégeant dans des lésions d’adénose. Sur le plan microscopique, les papillomes bénins sont représentés par des structures arborescentes développées au sein de canaux plus ou moins kystiques. Leurs ramifications sont constituées par des axes conjonctivo-vasculaires bordés par des cellules myoépithéliales sur lesquelles reposent des cellules épithéliales luminales. Des structures adénomateuses sont fréquemment mêlées aux papilles (papilloadénome). Différents types de remaniements peuvent être observés au niveau des papillomes : inflammation, nécrose, métaplasie (apocrine) et hyperplasie épithéliale simple. I.2. Papillome avec hyperplasie canalaire atypique (HCA)/CCIS étendu à un papillome Au sein d’une lésion papillaire, présentant par ailleurs tous les critères d’un papillome bénin tels que décrits plus haut, on peut retrouver des foyers de néoplasie épithéliale de bas grade. Dans l’étude de Page et al, 6,5 % des papillomes présentaient des atypies épithéliales [5]. Celles-ci sont plus fréquemment observées dans les papillomes périphériques par rapport aux papillomes centraux. Selon Sydnor, 67 % des papillomes avec atypies à la biopsie révèlent des carcinomes mammaires après exérèse chirurgicale [8]. 328 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Sur le plan microscopique, on retrouve des aspects de papillome bénin, mais avec des territoires où les cellules épithéliales ont les mêmes aspects morphologiques et immunohistochimiques que l’HCA ou le CCIS de bas grade nucléaire. Dans ces territoires, les cellules épithéliales luminales atypiques peuvent être de type canalaire, apocrine ou intermédiaire entre les deux et elles s’organisent de manière polarisée en structures micropapillaires et/ou cribriformes. Il n’existe pas de consensus sur la dénomination de ces lésions. Les auteurs recommandent d’appliquer le même critère d’extension que celui utilisé dans le parenchyme mammaire pour différencier HCA et CCIS de bas grade, à savoir un seuil de 2-3 mm. Au moins deux études ont montré que ce type de lésions n’était pas associé à une augmentation du risque de développement ultérieur de carcinome infiltrant quand les atypies étaient confinées dans un papillome central, que celui-ci avait été enlevé en totalité et qu’il n’existait pas de prolifération épithéliale atypique dans le tissu mammaire adjacent [9]. À l’inverse, quand la néoplasie épithéliale de bas grade a une distribution plus diffuse, mesure plus de 3 mm et est retrouvée aussi bien dans le papillome que dans les structures mammaires adjacentes, le terme de CCIS étendu à un papillome doit être utilisé. I.3. Le CCIS de type papillaire Certains CCIS ont une architecture papillaire, il s’agit généralement de CCIS de bas grade nucléaire. Sur le plan microscopique, on retrouve dans les canaux et lobules une prolifération d’architecture papillaire. Les axes papillaires sont grêles et ramifiés et ne sont pas bordés par des cellules myoépithéliales. On ne retrouve que des cellules épithéliales luminales cylindriques disposées en une seule couche ou organisées en structures micropapillaires et cribriformes. I.4. Carcinome papillaire intrakystique (CPIK) Il s'agit d’une lésion papillaire unique localisée dans un canal galactophore kystisé et caractérisée par une arborescence fibrovasculaire grêle, dépourvue de cellules myoépithéliales et recouverte de cellules épithéliales néoplasiques avec des caractéristiques histologiques d’un CCIS de bas grade. Le CPIK est rare et représente moins de 2 % des carcinomes mammaires [10]. Le CPIK est caractérisé par l’absence complète de cellules myoépithéliales bordant les 329 KANE & COLL. structures papillaires et la paroi des lésions. De ce fait, certains auteurs estiment qu’il s’agit d’un type très bien limité et circonscrit de carcinome infiltrant [11]. Néanmoins, dans la classification OMS (Organisation mondiale de la santé) 2003 des lésions mammaires, le CPIK a été classé dans les lésions néoplasiques in situ car il se comporte comme le CCIS et n’est pas associé à un risque métastatique ganglionnaire ou à distance, contrairement au carcinome infiltrant. II. FACTEURS DE RISQUE DE MALIGNITÉ ATTACHÉS AUX LÉSIONS PAPILLAIRES Les études récentes sont relativement contradictoires sur ce point, néanmoins on retient classiquement comme facteurs de risque de malignité associés au papillome : la présence d’atypie, un antécédent personnel ou familial de cancer, un âge supérieur à 50 ans et le caractère symptomatique par la survenue d’un écoulement mamelonnaire ou la présence d’une masse palpable [5, 6, 12]. En 2006, une étude de la Mayo Clinic [6] a comparé 480 patientes prises en charge pour des lésions papillaires : 372 papillomes solitaires bénins, 54 papillomes solitaires avec atypie, 41 papillomes multiples (> 5), 13 papillomatoses avec atypie, avec des biopsies pour lésions non papillaires : mastopathie non proliférante (N = 6 053), mastopathie proliférante sans atypie (PDWA, N = 2 308), et hyperplasie atypique (AH, N = 267). Le risque relatif de développer un cancer associé aux papillomes bénins était de 2,04 (95 % IC 1,43-2,81) similaire à celui associé aux mastopathies proliférantes RR : 1,90 (95 % IC 1,66-2,16). Le risque associé aux lésions papillaires atypiques était de 5,11 (95 % CI 2,64-8,92) légèrement supérieur à celui des hyperplasies atypiques sans atypie 4,17 (5 % CI 3,10-5,50). Les patients présentant des papillomes multiples étaient également à risque RR : 3,01 (95 % CI 1,10-6,55), particulièrement en cas d’atypie RR : 7,01 (95 % CI 1,91-17). Le caractère péjoratif de la présence d’atypie est retrouvé également chez la plupart des auteurs, Sydnor retrouvant un taux de cancer de 67 % après exérèse chirurgicale [8]. Page et al. retrouvent un risque relatif de cancer du sein associé aux papillomes avec atypie 7,5 fois supérieur à celui associé aux papillomes bénins [5]. Dans la méta-analyse de Wen portant sur 34 études et 2 236 lésions papillaires, la présence d’atypies sur la biopsie est associée à un risque 330 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES de cancers de 36,9 % versus 7 % en l’absence d’atypie retrouvée [12] (tableau 1). Dans cette étude, outre le caractère atypique lors de la biopsie, seule la présence d’une masse palpable ressort comme facteur de risque de malignité associée aux lésions papillaires (p < 0,05). Résultat non retrouvé par Jaffer dans son étude portant sur 200 cas où l’existence de signes d’appel (écoulement mamelonnaire, masse palpable) n’apparaissent pas plus péjoratifs [7]. Tableau 1. Facteurs de risque de sous-estimations des lésions papillaires bénignes à la microbiopsie. Revue de la littérature, Wen et al. Ann Surg Oncol 2012 331 KANE & COLL. III. BILAN RADIOLOGIQUE DES LÉSIONS PAPILLAIRES EN 2012 : FACTEURS PRÉDICTIFS DE MALIGNITÉ ASSOCIÉS AUX PAPILLOMES BÉNINS Si les lésions papillaires regroupent un panel de lésions allant de la bénignité aux néoplasies invasives, leur présentation radiologique est également très variée (ectasie canalaire à l’échographie, nodule hypoéchogène régulier, microcalcifications etc.). Elles relèvent de la classification ACR (Americain College of Radiology), néanmoins la plupart des auteurs peinent à mettre en évidence des facteurs radiologiques prédictifs de malignité des lésions papillaires. Puglisi et al. ont rapporté 51 papillomes diagnostiqués sur microbiopsie (14-gauges). L’aspect radiologique était peu spécifique avec à la mammographie une opacité, des distorsions architecturales, des opacités associées à des microcalcifications et des microcalcifications seules. À l’échographie, la lésion se présentait sous la forme d’un nodule associé à une ectasie canalaire ou d’un nodule extraductal, solide ou mixte. Le taux de cancers retrouvé après excision chirurgicale était de 38,7 %. Aucun aspect radiologique mammographique ou échographique n’était associé à un sur-risque de malignité. Les auteurs concluaient en l’absence de critères radiologiques prédictifs de malignité [13]. Des résultats similaires ont été publiés par Agoff, Sohn [14, 15] qui retrouvaient des caractéristiques radiologiques similaires ne permettant pas de distinguer les papillomes bénins des cancers associés aux papillomes. Jaffer, en 2009, a publié une série portant sur 200 papillomes bénins ayant bénéficié d’un diagnostic par biopsie percutanée. Cent quatre patientes ont eu une exérèse chirurgicale secondaire permettant de diagnostiquer 7,7 % d’atypie et 6 % de carcinome in situ et 2,9 % de lésion invasive (7). Là encore, aucun élément prédictif d’atypie ou de malignité ne ressort : – ni la taille (de 5 mm à 2 cm), – ni la localisation intra-mammaire (centrale, rétroaréolaire ou périphérique), – ni les caractères échographiques et notamment le caractère solide ou kystique. Le seul élément ressortant était la présence d’un nodule irrégulier à l’échographie prédictif d’un carcinome invasif. Dans cette étude, 15 % des carcinomes retrouvés étaient situés à proximité et non sur le site de la biopsie et pour moitié d’entre eux en 332 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES dehors de la lésion papillaire, et cela bien qu’un tiers des biopsies aient été réalisées par macrobiopsies stéréotaxiques permettant un large échantillonage. Rizzo, dans son étude publiée en 2012 et portant sur 276 patientes présentant un papillome bénin à la biopsie et ayant bénéficié d’une excision chirurgicale, conclut également en l’absence de facteurs radiologiques prédictifs de malignité. En effet ni la localisation, ni les caractéristiques échographiques, ni la présence ou la distribution des microcalcifications ne ressortent de manière significative [16]. Enfin, une méta-analyse récente publiée par Xin Wen incluant les résultats de 34 études retrouve comme seul facteur radiologique prédictif de malignité, la présence d’anomalies mammographiques, opacité, microcalcifications ou microcalcifications + opacité) (p = 0,022) [12]. Les lésions papillaires peuvent présenter 3 aspects en IRM [17] : la forme d’une petite masse intracanalaire bien limitée prenant le contraste, d’une masse irrégulière avec prise de contraste rapide et intense (« tumor-like ») et sous la forme d’une lésion occulte. La galacto-IRM utilise une séquence à forte pondération T2 (séquence galactographique) qui permet une étude non invasive des canaux galactophores dilatés qui sont visibles sous forme de structures tubulées en hypersignal. Comme pour la galactographie, les lésions intragalactophoriques apparaissent sous forme d’un défect de signal, d’une irrégularité de paroi ou d’une obstruction canalaire (arrêt brusque). Si l’IRM et a fortiori la galacto-IRM semblent apporter un avantage dans la mise en évidence des toutes petites lésions papillaires, notamment chez la femme jeune à seins denses, ces techniques ne semblent pas au vu des faibles données de la littérature apporter des informations discriminantes sur une éventuelle malignité, l’IRM n’étant pas très performante dans le diagnostic et le bilan des carcinomes in situ, le plus souvent retrouvés associés aux lésions papillaires. IV. DIAGNOSTIC HISTOLOGIQUE PAR BIOPSIE PERCUTANÉE ET RISQUE DE SOUS-ESTIMATIONS Si historiquement le diagnostic des lésions papillaires était effectué sur la pièce de pyramidectomie motivée par la survenue d’un écoulement mamelonnaire, la majorité des papillomes sont actuellement de 333 KANE & COLL. découverte fortuite lors d’un examen écho-mammographique de dépistage et bénéficient d’un diagnostic préopératoire par biopsie percutanée, et plus rarement par cytoponction avec néanmoins un risque de sous-estimation des lésions. En 2003, Masood et al. ont comparé le risque de sous-estimation de la maladie papillaire entre cytoponction et microbiospie (FNAB), retrouvant respectivement 20 % et 30 % de sous-estimations mais sur des petits effectifs [18]. Gendler et al., en 2004 sur une série de 153 papillomes dont 87 avec exérèse chirurgicale, retrouvent des résultats similaires avec un taux de sous-estimations de 25 % en cas de cytoponction versus 53 % en cas de macrobiopsie 11-gauges [19]. Valdes et al. ont comparé 120 lésions papillaires dont 80 avec exérèse chirurgicale cytoponction (20 à 22-gauges), microbiopsie (14gauge), macrobiopsie stéréotaxique par mammotome. Ils retrouvent un taux de sous-estimations similaire entre microbiopsie et cytoponction d’environ 30 % et par contre une amélioration de la spécificité par mammotome avec 12 % de sous-estimations [20]. Jaffer retrouvait un taux de sous-estimations globales par biopsie de 16,4 % sans mettre en évidence de différence significative entre microbiopsie et macrobiopsie par aspiration, néanmoins cette procédure représentait un faible nombre de biopsie [7]. Dans sa méta-analyse portant sur 34 études publiée en août 2012, Wen retrouve un taux de sous-estimation moyen de 16,6 % (IQR : 10,925,0 %) [12] (tableau 2). Néanmoins, il note une diminution du taux de sous-estimations en fonction de l’année de publication avec un taux de 0,226 (95 % CI : 0,155-0,297) avant 2005, 0,201 (95 % CI : 0,127-0,275) entre 2005-2007, et 0,121 (95 % CI : 0,074-0,169) à partir de 2007 avec significativement moins de sous-estimations après 2007 qu’avant 2005 (1,974 OR [95 % CI : 1,06-3,69]). Ces résultats peuvent avoir deux principales explications : l’expérience des radiologues notamment dans le choix de la zone à biopsier, et un changement de définition entre lésions atypiques et bénignes survenu à cette période. Dans cette méta-analyse, il est également mis en évidence une amélioration non significative de la précision diagnostique par l’utilisation des macrobiopsies par aspiration avec un taux de sousestimations de 0,099 (95 % CI : 0,063-0,134) versus 0,107 (95 % CI : 0,059-0,155) en cas de microbiopsie (p = 0,150). 334 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Tableau 2. Risque de cancer associé aux lésions papillaires bénignes sur la biopsie après exérèse chirurgicale. Wen et al. Ann Surg Oncol 2012 Selon la plupart des études, le taux de sous-estimations par biopsie percutanée est plus important en cas de papillomes avec atypie que de papillomes bénins retrouvés à la biopsie, résultat également retrouvé dans la méta-analyse de Wen avec rétrospectivement 36,9 % de sousestimations versus 7 % (p < 0,001) [12]. Le taux de sous-estimations en cas de papillomes bénins est conforme aux données de la littérature, notamment des études récentes à larges effectifs comme celle de Rizzo, portant sur 276 cas avec un taux de cancers de 8,9 % retrouvés après exérèse chirurgicale pour papillomes bénins [16]. 335 KANE & COLL. V. PRISE EN CHARGE DES LÉSIONS PAPILLAIRES AVEC HYPERPLASIES CANALAIRES ATYPIQUES L’ensemble des auteurs se retrouvent de manière assez consensuelle sur la nécessité d’excision des papillomes atypiques en raison du surrisque de cancers du sein associés aux papillomes avec atypie 7,5 fois supérieur à celui associé aux papillomes bénins selon Page et al. [5]. Cette sous-estimation majeure en cas d’atypie s’explique en partie par la difficulté diagnostique entre l’atypie et le cancer in situ, ces deux lésions représentant un continuum lésionnel avec comme élément discriminant le caractère focal de l’atypie intéressant moins du tiers du papillome avec une prolifération de cellules épithéliales luminales atypiques inférieures à 3 mm. Ainsi le faible échantillonnage apporté par les biopsies et la nécessaire fragmentation des pièces rendent très difficile ce diagnostic qui nécessite l’expertise de pathologistes spécialisés et doit conduire, compte tenu des données actuelles de la littérature, à l’exérèse chirurgicale. L’utilisation du système INTACT ne semble pas, concernant les papillomes avec atypie, être une alternative recevable à la chirurgie. En effet si Seror, sur 8 hyperplasies canalaires atypiques diagnostiquées par INTACT et secondairement opérées, ne retrouve pas de sousestimations, il note 22,2 % de sous-estimations des carcinomes in situ en micro-invasif ou invasif (n = 6/27) et un taux d’exérèse complète de seulement 40 % [21]. Par conséquent il semble à l’heure actuelle nécessaire de recommander l’exérèse chirurgicale de l’ensemble des papillomes avec atypie. VI. PRISE EN CHARGE DES LÉSIONS PAPILLAIRES BÉNIGNES Si la prise en charge des papillomes atypiques est relativement consensuelle, il n’en est pas de même pour les papillomes bénins. Ainsi, si les dernières études récentes [16, 22-24] tendent à montrer un taux de sousestimations important conduisant à recommander l’exérèse chirurgicale de l’ensemble des papillomes, plusieurs études portant souvent sur une faible population retrouvent des taux de sous-estimations < 3 % semblant autoriser dans certaines conditions à surseoir à la chirurgie. 336 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Ainsi, Sohn a publié en 2006 une étude rétrospective portant sur 174 papillomes bénins diagnostiqués par biopsie percutanée sans exérèse chirurgicale avec un suivi moyen de 41 mois, 92 patientes ayant un suivi > 2 ans et pour 57 patientes un suivi > à 4 ans. Seules 2 patientes (1,1 %) ont développé un cancer du sein 53 mois après le diagnostic. Dix-neuf pour cent des patientes ont cependant nécessité des biopsies répétées durant cette période [15]. Sydnor et al. ont étudié une série de 38 papillomes bénins à la biopsie. Treize ont bénéficié d’une exérèse chirurgicale retrouvant 1 seul cancer (3 %) tandis qu’aucune des 25 patientes non opérées n’a développé de cancer avec un recul supérieur à deux ans. À noter que sur les 4 patientes présentant des micropapillomes, 2 avaient du carcinome sur la pièce d’exérèse chirurgicale. Les auteurs concluaient qu’un suivi mammographique sans chirurgie était raisonnable en cas de papillome bénin compte tenu du faible risque de cancer associé, cependant seules 8 patientes ayant bénéficié d’une exérèse chirurgicale, ces résultats sont à interpréter prudemment [8]. Ahmadiyeh arrive à des conclusions similaires sur une population de 86 papillomes bénins dont seulement 29 ont bénéficié d’un traitement chirurgical retrouvant une seule lésion cancéreuse (1/29) soit 3 %. Il s’agissait d’un CCIS dans le papillome révélé par une masse de 2 cm. Les auteurs concluent en la possibilité d’une abstention chirurgicale en cas de papillome simple [26]. Là encore ces résultats semblent à nuancer compte tenu du petit effectif, de plus nous n’avons pas les critères de sélection des patientes non opérées ni le suivi. Néanmoins, cette stratégie est actuellement fréquemment adoptée en pratique clinique, avec aux États-Unis, 50 % des praticiens recommandant l’abstention chirurgicale en cas de papillomes typiques [27]. Cependant plusieurs études rétrospectives à plus grand effectif publiées depuis 2009 retrouvent un taux de néoplasies associées aux papillomes simples beaucoup plus important compris entre 7 et 15 % tendant à remettre en cause cette pratique largement généralisée. Ainsi Greif en 2009 sur 77 papillomes solitaires bénins biopsiés retrouve après excision chirurgicale 12 cas de cancer (15,6 %), 10 carcinomes in situ et 12 carcinomes micro-invasifs [22]. Rizzo en 2009 à propos de 142 papillomes bénins biopsiés puis opérés met en évidence un taux de sous-estimations de 25 % avec 10,5 % de carcinomes in situ sur pièce opératoire [23]. La série actualisée en 2012 comportant 234 papillomes bénins, qui constitue la plus importante série, apporte des résultats similaires avec 21 (8,9 %) cas de cancer du sein après exérèse chirurgicale [16]. Sans qu’il puisse être mis en évidence de critères radiologiques prédictifs de malignité, 337 KANE & COLL. l’auteur conclut à la nécessité d’exérèse chirurgicale de l’ensemble des papillomes. Ces résultats sont concordants avec la plupart des études publiées récemment, ainsi Rozentsvayg, sur 54 papillomes bénins opérés, retrouve 7 % de cancers, 2 carcinomes in situ et 3 carcinomes canalaires infiltrants [24]. Cyr et al. en 2011 sur 82 papillomes opérés représentant 42 % de la population globale retrouvent 9,8 % de cancers. Dans le groupe des patientes non opérées (111 patientes), 2 patientes ont développé un cancer et ont été opérées secondairement [25]. Dans la méta-analyse de Wen, il est retrouvé 7 % de cancers après exérèse chirurgicale pour des papillomes bénins, l’auteur concluant qu’une abstention chirurgicale pouvait être envisagée selon certaines conditions [12]. Il nous semble que ce taux de 7 % largement supérieur au taux de 3 % de faux négatifs autorisé par l’American College of Radiology nécessite de rester très prudents et de ne réserver ce protocole qu’aux patientes non opérables ou refusant la chirurgie, l’exérèse de toute lésion papillaire devant rester la règle. Plusieurs auteurs suggèrent que l’exérèse radiologique par l’utilisation des techniques de macrobiopsies aspiratives pourrait constituer une alternative satisfaisante à la chirurgie en cas de papillomes bénins. Ainsi Kyung Hee Ko a publié, afin de valider la faisabilité de l’exérèse radiologique, ses résultats portant sur 29 papillomes bénins ayant bénéficié d’une exérèse par mammotome après microbiopsie percutanée. Seule une patiente a récidivé à un an en raison d’une exérèse incomplète sous forme d’un papillome intrakystique bénin avec un suivi médian de 25 mois. La taille moyenne était de 9,8 mm allant de 5 mm à 15 mm, cette dernière mesure constituant la taille limite autorisant pour les auteurs une exérèse radiologique [28]. Maxwell a lui décrit 26 cas de papillomes d’exérèse radiologique par macrobiopsie par aspiration, avec néanmoins 11,5 % de récurrence suggérant là encore une exérèse incomplète [29]. Youk publie également des résultats similaires à propos de 67 papillomes bénins retirés radiologiquement par mammotome. Seule 1 patiente a bénéficié d’un traitement chirurgical ne retrouvant pas de lésion maligne, et sur les 66 patientes non opérées, 6 présentaient une lésion résiduelle lors du suivi écho-mammographique [30]. Ces études, souvent de petit effectif, ne permettent pas d’évaluer le risque de sous-estimations de cette technique liée aux exérèses incomplètes, compte tenu de l’absence d’exérèse chirurgicale complémentaire. 338 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Des données beaucoup plus informatives ont été apportées par la série de Chang à propos de 73 papillomes bénins retirés par macrobiopsie (11-gauges) sous échographie par aspiration. Vingt-deux patientes ont refusé la chirurgie. Chez les 49 patientes ayant bénéficié d’une chirurgie complémentaire, aucun cas de cancer n’a été retrouvé, on note 3 cas d’atypie uniquement. Mais seules 12 patientes (24,5 %) n’avaient aucune lésion papillaire résiduelle [31]. Les auteurs conseillent de réserver cette exérèse radiologique par mammotome aux lésions ACR 3 ou 4a, uniques, à distance de la peau et du pectoral et de moins de 15 mm [28]. Cette étude préliminaire apporte des résultats encourageants, néanmoins ces méthodes ne semblent pas pouvoir garantir une exérèse microscopique complète, or le carcinome associé au papillome est souvent situé sur la périphérie de la lésion papillaire ou à proximité même si dans cette étude aucun cancer n’a été retrouvé sur la pièce opératoire en cas d’exérèse incomplète. La solution pourrait être apportée par le système INTACT autorisant une exérèse percutanée plus importante et monobloc permettant de bien évaluer les limites et les marges. Dans une étude prospective multicentrique portant sur 1 170 patientes, les données concernant 51 lésions à risque (24 papillomes bénins, 7 cicatrices radiaires, 20 néoplasies lobulaires), ayant bénéficié d’une exérèse par système INTACT, ont été colligées : 24 ont bénéficié d’un complément d’exérèse chirurgicale sans cancer retrouvé, et aucune des 27 patientes non opérées n’a récidivé sur l’imagerie, avec un recul de 24 mois [32]. CONCLUSION Le diagnostic des lésions papillaires est un diagnostic histologique complexe nécessitant un large échantillonnage, et par conséquent difficile sur prélèvement micro- ou macrobiopsiques qui exposent à un risque de sous-estimations d’environ 15 %. Si l’ensemble des auteurs s’accorde sur la nécessité d’une exérèse chirurgicale de tous les papillomes avec atypie, les avis restent controversés sur la prise en charge des papillomes bénins. De plus en plus de praticiens sont tentés par l’abstention chirurgicale, néanmoins il faut rester prudent, le risque associé aux papillomes bénins étant de 339 KANE & COLL. 7 à 10 %. De plus il existe peu de facteurs radiologiques discriminants, un papillome unique, central n’étant pas synonyme de bénignité. Par conséquent l’exérèse de toute lésion papillaire est nécessaire. L’exérèse chirurgicale doit rester la règle. En cas de refus de la patiente, de comorbidité importante, une exérèse radiologique seule par macrobiopsie sous aspiration ou par système INTACT peut s’envisager sous couvert d’une disparition complète de l’image radiologique et d’une surveillance rapprochée, la patiente devant être informée du risque de récidive. Le développement des systèmes de macrobiopsie monobloc permettant l’exérèse radiologique large des papillomes bénins et leur évaluation par des études randomisées autoriseront probablement à l’avenir la validation de l’abstention chirurgicale dans la prise en charge des papillomes bénins. 340 PRISE EN CHARGE DES PAPILLOMES Bibliographie [1] Collins L, Schnitt SJ. Papillary lesions of the breast: selected diagnostic and management issues. Histopathology 2008;52:20-9. [2] Mulligan A, O’Malley FP. Papillary lesions of the breast, a review. Adv Anat Pathol 2007;14:108-19. [3] Ohuchi N, Abe R, Takahashi T, Tezuka F. Origin and extension of intraductal papillomas of the breast: a three-dimensional reconstruction study. Breast Cancer Res Treat 1984;4:117-28. [4] Otterbach F, Bankfalvi A, Bergner S, Decker T, Krech R, Boecker W. Cytokeratin 5/6 immunohistochemistry assists the differential diagnosis of atypical proliferations of the breast. Histopathology 2000;37:232-40. 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M ESBAH 1b, V. LAVOUÉ 2, V. QUILLIEN 1b, C. B ENDAVID ATHIAS 1b (Rennes) Résumé La technique du ganglion sentinelle (GS) est un facteur prédictif important d’atteinte ou non des ganglions non sentinelles. Elle évite le curage axillaire lorsqu’il ne présente pas de métastase et permet donc une diminution du risque de complications du membre supérieur liées au curage. La technique OSNA a été adoptée dans notre établissement comme une technique d’examen du GS, elle permet de rechercher la présence de métastases, le résultat est définitif en extemporané. Notre étude présente l’expérience au CRLCC (centre régional de lutte contre le cancer) Eugène Marquis depuis l’implémentation de la technique OSNA en 2008. L’analyse des GS a été réalisée avec OSNA pour plus de 1 000 patientes à ce jour. Le taux de positivité des GS avec OSNA 1 - Centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis - Rue de la Bataille FlandresDunkerque - CS 44229 - 35042 Rennes cedex a - Département de biologie b - Institut rennais du sein - Département de chirurgie 2 - CHU Anne de Bretagne - Département de gynécologie - 16 boulevard de Bulgarie BP 90347 - 35203 Rennes cedex 2 * Correspondance : [email protected] 343 GODEY & COLL. de 24,4 % dans une cohorte de 258 patientes présentant un carcinome infiltrant (< 2 cm) est non significativement différent du taux de positivité des GS de 23,4 % obtenu avant l’implémentation de la technique OSNA par une technique histologique conventionnelle dans une cohorte de 355 patientes présentant le même type de tumeur. Néanmoins il a été relevé quelques différences non validées statistiquement vraisemblablement liées à la méthode OSNA qui analyse le ganglion dans sa globalité et donc détecterait plus de petites métastases que l’analyse histologique. Les résultats OSNA sont semi-quantitatifs, cependant le nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié considéré comme une valeur quantitative continue est corrélé significativement au risque d’envahissement des ganglions de curage. La méthode est standardisée, donne un résultat définitif en 30 minutes pour un GS à condition d’avoir mis en place une procédure de coordination pluridisciplinaire. Mots clés : cancer du sein, ganglion sentinelle, analyse moléculaire, curage axillaire Déclaration publique d’intérêt Nous soussignées, Cécile Bendavid Athias et Florence Godey, déclarons ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect avec un organisme privé industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION La technique du ganglion sentinelle (GS) est un facteur prédictif important d’atteinte ou non des ganglions non sentinelles. Elle évite le curage axillaire lorsqu’il ne présente pas de métastase et permet donc une diminution du risque de complications du membre supérieur liées au curage, améliorant ainsi la qualité de vie des patientes [1]. Les protocoles d’analyse du ganglion sentinelle varient d’un centre à l’autre : certains réalisent un examen extemporané cytologique ou histologique, d’autres non du fait de la faible sensibilité. 344 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... Pourtant l’examen extemporané présente l’avantage de pouvoir pratiquer le curage axillaire dans le même temps opératoire s’il s’avère nécessaire, et ainsi de diminuer les risques de morbidité, l’atteinte psychologique et les coûts générés par une seconde intervention. Les analyses histologiques extemporanées reposent sur l’analyse de coupes congelées ou d’empreinte. Cette dernière n’a pas une bonne sensibilité du fait de la faible quantité de tissu analysé (50 % pour la détection des macrométastases et 10 % pour les micrométastases) [2]. L’analyse de coupes congelées présente une sensibilité légèrement meilleure au prix d’une perte de tissu ganglionnaire pour l’analyse histologique définitive en paraffine [3, 4]. La technique moléculaire OSNA permet un résultat définitif extemporané de même sensibilité et spécificité que l’examen histologique standard (coloration H&E et immunohistochimie). Le principe repose sur la détection de l’amplification de l’ARNm de la CK19, qui normalement n’est pas retrouvé dans le ganglion axillaire sauf en cas d’atteinte métastatique [5]. Cette technique donne un résultat semi-qualitatif : absence de métastase, micrométastase, macrométastase. La concordance de la méthode OSNA avec l’histologie standard est excellente [6]. Plusieurs études de validation suite à la première publication ont confirmé que la technique OSNA présentait une bonne sensibilité et spécificité pour l’analyse GAS [7-11]. La technique OSNA a été adoptée dans notre établissement comme une technique d’examen extemporané du GS. Notre étude présente l’expérience au CRLCC Eugène Marquis depuis l’implémentation de la technique OSNA en 2008. I. MATÉRIEL ET MÉTHODES I.1. Analyse des GS La détection des GS est effectuée au centre Eugène Marquis avec une méthode combinée en injectant un colloïde marqué au technétium 99 la veille de l’intervention et du bleu patenté au démarrage de la chirurgie. La recherche du GS constitue le premier temps opératoire (avant incision mammaire). Le prélèvement chirurgical de tous les ganglions dits « chauds » et/ou bleus, ou suspects cliniquement est réalisé. 345 GODEY & COLL. Avant l’implémentation de la méthode OSNA tous les GS étaient analysés par l’examen d’empreinte cytologique en extemporané, puis par histologie définitive postopératoire. L’analyse histologique définitive du GS était effectuée sur des coupes de 2 mm analysées tous les 250 µm après coloration à l’hématoxiline éosine ; si aucune métastase n’était détectée par cette coloration, l’analyse était complétée par une analyse en immunohistochimie (AE1/AE3 clones, Dako, Trappes, France). Depuis l’implémentation de la technique OSNA en octobre 2008 jusqu’en avril 2011, tous les GS identifiés et analysés avec OSNA ont été confiés à l’anatomopathologiste en extemporané pour réalisation d’une empreinte cytologique à la recherche de cellules tumorales, et la conservation d’une tranche centrale d’un mm d’épaisseur pour une analyse histologique selon le protocole habituel histologique, puis tout le reste des GS a été analysé après broyage avec la méthode OSNA, Depuis mai 2011, tous les GS sont analysés en totalité avec la méthode OSNA en extemporané et seule une empreinte cytologique est conservée. L’analyse des GS a été réalisée avec la technique moléculaire OSNA au centre Eugène Marquis pour plus de 1 000 patientes à ce jour. I.2. La méthode OSNA C’est une technique moléculaire consistant en l’amplification de l’ARN messager de la cytokératine 19 (CK19) par Reverse Transcription Loop Mediated Amplification (RT LAMP) sur lysat ganglionnaire. L’ARNm de la CK19 a été choisi car ce marqueur moléculaire est spécifique des cellules épithéliales normalement non présentes dans les ganglions lymphatiques, son niveau d’expression est élevé dans les cellules tumorales mammaires, donc il présente des niveaux d’expression très différents dans les ganglions envahis ou non. La technique d’amplification par RT LAMP est hautement spécifique et sensible (utilisation de 6 amorces, pas d’amplification d’ADN génomique), de plus cette amplification est rapide, isothermique à 65 °C et totalement automatisée (RD100i Sysmex) sans extraction d’ARNm. La préparation du lysat ganglionnaire est standardisée, la totalité du ganglion peut être étudiée, ou bien une coupe peut être conservée pour analyse histologique. Actuellement il n’existe pas de consensus, pour les études de validation de la technique OSNA, les ganglions ont 346 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... été partagés en coupes alternées, une pour l’analyse OSNA, l’autre pour histologie technique de référence, on sait que cela peut générer des biais de localisation d’où l’impossibilité d’avoir une concordance parfaite entre les deux techniques. Dans la pratique, la technique OSNA étant validée, une analyse globale est plus simple pour la préparation des ganglions et l’interprétation des résultats, mais dans ce cas il n’existe aucune trace histologique, seulement du lysat ganglionnaire congelé. Le ganglion doit être pris en charge en extemporané ou congelé rapidement pour l’analyse OSNA. La figure 1 résume le processus OSNA. Figure 1 - Processus OSNA Le résultat OSNA est disponible en 30 min (incluant la préparation du ganglion, la réalisation du lysat, l’amplification et la transmission du résultat) d’où la possibilité de réaliser l’analyse en extemporané. Le résultat est semi-quantitatif en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié par µl de lysat. Pour chaque ganglion l’analyse OSNA est réalisée en double sur lysat pur et dilué au 1/10e. Le résultat est soit négatif (absence de métastase), soit présence d’une micrométastase, soit présence d’une macrométastase. Dans l’échantillon dilué on peut parfois détecter une amplification d’ARNm CK19 alors que rien n’est détecté dans l’échantillon pur, il s’agit dans ce cas d’une réaction dite « positive par inhibition » +(I). Cette situation complexe ne permettra pas toujours d’évaluation semi-quantitative de la métastase car cela reflète la présence d’inhibiteur de la réaction d’amplification dans le lysat ganglionnaire. Le tableau 1 récapitule l’interprétation des résultats. 347 GODEY & COLL. Tableau 1 - Interprétation des résultats OSNA fonction nombre de copies ARNm CK19 détectées dans le lysat pur et dilué au 1/10e Nombre de copies ARNm CK19 /µl de lysat pur Nombre de copies ARNm CK19 /µl de lysat dilué Résultats RD-100i Rapport Sysmex Interprétation du résultat < 250 < 250 (-) Absence de métastase > 250 et < 5000 < 5000 (+) Micrométastase > 5000 quel que soit le nb (++) Macrométastase < 250 > 250 et < 5000 (+) i Métastase non quantifiable > 250 et <5000 > 5000 (+) i Macrométastase < 250 > 10 000 (+) i Macrométastase Cellules grisées : modifications dans l’interprétation par rapport à la version initiale du fournisseur II. RÉSULTATS II.1. Étude de corrélation entre la méthode OSNA et la méthode histologique conventionnelle [12] Trois cent soixante-sept patientes opérées d’un cancer du sein avec biopsie du ganglion sentinelle (GS) analysé en peropératoire avec la méthode OSNA d’octobre 2008 à juin 2010 ont été incluses dans cette étude rétrospective (cohorte OSNA totale). La biopsie du GS a été réalisée pour les patientes présentant des tumeurs mammaires unifocales de moins de 2 cm, sans envahissement clinique des ganglions axillaires, et sans antécédent de chirurgie mammaire homolatérale. Quelques patientes avec des tumeurs de plus de 2 cm à l’analyse histologique définitive ont été incluses car la taille tumorale avait été sous-estimée avant la chirurgie. Tous les GS ont été analysés avec la méthode OSNA en peropératoire. Un curage axillaire complémentaire dans le même temps opératoire a été systématiquement réalisé selon les préconisations quand au moins un GS présentait une métastase détectée par l’analyse moléculaire, quelle que soit la taille de celle-ci. Une cohorte historique de 355 patientes opérées d’un cancer du sein, avec biopsie du ganglion sentinelle (GS) avant octobre 2008 analysé en postopératoire avec une analyse histopathologique conventionnelle, a été incluse dans cette étude rétrospective afin de comparer les résultats obtenus avec la nouvelle technique OSNA en peropératoire versus la méthode classique histologique postopératoire auparavant utilisée dans notre institution. Les résultats de l’analyse de cette cohorte historique ont 348 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... été publiés [2], cette cohorte inclut des patientes présentant des tumeurs mammaires invasives canalaires ou lobulaires de moins de 2 cm, c’est pourquoi toutes les patientes présentant des tumeurs mammaires de plus de 2 cm, et celles présentant des tumeurs in situ ont été exclues de la cohorte OSNA pour la comparaison. Les taux d’envahissement des GS selon les deux méthodes OSNA peropératoire (cohorte OSNA restreinte pour comparaison) ou histopathologie définitive postopératoire (cohorte historique) ont ainsi été comparés dans des populations similaires opérées dans la même institution, selon les mêmes préconisations avec la même équipe chirurgicale. Le tableau 2 présente les caractéristiques des patientes des différentes cohortes et la figure 2 les patientes sélectionnées dans l’étude. Tableau 2 - Population de patients et caractéristiques tumorales OSNA total cohorte OSNA cohorte pour comparaison avec cohorte historique Cohorte historique Nombre de patients 367 258 355 Âge moyen des patients (années) 56,8 56,8 56,9 Histologie Taille de la tumeur Grade SBR Carcinome canalaire 248 212 313 Carcinome lobulaire 60 46 42 Carcinome in situ 43 Autres carcinomes 16 1a 21 19 16 1b 104 93 125 1c 148 146 214 2 50 Valeurs manquantes 44 1 94 2 171 3 68 Valeurs manquantes 34 Récepteurs hormonaux Estrogène/progestérone + 300 Estrogène/progestérone - 51 HER2 + 21 Triple négative 29 Grade SBR : grade histopronostique de Scarff Blum et Richardson en 3 grades. Taille tumorale selon la classification TNM. 349 GODEY & COLL. Figure 2 - Répartition des patients sélectionnés rétrospectivement dans l’étude 350 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... Les taux d’envahissement des GS avec la méthode histologique réalisée dans notre institution ou avec la méthode OSNA ne sont pas significativement différents dans une population de patientes présentant des cancers du sein infiltrants < 2 cm. Le taux d’envahissement des GS est de 24,4 % dans la cohorte OSNA versus 23,4 % dans la cohorte histologique en considérant les micrométastases et les macrométastases, et 24,8 % en incluant les cellules tumorales isolées. Les taux d’envahissement des ganglions axillaires non sentinelles dans la cohorte OSNA sont comparables à ceux décrits dans la littérature en réalisant une analyse histologique des GS (Tableau 3). Tableau 3 - Présence de métastases dans les ganglions du curage axillaire chez les patientes présentant au moins un GS+ OSNA % patientes GS+ OSNA Résultats OSNA patientes GS+ % patientes avec métastases dans les ganglions du curage Corrélation entre les métastases dans le GS et les métastases dans les ganglions du curage Carcinome canalaire 27,8 % (69/248) 30 macrométastases 26 micrométastases 13 métastases avec inhibition 33,3 % (10/30) 11,5 % (3/26) 7,6 % (1/13) P < 0,0001 P = 0,0129 NS Carcinome lobulaire 30,0 % (18/60) 10 macrométastases 6 micrométastases 2 métastases avec inhibition 40 % (4/10) 16,6 % (1/6) (0/2) 0 P = 0,002 Toutefois dans cette première évaluation nous avons mis en évidence un taux d’envahissement des GS relativement élevé pour les petites tumeurs infiltrantes T1a (Figure 3), cependant la différence n’est pas statistiquement significative. Pour les tumeurs in situ, compte tenu du faible effectif un recueil de données complémentaires a été décidé. II.2. Analyse OSNA et tumeur mammaire in situ Résultats de l’analyse OSNA des GS de 61 patientes opérées d’un carcinome intracanalaire étendu : un envahissement des GS pour 8 patientes (13,1 %) a été détecté, toujours des petites métastases dans un seul GAS, à l’exception d’une patiente qui a présenté des micrométastases dans les 3 GAS prélevés. Pour 2 patientes l’analyse histologique a retrouvé des cellules tumorales isolées sur la tranche centrale et l’analyse OSNA était négative. Pour 5 patientes un curage 351 GODEY & COLL. Figure 3 - Comparaison de l’analyse OSNA (cohorte OSNA) et de l’analyse histologique conventionnelle (cohorte historique) pour la détection de métastases dans les ganglions sentinelles selon la taille tumorale axillaire a été réalisé en même temps que la biopsie du GAS compte tenu du résultat OSNA en extemporané, aucun envahissement des ganglions de curage n’a été détecté en histologie. II.3. Nombre de copies d’ARNm CK19 et évaluation du risque d’envahissement des ganglions axillaires non sentinelles Trois cent cinquante-deux patientes, 266 opérées au CRLCC Eugène Marquis de Rennes et 86 au CRLCC Henri Becquerel de Rouen ayant un ganglion sentinelle (GS) positif selon la technique d’analyse OSNA ont été analysées rétrospectivement. Les différentes caractéristiques épidé-miologiques et histologiques de la population sont résumées dans le tableau 4. Une analyse statistique a divisé la population étudiée en 4 quantiles en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19/µl dans les GS métastatiques. Un quantile correspondant à 25 % des patientes pour lesquelles le nombre de copies d’ARNm CK19 dans les GS métastatiques est compris dans les valeurs ci-après : 352 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... – – – – quantile quantile quantile quantile 1 2 3 4 : : : : 250 < GS < 830, 830 < GS < 4 350, 4 350 < GS < 25 500, 25 500 < GS < 8 300 000. La population étudiée ayant un GS+ et un curage axillaire complémentaire représente un effectif de 302 patientes dont 70 avec un envahissement métastatique d’un ganglion axillaire non sentinelle, soit 23 %. Le taux d’envahissement des ganglions axillaires non sentinelles en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 dans les GS est Tableau 4 - Description épidémiologique et histologique de la population GS+ OSNA Grade SBR : grade histopronostique de Scarff Blum et Richardson en 3 grades. Taille tumorale selon la classification TNM. 353 GODEY & COLL. présenté dans le tableau 5. Le nombre de copies d’ARNm CK19 défini en quantile est prédictif de l’envahissement ganglionnaire du curage axillaire de façon statistiquement significative (p = 0,0002). Tableau 5 - Présence de métastases dans les ganglions du curage axillaire chez les patientes présentant un carcinome invasif GS+ en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié et défini en quantile La première ligne donne le nombre (N) de patientes et la deuxième le pourcentage (%) de chaque quantile Q1, Q2, Q3, Q4 : quantiles 1, 2, 3 et 4. La population étudiée a été restreinte aux patientes présentant un carcinome canalaire infiltrant (Tableau 6) puis à la population carcinome canalaire infiltrant avec récepteurs hormonaux positifs (Tableau 7). Le nombre de copies d’ARNm CK19 défini en quantile est prédictif de l’envahissement ganglionnaire du curage axillaire de façon statistiquement significative (p = 0,04) uniquement pour la population carcinome canalaire infiltrant avec récepteurs hormonaux positifs. Dans une population restreinte aux patientes présentant un carcinome lobulaire infiltrant (Tableau 8), le nombre de copies d’ARNm CK19 définies en quantile est très similaire à celui de la population globale étudiée (seuil pour chaque quantile non significativement différent) et de plus très prédictif de l’envahissement ganglionnaire du curage axillaire, et ce de façon statistiquement significative (p = 0,015). 354 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... Tableau 6 - Présence de métastases dans les ganglions du curage axillaire chez les patientes présentant un carcinome canalaire GS+ en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié La première ligne donne le nombre (N) de patientes et la deuxième le pourcentage (%) de chaque quantile Q1, Q2, Q3, Q4 : quantiles 1, 2, 3 et 4. Tableau 7 - Présence de métastases dans les ganglions du curage axillaire chez les patientes présentant un carcinome canalaire GS+/ récepteurs hormonaux + en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié et défini en quantile La première ligne donne le nombre (N) de patientes et la deuxième le pourcentage (%) de chaque quantile Q1, Q2, Q3, Q4 : quantiles 1, 2, 3 et 4. 355 GODEY & COLL. Tableau 8 - Présence de métastases dans les ganglions du curage axillaire chez les patientes présentant un carcinome lobulaire et GS+ en fonction du nombre de copies d’ARNm CK19 amplifié et défini en quantile La première ligne donne le nombre (N) de patientes et la deuxième le pourcentage (%) de chaque quantile Q1, Q2, Q3, Q4 : quantiles 1, 2, 3 et 4. III. DISCUSSION III.1. La technique OSNA OSNA donne un résultat définitif et fiable en extemporané de l’analyse des GS. La fiabilité d’un examen extemporané est bénéfique pour les patientes : il évite une seconde intervention et permet de mettre en route les traitements adjuvants rapidement quand c’est nécessaire. Dans la première étude rétrospective comparant la pratique OSNA à l’analyse histologique des GS [12], il a été mis en évidence que l’analyse OSNA donne des résultats tout à fait comparables aux résultats qui étaient obtenus après examen histologique standard pour les patientes présentant une lésion invasive mammaire < 2 cm, avec un taux de positivité des GS avec OSNA de 24,4 % versus 23,4 % en histologie. Toutefois la technique OSNA semble détecter plus de métastases sur les GS pour les petites tumeurs T1a que la technique histologique standard (15,8 % versus 0 %, non significatif). Dans l’étude complémentaire réalisée pour des patientes opérées d’un cancer in situ avec une biopsie du ganglion sentinelle, on retrouve également un taux 356 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... de positivité élevé de 13,1 %. La présence de cellules mammaires non tumorales dans les GS responsables de faux positifs (OSNA+) a été évoquée mais ce phénomène est semble-t-il exceptionnel selon les études histologiques, de plus les cellules mammaires normales exprimant moins la CK19 que les cellules tumorales et étant en petit nombre, il paraît peu probable que leur présence entraîne une positivité du test OSNA. Il serait par ailleurs étonnant d’avoir des faux positifs OSNA uniquement pour les T1a et in situ alors que pour les tumeurs T1b, T1c les résultats sont tout à fait concordants entre les deux techniques OSNA ou histologie, or les modalités de repérage et d’analyse sont les mêmes. On peut plutôt envisager que l’analyse de tout le GS permet de quantifier des cellules tumorales isolées disséminées, ce qui est impossible avec l’analyse histologique car même avec des coupes multiples la totalité du tissu ganglionnaire ne peut pas être examinée [13]. L’analyse OSNA reflète le volume tumoral global dans tout le GS et ne distingue pas une micrométastase d’un volume de cellules tumorales disséminées dans tout le GS (équivalent au volume tumoral d’une micrométastase). Ce signal qui permettrait de détecter de toutes petites métastases a-t-il une pertinence clinique pour le traitement des petites tumeurs infiltrantes, le sujet est largement débattu puisque certains préconisent de ne plus rechercher les micrométastases, mais ce point de vue est toutefois loin de faire consensus. Dans le cas des cancers in situ où la présence de cellules métastatiques dans les ganglions axillaires, quelle que soit la taille de la métastase, est impossible en l’absence d’infiltrant, le signal a une autre signification et doit faire évoquer un carcinome infiltrant associé à l’in situ. Dans la première étude nous avons pu vérifier que la classification semi-quantitative OSNA en micrométastase et macrométastase est bien corrélée à l’atteinte métastatique des ganglions non sentinelles, avec des résultats semblables à ceux obtenus en analysant le GS avec les techniques histologiques. Dans la dernière étude en cours nous abordons une interprétation plus précise en considérant OSNA non plus en semiquantitatif mais comme une donnée quantitative continue basée sur le nombre de copies d’ARNm CK19, et notre analyse permet de confirmer les seuils cliniques qui avaient été établis pour OSNA autour de 5 000 copies d’ARNm CK19 quel que soit le type histologique pour séparer les micrométastases et les macrométastases. En effet pour un nombre de copies supérieur à 4 350 les taux d’envahissement des ganglions de curage axillaire sont proches de ceux connus dans la littérature d’environ 40 % [14, 15], en cas de macrométastases du GS, et pour un nombre de copies > 250 et < 4 350 le taux d’envahissement des ganglions de curage axillaire est proche de ceux connus dans la 357 GODEY & COLL. littérature pour les micrométastases, avec un risque d’atteinte des ganglions non sentinelles de 14 % [16]. On note une augmentation très importante du risque d’envahissement des ganglions de curage en présence de carcinome lobulaire atteignant 65 % quand le nombre de copies dans le GS métastatique est > 25 500. La question est maintenant de savoir comment mieux exploiter l’information donnée par OSNA. Un nomogramme intégrant le nombre de copies de l’ARNm de la CK19 dans le GS, le profil histologique et moléculaire tumoral, est en cours d’élaboration au niveau européen de façon à prédire au mieux le risque d’atteinte métastatique des ganglions non sentinelles. Il subsiste actuellement un problème de quantification de la métastase avec l’analyse moléculaire dans quelques cas, lié à un phénomène d’inhibition de la réaction d’amplification. Ce phénomène est détecté en présence d’un nombre de copies d’ARNm CK19 dans l’échantillon dilué supérieur à celui retrouvé dans l’analyse de l’échantillon pur, des investigations sont en cours pour résoudre ce problème et distinguer une micrométastase d’une macrométastase. La technique OSNA est bien standardisée, de cette façon les résultats sont tout à fait comparables d’une institution à une autre. La seule différence qui persiste c’est l’intégration de la totalité du GS pour l’analyse OSNA pour certains et la préservation pour d’autres d’une tranche centrale pour une analyse histologique. À l’issue de l’analyse et de la publication de nos premiers résultats retrouvant une parfaite concordance entre les deux techniques moléculaire ou histologique, nous avons décidé d’analyser tout le GS avec OSNA et de ne garder qu’une empreinte histologique. Cette option présente l’avantage de donner le résultat définitif en extemporané, sans analyse histologique secondaire sur une partie du GS, l’interprétation du résultat, notamment la quantification en cas de métastases, est plus simple qu’un résultat obtenu en compilant les résultats de deux analyses, de plus cela réduit le coût en évitant l’analyse histologique. Par contre en broyant tout le GS pour l’analyse moléculaire, il n’est pas préservé de tissu pour des analyses histologiques complémentaires mais juste une image cytologique par empreinte, mais le lysat est conservé et des techniques moléculaires complémentaires sont réalisables. Le problème d’une sous-expression dans certains cas de la CK19 et donc de faux négatifs avec la technique OSNA a justifié pour certains la conservation d’une tranche centrale, pour d’autres la réalisation d’une étude systématique de l’expression de la CK19 par immnohistochimie sur la biopsie tumorale avant la réalisation d’un test OSNA. Actuellement les études retrouvent en immunohistochimie un niveau d’expression de la 358 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... protéine CK19 dans 98 %, voire 100 % des tumeurs mammaires [17, 18], et on sait que même en l’absence d’expression de la protéine il existe une expression de l’ARNm de la CK19 détectable. Finalement le risque de non-expression de l’ARNm CK19 étant inférieur à 0,5 % dans les tumeurs mammaires, la recherche de la CK19 par immunohistochimie sur biopsie tumorale n’est pas préconisée en systématique. III.2. L’organisation chirurgicale autour d’OSNA Dans notre pratique, tous les résultats OSNA sont communiqués en peropératoire directement aux chirurgiens sauf dans 3 cas pour des problèmes techniques OSNA. Le résultat pour l’étude d’un ganglion par OSNA peut être obtenu en 30 minutes, et 5 minutes supplémentaires pour chaque ganglion en plus. Ces délais doivent être pris en considération pour l’organisation du bloc opératoire. Si parfois la gestion du bloc opératoire ne permet pas d’attendre les résultats, nous proposons de rendre les résultats OSNA en différé, comme pour l’histologie définitive ; le bénéfice de l’extemporané est perdu mais les avantages de la technique OSNA (sa reproductibilité, et l’étude du ganglion en entier) sont maintenus. III.3. Intérêt de l’examen extemporané et l’essai ACSO Z0011 [19, 20] L’essai ACSO Z0011 est une étude randomisée montrant qu’il n’y avait pas de différence significative en termes de survie globale et de survie sans récidive après curage complémentaire versus pas de curage lorsque le GS était métastatique (micrométastase ou macrométastase), et ce quel que soit le profil histologique tumoral, à partir du moment où ces patientes bénéficiaient d’un traitement systémique (chimiothérapie, hormonothérapie) et d’une radiothérapie locale. Cette étude s’est arrêtée après inclusion de 1 900 patientes alors que 6 000 inclusions étaient prévues, faute d’incident. Par ailleurs, les champs d’irradiation ne sont pas clairement détaillés. Quoi qu’il en soit, cette étude, comme le Z0010, le NSABP 12 et l’IBCSG, provoque discussions et réflexions sur l’attitude à adopter devant une micrométastase voire une macrométastase du GS. Le PHRC SERC randomisant CA versus pas de curage pour toutes les micro- et macrométastases détectées dans le GS va, nous l’espérons, nous éclaircir sur cette prise en charge. 359 GODEY & COLL. Aujourd’hui, la place de l’extemporané est justifiée pour la détection au moins des macrométastases et pour les micrométastases lorsque le traitement systémique n’est pas validé. Dans notre équipe, nous poursuivons l’utilisation d’OSNA en extemporané pour ces raisons mais la décision de curage axillaire dans le même temps pour certains cas est plus tempérée, préférant l’attente de tous les résultats histologiques et de la discussion en comité pluridisciplinaire à la réalisation d’un curage finalement non justifié. Dans ce cas la technique OSNA est utilisée en différé, mais reste pour nous la technique de référence, du fait de sa reproductibilité et de l’analyse du ganglion en entier. III.4. Coût de l’analyse Nous n’avons pas réalisé d’étude du coût dans notre étude mais 2 études, la première avec Genesearch BLN (Veridex, LLC Warren, NJ) [21], la seconde avec OSNA montrent une économie pour l’établissement hospitalier utilisant la technique moléculaire extemporanée grâce à un gain d’hospitalisation [22]. Là encore, le STIC SAGE va nous aider à répondre à cette question. CONCLUSION La technique OSNA est une méthode d’analyse des ganglions sentinelles, les résultats sont concordants avec l’analyse histologique, mais il existe quelques différences subtiles vraisemblablement liées à la méthode qui analyse le ganglion dans sa globalité et donc détecte plus de petites métastases. La méthode est standardisée et le résultat est disponible en 30 minutes pour l’analyse d’un GS à condition d’avoir mis en place une procédure de coordination pluridisciplinaire. La technique OSNA n’est pas uniquement une analyse extemporanée, c’est également un résultat définitif qui peut être traité en différé. Le STIC SAGE va nous aider à évaluer son coût. Un nomogramme intégrant le nombre de copies de l’ARNm de la CK19 dans le GS, le profil histologique et moléculaire tumoral, devrait permettre de prédire au mieux le risque d’atteinte métastatique des ganglions non sentinelles. Le PHRC SERC devrait répondre à la question curage versus non curage en présence de métastases du GS. 360 OSNA - POUR L’ANALYSE DES GANGLIONS SENTINELLES DES PATIENTES OPÉRÉES D’UN CANCER DU SEIN... Bibliographie [1] Fleissig A, Fallowfield LJ, Langridge CI, Johnson L, Newcombe RG, Dixon JM, Kissin M, Mansel RE. Post-operative arm morbidity and quality of life. Results of the ALMANAC randomised trial comparing sentinel node biopsy with standard axillary treatment in the management of patients with early breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2006;95:279-93. [2] Lorand S, Lavoué V, Tas P, Foucher F, Mesbah H, Rouquette S, Bendavid C, Coue O, Poree P, Levêque J. Intraoperative touch imprint cytology of axillary sentinel nodes for breast cancer: a series of 355 procedures. Breast 2011; 20:119-23. [3] Fritzsche FR, Reineke T, Morawietz L, Kristiansen G, Dietel M, Fink D, Rageth C, Honegger C, Caduff R, Moch H, Varga Z. 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