OPHTALMOLOGIE
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décembre
2395
Œil et cancer
Le cancer implique rarement l’œil et risque d’être reconnu tardi-
vement. Les tumeurs intraoculaires primaires les plus fréquentes
sont le rétinoblastome chez l’enfant et le mélanome uvéal chez
l’adulte.
Le diagnostic différentiel d’une baisse de vision dans un contexte
de cancer systémique est varié. Des métastases uvéales sont sou-
vent associées au cancer du sein ou du poumon. Un masquerade
syndrome est l’atteinte oculaire, pseudo-inflammatoire, d’un lym-
phome primaire non hodgkinien du système nerveux central. Un
traitement oncologique médicamenteux ou radique peut induire
une toxicité, souvent rétinienne. Les syndromes paranéoplasiques,
rares, sont causés par des anticorps anticancéreux réagissant
contre la rétine. Si le cancer touche l’œil, référer le patient rapi-
dement vers un centre spécialisé pourra faire la différence aux
niveaux pronostiques vital et visuel.
Eye and Cancer
Cancer involves so rarely the eye that it may be recognized late. The
most frequent primary intra-ocular tumours are retinoblastoma in
small children and uveal melanoma in adults.
Vision loss in systemic cancer has a varied differential diagnosis.
Uveal metastases are most often associated with breast cancer, but
can herald lung carcinoma. Masquerade syndrome looks like infllam-
mation but represents the ocular involvement of primary CNS non-
Hodgkin lymphoma. Systemic cancer drugs, as well as radiotherapy,
can cause ocular toxicity, mostly at the retina. In the rare paraneo-
plastic syndromes, patient’s cancer antibodies cross-react with re-
tinal antigens, leading to severe vision loss. When cancer involves
the eye, a fast referral into specialized care can signifiicantly improve
visual and vital prognosis.
INTRODUCTION
Les yeux sont si rarement concernés par le cancer, que beau-
coup de médecins, ophtalmologues inclus, n’en considèrent
pas la possibilité dans leur réflexion clinique quotidienne. Cet
article fournit les informations-clés pour les praticiens.
L’ŒIL SIÈGE D’UNE TUMEUR PRIMAIRE
Les tumeurs intraoculaires primaires les plus fréquentes à
l’échelle mondiale sont d’abord le rétinoblastome, ensuite le
mélanome uvéal.
Rétinoblastome tumeur du petit enfant
Le rétinoblastome est une tumeur de la rétine immature, par-
tant du précurseur des cônes.1 Avec une incidence d’environ
1 / 20 000 naissances, 90 % des cas se présentent avant l’âge de
trois ans, dont 40 % sont héréditaires, suivant une transmissi-
bilité autosomique dominante. Le signe d’appel le plus notoire
est la leucocorie (environ 60 %) (figure 1A), nécessitant un exa-
men du fond d’œil dans les jours qui suivent sa découverte.
Moins connu est le fait qu’un rétinoblastome maculaire peut se
présenter par un strabisme (environ 20 %) dont la prise en charge
initiale ne doit jamais tarder en y incluant toujours une ophtal-
moscopie. Des signes atypiques, tels qu’inflammatoires, consti-
tuent les 20 % résiduels des tableaux de présentation.
Prise en charge
Dès que le diagnostic est suspecté, l’enfant doit être référé vers
un centre spécialisé, et l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à
Lausanne a été certifié par la MHS (Médecine hautement spé-
cialisée) comme seul centre de référence pour toute la Suisse.
Sous anesthésie générale, on y déterminera le groupe (A, B, C,
D ou E) auquel appartient la maladie locale, uni ou bilatérale,
selon la classification internationale, qui corrèle présentation
clinique, indications thérapeutiques et pronostic. L’énucléa-
tion, qui constituait pendant longtemps la seule option théra-
peutique, a d’abord fait place à la radiothérapie externe, puis
à la chimiothérapie intraveineuse, complétée par des traite-
ments focaux (laser, cryothérapie ou plaque radioactive). Ré-
cemment, le traitement conservateur a connu une avancée si-
gnificative grâce aux chimiothérapies locales (intra-artérielle 2 ou
intravitréenne),3 permettant un contrôle local de la tumeur sur
une durée thérapeutique moyenne de sept mois.
Dans le monde occidental, le pronostic vital est devenu excellent,
de l’ordre de 95 à 98 %. La cause du décès, chez les cas hérédi-
taires, est en relation avec les tumeurs associées, comme le
pinéaloblastome ou les tumeurs secondaires telles que l’os-
téosarcome, qui peut se développer même en zone non irra-
diée. Le pronostic visuel dépend de la localisation de la (des)
tumeur(s) par rapport au pôle postérieur.
Mélanome uvéal tumeur de l’adulte
Le mélanome uvéal se développe à partir des mélanocytes de
l’iris, du corps ciliaire, ou de la choroïde (figure 1B). Avec une
incidence d’environ six à sept nouveaux cas / million de person-
nes / année chez les Caucasiens, surtout adultes, c’est la tumeur
intraoculaire la plus fréquente en pratique clinique occiden-
tale. Le mélanome, pratiquement toujours unilatéral, ne devient
symptomatique que lorsqu’il interfère avec l’anatomie respon-
sable de la fonction visuelle, provoquant une perte de la vision
unilatérale non spécifique. Par exemple, un soulèvement de la
rétine sus-jacente peut causer des métamorphopsies comme dans
la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), ainsi que des
flashes de lumière ou un scotome comme dans le décollement de
rétine rhegmatogène. Des mouches volantes peuvent témoigner
d’une hémorragie ou une dispersion de pigment intravitréennes.
Un changement de réfraction ou un voile progressif sont parfois
Drs ANN SCHALENBOURG a et IRMELA MANTELa
Rev Med Suisse 2015 ; 11 : 2395-8
a Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, Avenue de France 15, 1004 Lausanne
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