Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°41 11 mai 2005
L'ISLAMISME EN AFRIQUE DU NORD IV:
CONTESTATION ISLAMISTE EN MAURITANIE:
MENACE OU BOUC ÉMISSAIRE?
SYNTHÈSE
Ignorée par les médias et les chancelleries internationales,
la Mauritanie vit une période d'instabilité croissante.
Tentatives de putschs avortés, formation du mouvement
rebelle, Foursan Taghyir (Les Cavaliers du Changement),
découverte de caches d'armes à Nouakchott, arrestations
de dirigeants islamistes: les signes ne manquent pas.
Dans le discours officiel, le problème de la stabilité
politique tend à être lié à la question de l'Islamisme. La
réalité est bien moins simple. Le régime d'Ould Taya
profite de la situation internationale (lutte contre le
terrorisme mondial) pour légitimer un déni de démocratie
et accréditer la thèse de l'accointance des islamistes avec
les rebelles, afin de les déconsidérer. Ce faisant, il prend
le risque de conduire l'État mauritanien dans une impasse
en le rendant dangereusement dépendant du soutien
américain face à une contestation interne grandissante.
Miser sur le soutien extérieur pour réprimer un soi-disant
terrorisme islamiste local qui, à l'heure actuelle, n'existe
guère, relève plus de la fuite en avant que d'une stratégie
réfléchie, et pourrait à terme s'avérer une très coûteuse
erreur.
La mouvance islamiste mauritanienne se manifeste de
plusieurs manières: les associations caritatives, les
organisations de prêche (la Jema'at al-Da'wa wa 'l-
Tabligh étant la mieux implantée), et une nébuleuse de
groupuscules politiques proches de l'idéologie des
Wahhabites, des Frères Musulmans et de penseurs comme
le tunisien Rachid Ghannouchi ou le soudanais Hassan
al-Tourabi. Le faible degré d'organisation politique
provient de l'interdiction de constituer des partis politiques
d'opposition avant l'ouverture démocratique de 1991 et,
depuis, d'une ordonnance relative à l'organisation des
partis dont le pouvoir actuel se sert pour garder les
islamistes en dehors du champ politique. Une première
tentative d'unification des différents courants politiques
avait eu lieu au milieu des années 1990 et s'était soldée
par l'arrestation de ses leaders.
Si l'expression politique de l'islamisme est limitée, les
sympathisants de cette idéologie sont de plus en plus
nombreux. L'islamisme se développe surtout dans les
villes (Nouakchott, Nouadhibou, Rosso, Zouérat), au
sein de certaines populations comme les Haratines
(ancienne couche servile de la société qui constitue
aujourd'hui l'essentiel du sous-prolétariat urbain) ainsi
que chez les jeunes sortis sans véritable qualification du
système d'éducation arabisé et qui échouent sur un
marché du travail complètement déprimé. La réforme
de l'éducation, qui a introduit massivement l'arabe au
détriment du français, a été un grave échec, la maîtrise du
français restant un atout considérable sur le marché de
l'emploi. De plus, cet abandon du français a coupé les
nouvelles générations du monde occidental et de ses
valeurs. L'islamisme s'enracine également dans la misère
urbaine, le rejet d'une classe politique corrompue et
l'enterrement du projet démocratique. Le secteur caritatif,
dont l'essentiel des fonds provient des pays du Golfe,
contribue également à son essor. Ces flux économiques
importants ne sont absolument pas contrôlés par l'État,
qui n'a donc aucun moyen de savoir si ces fonds ne sont
effectivement destinés qu'aux actions caritatives et à
l'édification de mosquées.
Une tentative d'unification du courant politique semble
se dessiner autour du Parti de la Convergence
Démocratique (PCD), bien que ce parti ne soit pas
encore reconnu par les autorités. Mais le pouvoir semble
une fois de plus ne pas vouloir accepter les islamistes
dans le champ politique, bien que ceux-ci s'affirment
légalistes et prêts à jouer le jeu démocratique.
Le gouvernement a intérêt à repenser sa stratégie, s'il veut
renforcer l'assise politique interne de l'État. Pour ce faire,
il devrait s'attaquer aux facteurs sociaux qui favorisent la
contestation islamiste, notamment le chômage endémique,
la corruption de la classe dirigeante et la très grande
inégalité dans la répartition des revenus au niveau national.
Il devrait également mener un effort particulier pour
rénover son système éducatif, en se penchant en particulier
sur le cas des élèves issus du système éducatif religieux.
Ce faisant, il donnerait au parti au pouvoir, le Parti