Document de réflexion pour le colloque LES ONG ET LA MONDIALISATION : ACTION LOCALE, INFLUENCE MONDIALE Michael Edwards, David Hulme et Tina Wallace (1) Table des matières Résumé Partie I : Introduction Partie II : L’évolution de la conjoncture mondiale 1. Mondialisation 1.1 Qu’est-ce que la mondialisation? Technologie et culture. 1.2 Les réactions à la mondialisation : le rôle de la société civile 1.3 Les réactions de la société civile à l’échelon local 1.4 Du local au planétaire 2. La réforme de la coopération internationale 2.1 De l’aide à l’étranger aux orientations politiques 2.2 Évolution des rôles : développement des capacités 2.3 Évolution des rôles : mobilisation 2.4 Évolution des relations : l’organisation civique transnationale 3. Aide humanitaire, conflits et consolidation de la paix 3.1 Le désordre de l’après-Guerre froide 3.2 Les ONG et l’action humanitaire : tensions et dilemmes 3.3 Action humanitaire : nouvelles orientations Partie III : Conséquences organisationnelles 1. Les rôles des ONG 2. Les relations entre les ONG 3. Les capacités des ONG 4. Légitimité et responsabilité Partie IV : Conclusion Notes Bibliographie Résumé 1. À l’aube du nouveau millénaire, la situation sur la planète n’a jamais été aussi propice à l’action civique. Le colloque a pour but d’explorer ce filon. Dans le présent document de réflexion, nous décrivons la conjoncture en résumant les grands courants économiques, sociaux et politiques ayant une incidence sur le monde des ONG et en tirant les conclusions qui s’imposent en matière d’action et d’orientation. Trois thèmes connexes sont abordés : mondialisation, inégalité et insécurité; réforme de la coopération internationale au vu de la réduction de l’aide étrangère officielle; dilemmes de l’action humanitaire dans les situations d’urgence politiquement complexes. Notre thèse : ces tendances appellent une réforme en profondeur des rôles, relations, capacités et responsabilités des ONG. Celles qui ne s’adaptent pas se heurteront à un mur. 2. Avec la mondialisation, la pauvreté et l’insécurité prennent des formes inédites – sur les plans intérieur et international – qui nécessitent des mesures nouvelles d’une ampleur planétaire. En tant qu’acteurs de la nouvelle société civile mondiale, les ONG peuvent contrer les forces d’exploitation et d’exclusion en redistribuant les avoirs et les libertés d’action, en intégrant les valeurs sociales dans les mécanismes du marché et en clamant la responsabilité des institutions économiques. Ces questions sont tout ce qu’il y a de plus actuel dans le monde des ONG; le colloque nous offre l’occasion de faire le point sur ce qui se fait et de définir les orientations futures. 3. Avec le déclin de l’aide étrangère, on voit poindre de nouvelles formes de coopération internationale qui consistent à s’adapter au changement en se concentrant plus sur les règles et les normes que sur le transfert de ressources subventionnées. Sur ce plan, la question est la suivante : les régimes de l’avenir profiteront-ils aux plus démunis? Les ONG ont un grand rôle à jouer en ce sens : elles se doivent de mobiliser les populations de leur pays, de créer des alliances transnationales faisant valoir les intérêts des pauvres par des mécanismes de gestion pluralistes, et aider les groupes d’action politique à intervenir sur toutes les tribunes. Cette action est encore embryonnaire, mais elle est déjà assez avancée pour qu’on puisse faire un premier bilan. 4. Les conflits intraétatiques sont le reflet du désordre de l’après-Guerre froide et de l’insécurité engendrée par les injustices mondiales. Prises entre l’ampleur de la souffrance humaine et les atermoiements politiques de la communauté internationale, les ONG se sont vues s’enfoncer dans un fatras de tensions et de dilemmes. Il s’est ensuivi une période sans précédent d’introspection et de révision en profondeur du rôle des ONG sur la scène humanitaire. Alors qu’elles se concentraient autrefois principalement sur les secours immédiats, elles se lancent aujourd’hui dans tout un ensemble de stratégies interreliées de consolidation de la paix, de résolution des conflits, de pressions politiques et d’aide humanitaire en cherchant à obtenir des changements d’ordre structurel autant que des résultats concrets sur le terrain. Nous traiterons de ces dilemmes au colloque. 5. Ces trois tendances convergent vers le besoin de nouvelles formes de solidarité – d’un nouveau « contrat social » – entre les citoyens et les autorités aux différents paliers du système mondial. Si ces nouveaux rapports – partenariats, alliances et autres formes de coopération – servent d’appui aux innovations des ONG, ils les obligent aussi à se transformer : elles doivent compléter l’action pragmatique par l’action politique; elles doivent tisser des liens nouveaux avec les entreprises, avec des organes de l’État, avec l’armée, avec les institutions internationales et avec les autres groupes de la société civile; enfin, elles doivent acquérir de nouvelles capacités pour gérer ces rapports. Quand les relations et les intérêts deviennent complexes et diffus, il est primordial de se doter de mécanismes clairs de reddition de comptes. Si elles veulent éviter la marginalisation en tant que composantes d’un État-providence mondial, les ONG doivent montrer qu’elles ont le droit d’être traitées comme des acteurs de premier plan dans la nouvelle société civile internationale. À l’ère de la mondialisation, les ONG peuvent avoir le monde à leurs pieds. À elles de saisir l’occasion. Partie I : Introduction Au seuil du nouveau millénaire, les ONG participent aux sentiments confus éprouvés par les mondes de la politique, des idées et du militantisme social : on sent une grande fébrilité en songeant aux nouvelles perspectives, mais aussi une inquiétude générale au sujet de l’avenir. Dans le monde des ONG, cette fébrilité tient au potentiel d’action citoyenne que recèle la conjoncture mondiale, potentiel d’une ampleur encore jamais vue. Quant aux inquiétudes, elles découlent de l’incertitude croissante entourant le rôle futur des ONG de développement, et surtout des intermédiaires qui vivent de subventions et sont dépourvus de tout mode démocratique de bonne gestion et de reddition de comptes (2). C’est cette conjonction historique de perspectives prometteuses et de défis que nous examinerons au colloque, tout en traitant de l’intérêt croissant manifesté envers le rôle que peut jouer la coopération internationale dans la limitation des dégâts de l’économie mondiale « de casino ». Le but du présent document est non pas de passer en revue l’état de la recherche ni de l’expérience des ONG, mais plutôt de proposer un cadre propre à alimenter la réflexion des participants et à aider à relier leur action individuelle à la conjoncture générale. Nous commencerons par examiner l’évolution du milieu des ONG de développement international tout en définissant certains problèmes qui s’y rattachent. Ce faisant, nous aborderons trois grandes tendances correspondant aux thèmes sous-jacents à l’ensemble du colloque : • • • la mondialisation, qui transforme le visage de la pauvreté à l’échelle planétaire, accentue les inégalités et accroît l’insécurité dans le monde; la transformation du monde de la coopération internationale, qui réagit à ces réalités nouvelles en délaissant l’aide étrangère au sens strict pour s’intéresser plutôt aux règles, aux normes et aux actions visant à protéger les plus vulnérables; les « situations d’urgence politiquement complexes » illustrant le désordre de l’aprèsGuerre froide, période marquée par une dilution de l’autorité de l’État qui incite les gens à trouver refuge dans leur appartenance ethnique ou religieuse. Au travers de ces trois tendances connexes se révèle le besoin d’une nouvelle forme de solidarité – d’un nouveau « contrat social » – entre les citoyens de différentes polities et les nouvelles structures d’autorité aux différents niveaux du système mondial. Ces nouvelles relations – partenariats, alliances et autres formes de collaboration – fournissent le cadre des innovations des ONG en économie, en politique et en services sociaux. Cependant, pour agir efficacement, les ONG doivent se donner des rôles, des relations et des capacités nouvelles; c’est le sujet de la deuxième partie du présent document. On peut mettre en doute l’opportunité d’une optique aussi vaste et prospective alors qu’il reste encore tant à faire ne serait-ce que pour régler les dossiers abordés aux deux premières conférences de Manchester : comment maximiser et mesurer l’efficacité des interventions? comment collaborer avec les gouvernements et les bailleurs de fonds tout en préservant son indépendance et en continuant de rendre des comptes aux intéressés? Or, ces dossiers progressent effectivement, quoique de façon parcellaire. Ce qu’il manque, c’est un cadre plus vaste qui fasse un lien entre les bouleversements qui agitent le milieu des ONG et les grands enjeux économiques et politiques de notre époque. Nous espérons que les communications et les débats auxquels donnera lieu le colloque permettront de préciser un peu plus ce cadre et ainsi de réagir plus efficacement aux tendances mondiales pour le bien des gens que nous voulons aider. Ultimement, ce sont ces grandes tendances qui détermineront si les ONG de développement seront des acteurs importants sur la scène mondiale au XXIe siècle, car si les ONG ne font pas vraiment partie de l’« avenir planétaire », alors elles sont probablement promises à un triste avenir – du moins sous leur forme actuelle. Partie II : L’évolution de la conjoncture mondiale 1. Mondialisation 1.1 Qu’est-ce que la mondialisation? Technologie et culture À la fin des années 90, un colloque ne saurait être complet sans une table ronde sur la mondialisation. On a dit beaucoup de choses très différentes sur l’ampleur et la signification de ce phénomène; quoi qu’il en soit, il existe derrière ces discours une réalité indéniable. Cette réalité, c’est la mondialisation, un phénomène alimenté par la technologie : les communications électroniques, la diminution des coûts de transport, l’assouplissement des formes d’organisation économique et l’importance croissante des richesses mobiles (comme le savoir et l’argent) font apparaître la perspective de l’uniformisation graduelle des facultés de production sur la planète, intégrant les marchés du globe et internationalisant les décisions en matière d’emploi et d’investissement. Les conséquences de ce phénomène dans un monde où producteurs et consommateurs ne sont pas sur un pied d’égalité sont bien connues : des avantages faramineux vont à ceux qui jouissent des conditions nécessaires pour tirer leur épingle du jeu; des pressions accrues sur les moins nantis, qui doivent vendre à vil prix leur travail ou sacrifier leur vie de famille ou leur environnement pour gagner leur vie; enfin, élargissement du fossé entre les deux groupes, aussi bien à l’intérieur des pays que sur la scène internationale. En 1998, le revenu combiné de trois milliards de personnes du tiers monde était inférieur aux avoirs collectifs de 358 multimilliardaires; par ailleurs, la fortune de Bill Gates (avant le krach boursier de la fin de l’été) était supérieure aux avoirs combinés de 40 pour 100 de la population états-unienne (PNUD 1998). Ainsi, les ONG du XXIe siècle n’auront plus affaire à deux blocs stables et homogènes appelés « le Nord » et « le Sud », mais plutôt à une mosaïque en transformation perpétuelle où la pauvreté et l’exclusion appelleront des interventions originales et véritablement internationales, outre la présence incontournable d’un noyau ferme de personnes vivant dans la pauvreté absolue en Asie méridionale et en Afrique subsaharienne. Comme l’actualité des dernières années nous l’a montré, les « nouveaux riches » (pensons à l’Asie de l’Est et du Sud-Est) et ceux qui bénéficiaient autrefois d’une bonne protection sociale (comme les habitants de l’ex-Union soviétique) peuvent basculer en un an seulement dans le camp des « nouveaux pauvres ». Il semble que l’inégalité, l’exclusion et l’insécurité qui en résultent seront au cœur de la politique internationale pendant au moins une génération. Derrière ces tendances se dessine un phénomène plus controversé de « mondialisation culturelle », caractérisé par l’homogénéisation des valeurs et des aspirations en fonction des normes occidentales d’individualisme et de consumérisme; c’est ce que Hobsbawm (1994) considère comme la véritable « révolution culturelle » de notre siècle. Les médias – devenus récemment de véritables institutions mondiales aux mains d’un petit nombre de multinationales – jouent dorénavant un rôle central dans ce processus. Certains observateurs considèrent ce genre d’observations comme superficielles : le capitalisme s’est toujours adapté aux particularités locales; d’autres mettent la culture au cœur de l’imminent « affrontement des civilisations », par exemple ceux qui se considèrent comme menacés ou dépossédés par la recolonisation culturelle et qui se réfugient dans leur identité ethnique ou religieuse, souvent affirmée par la violence. Nous verrons les conflits qui découlent de ce phénomène à la section 3. Quoi qu’il en soit, tous s’entendent pour dire que l’on dispose d’une marge de manœuvre non négligeable pour profiter de la mondialisation proprement dite tout en atténuant les effets potentiels de la mondialisation dite culturelle. Il ne s’agit pas de savoir si la mondialisation est un mythe ou si elle passera (car sa présence et son progrès sont inexorables), mais plutôt de savoir comment en répartir les retombées positives et négatives; or, sur ce point, la technologie ne nous apporte pas vraiment de réponse, et on peut difficilement en discuter sans se frotter à la politique. La question de notre colloque est claire : quel rôle les ONG doivent-elles jouer dans la refonte des processus du capitalisme mondial en évolution de sorte que tout un chacun puisse profiter du progrès économique sans sacrifier ce qui donne de la valeur à sa vie? Sur cette question, pas de consensus. Certaines ONG préconisent le « décrochage » par rapport à l’économie mondiale au profit de l’autonomie et de la protection des cultures locales; d’autres considèrent cette option comme irréaliste et optent plutôt pour diverses formes d’engagement constructif; enfin, les plus optimistes embrassent la mondialisation comme une révolution sociale progressiste (3). Nous espérons que le colloque sera l’occasion d’approfondir ces positions et d’examiner ce que les ONG font pour les faire avancer en pratique. Il est peu probable que nous trouvions des réponses universelles, surtout compte tenu du scepticisme qui prévaut depuis la fin de la Guerre froide à l’égard des révélations, des grandes théories et des idées à l’emporte-pièce. Tous, nous expérimentons, et tous, nous apprenons en cheminant. Il y va d’implications importantes pour l’avenir du militantisme des ONG; nous y reviendrons à la section 3. 1.2 Les réactions à la mondialisation : le rôle de la société civile Au-delà de la multiplicité des opinions, un dénominateur commun unit toutes les ONG, soit la conviction que la société civile peut servir de contrepoids à l’influence croissante des marchés et au déclin de l’autorité des États. Les travailleurs ont certes perdu du pouvoir dans les marchés intégrés, mais les consommateurs en ont acquis; et si l’érosion des souverainetés nationales réduit la protection des groupes vulnérables face à des institutions qui ne sont pas tenues de rendre des comptes, elle donne aussi une plus grande liberté d’action aux organisations civiques qui veulent s’unir au-delà des frontières nationales dans de nouvelles structures d’orientation politique d’autant plus que la technologie de l’information facilite la décentralisation au profit de la constitution de réseaux et d’alliances plus souples. Nous reviendrons sur les perspectives de mondialisation de la gestion et des processus décisionnels à la section 2, mais rappelons ici que l’accès à la technologie de l’information est lui aussi réservé principalement à ceux qui détiennent déjà le pouvoir et les ressources. L’envergure et le potentiel exacts de la société civile sont sujets de débat, surtout si l’on envisage la question à l’échelle planétaire. Certains perçoivent un « transfert de pouvoirs » dû au recul de l’autorité étatique, tandis que d’autres mettent en doute l’aptitude de groupes non étatiques à remplir le vide politique qui en résulte. Ces doutes s’appliquent tout particulièrement aux ONG de développement, en raison de leur dépendance envers l’aide officielle et de leur caractère non représentatif. Toutefois, on voit de plus en plus d’ONG diversifier leurs sources de financement et tirer à partir d’activités commerciales, de mécanismes d’autofinancement et de collectes de fonds locales, une grande partie de leurs recettes, surtout en Asie méridionale et en Amérique latine. Ce faisant, ces ONG s’enracinent dans leur propre milieu et acquièrent les caractéristiques d’un véritable acteur de la vie civique, par opposition à un simple intermédiaire de prestation de services. La montée de la société civile dans le Sud est inégale, et lente dans de nombreuses régions, mais elle a bel et bien lieu, et ce phénomène comporte indéniablement des conséquences importantes pour les ONG du Nord et pour les grandes alliances de citoyens qui se forment un peu partout dans le monde. À l’occasion de l’étude comparative du « tiers secteur » menée par l’université Johns Hopkins, on a dénombré plus d’un million d’organisations de ce genre en Inde et 210 000 au Brésil (Salamon et Anheier 1997). Ces cas sont exceptionnels, mais même là où le nombre et la portée des organisations de la société civile sont moins imposants, les organismes acquièrent des capacités de recherche et de pression qui rivalisent avec celles des organismes du Nord, en plus de leurs activités de prestation de services. Quelles que soient les autres caractéristiques de la mondialisation, on peut dire qu’elle n’a pas changé la réalité fondamentale de la pauvreté, c'est-à-dire de la distribution inégale des facteurs de production, des compétences et des capacités qui est à la source du problème. L’intégration des marchés accroît l’importance de certains de ces atouts (comme le savoir et la capacité organisationnelle) et réduisent l’importance de certains autres (comme les moyens de production fixes), mais la redistribution reste au cœur du problème. Il incombe indéniablement aux ONG de réclamer cette redistribution, surtout dans les lieux où la vague idéologie de la « troisième voie » ostracise toute velléité de redistribution. Ces inégalités trahissent les structures de pouvoir qui discriminent certains groupes. La société civile est considérée comme une nouvelle panacée, maintenant que les politiciens ne croient plus ni à l’économie planifiée ni au « libre »-marché; or, l’exclusion résulte des structures interreliées du pouvoir social, économique et politique, dont la vie associative fait aussi partie. La plupart des ONG estiment que l’on pourrait faire adopter les normes des droits de la personne et les autres valeurs sociales par ces structures de pouvoir afin d’en étendre les avantages et d’en réduire les inconvénients, que ce soit sur les plans économique, politique ou social. En ce sens, le rôle global des ONG consiste à « contribuer à une réforme du monde en tant qu’une toile en expansion de relations non marquées par l’exploitation » (Fowler 1997). Comment mettre ces principes en pratique dans les différentes sphères économiques du monde? Si la tâche s’annonce difficile et complexe, son bien-fondé ne fait aucun doute. Malgré les désaccords, et probablement la fragmentation à venir des ONG du Sud et du Nord, tous conviennent qu’il existe de plus en plus d’occasions de collaborer par-delà les frontières institutionnelles pour influer sur les forces qui entretiennent la pauvreté et la discrimination, établir des partenariats et des synergies là où il en existait si peu, et façonner une société civile qui soit non seulement solide mais aussi juste et humaine dans tous ses faits et gestes. 1.3 Les réactions de la société civile à l’échelon local La remise en cause de la mondialisation se fait d’abord et avant tout à la base, là où les ONG s’ingénient déjà à aider les pauvres à composer avec la réalité de leur position sur les marchés mondiaux et à jouer un rôle novateur pour remodeler les forces économiques. En premier lieu cette action donne un peu plus de moyens aux pauvres pour qu’ils puissent se battre plus efficacement et acquièrent un minimum de sécurité, de moyens d’expression et de droits, sans quoi ils se retrouvent dans un cul-de-sac économique. Cette action s’inscrit dans le rôle traditionnel des ONG qui consiste à développer les compétences, la confiance, les capacités et la vie associative et à améliorer l’accès au crédit, les services et les perspectives économiques, mais elle s’inspire aussi d’une tentative plus systématique de relier les différents secteurs et paliers de l’économie. Deuxièmement, les ONG peuvent faire tourner les forces du marché à l’avantage des pauvres en réduisant les bénéfices que raflent normalement les intermédiaires, par exemple par la mise sur pied d’associations de mise en marché comme celles qu’elles soutiennent en Amérique latine (Bebbington 1996) ou, comme on le fait en Afrique du Sud, en aidant les associations communautaires à négocier des contrats plus avantageux avec les entreprises commerciales de chasse et de tourisme. Troisièmement, les groupes citoyens explorent de nouveaux modes de production et d’échange qui sont moins dommageables à la société et à l’environnement, font la promotion du « capital social » en termes de mercatique (il s’agit ici de valeurs telles que la confiance, la coopération, l’honnêteté), aident les hommes et les femmes à redéfinir leurs rôles respectifs – économiques et autres – à meilleur escient, et distribuent les profits dans une optique sociale. Ces changements plus profonds viennent corriger le « talon d’Achille » de la plupart des stratégies d’autonomisation, soit l’absence de réflexion sur ce qui se passe lorsque l’on accroît les pouvoirs d’un groupe de démunis : que font alors ces gens? Créent-ils une société plus juste où les avantages et inconvénients du développement économique sont également répartis, ou alors augmentent-ils la concurrence qui existait déjà en vertu des inégalités sexuelles et autres? Peu d’ONG se sont intéressées à cette question – civiliser les systèmes de pouvoir –, alors que c’est là que réside la clé d’un programme qui vise la transformation – par opposition à l’« humanisation » – du capitalisme. Les petites innovations peuvent faire boule de neige si on montre qu’elles génèrent des progrès assez substantiels pour éliminer la pauvreté absolue; il serait ainsi possible de gagner l’engagement politique et public à long terme qui fait défaut actuellement aux solutions plus radicales. Nous espérons que cette question sera approfondie pendant le colloque. À l’autre extrême, les ONG continuent de jouer un rôle de prestataires de soins de dernier recours, de filets de sécurité sur le terrain et de sources de sécurité sociale pour les victimes de la mondialisation, surtout dans les pays où la transition vers l’économie de marché s’est fait trop rapidement (comme dans l’ex-Union soviétique). 1.4 Du local au planétaire À l’échelle nationale, les innovations populaires doivent pouvoir s’appuyer sur des politiques sociales et macro-économiques favorables aux pauvres. Certes, la mondialisation gruge la puissance de l’État, mais les fonctions de redistribution et de protection de celui-ci n’en sont pas moins indispensables. Certaines ONG ont tendance à privilégier le militantisme mondial en négligeant, à l’échelle nationale, les relations entre l’État et la société dont dépend l’aptitude de tout pays à poursuivre des objectifs progressistes dans une économie intégrée : la tâche de redonner à l’État la capacité de négocier, de surveiller et d’encadrer les régimes mondiaux; l’importance des ligues en faveur des pauvres dans la société civile et entre la société civile, les entreprises et le gouvernement; enfin, le rôle des groupes de citoyens nationaux dans la lutte contre la corruption, les pressions en faveur de la transparence institutionnelle et la préservation d’un consensus social en faveur des réformes économiques. Peu d’ONG ont suffisamment réfléchi à leur rôle dans ces domaines, en partie à cause d’une méfiance congénitale à propos de l’État sous toutes ses formes et en partie à cause de la tentation de « court-circuiter » la scène nationale pour s’adresser directement à Washington ou à Bruxelles. Au vu des objectifs de développement, c’est une erreur grave. Par ailleurs, une stratégie efficace doit être reliée à des mesures de soutien sur le plan international. En effet, la mondialisation signifie non seulement que les ONG doivent jouer de façon plus stratégique avec les forces du marché sur une échelle beaucoup plus étendue qu’autrefois, mais aussi qu’elles doivent le faire en reliant le local au planétaire de façon cohérente. Il peut s’agir par exemple de mettre en lien des systèmes de production non classiques et les réseaux internationaux de salons commerciaux qui leur donneront un minimum de stabilité sur les marchés libres; d’obliger les entreprises à respecter des normes sociales et environnementales minimales négociées localement mais surveillées à la grandeur des chaînes d’approvisionnement planétaires; ou encore, de modifier les habitudes de consommation de l’« hémisphère Nord » d’une manière qui ne désavantage pas les producteurs de l’« hémisphère Sud ». Compte tenu de leur présence et de leurs contacts sur la scène internationale, les ONG jouissent d’un avantage naturel sur ce plan, et dans certains cas, elles ont déjà commencé à agir de façon efficace, notamment dans la constitution d’un mouvement préconisant des principes plus équitables de consommation, d’investissement et de commerce. De fait, les ONG sont au cœur des mesures faisant valoir la responsabilité des entreprises, réclamant l’application des codes de conduite multinationaux et visant à modifier les habitudes de consommation et les modalités du commerce international. Inévitablement, l’enthousiasme tend à précéder les réalisations concrètes – il y a des limites aux réformes que l’on peut imposer dans une économie de marché – mais les principes sont maintenant connus, et nous savons aussi en bonne partie comment les mettre en pratique. Le colloque nous fournit l’occasion de faire le point avec plus de rigueur sur ce qui se fait effectivement. Dans la même veine, les ONG adoptent des méthodes plus stratégiques dans leurs pressions auprès des institutions financières internationales, dans la surveillance des engagements internationaux (Contrôle citoyen / Social Watch) et dans la démocratisation des régimes mondiaux économiques et autres (comme l’Organisation mondiale du commerce et le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement). Les tentatives visant à ouvrir de tels régimes à la société civile n’ont pas encore donné beaucoup de résultats concrets; or, ces régimes seront vraisemblablement au cœur du système mondial au XXIe siècle, ce qui appelle une action concertée. Les premiers pas de cette action sont esquissés ci-dessous. On observe aujourd’hui un consensus mondial peu commun au sujet de l’inaptitude des institutions financières internationales (IFI). En effet, leur obsession de la limitation des dépenses publiques les a amenées à négliger l’encadrement des transactions financières privées. Les conséquences de cette omission – panique financière et risques étendus – alimentent une récession planétaire qui a déjà coûté au monde 10 millions d’emplois dans le secteur structuré (4). En parlant d’une « nouvelle architecture financière mondiale », les dirigeants du G7 n’arrivent pas à dissimuler qu’ils ne savent pas trop à quoi peut ressembler cette nouvelle architecture, ni même comment les nouvelles solutions peuvent être négociées pour obtenir un consensus plus démocratique (durable). Les ONG sont-elles mieux préparées? Critiquer la Banque mondiale et le FMI n’a pas été facile; reconcevoir le système international demandera dans analyses plus complexes et des propositions plus subtiles que les campagnes à l’emporte-pièce du passé. 2. La réforme de la coopération internationale 2.1 De l’aide étrangère officielle à l’orientation politique En plus de ces très vastes mouvements de l’économie internationale, les ONG doivent affronter un autre ensemble de changements beaucoup plus près d’elles. La baisse de l’aide étrangère officielle (sauf une ou deux exceptions telles que la légère augmentation récemment consentie dans le budget d’aide internationale du Royaume-Uni) est maintenant un phénomène bien enclenché dans le monde entier. Elle est attribuable aux faiblesses perpétuelles des défenseurs de l’aide internationale, sur les plans aussi bien intellectuel que communicationnel, ainsi qu’au manque d’intérêt et aux désillusions sur le plan politique et à l’émergence de nouvelles formes de coopération internationale mieux adaptées aux réalités d’une économie mondiale où les flux de capitaux privés dominent (hors de l’Afrique subsaharienne) et où l’intégration économique constitue le moteur privilégié du changement. Autrement dit, l’émergence d’un système international axé sur des règles et des normes plutôt que sur des transferts de ressources subventionnés. Ce phénomène peut sembler menaçant pour les ONG vivant de subventions, mais il a son avantage : en effet, si les ONG sont indécises ou divisées à propos du degré d’intervention à préconiser dans l’économie mondiale, elles peuvent faire l’unanimité autour d’un processus plus démocratique de définition des « règles du jeu ». C’est ce que le philosophe Brian Barry appelle « la justice garante d’impartialité » (Justice as Impartiality). Déjà, des municipalités d’Amérique latine et d’ailleurs expérimentent la « politique dialogique », dans laquelle des représentants de la société civile et de l’entreprise participent au processus décisionnel avec les gouvernements locaux. Si ces expériences peuvent être rattachées à des structures plus démocratiques aux strates supérieures du système mondial, les résultats pourraient être révolutionnaires; on pourrait intégrer des ententes locales sur les normes du travail, sur la pollution et sur les droits de la personne dans un système emboîté d’autorités en vue d’assurer un équilibre entre la nécessité de conserver une marge de manœuvre et un ensemble de principes universels. Actuellement, ces rapports s’opèrent par un réseau de groupes d’intérêts (dont les ONG), plutôt qu’au travers de structures représentatives officielles. Cette particularité soulève certes des questions au sujet des ONG, et surtout au sujet de leurs carences en matière d’orientation politique et de responsabilité, mais il est certain que le rôle de la société civile prendra de plus en plus d’ampleur à mesure que la gestion globale deviendra plus pluraliste et moins tributaire de l’État-nation. Nous espérons que le colloque mettra en lumière des exemples concrets de ce phénomène dans plusieurs parties du monde, dans divers dossiers et auprès de différentes institutions. La question posée par cette transformation radicale des notions de gestion est évidente : comment les ONG peuvent-elles veiller à ce que les régimes de l’avenir profitent aux pauvres et procurent des avantages concrets? Il s’agit d’une question résolument politique : qui donc décidera de l’importance relative de la croissance économique, de l’égalité politique et des avantages sociaux, au sein des sociétés et entre elles? En s’attaquant à cette question, les ONG s’éloignent considérablement de leur rôle traditionnel d’exécutants, de bailleurs de fonds et d’intervenants en marge des affaires internationales. Pour la première fois dans l’histoire, elles ont l’occasion de devenir des véhicules de la coopération internationale au cœur de la politique et de l’économie internationales. Mais pour ce faire, elles doivent d’abord mettre de l’ordre dans leurs propres affaires et savoir saisir les occasions qui ne manqueront pas de se présenter. Même si ce scénario optimiste s’avérait illusoire, il est improbable que l’aide étrangère devienne un jour chose du passé, surtout dans les pays les plus démunis. Elle serait plutôt appelée à jouer un rôle de soutien dans les futurs régimes mondiaux – qu’on y recourra de manière plus sélective pour aider les pays à remplir leurs obligations internationales ou à atténuer le coût des changements structurels, par exemple, en plus du rôle traditionnel de financement transitoire du développement. De fait, les organismes internationaux conviennent maintenant de plus en plus de la nécessité de réformer les modalités de l’aide internationale en abandonnant la formule « axée sur l’offre » au profit d’un modèle « axé sur la demande » selon lequel des ressources unifiées sont mises à la disposition d’institutions locales qui décident de leur utilisation, idéalement au moyen de dialogues entre l’État, l’entreprise et la société civile. La réalité de la pratique des bailleurs de fonds est plutôt différente, mais à mesure qu’elles se développeront, ces tendances auront des conséquences importantes pour les ONG, surtout celles du Nord. Le temps n’est peut-être pas loin où les ONG du Sud pourront présenter des demandes d’aide financière à un bureau local d’un « fonds de développement mondial » et acheter elles-mêmes l’aide technique dont elles jugent avoir besoin auprès d’Oxfam, du PNUD ou d’une entreprise locale d’experts-conseils. Il faut dire que le modèle actuel selon lequel les ONG sont à la fois destinaires et intermédiaires de l’aide financière est source de confusion, et que les statistiques ne nous sont pas d’un très grand secours, car elles ne nous permettent pas de savoir quelle proportion des ressources de la Banque mondiale (par exemple) est canalisée dans telle ou telle direction. Les données dont nous disposons laissent croire à une confirmation de tendances que l’on pouvait déjà observer il y a trois ans : financement important acheminé par l’intermédiaire des ONG malgré la réduction des budgets, modeste hausse de la proportion de l’aide envoyée directement aux ONG du Sud et nivellement et légère redistribution des ressources entre les ONG du Nord. Ce processus fait des gagnants et des perdants, sans compter l’émergence de « nouveaux concurrents » pour les ONG, à savoir les entreprises, les experts-conseils à but non lucratif et les organes de l’État qui peuvent se faire valoir sur le marché. On pourrait s’attendre à ce que les ONG du Nord souffrent de la décentralisation des activités des organismes multilatéraux et bilatéraux, mais jusqu’ici, rien ne laisse croire à une rupture importante par rapport au passé. Cette persistance s’explique entre autres par le fait que les bailleurs de fond tiennent avant tout à la fiabilité de leurs réseaux de consultation et d’exécution et sont prêts à voir les organisations du Nord continuer à jouer ce rôle tant que leurs homologues du Sud seront considérés comme faibles; en effet, rares sont les petites ONG qui disposent des fonds de roulement nécessaires pour briguer les grands contrats des bailleurs de fonds. Ce phénomène résulte aussi de la décentralisation des ONG du Nord ellesmêmes et du développement de leur propre aptitude à recueillir des fonds officiels sur les « marchés » du Sud. Cette forme de développement peut paraître étrange, mais elle est logique compte tenu de la concurrence accrue dans la recherche de fonds d’aide étrangère. Troisièmement, peu d’ONG du Sud sont aptes à assurer des secours humanitaires à grande échelle. Par conséquent, si l’avenir financier des ONG du Nord semble sombre à long terme, il ne règne pas pour le moment un esprit de panique. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le changement s’opère si lentement. 2.2 Évolution des rôles : développement des capacités Ces tendances ne sont pas sans poser des défis aux ONG du Nord comme du Sud. Premièrement, elles annoncent une évolution des rôles, qui ne tiendront plus tant à l’exécution qu’à la valorisation du potentiel, à la « démultiplication » et aux mesures conçues pour encourager les institutions locales à débattre des priorités du développement, à prendre part aux régimes mondiaux et à jouer efficacement leur rôle de moteur du changement des systèmes économiques, de l’orientation politique et des politiques sociales (Fowler 1997). Les rôles traditionnels des ONG ne disparaissent pas dans ce scénario, mais comme l’aide étrangère en général, ils perdent de leur importance relative parmi d’autres fonctions plus diversifiées, exécutées dans un nouveau cadre de dynamique du pouvoir et de relations Nord-Sud. Pour résoudre un problème de sécurité alimentaire dans un village, il serait bizarre de solliciter les chaînes de supermarchés occidentales sans tenir compte du travail auprès de la base, du financement « de développement » pour les intermédiaires du Sud (avec une marge de manœuvre plus grande que celle que laisse l’aide officielle), de l’aide technique et des autres formes de « valeur ajoutée » que les ONG du Nord peuvent offrir – du moins en théorie. Toutes ces dimensions sont importantes dans la lutte contre la pauvreté et l’oppression, et chaque institution doit y recourir de manière cohérente compte tenu de ses atouts et de ses compétences. Ce qui devient clair, c’est que les ONG du Nord perdent leur supposé avantage comparatif dans la plupart de leurs secteurs traditionnels d’intervention à mesure que les ONG du Sud prennent de l’assurance en matière de recherche, d’élaboration de politiques, d’exécution et d’appui aux projets. On pourrait bien assister à un phénomène similaire dans le Sud, où de nouveaux groupes de la société civile et du secteur privé prendraient en charge des fonctions traditionnellement attribuées aux ONG intermédiaires. Il serait logique pour les ONG de réagir en recentrant leurs énergies sur le développement des capacités et des institutions – thème d’ailleurs incontournable à notre époque. Cependant, si le développement des capacités est à la mode, on n’en voit pas encore des résultats probants. Précisons toutefois qu’il est difficile de se prononcer en toute objectivité sur la question compte tenu des données maigres disponibles. Le problème de la qualité est un de ceux qui ont motivé la fondation en 1998 de l’International Forum on Southern NGO Capacity-Building, réseau international qui vise à diffuser les modèles exemplaires et à favoriser l’innovation sur le terrain. Les organismes du Nord eux-mêmes ont un dossier peu reluisant en matière d’autonomie financière, alors que cette dimension est probablement la plus importante dans l’analyse des capacités de toute organisation citoyenne (de fait, il est difficile d’agir en toute indépendance, de conclure des partenariats internationaux, de prendre des risques et d’innover quand on paie avec l’argent du voisin). Le microcrédit est considéré comme une panacée plutôt que comme une des nombreuses voies vers la viabilité; on tend à privilégier les méthodes de planification au détriment de la recherche et des compétences médiatiques; les questions d’organisation interne ont le pas sur le développement d’un réseau externe et sur les possibilités de médiation et de partenariat; enfin, l’aptitude des ONG du Sud à participer sur un pied d’égalité aux alliances transnationales est entravée par l’intérêt presque exclusif que portent la plupart des bailleurs de fonds à leur rôle national. Or, ces activités sont indissociables du rôle futur de la société civile dans la constitution de coalitions pour le développement, la promotion de dialogues universels et l’encouragement de la participation du public à la planification du développement. Il y a des progrès dans l’aménagement de conditions favorables à l’action civique (cadre juridique des organismes sans but lucratif et retrait partiel de l’État, mais aussi amélioration des régimes fiscaux et climat propice à la philanthropie), mais de façon générale, le développement des capacités en est encore à l’état embryonnaire. 2.3 Évolution des rôles : mobilisation Le deuxième défi concerne le rôle des ONG dans la mobilisation du public en faveur de la coopération internationale (condition indispensable au succès des régimes mondiaux), de nouvelles orientations politiques et des sacrifices nécessaires pour modifier les schèmes planétaires de la consommation et du commerce (surtout dans le Nord). Par exemple, les codes de conduite visant les multinationales auront peu d’utilité s’ils ne sont pas appuyés par un vaste mouvement des consommateurs visant à les faire respecter et à trouver des nouvelles façons de travailler sur le terrain qui soient praticables. Les ONG ont toujours parlé de mobilisation, mais elles ont centré leur discours public sur les problèmes du tiers monde plutôt que sur les changements de comportement des pays occidentaux, récitant des arguments du genre « vos cinq dollars vont changer les choses ». Or, on sait justement que ces arguments sont fallacieux – et que les ONG ne tiennent jamais suffisamment compte dans leurs stratégies de ce qui pourrait réellement changer les choses (comme une protestation populaire massive contre l’indifférence de l’Occident à l’égard des génocides). Ces mesures sont trop onéreuses ou trop « politiques » et valent aux organismes trop peu de gloire ou de contrats d’aide internationale. La plupart des ONG du Nord délaissent même la sensibilisation au développement, affirmant que les efforts dans ce domaine ont donné lieu à des résultats décevants, ce qui est indéniable mais était tout aussi prévisible. Ayant véhiculé le mauvais message pendant quarante ans, les ONG récoltent la démobilisation des donateurs, l’indifférence du public (sauf pour le parrainage d’enfants) et une désaffection pour l’engagement bénévole, surtout chez les jeunes. Ne nous attendons pas à ce que les ONG renversent la situation avec leurs stratégies de communication actuelles, qui ne réussissent qu’à créer des épanchements sporadiques lorsque la famine fait la une des journaux. La notion de « développement » s’avère trop abstraite et l’aide étrangère est un sujet à la fois complexe et assommant. Au fond, ce que les gens veulent, c’est la sécurité et la stabilité dans un monde qui semble de plus en plus marqué par l’incertitude; par conséquent, ce dont il faut les convaincre, c’est qu’ils ne les obtiendront que grâce à de nouvelles structures de production, d’échange et de relations internationales fondées sur la coopération. Pour ce faire, il faudra déployer des trésors d’ingéniosité et de ressources pour aider les gens à établir un lien entre les tendances planétaires et les responsabilités individuelles, à comprendre que l’absence de solidarité internationale finira par porter atteinte à leurs propres droits et à ceux de leurs enfants. C’est en ce sens que l’éthique de consommation et les alliances avec les mouvements écologistes et autres peuvent s’avérer un atout pour les ONG de développement, mais il y a d’autres intervenants pour livrer ce message : pensons au PNUD et à son image de « ménage planétaire ». Moyennant un message plus clair et une stratégie de communication plus raffinée, on pourrait mettre en branle le processus de « jugement par le peuple » qui mobilise la population beaucoup plus efficacement que les tactiques de choc des ONG ou que la publicité larmoyante des œuvres de charité. Mobiliser la population, c’est faire connaître les enjeux planétaires à long terme par mille canaux, et non pas seulement faire des pressions qui se limitent au système d’aide internationale. La mondialisation de la presse fournit aux ONG l’occasion de se faire entendre à l’échelle de la planète si elles trouvent les bons moyens pour attirer l’attention. 2.4 Évolution des relations : l’organisation civique transnationale Le remplacement de l’aide étrangère par un programme plus vaste de coopération internationale facilite la collaboration des ONG et des autres organisations de la société civile puisqu’il éloigne les distorsions dues à la recherche de contrats, aux conditions et à l’accès inégal au financement. Les cas d’organisation citoyenne les plus intéressants et les plus prometteurs sont ceux où le financement passe au second plan, ce qui permet aux participants de se concentrer sur le partage des rôles et des ressources dans une optique complémentaire à la poursuite d’objectifs vastes mais communs. Nous verrons quelques exemples de ce genre de réseau au colloque. Le cas de la campagne mondiale d’interdiction des mines terrestres constitue un exemple utile, mais il est difficile à reproduire dans les domaines moins rassembleurs et lorsque les conflits d’intérêts entre les pauvres de différentes parties du monde sont plus intenses (comme pour le commerce mondial et le marché du travail). Dans un monde de « multilatéralisme complexe », le développement de ces alliances est inévitable : plus de 15 000 réseaux de citoyens transnationaux sont déjà à l’œuvre sur la planète, dont 90 p. 100 ont vu le jour pendant les trente dernières années (O’Brien et al. 1998). Il importe toutefois de ne pas considérer cette formule comme une panacée, car elle continue de poser certains problèmes dont les suivants : • • • • Légitimité : Qui parle au nom de qui, et comment trancher les différences d’opinion lorsque certains participants sont plus forts et fortunés que d’autres? Responsabilité : Qui récolte les fruits et assume le contrecoup des résultats de l’action commune, surtout au niveau de la base? Structure : Comment arriver à constituer un mode de gestion, un processus décisionnel et des communications d’envergure véritablement internationale? Stratégie : Il faut concevoir des arguments plus rigoureux et des propositions plus crédibles pour contribuer aux débats de fond. Cependant, comme le montreront les communications au colloque, il existe des pistes de solution pour tous ces problèmes, pour peu que l’on fasse preuve de courage et d’imagination. 3. Aide humanitaire, conflits et consolidation de la paix (5) 3.1 Le désordre de l’après-Guerre froide Le travail à long terme offre toujours une certaine marge de manœuvre. Dans le cas d’un conflit ou d’une urgence politique complexe, les choix sont plus difficiles et les dilemmes des ONG se dessinent avec plus d’intensité. Ces situations sont caractéristiques du désordre de l’après-Guerre froide et du haut degré d’insécurité que les phénomènes planétaires continuent de générer. La forme, l’ampleur et les conditions de la participation des ONG aux efforts visant à fournir une aide humanitaire et à résoudre les conflits violents ont profondément changé au cours des années 90, tout comme notre perception de la dynamique de l’insécurité a évolué. L’optimisme qui s’est d’abord manifesté à la fin de la Guerre froide et la perspective des « dividendes de la paix » se sont vite évaporés lorsque les « petites guerres » préexistantes se sont étendues et lorsque les conflits ethno-nationalistes ont refait surface, souvent alimentés par des intérêts ayant pour but d’exploiter l’héritage politique d’une histoire sectaire et les avantages financiers d’une économie de guerre (Keen 1994). Les conflits contemporains sont fondamentalement différents de ceux qui ont dominé les 75 premières années de notre siècle (Goodhand et Hulme 1998a). Ces « guerres du déclin de l’État-nation » sont en grande partie constituées par des luttes intestines où il est souvent difficile de démêler les intérêts (Duffield 1999). Les civils meurent ou sont mutilés plus souvent que les combattants, et on observe des mouvements de population intranationaux aussi bien qu’internationaux. En 1995, environ 14 millions de personnes ont dû se réfugier à l’étranger et quelque 23 millions ont été déportées à l’intérieur de leur propre pays (ODI 1998:2). En effet, un des grands paradoxes de notre époque réside dans le fait que la mondialisation s’accompagne d’un accroissement des tensions intraétatiques. Alors qu’on prédisait la « fin de l’histoire » après la chute du communisme, l’« histoire » (ou du moins les forces historiques) revient prendre sa revanche en Europe, en Asie et en Afrique, où les groupes ethniques, nationalistes, religieux et culturels proclament leur identité de manière souvent agressive et intolérante. À l’heure où il est devenu courant de parler de la société civile comme d’un parangon de vertu, ces événements nous rappellent que la société civile (tout comme l’État et l’entreprise) a elle aussi son côté obscur. À la fin de la Guerre froide, la première réaction du réseau humanitaire international a été d’accroître le recours à l’action militaire directe pour régler les guerres civiles et de coordonner plus efficacement les efforts de secours humanitaires (ODI:1). Cependant, après la débâcle de l’UNITAF en Somalie en 1993 et la « retraite » des forces états-uniennes de ce pays, on a rapidement changé d’orientation. Ce changement a eu des conséquences désastreuses au Rwanda, où l’ONU a réduit progressivement la force de maintien de la paix au début de 1994 malgré les signes évidents annonciateurs du génocide. Seulement 470 soldats de la MINUAR étaient stationnés au Rwanda lorsque la violence qui a fait 800 000 morts en quelques semaines a éclaté. La communauté internationale (et surtout l’ONU) avait l’air penaude et inepte, tandis que du côté des États européens, c’était la conspiration du silence du gouvernement français dans les événements ayant mené au génocide. 3.2 Les ONG et l’action humanitaire : tensions et dilemmes Ces virages ont posé aux ONG toute une série de dilemmes qui ont donné lieu à une recherche d’identité sans précédent. Prises entre l’ampleur de la souffrance humaine et les atermoiements politiques de la communauté internationale, les ONG ont été entraînées, sans préparation, dans un bourbier de besoins et de demandes contradictoires qui tombait d’autant plus mal que les années 1990 à 1994 étaient des années tampons pour les opérations de secours des ONG (Duffield 1994). Les budgets de secours humanitaire prenaient de l’ampleur et les interventions humanitaires représentaient une part croissante de l’aide au développement. Le nombre d’ONG participant aux interventions d’urgence augmentait (il y en avait plus de 200 dans la région des Grands Lacs à la fin de 1994) et les ONG du Nord « prospéraient » tandis que le nombre d’ONG du Sud aptes à assurer des secours sur une grande échelle demeurait faible. De toute évidence, il fallait « faire quelque chose », mais de nombreux employés d’ONG sont revenus chez eux après avoir travaillé aux Grands Lacs, dans la Corne de l’Afrique, en Afrique occidentale, en Asie centrale, au Sri Lanka et au Cambodge rongés par le doute au sujet de l’efficacité de l’aide humanitaire. Leur action avait-elle fourni des munitions aux « entrepreneurs en conflits »? Les interventions de secours ne sont-elles que manipulées par les intérêts stratégiques de l’Occident? Ne sont-elles qu’un cataplasme qui permet au système international de faire semblant d’agir alors qu’en réalité il a démissionné (Prendergast 1997)? Comment les ONG doivent-elles réagir quand le principe du rapatriement volontaire est bafoué à répétition et lorsque leur propre gouvernement essaie de plus en plus de refouler les réfugiés de bonne foi (ODI 1998:2)? Tout comme les ONG ont dû créer des liens avec de nouveaux acteurs dans le secteur privé, les organismes de secours doivent maintenant traiter couramment avec des milices locales et avec des militaires étrangers, ce qui pose des questions délicates et encore non résolues au sujet des mandats, des compétences et de la coordination. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que le milieu des années 90 ait été marqué par un questionnement intense chez les ONG du Nord actives dans les interventions humanitaires. Quant à l’état d’esprit des ONG du Sud, on en est moins sûr, ne serait-ce que parce que ces ONG ont moins de tribunes pour s’exprimer et peuvent d’ailleurs le faire moins librement. Il va de soi que les questions que se posent les ONG varient selon les circonstances, mais il se dégage des constantes. Premièrement, l’importance d’énoncer clairement l’orientation stratégique de chaque organisme. De moins en moins d’ONG se réclament uniquement de l’aide humanitaire (à l’origine de nombreuses ONG) au sens classique, sauf le Comité international de la CroixRouge, qui reste fidèle à son idéal de neutralité et de secours impartial de toute personne victime d’un conflit. Depuis la fin des années 80, les donateurs et les chercheurs encouragent les ONG à penser au-delà de l’aide d’urgence pour adopter une optique plus globale intégrant à la fois l’intervention d’urgence et le développement en général, de sorte que les activités de secours puissent se transformer en activités de développement lorsque le climat se pacifie. Voilà donc une deuxième option stratégique : exécuter un ensemble d’activités de secours et de développement qui satisfont aux besoins élémentaires immédiats tout en constituant un capital matériel, humain ou social propice au développement économique et social futur. Troisièmement, on observe une propension accrue des ONG à s’engager directement dans les processus de pacification. Cette action peut prendre plusieurs formes, soit l’ajout d’une branche d’intervention à une initiative de secours ou de développement, ou la création d’un service autonome (comme dans le cas de Quaker Peace and Service). Ces activités doivent se concentrer 1° à l’échelon local, sur la constitution d’un « capital social » au moyen de forums ouverts ou sur la formation de spécialistes locaux de résolution de conflits, 2° à l’échelle mondiale, sur le soutien des négociations diplomatiques ou sur la création d’occasions pour les chefs de groupes opposés de se rencontrer dans un cadre informel, ou 3° sur les deux niveaux simultanément. Elles peuvent être impartiales – en aidant toutes les parties à se rencontrer et à parler sans contrainte – ou encore s’appuyer sur une analyse politique qui fait une distinction entre agresseurs et victimes et n’appuie que ces dernières. Actuellement, chacune de ces stratégies a ses partisans. Le principe de la prudence (Do No Harm) (Anderson 1998) a été spécialement bien développé dans l’argumentation selon laquelle les ONG doivent adopter une approche analytique rigoureuse qui veille surtout à ce que l’aide humanitaire ne soit pas détournée par les belligérants. Bien que ce genre d’incident ait été rapporté plus d’une fois, l’ODI (1998:3) prétend fermement que – au pis – le soutien aux groupes armés « a probablement été faible ». Par contraste, certains organismes donateurs (y compris le Department for International Development du Royaume-Uni) ont encouragé les ONG à s’engager non seulement dans les activités de secours et de développement mais aussi dans la promotion active des processus sociopolitiques contribuant à la paix. Reste à savoir si cette démarche constitue une pratique saine ou simplement « une approche de plus en plus sélective et conditionnelle qu’adoptent certains bailleurs de fonds pour le financement des activités humanitaires » (ODI 1998). Ce qui est sûr, c’est que la plupart des ONG n’ont pas les moyens d’effectuer les analyses stratégiques nécessaires pour réussir dans ces domaines, surtout à cause des contraintes et de la complexité de leur situation. Les codes de pratique et les études d’évaluation dont on chante actuellement les mérites peuvent certes améliorer l’efficacité et l’efficience opérationnelles des interventions d’urgence des ONG, mais rares sont les ONG qui jouissent des compétences d’analyse et des connaissances locales détaillées qui leur permettraient de juger des retombées de leur activité sur les processus sociaux, économiques et politiques complexes qui sous-tendent les conflits violents. 3.3 Action humanitaire : nouvelles orientations Toutes les analyses sérieuses du rôle des ONG en résolution de conflits révèlent que le réseautage et les pressions politiques sont indispensables pour réduire la souffrance qu’entraînent les urgences politiques complexes. L’action directe peut s’avérer fructueuse sur le plan humanitaire mais ne revêtir qu’une importance anecdotique à l’échelle globale de la souffrance humaine. Quelques options se dessinent, mais seul un petit nombre d’ONG ont commencé à les explorer : • • • • • Exhorter les gouvernements nationaux à dépasser le niveau des considérations « réalistes » en politique étrangère (ex. : surveiller l’application de la « politique étrangère éthique » du Royaume-Uni et dénoncer le fait que les États-Unis n’ont aucune politique de ce genre). Surveiller l’efficacité des forces régionales de paix pour voir si elles ne constituent qu’un écran de fumée évitant aux pays du Nord de s’engager dans une action militaire plus vaste. Se demander comment l’ONU pourrait recouvrer sa crédibilité et trouver le moyen de contribuer efficacement à la paix et de coordonner les activités de ses constituantes. Examiner les stratégies susceptibles de permettre aux sociétés civiles nationales et mondiales de dépasser leurs réactions actuelles face aux urgences complexes (dons de charité, démobilisation) et d’exhorter les gouvernements à intervenir dès le début des hostilités (plutôt que « trop peu, trop tard » comme actuellement). Surveiller le secteur privé pour que les entreprises qui bénéficient de l’économie de guerre constatent que la poursuite de ce genre de profit peut se traduire par des sanctions sociales (boycotts des consommateurs ou critiques des médias locaux). Pensons ici aux négociants en Angola, aux marchands de diamants à la Sierra Leone, aux marchands de bois au Libéria, aux fabricants de mines terrestres et aux agences internationales de « sécurité ». Mais avant tout, les ONG doivent mettre de l’ordre dans leurs propres affaires : en réduisant la concurrence malsaine auprès des bailleurs de fonds; en aidant les groupes du Sud à se doter eux- mêmes de moyens de secours d’urgence et d’édification de la paix et à élargir le dialogue sur les politiques humanitaires, lequel est dominé par le Nord; en donnant plus de force aux codes de conduite par l’institutionnalisation de la reddition de comptes, y compris envers les bénéficiaires; et en concevant des « contrôles de paix » qui évalueraient les retombées de leurs activités sur les processus générateurs de conflits (Goodhand et Hulme 1998b). Les ONG ont un rôle important à jouer pour répondre au triple défi de l’insécurité du XXIe siècle (Edwards 1999) : engagement plus systématique envers l’édification de la paix et le développement équitable à long terme, action politique internationale plus musclée envers les causes de la souffrance, et intervention d’urgence plus efficace dans une optique de développement en cas de crise. Cependant, pour jouir d’une influence plus grande que celle des autres acteurs dans la poursuite de ces objectifs, les ONG se doivent d’assurer dans leur propre crédibilité et leur propre légitimité en se dotant d’un savoir et d’une transparence accrus quant aux résultats de leur travail humanitaire et pacificateur. Partie III : Conséquences organisationnelles De ce qui précède, il est possible de dégager quatre grands défis pour les ONG au cours des 15 à 20 prochaines années : • • • • comment mobiliser une société civile dans un esprit vraiment pluraliste à tous les niveaux du système mondial? comment tenir les autres institutions responsables de leurs actions et les rendre sensibles aux besoins sociaux et environnementaux? comment veiller à ce que les régimes internationaux soient efficaces et profitent aux pauvres? comment veiller à ce que les gains effectués à l’échelle mondiale se traduisent par des avantages concrets auprès de la base? Ces défis suscitent la question suivante : comment les ONG s’y prendront-elles pour travailler dans un esprit plus planétaire et stratégique? Les changements organisationnels nous paraissent importants dans quatre domaines en particulier : les rôles, les relations, les capacités et – à la base – l’épineuse question de la légitimité et de la responsabilité. 1. Les rôles des ONG Il va de soi que les domaines d’intervention des ONG sont si divers que toute généralisation serait hasardeuse. Il n’en reste pas moins un dénominateur commun, à savoir la nécessité de penser et d’agir à l’échelle planétaire. On voit mal comment les ONG pourraient orienter le changement planétaire en s’en tenant à des projets cloisonnés à l’échelon local, à des campagnes de financement ou à la prestation de services sociaux ou économiques de base. Il faut plutôt partir des innovations concrètes de la base pour s’ouvrir sur la planète et infléchir les forces qui conditionnent la pauvreté, le préjugé et la violence : les économies exclusionnistes, les politiques discriminatoires, les comportements personnels égoïstes et violents, et l’appropriation du savoir et des idées par l’élite. En un sens, en intégrant les aspects locaux et planétaires à leurs actions et à leur discours, les ONG sont déjà engagées dans cette voie, mais avec la nouvelle donne planétaire, elles devront dorénavant le faire couramment au lieu de greffer artificiellement une des deux dimensions à l’autre. Il faut donc cesser de penser « exécution » pour penser « influence », ce qui entraîne des conséquences importantes sur la façon dont les ONG sont appelées à s’organiser, à se financer, à dépenser leurs fonds et à communiquer. Malgré la transformation du monde qui les entoure, nombre d’ONG semblent réticentes à se dépouiller de leur rôle traditionnel. Certaines ONG continuent d’être présentes sur le terrain et, même si elles travaillent avec des « partenaires », beaucoup ont tendance à dicter la nature et le rythme du travail puisqu’elles tiennent les cordons de la bourse et arrêtent les modalités d’action (Fowler 1998, Wallace 1997). Peu de signes montrent que les ONG transfèrent la gérance des activités locales aux groupes du Sud et s’en tiennent aux rôles plus appropriés pour un intervenant du Nord. La mobilisation populaire est devenue une activité marginale des ONG. La sensibilisation au développement est passée de mode : elle se borne actuellement aux publicités pour remédier aux crises graves et aux messages en faveur du parrainage d’enfants. Très rares sont les organismes qui tentent d’expliquer la problématique complexe du développement par les médias. Pourtant, n’est-ce pas la presse qui conditionne l’opinion de toutes les générations? En se servant des médias pour solliciter plutôt que pour informer, les organisations font tout sauf se constituer un noyau d’appui populaire. Dans le Sud, certaines ONG ont trouvé des sources de financement solides et indépendantes, mais la plupart dépendent encore de l’extérieur. Leur rôle est déterminé autant par l’optique du bailleur de fonds que par les besoins immédiats ou profonds. Si certaines font œuvre de pionnières en dénonçant les injustices sous toutes leurs formes, beaucoup s’en tiennent encore à un rôle limité d’exécutants assujettis aux idées et aux concepts venus de l’extérieur. Dorénavant, les ONG devront trouver de meilleurs moyens de rallier l’opinion dans tous les domaines, de se concerter pour arrimer les activités locales et planétaires, et de trouver une méthode beaucoup plus efficace de repérer les forces qui entravent le changement et les leviers qui donneront du poids à leur expérience et à leur action collectives. En plongeant leurs racines dans leurs propres milieux et en se liant à la société civile et aux autres acteurs, les ONG peuvent réussir à influer sur les véritables points névralgiques grâce à l’effet démultiplicateur d’une masse conscientisée prête à faire avancer les choses dans un éventail de domaines. Les ONG vivent une crise d’identité chronique : sont-elles des agents économiques offrant un service à bon prix dans un contexte de concurrence, ou des agents sociaux œuvrant pour le changement? Cette dualité est en soi problématique, et bien qu’on puisse composer avec elle (et même en profiter pour semer les valeurs coopératives dans le monde de la concurrence), il faudra bien qu’un jour les ONG définissent plus nettement leur identité et leur finalité. Nées en tant qu’œuvres de charité destinées à acheminer l’argent des pays riches vers les pays pauvres, il est normal que les ONG aient du mal à s’adapter à un monde de partenariat plus égalitaire et de relations non financières. D’après nous, celles qui rateront le virage frapperont un mur, ou alors se perdront tranquillement dans la nature. 2. Les relations entre les ONG Dans tous les pays, les ONG vivent la réalité de la concurrence dans un milieu où les subventions se font de plus en plus rares. De fait, une bonne partie de la publicité, des actions médiatiques et de la représentation politique des ONG a pour but d’accroître leur visibilité afin de s’assurer un afflux continu de ressources de la part de la population et des bailleurs de fonds publics. Ce besoin, qui motive un grand nombre des changements en cours, se répercute des ONG du Nord à celles du Sud jusqu’aux organisations communautaires. L’approche participative pourrait servir de contrepoids à cette réalité, mais on s’en sert souvent plutôt comme moyen d’engager les populations dans les programmes définis par les ONG : rares sont les ONG ayant mis en place des structures qui répondent aux besoins de la base. Le « partenariat » est sur toutes les lèvres, mais la répartition des fonds et de l’autorité demeure très inégale. Nous savons déjà tout cela; mais ce n’est pas tout, car la transformation actuelle du monde offre aux ONG toute une panoplie de formules qui leur permettraient d’interagir de façon nouvelle et plus saine : les alliances entre intervenants de poids égal, les partenariats véritables et la constitution de réseaux synergiques qui se font et se défont au gré des besoins peuvent remplacer les asymétries de pouvoirs et de visibilité qui caractérisent les relations Nord-Sud depuis tant d’années. L’informatique peut faciliter ce processus grâce à son potentiel de décentralisation – avantage que les entreprises exploitent d’ailleurs déjà, mais non les ONG. D’après Peter Senge (1998), les organisations qui réussiront le mieux au XXIe siècle ressembleront plus « à des sociétés démocratiques qu’à des entreprises traditionnelles ». Plutôt que d’essayer d’imposer un ordre à un monde dans le chaos (ce qui ne ferait que compliquer les choses), elles essaieront d’extraire l’ordre du chaos grâce à des rapports non autoritaires entre les personnes qui sont véritablement intéressées à s’entraider pour apprendre et se développer. Jonathan Kotter (1998) compare ce modèle à un « vaisseau amiral moins imposant entouré de navires beaucoup plus nombreux et affranchi d’un grand nombre de contraintes organisationnelles ». Ces innovations structurelles seraient particulièrement importantes pour les activités qui dépassent les frontières – comme les pressions politiques – mais à ce jour, les conflits d’intérêts et le besoin de visibilité en ont sapé le développement. On continue de ne pas s’entendre sur la légitimité des intervenants : les ONG du Nord préfèrent toujours parler elles-mêmes « au nom des autres » dans les forums internationaux; quant aux ONG du Sud, elles « représentent » parfois des collectivités qui ne sont pas au courant de leur intervention ou qui doutent de son utilité. Le « virage politique » est indissociable de la constitution d’alliances qui garantiront que les changements globaux se traduiront par des avantages pour des personnes en chair et en os. Ainsi, les nouveaux enjeux planétaires convient les ONG non seulement à interagir entre elles différemment, mais aussi à créer des liens avec d’autres groupes de la société civile capable de mieux se positionner sur la scène politique et économique – syndicats, groupes de consommateurs, mouvements féministe et écologiste, universitaires, groupes de réflexion, médias d’actualité – en vue de lancer un mouvement planétaire pour le développement durable. Les ONG ont besoin de trouver une nouvelle façon de s’adresser à divers groupes sociaux, surtout les jeunes, et d’assouplir ou d’aménager leurs relations avec les bailleurs de fonds officiels pour que « le nerf de la guerre » ne soit pas employé à mauvais escient par les organisations qui prétendent répondre à la voix de ceux qu’ils servent, sous prétexte que c’est le payeur qui décide. 3. Les capacités des ONG Pour assumer ces rôles et ces relations, les ONG devront acquérir toute une gamme de compétences nouvelles en matière d’apprentissage, de médiation, de dialogue et d’influence. Les ONG doivent se dégager des questions étroites de gestion (souvent empruntées sans discernement au secteur privé), de l’acquisition des compétences valorisées par les bailleurs de fonds et des méthodes traditionnelles de lobbying, au profit d’une palette de compétences plus vaste comprenant la faculté d’écouter les gens, de se laisser inspirer par eux et de collaborer à l’échelle locale et internationale, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde du développement. Il importe d’avoir une compréhension plus globale des entraves au travail des ONG sur le plan planétaire et une bonne idée de la mutation qui doit s’opérer en elles pour qu’elles puissent répondre aux nouvelles exigences. Les ONG doivent relativiser leur obsession de la visibilité pour se consacrer davantage à la création d’alliances, à la concertation et à la répartition des rôles et responsabilités. Il sera indispensable que les ONG se montrent plus réceptifs aux idées nouvelles et à l’acquisition de nouvelles connaissances compte tenu de l’entrée en scène de nouveaux acteurs et de l’avènement de problèmes nouveaux, des changements rapides et imprévisibles, de l’arrivée des entreprises, des Églises et des syndicats dans les débats sur le développement et des progrès incessants de l’informatique (Edwards 1997). Ces développements obligeront les ONG à mieux comprendre l’évolution de leur contexte de travail, à en reconnaître les implications dans leur pratique et à choisir les alliances et les stratégies qui leur permettront de s’y adapter durablement. Les nouveautés du marché et de l’économie exigeront des ONG plus de raffinement dans leurs analyses et leurs propositions, sans toutefois abandonner la force du témoignage de la base et des protestations ouvertes. Pour porter des jugements nuancés sur les urgences politiques complexes, elles devront développer une compétence en recherche et en analyse. Il est peu probable que les ONG relèvent ce défi avec succès sans l’aide du milieu de la recherche, ce qui suppose une intensification des contacts avec ce milieu et de nouvelles formes de coopération au-delà des frontières institutionnelles. Combinée à la montée de la société civile dans le Sud, l’absence de réponses simples aux dilemmes du développement durable remet en cause les approches traditionnelles des ONG en matière de militantisme. Il devient maintenant plus important de se concerter à long terme pour une démarche d’innovation et d’apprentissage mutuel que de clamer que les ONG ont les réponses et n’ont plus qu’à convertir les autres. Voilà un défi de taille pour des organismes qui ont l’habitude depuis leurs débuts de se donner le beau rôle sur le plan moral. Sans compter que l’avènement de conflits d’intérêts à court terme entre les groupes de pauvres dans différentes parties du monde (surtout en matière de commerce mondial) souligne l’importance de développer les capacités de tous les intervenants de sorte que chacun puisse participer sur un pied d’égalité à la négociation d’un régime équitable plutôt que de prétendre que les penseurs du Nord ou du Sud peuvent nous pondre des solutions toutes faites idéales pour tout le monde. 4. Légitimité et responsabilité Derrière tous ces changements, c’est la question plus fondamentale de la légitimité et de la responsabilité des ONG qui se pose. En effet, c’est cet aspect des ONG – leur droit de faire ce qu’elles font et de dire ce qu’elles disent – qui est remis en cause par les événements mondiaux et par les idées nouvelles. La légitimité des ONG (surtout celles du Nord) est maintenant un sujet de débat public ouvert. Il faut dire qu’une bonne partie des critiques étalées dans la presse et ailleurs sont superficielles et davantage motivées par l’idéologie que par la rigueur intellectuelle, et qu’elles présentent un risque grave de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Elles ne semblent cependant pas vouloir se taire de sitôt, surtout au sujet de la question incontournable de la représentation dans un contexte où les régimes mondiaux se tournent vers la pluralité. Le simple fait qu’une ONG dirige des projets ou ait des contacts sur le terrain ne légitime pas son droit de cité pour les éléments sceptiques des médias, entre autres, et surtout aux yeux des populations locales, plus critiques. Les ONG du Sud contestent le droit des ONG du Nord de parler en leur nom; les femmes contestent le droit des ONG dominées par les hommes de les représenter; et à mesure que l’accès à la technologie s’élargit, les collectivités ont la conviction de pouvoir parler en leur propre nom par la vidéo et par Internet autant que par des mesures plus traditionnelles comme les marches et les manifestations. Lors d’une conférence par Internet organisée en préparation d’une réunion de l’ONU sur les femmes à Addis-Abeba, on a constaté que – contrairement à la plupart des groupes de discussion par Internet – plus de 40 pour 100 des participants étaient des femmes d’Afrique, alors même qu’il s’agit du groupe ayant le moins accès aux ressources et à la technologie. Dans la mesure où les pauvres ont de plus en plus de moyens d’accéder à l’information et prennent plus de poids dans les débats internationaux, la légitimité des organismes du Nord dominés par les hommes est appelée à disparaître complètement. Ces organismes devront apprendre à s’effacer, à laisser plus de place aux autres, et à partager avec des réseaux plus démocratiques leurs riches moyens financiers et technologiques, ainsi que leur accès au pouvoir. Pour répondre à ces critiques croissantes, les ONG doivent elles-mêmes être bonnes citoyennes, à défaut de quoi elles ne pourront ni encourager la coopération et la responsabilité dans les autres institutions ni se faire reconnaître comme des membres légitimes de la société civile internationale émergente. Or, rares sont les ONG qui disposent de modes démocratiques de gestion ou de responsabilité. En tant que prestataires de services, elles n’en ont pas besoin; en tant qu’acteurs sociaux, cela leur est indispensable. En effet, tout acteur social tient sa légitimité de son enracinement dans son milieu, d’un groupe d’appui engagé dans son propre pays et des alliances qu’il forge avec le reste de la société civile. Les ONG devront apprendre à faire preuve de plus d’ouverture et de transparence à une époque où la responsabilité institutionnelle est une condition pour occuper un siège à la table de négociation. Quand on balaie sous le tapis les questions controversées et quand on s’avère incapable d’appliquer à sa propre organisation ses belles paroles en matière d’équité et de gestion participative, on est mal placé pour persuader le voisin de se réformer. Si les ONG veulent devenir des acteurs sociaux dans un monde planétaire et y faire valoir la justice, l’équité, la démocratie et la transparence, elles se doivent d’adopter ostensiblement ces valeurs dans leurs propres systèmes et structures. Il est très difficile de modifier l’équilibre actuel des pouvoirs dans le monde des ONG; nous avons d’ailleurs pu le constater en organisant le colloque. En effet, il est beaucoup plus facile de communiquer avec les organisations du Nord et avec les ONG fortunées du Sud. On trouve difficilement des organisations prêtes à concrétiser leur appui pour un élargissement de la participation en fournissant les ressources financières nécessaires qui permettraient aux petits organismes de se faire entendre. Tant que cette situation perdurera, le public continuera de mettre en doute de plus en plus la légitimité et la responsabilité des ONG, ce qui minera immanquablement la crédibilité dont celles-ci ont besoin pour jouer un rôle dans les débats planétaires. Partie IV : Conclusion La thématique est donc riche et complexe. Aussi serait-il illusoire de s’attendre à un consensus à l’issue de trois jours de débats à Birmingham. N’oublions pas toutefois que s’y trouveront des participants de tous les horizons ayant à offrir une riche palette d’idées et d’expériences. Notre rencontre offrira au moins l’occasion de discuter de l’action des citoyens au XXIe siècle, de faire le point sur nos succès et nos échecs dans un esprit critique mais bienveillant, et de déterminer pour l’avenir les sphères d’action, de recherche et d’apprentissage. Au cœur de ce dialogue et de ces expérimentations : les valeurs civiques. Non, les ONG ne s’entendront pas sur des questions pointues comme l’attitude précise à adopter face à la mondialisation, aux conflits ou à l’action humanitaire, et encore moins sur leur degré d’engagement comme organisations. Cependant, il est fort à parier qu’elles désigneront unanimement certaines valeurs (non commerciales) comme essentielles à notre avenir commun – coopération, pacifisme, respect des droits de la personne et du processus démocratique – et ce, quelles que soient les formes que peuvent prendre ces principes selon le contexte culturel. Sontce là des valeurs « civiques » ou « sociales », ou simplement des valeurs universelles? Il est moins important de trancher cette question que de travailler main dans la main pour faire de ces valeurs le fondement de nos décisions dans les domaines économique, écologique, social et politique. Les ONG doivent être les porte-flambeaux d’un ordre moral planétaire où la pauvreté et la violence sont inacceptables. Elles doivent constituer de fidèles exemples des sociétés qu’elles veulent créer, et s’efforcer encore davantage d’intégrer les valeurs civiques dans les sphères du pouvoir économique, social et politique. C’est un virage radical qui s’impose. Actuellement, les ONG sentent peut-être le besoin de ce virage, mais elles en craignent les conséquences institutionnelles, alors la plupart cherchent à défendre la notion, axée sur les valeurs, d’un mouvement social mondial intégré à un cadre de fonctionnement qui les fait progresser sur le marché (Edwards 1998a, 1998b). Il en résulte un cafouillis bien prévisible, ainsi qu’une tension interne palpable. Il se peut bien que ces tensions soient carrément insoutenables pour les grandes ONG tributaires de l’aide officielle, d’où l’émergence à leurs côtés de nouveaux organismes. Comme le faisait valoir Chris Roche à propos d’Oxfam, on ne peut pas « transformer un superpétrolier en radeau de rafting ». On verra peut-être un jour les grandes ONG d’aujourd’hui comme des créations utiles mais temporaires d’une époque bien particulière qui auront été supplantées par de nouvelles formes d’organisation civique mieux adaptées aux besoins et caractéristiques du XXIe siècle. Les meilleurs éléments du monde des ONG auront le courage, l’imagination et la latitude nécessaires pour passer d’un monde à l’autre; les autres disparaîtront peu à peu de la scène publique, sans que l’humanité n’ait à les regretter. La question fondamentale qui se pose à toutes les ONG est la suivante : comment passer de notre situation actuelle d’agents malheureux d’un système d’aide étrangère en déclin à celle que nous visons – vecteurs de la coopération internationale sur la nouvelle scène mondiale? Chaque ONG aura sa propre réponse à cette question et se trouvera un créneau particulier au milieu de la riche mosaïque de l’action civique qui s’organise. Et chacune sera dans son droit, à condition de se montrer transparente et responsable de ses actes. Il incombera ensuite à sa base de soutien (publique ou privée) de décider si elle mérite ou non son appui dans le contexte de l’aprèsvirage. Ce que nous prétendons, c’est que les tendances mondiales forcent toutes les ONG à revoir leur mandat, leur mission et leurs stratégies. Cette opération suppose certes des changements organisationnels majeurs et un esprit de sacrifice à court terme, mais elle constituera une force libératrice à longue échéance, aussi bien pour la société en général que pour les organisations elles-mêmes et leur personnel. À l’ère de la mondialisation, les ONG peuvent avoir le monde à leurs pieds. À elles de saisir l’occasion. Notes (1) Respectivement : Unité des ONG, Banque mondiale, Washington (États-Unis); Institute for Development Policy and Management, University of Manchester (Royaume-Uni); International Development Department, University of Birmingham (Royaume-Uni). Ont également formulé des commentaires précieux au sujet d’une version antérieure de cet article : Mark Duffield, Alan Fowler, Mahbubul Karim et Simon Zadek. Prière d’adresser les demandes d’autorisation de reproduction à Michael Edwards, qui assume la responsabilité du contenu de l’article. (2) Dans l’ensemble du présent document, le terme « société civile » désigne un vaste ensemble d’organisations non étatiques et non commerciales comprenant les ONG, les groupes communautaires, les Églises, les mouvements sociaux, les syndicats, les associations commerciales, les partis politiques et les groupes de réflexion. Les ONG constituent un sousensemble, quoique particulièrement hétérogène – de la société civile. (3) Parmi les dignes représentants de la première école, citons Korten (1995), Grieder (1997) et Gray (1998). Pour la deuxième, mentionnons les noms de Hirst et Thompson (1996) et d’Edwards (1999); quant à la troisième position, c’est celle de la plupart des organisations d’aide internationale et des gouvernements du Nord. (4) BBC News, 22 septembre 1998. (5) Nous traitons surtout ici des urgences politiques complexes. Notre intention n’est pas de minimiser l’importance des catastrophes naturelles. Cependant, les ONG ont grandement accru leur capacité à réagir à ces dernières situations. Bibliographie N.B. : Cette bibliographie ne se veut pas exhaustive; elle ne comporte que les ouvrages cités dans le texte, en plus de quelques documents utilisés dans la rédaction de l’article. Anderson, M. et coll. (1998), Do No Harm, Boulder, Lynne Rienner. Archibugi, D. et Held, D. (1995), Cosmopolitan Democracy, Cambridge, Polity Press. Bebbington, A. (1996), « Organisations and Intensifications : campesino federations, rural livelihoods and agricultural technology in the Andes and Amazonia », World Development 24(7), 1161-77. Blauert, J. et Zadek, S. (sous la direction de) (1998), Mediating Sustainability, West Hartford, Kumarian Press. Brown, L.D. et Kalegaonkar, A. (1998), « Challenges to Civil Society and the Emergence of Support Organisations », Institutional Development V(1), 20-37. Duffield, M. (1994), « Complex Emergencies and the Crisis of Developmentalism », IDS Bulletin 25(4), 37-45. Duffield, M. (1999), Reading Development as Security : Post Nation-State Conflict and the Creation of Community. Communication devant être prononcée au colloque NGOs in a Global Future, Birmingham, 1999. Edwards, M. (1997), « Organisational Learning in NGOs : what have we learned? », Public Administration and Development 17(2), 235-50. Edwards, M. (1998a), « NGOs as Values-Based Organisations », dans International Perspectives on Voluntary Action : Rethinking the Third Sector, sous la direction de D. Lewis, Londres, Earthscan. Edwards, M. (1998b), « International Development NGOs : agents of foreign aid or vehicles for international co-operation? », Discourse (novembre). Edwards, M. (1999), Future Positive : International Co-operation in the 21st Century, Londres, Earthscan et West Hartford, Kumarian Press. Fisher, J. (1998), Non-Governments : NGOs and the political development of the Third World, West Hartford, Kumarian Press. Fowler, A. (1997), Striking a Balance : a guide to the effective management of NGOs in international development, Londres, Earthscan. Fowler, A. (1998), « Authentic NGDO Partnerships : dead end or way ahead? », Development and Change. Foy, C. et Helmich, H. (1996), L’opinion publique et le développement international = Public Support for International Development, Paris, OCDE. Gaventa, J., Crossing the Great Divide : Building links between NGOs and CBOs in North and South, dans D. Lewis (sous la direction de), op. cit. Goodhand, J. (1998), « NGOs in Batticaloa District, Sri Lanka », Mimeo, NGOs and Peacebuilding Project, Manchester, IDPM. Goodhand, J. et Hulme, D. (1998a), « From Wars to Complex Political Emergencies : understanding conflict and peace-building in the new world disorder », Third World Quarterly (décembre). Goodhand, J. et Hulme, D. (1998b), The Role of NGOs in Complex Political Emergencies : Background Report to the Steering Committee, Manchester, Institute for Development Policy and Management. Gates, J., The Ownership Solution. Gibson, R. (sous la direction de) (1998), Rethinking the Future : rethinking business principles, competition, control, leadership, markets and the world, Londres, Nicholas Brealey. Gray, J. (1998), False Dawn : the delusions of global capitalism, Cambridge, Granta. Greider, W. (1997), One World, Ready or Not, Harmondsworth, Penguin. Griffin, K. et McKinley, T. (1996), New Approaches to Development Co-operation, New York, PNUD. Held, D. (1995), Democracy and the Global Order : from the modern state to cosmopolitan governance, Cambridge, Polity Press. Hirst, P. et Thompson, G. (1996), Globalisation in Question, Cambridge, Polity Press. Hobsbawm, E. (1994), The Age of Extremes, Londres, Abacus. Keck, M. et Sikkink, K. (1998), Activists beyond Borders : trans-national advocacy networks in international politics, Cornell University Press. Keen, D. (1994), The Benefits of Famine : a Political Economy of Relief in North-West Sudan, Princeton University Press. Khor, M. (1996), « The WTO and Foreign Investment : implications and alternatives for developing countries », Development in Practice 6(4), 304-14. Krut, R. (1997), Globalisation and Civil Society : NGO influence in international decisionmaking, Genève, UNRISD. Kotter, J. (1998), « Cultures and Coalitions », dans R. Gibson (sous la direction de), op. cit. Korten, D. (1995), When Corporations Rule the World, West Hartford, Kumarian Press. Lewis, D. (sous la direction de) (1998), International Perspectives on Voluntary Action : rethinking the Third Sector, Londres, Earthscan. Malhotra, K. (1996), A Southern Perspective on Partnership for Development : some lessons of experience, Ottawa, CRDI. Mathews, J. (1997), « Power Shift », Foreign Affairs (janvier-février), pp. 50-66. NEF/CIIR (1997), Open Trading : options for effective monitoring of corporate codes of conduct. Nelson, J. (1996), Business as partners in development : creating wealth for countries, companies and communities, Londres, Prince of Wales Business Leaders Forum. Nelson, P. (1996), « Internationalizing Economic and Environmental Policy : transnational NGO Networks and the World Bank’s expanding influence », Millennium 25 (3). O’Brien, R, Goetz, A.M., Scholte, J.A. et Williams, M. (1998), Complex Multilateralism : Global Economic Institutions and Global Social Movements, Londres, ESRC. Overseas Development Institute (1998), « The State of the International Humanitarian System », ODI Briefing Paper 1998/1. PNUD (1998), Rapport mondial sur le développement humain = Human Development Report, New York, PNUD. Prendergast, J. (1997), Crisis Response : Humanitarian Band-Aids in Sudan and Somalia, Londres, Pluto Press. Reilly, C. (sous la direction de) (1995), New Paths to Democratic Development in Latin America : the rise of NGO-municipal collaboration, Boulder, Lynne Rienner. Riddell, R. (1996), Aid in the 21st Century, New York, PNUD. Ritchey-Vance, M. (1996), « Social Capital, Sustainability and Working Democracy : new yardsticks for grassroots development », Grassroots Development 20(1), 3-9. Salamon, L. et Anheier, H. (1997), The Nonprofit Sector in the Developing World, Manchester University Press. Senge, P. (1998), « Through the Eye of a Needle », dans Gibson (sous la direction de), op. cit. Slim, H. (1997), « Relief Agencies and Moral Standing in War », Development in Practice 7(4), 342-52. Sogge, D. (1996), Compassion and Calculation : the Politics of Private Foreign Aid, Londres, Pluto Press. Wallace, T. (1997), Standardising Development : influences on UK NGOs policies and procedures, Oxford, Worldview Press. Weiss, T. et Gordenker, L., « NGOs, the United Nations and Global Governance », Third World Quarterly, numéro spécial 16(3). Zadek, S. et coll. (sous la direction de) (1997), Building Corporate Accountability, Londres, Earthscan. Zadek, S. (sous la direction de) (1998), « Consumption », numéro spécial de Development 41 (1), printemps.