Document de réflexion pour le colloque
LES ONG ET LA MONDIALISATION :
ACTION LOCALE, INFLUENCE MONDIALE
Michael Edwards, David Hulme et Tina Wallace (1)
Table des matières
Résumé
Partie I : Introduction
Partie II : L’évolution de la conjoncture mondiale
1. Mondialisation
1.1 Qu’est-ce que la mondialisation? Technologie et culture.
1.2 Les réactions à la mondialisation : le rôle de la société civile
1.3 Les réactions de la société civile à l’échelon local
1.4 Du local au planétaire
2. La réforme de la coopération internationale
2.1 De l’aide à l’étranger aux orientations politiques
2.2 Évolution des rôles : développement des capacités
2.3 Évolution des rôles : mobilisation
2.4 Évolution des relations : l’organisation civique transnationale
3. Aide humanitaire, conflits et consolidation de la paix
3.1 Le désordre de l’après-Guerre froide
3.2 Les ONG et l’action humanitaire : tensions et dilemmes
3.3 Action humanitaire : nouvelles orientations
Partie III : Conséquences organisationnelles
1. Les rôles des ONG
2. Les relations entre les ONG
3. Les capacités des ONG
4. Légitimité et responsabilité
Partie IV : Conclusion
Notes
Bibliographie
Résumé
1. À l’aube du nouveau millénaire, la situation sur la planète n’a jamais été aussi propice à
l’action civique. Le colloque a pour but d’explorer ce filon. Dans le présent document de
réflexion, nous décrivons la conjoncture en résumant les grands courants économiques, sociaux
et politiques ayant une incidence sur le monde des ONG et en tirant les conclusions qui
s’imposent en matière d’action et d’orientation. Trois thèmes connexes sont abordés :
mondialisation, inégalité et insécurité; réforme de la coopération internationale au vu de la
réduction de l’aide étrangère officielle; dilemmes de l’action humanitaire dans les situations
d’urgence politiquement complexes. Notre thèse : ces tendances appellent une réforme en
profondeur des rôles, relations, capacités et responsabilités des ONG. Celles qui ne s’adaptent
pas se heurteront à un mur.
2. Avec la mondialisation, la pauvreté et l’insécurité prennent des formes inédites – sur les
plans intérieur et international – qui nécessitent des mesures nouvelles d’une ampleur planétaire.
En tant qu’acteurs de la nouvelle société civile mondiale, les ONG peuvent contrer les forces
d’exploitation et d’exclusion en redistribuant les avoirs et les libertés d’action, en intégrant les
valeurs sociales dans les mécanismes du marché et en clamant la responsabilité des institutions
économiques. Ces questions sont tout ce qu’il y a de plus actuel dans le monde des ONG; le
colloque nous offre l’occasion de faire le point sur ce qui se fait et de définir les orientations
futures.
3. Avec le déclin de l’aide étrangère, on voit poindre de nouvelles formes de coopération
internationale qui consistent à s’adapter au changement en se concentrant plus sur les règles et
les normes que sur le transfert de ressources subventionnées. Sur ce plan, la question est la
suivante : les régimes de l’avenir profiteront-ils aux plus démunis? Les ONG ont un grand rôle à
jouer en ce sens : elles se doivent de mobiliser les populations de leur pays, de créer des alliances
transnationales faisant valoir les intérêts des pauvres par des mécanismes de gestion pluralistes,
et aider les groupes d’action politique à intervenir sur toutes les tribunes. Cette action est encore
embryonnaire, mais elle est déjà assez avancée pour qu’on puisse faire un premier bilan.
4. Les conflits intraétatiques sont le reflet du désordre de l’après-Guerre froide et de
l’insécurité engendrée par les injustices mondiales. Prises entre l’ampleur de la souffrance
humaine et les atermoiements politiques de la communauté internationale, les ONG se sont vues
s’enfoncer dans un fatras de tensions et de dilemmes. Il s’est ensuivi une période sans précédent
d’introspection et de révision en profondeur du rôle des ONG sur la scène humanitaire. Alors
qu’elles se concentraient autrefois principalement sur les secours immédiats, elles se lancent
aujourd’hui dans tout un ensemble de stratégies interreliées de consolidation de la paix, de
résolution des conflits, de pressions politiques et d’aide humanitaire en cherchant à obtenir des
changements d’ordre structurel autant que des résultats concrets sur le terrain. Nous traiterons de
ces dilemmes au colloque.
5. Ces trois tendances convergent vers le besoin de nouvelles formes de solidarité – d’un
nouveau « contrat social » – entre les citoyens et les autorités aux différents paliers du système
mondial. Si ces nouveaux rapports – partenariats, alliances et autres formes de coopération –
servent d’appui aux innovations des ONG, ils les obligent aussi à se transformer : elles doivent
compléter l’action pragmatique par l’action politique; elles doivent tisser des liens nouveaux
avec les entreprises, avec des organes de l’État, avec l’armée, avec les institutions internationales
et avec les autres groupes de la société civile; enfin, elles doivent acquérir de nouvelles capacités
pour gérer ces rapports. Quand les relations et les intérêts deviennent complexes et diffus, il est
primordial de se doter de mécanismes clairs de reddition de comptes. Si elles veulent éviter la
marginalisation en tant que composantes d’un État-providence mondial, les ONG doivent
montrer qu’elles ont le droit d’être traitées comme des acteurs de premier plan dans la nouvelle
société civile internationale. À l’ère de la mondialisation, les ONG peuvent avoir le monde à
leurs pieds. À elles de saisir l’occasion.
Partie I : Introduction
Au seuil du nouveau millénaire, les ONG participent aux sentiments confus éprouvés par les
mondes de la politique, des idées et du militantisme social : on sent une grande fébrilité en
songeant aux nouvelles perspectives, mais aussi une inquiétude générale au sujet de l’avenir.
Dans le monde des ONG, cette fébrilité tient au potentiel d’action citoyenne que recèle la
conjoncture mondiale, potentiel d’une ampleur encore jamais vue. Quant aux inquiétudes, elles
découlent de l’incertitude croissante entourant le rôle futur des ONG de développement, et
surtout des intermédiaires qui vivent de subventions et sont dépourvus de tout mode
démocratique de bonne gestion et de reddition de comptes (2). C’est cette conjonction historique
de perspectives prometteuses et de défis que nous examinerons au colloque, tout en traitant de
l’intérêt croissant manifesté envers le rôle que peut jouer la coopération internationale dans la
limitation des dégâts de l’économie mondiale « de casino ».
Le but du présent document est non pas de passer en revue l’état de la recherche ni de
l’expérience des ONG, mais plutôt de proposer un cadre propre à alimenter la réflexion des
participants et à aider à relier leur action individuelle à la conjoncture générale. Nous
commencerons par examiner l’évolution du milieu des ONG de développement international tout
en définissant certains problèmes qui s’y rattachent. Ce faisant, nous aborderons trois grandes
tendances correspondant aux thèmes sous-jacents à l’ensemble du colloque :
la mondialisation, qui transforme le visage de la pauvreté à l’échelle planétaire, accentue
les inégalités et accroît l’insécurité dans le monde;
la transformation du monde de la coopération internationale, qui réagit à ces réalités
nouvelles en délaissant l’aide étrangère au sens strict pour s’intéresser plutôt aux règles,
aux normes et aux actions visant à protéger les plus vulnérables;
les « situations d’urgence politiquement complexes » illustrant le désordre de l’après-
Guerre froide, période marquée par une dilution de l’autorité de l’État qui incite les gens
à trouver refuge dans leur appartenance ethnique ou religieuse.
Au travers de ces trois tendances connexes se révèle le besoin d’une nouvelle forme de solidarité
– d’un nouveau « contrat social » – entre les citoyens de différentes polities et les nouvelles
structures d’autorité aux différents niveaux du système mondial. Ces nouvelles relations –
partenariats, alliances et autres formes de collaboration – fournissent le cadre des innovations des
ONG en économie, en politique et en services sociaux. Cependant, pour agir efficacement, les
ONG doivent se donner des rôles, des relations et des capacités nouvelles; c’est le sujet de la
deuxième partie du présent document.
On peut mettre en doute l’opportunité d’une optique aussi vaste et prospective alors qu’il reste
encore tant à faire ne serait-ce que pour régler les dossiers abordés aux deux premières
conférences de Manchester : comment maximiser et mesurer l’efficacité des interventions?
comment collaborer avec les gouvernements et les bailleurs de fonds tout en préservant son
indépendance et en continuant de rendre des comptes aux intéressés? Or, ces dossiers progressent
effectivement, quoique de façon parcellaire. Ce qu’il manque, c’est un cadre plus vaste qui fasse
un lien entre les bouleversements qui agitent le milieu des ONG et les grands enjeux
économiques et politiques de notre époque. Nous espérons que les communications et les débats
auxquels donnera lieu le colloque permettront de préciser un peu plus ce cadre et ainsi de réagir
plus efficacement aux tendances mondiales pour le bien des gens que nous voulons aider.
Ultimement, ce sont ces grandes tendances qui détermineront si les ONG de développement
seront des acteurs importants sur la scène mondiale au XXIe siècle, car si les ONG ne font pas
vraiment partie de l’« avenir planétaire », alors elles sont probablement promises à un triste
avenir – du moins sous leur forme actuelle.
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