Mais – et cela n’est pas sans créer une certaine confusion – ce n’est donc
pas dans le cadre des pièces sous-titrées « concertantes » que cette virtuosi-
té s’épancha, mais dans celui des œuvres « brillantes ». Le phénomène se
traduisit par l’emprise de certains instruments qui voulurent exceller seuls,
et reléguèrent dans l’ombre les parties considérées comme accompagna-
trices. Le violon passa maître dans cet art, et tout, jusqu’à la disposition
visuelle des exécutants, en marqua la domination dans le quatuor brillant:
Baillot n’hésitera pas à jouer debout alors que le second violon, l’alto et le
violoncelle resteront assis… De nombreuses pièces, parues durant la
période révolutionnaire, revendiquèrent ouvertement cette esthétique. Ainsi
les très originales Variations pour violon solo, avec accompagnement
d’alto éditées par Nebauer chez Duhan en 1803 246.
L’ascendant du style brillant sur le style concertant se fit très vite sentir,
bien qu’on tentât parfois de mêler les deux écritures. Loin d’être irréali-
sable, cela nécessitait la présence d’instrumentistes tous virtuoses et donnait
à l’exécution le caractère d’un concert exceptionnel. Une dimension à
laquelle la musique de chambre ne prétendait pas encore. Alexis de Garaudé
s’essaya entre autre à la composition de Six duos concertants et d’une exé-
cution brillante pour deux violons 247, mais à une époque déjà avancée,
l’édition paraissant après 1820. Beaucoup d’œuvres faisaient plutôt le choix
d’un style et tentaient de s’y tenir, de plus en plus au détriment de l’écriture
concertante. Dès 1804, la Correspondance des Amateurs Musiciens doit
admettre que « le quatuor concertant ne jouit plus aujourd’hui que d’un
reste de faveur; il est abandonné au bon vieux goût d’un petit nombre
d’amateurs, qui demeurent avec l’antique persuasion que la musique de ce
genre, si aimable dans la chambre, exige une entente parfaite de la part des
exécutans, qu’il faut pour la bien dire, l’avoir dite plusieurs fois ensemble,
et se faire un sacrifice mutuel de toutes prétentions, qui ne tendraient qu’à
faire briller l’exécution au lieu de l’ouvrage. Pendant que les amateurs de
cette classe restent seuls fidèles au genre de composition dont nous par-
lions, il s’en est formé d’autres qui, dédaignant cette espèce d’égalité néces-
saire dans le jeu du quatuor concertant, ambitieux de briller seuls, et à
moins de frais sans doute, ont amené la mode d’arriver avec un quatuor dont
le premier violon tient de la sonate ou du concerto. Les autres parties n’étant
que de simples accompagnements, les premiers venus peuvent à peu près
les remplir; et, bien ou mal accompagné, le champion scie la corde, abat des
QUATUORS ET SEXTUORS À CORDES - 25 NOVEMBRE 137
nous rendions dans la grande, qui lui est contiguë, pour jouir de ces délicieuses harmonies.
L’Impératrice me demandait toujours si j’avais assisté au concert et si j’avais bien entendu la
musique; certes, je n’avais garde d’y manquer. » (Marie-Jeanne Avrillion, Mémoires de
Mademoiselle Avrillion, Première femme de chambre de l’impératrice, sur la vie privée de
Joséphine, sa famille, sa cour, Paris, Mercure de France, 1969, p. 196).
246. Voir l’annonce publicitaire dans le Courrier des Spectacles du 2 octobre 1803.
247. Alexis de Garaudé, Six duos concertans et d’une exécution brillante pour deux violons, œuvre
28e, 2eet 3elivres de duos, Paris, l’Auteur, ca 1825.