La dépression, l`autisme, l`alzheimer, le parkinson... Pour soigner les

24 { FÉVRIER 2015 L’ACTUALITÉ
LE CERVEAU
LIVRE
SES SECRETS
La dépression, l’autisme,
l’alzheimer, le parkinson...
Pour soigner les maladies
du XXI e siècle, les chercheurs
de la planète veulent
comprendre l’organe
humain le plus complexe :
le cerveau . Un eort sans
précédent qui commence
à porter ses fruits...
 PAR VALÉRIE BORDE
GRAND DOSSIER
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LACTUALITÉ FÉVRIER 2015 } 25
LE CERVEAU
LIVRE
SES SECRETS
C’ est arrivé brus-
quement, sans 
aucun signe
annonciateur. 
Fin juin 2010, en revenant du 
chalet familial, Sophie Cliche 
a perdu connaissance. Après 
qu’elle eut passé trois jours 
aux urgences, le verdict est 
tombé pour cette Montréa-
laise de 45 ans, avocate de 
profession et mère de trois 
adolescentes : une tumeur 
au cerveau, qui grossit tout 
doucement, a provoqué 
une énorme crise d’épilep-
sie. Si le cancer s’étend, il 
risque d’entraîner des pro-
blèmes encore plus graves, 
jusqu’à la mort.
Mais les spécialistes qui 
l’examinent hésitent à l’opérer.
En enlevant la tumeur, qui s’est 
développée en forme d’étoile 
infiltrée dans le lobe pariétal
gauche, ils craignent de paralyser
la moitié de son corps, en plus 
de toucher à des fonctions cogni-
tives très précieuses, telles que 
la mémoire ou le langage. Les 
autres options, comme la radio-
thérapie, risquent aussi d’entraî-
ner des séquelles. Que faire ?
Pour les médecins et chirur-
giens, le cerveau est, de loin, la 
partie du corps la plus délicate
à traiter. « On doit composer avec 
un immense degré d’ignorance 
de son fonctionnement, alors que 
c’est l’organe le plus vital de tous 
ceux  dont  la  nature  nous  a
dotés ! » s’exclame le DrGuy Rou-
leau, généticien et directeur du 
Neuro, l’Institut et hôpital neu-
rologiques de Montréal (Univer-
Ï
ALFRED PASIEKA / SCIENCE PHOTO LIBRARY
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26 { FÉVRIER 2015 LACTUALITÉ
fonctionne le cerveau humain
et comment on peut le soigner.
Ces dernières années, gouver-
nements, industriels et philan-
thropes se sont unis dans un effort
planétaire sans précédent pour
doper la recherche en neuro-
sciences et mettre en commun les
connaissances, en s’appuyant sur
les progrès rapides dans le traite-
ment informatique d’immenses
quantités de données les big
data. En janvier 2013, la Commu-
nauté européenne a lancé un
programme d’un milliard d’euros
sur 10 ans, le Human Brain Pro-
ject, auquel collaborent des cher-
cheurs de 24 pays, dont le Canada.
Objectif : établir un modèle infor-
matique complet du cerveau de
l’homme et de la souris, une sorte
de schéma de principe qui aiderait
à décoder ce qui se passe quand
surviennent des anomalies.
Jadis surtout affaire de psy-
chiatres, les neurosciences
entrent ainsi dans l’ère de la big
science, comme on dit en France,
mobilisant autour d’un seul
objectif non seulement des psy-
chiatres, des généticiens ou des
biologistes moléculaires, mais
aussi des spécialistes en bio-
informatique, analyse informa-
tique et autres disciplines liées
au traitement des données. À
côté du cerveau, le boson de
Higgs, c’était de la petite bière !
Au printemps 2013, le pré-
sident Obama en personne a
donné à son tour le signal de
départ à sa BRAIN Initiative
(Brain Research through Advan-
cing Innovative Neurotechnolo-
gies) : un milliard sur 10 ans sera
consacré à la mise au point de
technologies d’analyse cérébrale.
« On réunit les sciences de la vie
et la physique pour inventer des
outils d’observation à toutes les
échelles du cerveau, depuis les
gènes qui s’expriment à l’inté-
rieur des cellules jusqu’au
câblage qui relie celles-ci pour
traiter l’information », explique
Yves De Koninck, professeur à
l’Université Laval (Québec) et
grand spécialiste en neuropho-
tonique et optogénétique, deux
disciplines en plein essor.
Le Canada n’est pas en reste :
en 2012, la Fondation Neuro
Le Dr Guy
Rouleau et la
chercheuse
Dominique
Verlaan, de
l’Université
McGill. « Les
maladies du
cerveau
constituent
le plus grand
besoin
médical non
satisfait », dit
le généticien.
sité McGill), un des fleurons de
la recherche québécoise en neu-
rosciences. Pourtant, un milliard
de personnes dans le monde sont
victimes de maladies du cerveau,
mais surtout de problèmes psy-
chiatriques et neurologiques qui
peuvent gâcher des vies entières.
« Ces maladies constituent le
plus grand besoin médical non
satisfait », estime le Dr Rouleau.
Dans le siècle passé, on a fait des
progrès considérables dans la
compréhension des problèmes
cardiaques puis du cancer, qui
tuaient la plupart des gens avant
qu’ils soient atteints d’affections
neurodégénératives, comme
l’alzheimer ou le parkinson. « Ça
va être la grande préoccupation
du XXIe siècleet sans doute
celle du XXIIe aussi ! » prédit Guy
Rouleau.
Depuis 25 ans, il a publié plus
de 500 articles scientifiques sur
l’autisme, la sclérose latérale
amyotrophique, l’épilepsie, la
déficience intellectuelle, la mala-
die bipolaire ou les accidents
vasculaires cérébraux, dont il
cherche les causes et des pistes
de traitement dans les gènes. « Il
y a eu très peu de progrès dans
les médicaments depuis 50 ans.
Ceux qu’on utilise pour la schi-
zophrénie, l’anxiété ou la dépres-
sion ont surtout été trouvés par
hasard. Et on ne connaît ni cause
ni remède à nombre de mala-
dies neurologiques et psychia-
triques ! » Séparé du reste du
corps par un genre de filtre la
barrière hématoencéphalique,
qui agit comme un véritable rem-
part contre les agressions —, le
cerveau est aussi très difficile à
traiter par chimiothérapie quand
un cancer y prend naissance.
Mais un vent d’espoir souffle
sur les labos, l’on met au point
une multitude de technologies
qui permettront peut-être, enfin,
de mieux comprendre comment
DR GUY ROULEAU ET DR DOMINIQUE VERLAAN : RYAN REMIORZ / LA PRESSE CANADIENNE ; OPERATION : ROBERT CLARK / INSTITUTE
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Canada et le gouvernement fédé-
ral ont placé 100 millions de
dollars chacun dans un partena-
riat public-privé pour la recher-
che sur le cerveau, et des dizaines
de labos d’ici collaborent aussi
aux programmes internationaux.
Sophie Cliche a eu de la
chance dans son malheur,
puisqu’elle a déjà pu profiter de
ce développement technologique
sans précédent. C’est au Centre
hospitalier universitaire de Sher-
brooke que la science du cerveau
est venue à sa rescousse, en la
personne du Dr David Fortin, le
seul médecin au Canada qui soit
à la fois neurochirurgien et
neuro-oncologue. Sous le crâne
rasé de ce charismatique qua-
dragénaire, aux antipodes de
l’image glaciale qu’on se fait par-
fois de ces spécialistes, une idée
n’attend pas l’autre pour ce qui
est de soulager les malades.
Grâce à une technique révolu-
tionnaire, David Fortin croit
pouvoir enlever plus des trois
quarts de la tumeur de Sophie
sans qu’elle en conserve des
séquelles. « Je me suis tout de
suite sentie en confiance, même
si je devais être une des pre-
mières au monde sur qui on
testerait cette approche », me
raconte cette brune aux cheveux
courts, qui n’a que de bons mots
pour toute l’équipe de l’hôpital.
La veille de l’opération, elle
doit passer un examen d’imagerie
par résonance magnétique (IRM)
un peu particulier. D’habitude,
l’IRM repère les zones des
neurones consomment de l’éner-
gie sous forme de glucose, ce qui
permet de voir lesquelles « s’allu-
ment » lorsque le cerveau est
sollicité par une tâche simple,
comme compter ou se souvenir
de son repas de la veille. Mais
pendant que Sophie est allongée,
immobile, dans le cylindre de la
machine, l’appareil enregistre
Le cerveau, c’est quoi ?
Pourquoi c’est si compliqué ?
Parce que le cerveau est…
… vital
L’arrêt complet des fonctions du cerveau, et non celui des battements du
cœur, est le critère médicolégal qui détermine qu’une personne est décédée.
… unique
Le cerveau humain est très diérent de celui des autres animaux, y compris
les primates. Il est doté d’un cortex d’une complexité sans égale. C’est dans
cette fine couche de neurones qui enrobe le reste du cerveau que des
scientifiques comme Paul Broca, au XIXesiècle, ont découvert que se
cachaient la plupart des fonctions cognitives supérieures, tel le langage.
Replié en d’innombrables circonvolutions, le cortex aurait la taille d’une table
de bistrot si on le remettait à plat.
… plastique
Le cerveau est doté d’une incroyable capacité de se réorganiser en
permanence, sous l’eet des apprentissages, du vieillissement et de toutes les
autres expériences de la vie. Chaque cerveau est donc unique, et les maladies
qui y prennent naissance peuvent se manifester de toutes sortes de manières.
Côté apparence, notre encéphale n’est
guère impressionnant. Mais dans
cette masse grise et spongieuse d’à
peine 1,4kilo — qui, avec la moelle
épinière, forme le système nerveux
central — se cache la structure la
plus complexe que l’on connaisse
dans l’univers. Codée sous forme
chimique et électrique, l’information y
voyage en permanence entre environ
85milliards de neurones. Le cerveau
contient tout autant de cellules gliales
(qui servent surtout à alimenter les
neurones en énergie)… et plus de
650km de capillaires sanguins !
Chaque neurone est muni d’un
corps cerné de milliers de dendrites,
semblables aux branches d’un arbre,
et d’un axone, tronc longiligne dont
les racines peuvent établir de 1000
à 10000connexions — les synapses
— avec les dendrites d’autres
neurones. Des processus chimiques
et électriques ultra-complexes,
impliquant notamment les
neurotransmetteurs, maîtrisent le
fonctionnement des synapses.
Tout est là : notre capacité de
stocker les souvenirs, de former
mots et pensées, d’analyser ce que
captent nos sens, de commander la
contraction des muscles, mais aussi
notre vulnérabilité aux drogues ou
aux drames de l’existence.
DR GUY ROULEAU ET DR DOMINIQUE VERLAAN : RYAN REMIORZ / LA PRESSE CANADIENNE ; OPERATION : ROBERT CLARK / INSTITUTE
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28 { FÉVRIER 2015 LACTUALITÉ
plutôt l’activité des molécules
d’eau présentes dans ses neurones,
ce qui permettra de voir ils
sont connectés entre eux et
pas seulement où ils s’activent.
C’est au tour de Maxime Des-
coteaux d’entrer en scène pour
un spectacle éblouissant : à par-
tir de ces données, ce jeune prof
du Département d’informatique
de l’Université de Sherbrooke
reconstruit une image 3D des
innombrables faisceaux de
connexions neuronales qui tra-
versent le cerveau de Sophie.
« C’est comme une carte Google
qui montre sont les routes
principales que l’information
emprunte pour maîtriser le
mouvement, le langage ou la
mémoire », raconte le mathéma-
ticien de 33 ans, qui a trouvé le
moyen de produire ce genre de
carte en quelques minutes seu-
lement. L’image, parcourue de
fils multicolores, évoque une
photo prise de nuit montrant un
réseau de files de voitures en
déplacement... mais en beaucoup
plus inextricable ! On ne peut
que s’émerveiller de sa beauté
— qui lui a d’ailleurs valu d’être
publiée par le magazine améri-
cain National Geographic.
Cette carte des connexions
neuronales est un outil très pré-
cieux pour un neurochirurgien
comme David Fortin. En obser-
vant celle de Sophie Cliche, il a
pu constater qu’aucune grande
voie de communication ne tra-
versait la tumeur, ce qui lui a
donné la garantie qu’il parvien-
drait à opérer sa patiente sans
toucher à des fonctions clés.
« C’est d’autant plus utile que le
cerveau est aussi propre à chaque
individu qu’une empreinte digi-
tale », explique le médecin, tou-
jours fasciné par l’incroyable
capacité de cet organe à se réor-
ganiser, quitte à former des struc-
tures qui défient l’entendement.
recouru à une autre technique
fascinante, utilisée depuis une
dizaine d’années : pendant l’inter-
vention, il a réveillé sa patiente
pour lui demander de répondre
à des questions, histoire de véri-
fier en tout temps si son bistouri
ne touchait aucune fonction
cérébrale. Aussi bizarre que cela
puisse paraître, le cerveau pré-
sente la particularité d’être insen-
sible à la douleur, contrairement
au cuir chevelu et au crâne. « Je
m’en souviens vaguement, je
me sentais bizarre, mais pas
vraiment incommodée », raconte
Sophie Cliche, qui a gardé très
peu de séquelles de l’opération.
Toutefois, malgré le travail ultra-
précis du Dr Fortin, les quelques
cellules qu’il n’a pas pu enlever
ont recommencé à proliférer, et
l’avocate devra être réopérée.
« Cette fois, l’intervention chirur-
gicale ne durera pas aussi long-
temps. Et les techniques pro-
gressent tellement vite que ça
donne de l’espoir », explique-
t-elle, ayant confiance de repren-
dre le travail d’ici quelques mois
et de profiter de la vie pendant
de nombreuses années.
Maxime Descoteaux participe
en outre à un grand programme
américain, le Human Connec-
tome Project, qui vise à dresser
la carte complète des connexions
chez des personnes en bonne
santé, afin d’en déduire ce qui
semble normal dans les diffé-
rences observées. Puis, en com-
parant ces cartes (ou connec-
tomes) avec celles de malades
souffrant d’alzheimer ou de
parkinson, les chercheurs
espèrent repérer des anomalies
et peut-être aider l’industrie
pharmaceutique à trouver des
médicaments agissant exacte-
ment là il le faut, comme on
envoie des ambulances sur le lieu
d’un accident de la route. « Le
connectome pourrait aussi servir
à suivre ce qui se produit après
une commotion cérébrale, pour
voir quand le cerveau est revenu
à un état stable et n’est plus per-
turbé par le choc », s’emballe
Maxime Descoteaux, qui compte
s’attaquer bientôt à ce fléau.
Lopération de Sophie Cliche
a duré près de sept heures. Pour
maximiser les chances de réus-
site, David Fortin a également
Des
chercheurs
allemands ont
découpé un
cerveau en
lamelles,
qu’ils ont
photographiées
et numérisées.
À partir de ces
images, le
professeur
Alan Evans et
son équipe de
McGill ont
produit
BigBrain, la
photo la plus
précise jamais
réalisée
d’un cerveau
complet
(photo p. 29).
PROJET « BIG BRAIN » : AP / KATRIN AMUNTS, KARL ZILLES, ALAN C. EVANS / LA PRESSE CANADIENNE ; DR ALAN EVANS : CHRISTINNE MUSCHI
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