LA NOTION D`IMITATION DANS LES THÉORIES DES FOULES À

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Adeline Wrona
Université de Paris III
LA NOTION D'IMITATION
DANS LES THÉORIES DES FOULES
À LA FIN DU XIX e SIÈCLE
«Il ne m'est pas permis comme à vous de m'endormir, de
m'enfermer dans une tour d'ivoire, sous prétexte que la foule est
sotte. J'ai besoin de la foule, je vais à elle comme je peux, je tente
tous les moyens pour la dompter. »
Emile Zola, Correspondance
L'histoire du xixe siècle français est, on le sait, celle de l'installation progressive d'un régime
démocratique et des premières tentatives d'instauration du suffrage universel. Peu à peu, le
collectif prend sa place sur la scène politique.
Parallèlement, la foule s'inscrit de façon durable dans les représentations, à travers des
épisodes institués en « lieux de mémoire » : la prise de la Bastille, les journées révolutionnaires
de 1830, celles de février ou juin 1848, enfin l'insurrection de 1871, construisent un système
d'échos et de reflets à travers lesquels se donne à lire le rôle croissant du groupe, du peuple, de
la masse — selon les connotations que l'on choisit d'associer à ce phénomène inédit.
De son côté, une importation d'Allemagne, la théorie de la « création collective » ou du
génie populaire, séduit les poètes romantiques : les mages du premier tiers du siècle, Hugo,
Vigny, Lamartine, Michelet, définissent leur rôle par référence à une collectivité encore anonyme, dont ils doivent inventer ou retrouver la langue propre, spontanément poétique : « Impersonnel, le moi de grandes âmes tend à se faire collectif » écrit Victor Hugo 1 . « J'ai fermé les
livres, et je me suis replacé dans le peuple autant qu'il m'était possible ; l'écrivain solitaire s'est
replongé dans la foule, il en a écouté les bruits, noté les voix » renchérit Michelet (1846).
HERMÈS 22,1998
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C'est bien après ce traitement littéraire ou cet avènement historique de la question du
collectif, mais dans la continuité d'un mouvement de légitimation croissante, que psychologues
et sociologues abordent la théorie de la foule. Celle-ci fait son apparition dans les dernières
années du siècle, autour de 1890. Aux facteurs de long terme évoqués plus haut, à la mutation
générale de la société française, qui s'urbanise, s'industrialise et se démocratise, il faut ajouter des
facteurs de court terme. La 111e République, née de l'écrasement de la Commune, ne tarde pas à
se trouver confrontée à de nouveaux phénomènes de masse : l'autorisation des syndicats (1884),
le développement des partis socialistes, certaines manifestations (les 1 er mai 1890 et 1891,
l'enterrement de Victor Hugo, en 1885), et surtout la multiplication du nombre de grèves, font
de la foule une force de plus en plus visible. Le succès du parti mené par le général Boulanger, en
1889, qui menace un moment la sauvegarde du régime, prouve aussi qu'un meneur efficace peut
organiser à son profit la puissance anarchique des marées humaines.
Dans ce contexte que Gustave Le Bon désigne comme « l'ère des foules », la nécessité de
comprendre le phénomène des masses se fait de plus en plus évidente. Les modalités de
constitution, d'action puis de décomposition des mouvements collectifs sont déjà clairement
analysés dans certains tomes des Rougon Macquart d'Emile Zola : en ce domaine, la mimesis
littéraire tend une fois de plus à précéder l'étude théorique. Le « roman ouvrier » de Zola,
Germinal, paru en 1885, est ainsi parfois considéré comme le déclencheur de la réflexion d'un Le
Bon.
Autour de 1890, Gustave Le Bon et Gabriel Tarde en viennent tous deux à se consacrer à
cette question, par des voies détournées, en marge de l'institution universitaire. Chez l'un
comme chez l'autre, l'ensemble du système théorique alors mis sur pied s'organise autour de la
notion d'imitation ou de termes proches, dont il faudrait déterminer le sens (contagion,
suggestion, influence...). Là s'arrête toutefois la ressemblance entre ces deux pensées, qui pour
l'essentiel adoptent des points de vue irréconciliables. La mesure même de ce désaccord réside
précisément dans le sens et l'importance accordés à la mimesis, et peut se résumer par la
formulation suivante : une société dominée par le principe d'imitation peut-elle encore être
envisagée sous l'angle du progrès ? En d'autres termes, la répétition des comportements dans les
situations de foule voue-t-elle le corps social à la paralysie, ou garantit-elle au contraire sa
cohésion ?
C'est l'ambiguïté même de la mimesis aristotélicienne qui fait ici retour, quoique sous une
forme détournée : la Poétique associe en effet le principe d'imitation et celui de création —
conciliant deux termes devenus incompatibles dans la théorie moderne de l'invention poétique,
conçue essentiellement selon le critère d'originalité. La représentation ou l'imitation littéraires
ne sont pas, chez Aristote, répétition du même, mais introduction d'un autre constitué par le
poème proprement dit. Nous verrons qu'une telle perspective, qui suppose la possibilité de
l'innovation au sein même de l'imitation, se retrouve dans la sociologie tardienne, alors qu'elle
constitue véritablement l'impensé de Le Bon.
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La notion d'imitation dans les théories des foules à la fin du xixe siècle
Imitation et progrès chez Tarde
Magistrat spécialisé en droit pénal, Gabriel Tarde aborde la question des foules par le biais
de la notion de délit collectif. Les foules et les sectes criminelles (1893), après le chapitre de sa
Philosophie pénale consacré aux « Crimes des foules » (1890), aborde ce champ de réflexion qui
semble au sociologue avoir été occulté par la « crise d'individualisme » héritée du siècle dernier.
En guise de préambule dans le premier article cité, il écrit : « la difficulté n'est pas de trouver des
crimes collectifs, mais des crimes qui ne le soient pas, qui n'impliquent à aucun degré la
complicité du milieu » (Tarde, 1989, p. 141).
De ce cas particulier, celui des groupes criminels, Tarde passe à une étude plus générale des
lois de fonctionnement de la société. Un tel point de départ pourrait laisser augurer d'un
pessimisme radical ; il n'en est rien en réalité, et c'est plutôt avec un parti pris d'optimisme que
se met en place la théorie de l'imitation comme principe de constitution de la foule et de tout
groupe social. En témoigne la formule suivante, qui ouvre avec un enthousiasme surprenant un
article consacré aux relations entre « le public et la foule » : « Non seulement la foule est
attirante et appelle irrésistiblement son spectateur, mais son nom exerce un prestigieux attrait
sur le lecteur contemporain » (Tarde, 1989, p. 31).
L'époque contemporaine est, aux yeux de Tarde, caractérisée par un dépassement dialectique du règne de l'individualisme, qui ouvre la possibilité d'une société élargie : « [la société
permet] d'affranchir l'individu en suscitant peu à peu du plus profond de son cœur son élan le
plus libre [...] et en faisant éclore partout, non plus les couleurs d'âme voyantes et brutales
d'autrefois, les individualités sauvages, mais des nuances d'âmes profondes et fondues, aussi
caractérisées que civilisées, floraison à la fois de l'individualisme le plus pur, le plus puissant, et
de la sociabilité consommée » (Tarde, 1993, p. xx).
L'intégration de l'individu dans le groupe n'apparaît donc pas ici comme une déperdition,
mais bien comme un gain : du fond de son être singulier surgissent en effet des aspects inconnus
de lui-même, mis en lumière par le contact d'autrui. C'est une véritable libération qu'autorise la
vie en société ; chacun s'y trouve défait du carcan de ses besoins individuels, et participe au
mouvement dynamique qui semble être, pour Tarde, la définition même de la vie, toujours
désireuse de « s'émanciper hors d'elle-même, comme si rien ne lui était plus essentiel, comme à
toute réalité peut-être, que de s'affranchir de son essence même » (Tarde, 1993, p. 58). Il n'y a
donc pas de meilleur allié, pour un régime démocratique, qu'une foule conçue en ces termes.
L'origine de ce phénomène doit être recherchée dans l'action particulière exercée par la
« loi de répétition universelle » sur les rapports sociaux : si l'hérédité est la forme d'exercice de
cette loi dans le domaine de la biologie, et le rayonnement ou l'ondulation son application dans
le champ de la physique, la « loi d'imitation » est la déclinaison de son action dans le cadre de la
vie en société. Bien plus, l'imitation est la condition indispensable à la constitution d'une
société : la société est née « le jour où un homme quelconque en a copié un autre » (Tarde, 1993,
p. 31). La spécificité de l'époque contemporaine n'est donc pas dans l'action même de la loi
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Adeline Wrona
d'imitation, mais dans la puissance inédite que lui confère le développement des médias, de
l'instruction — en d'autres termes, l'apparition de ce que Tarde appelle le public. La société
entre dans une phase de développement accéléré, qui nécessite la mise au point de nouveaux
outils d'analyse, capables de combiner la compréhension de la psychologie individuelle avec une
étude des interactions sociales.
La foule n'effraie donc pas outre mesure l'auteur des Lois de l'imitation, qui ne néglige pas
pourtant de signaler certains traits moins positifs : « caprice routinier, docilité révoltée, crédulité, nervosisme », sont quelques-uns des défauts qui permettent de comprendre pourquoi les
foules sont « en général inférieures en intelligence et en moralité à la moyenne de leurs
membres » (Tarde, 1989, p. 153 et 163).
Reste que la conception singulièrement dynamique du principe d'imitation comme règle du
comportement social mérite qu'on s'y arrête un peu plus longuement. L'idéal placé à l'horizon
d'une telle conception réside dans le rêve d'une société à la fois universelle et homogène, d'une
communauté sans frontière qui évoque, sous certains aspects, le projet de « société des nations »
et ses continuations : « Il est certain que le progrès de la civilisation se reconnaît au nivellement
graduel qu'elle établit sur un territoire toujours plus vaste, si bien qu'un jour, peut-être, un même
type social, stable et définitif, couvrira l'entière surface du globe, jadis morcelée en mille types
sociaux différents, étrangers ou rivaux » (Tarde, 1993, p. 56).
La standardisation des comportements, fixés en un type social unificateur, apparaît donc ici
comme un objectif à atteindre, et peut-être comme la réalisation ultime de l'idéal démocratique
hérité des Lumières. L'instruction, pierre de touche du programme républicain en ces dernières
décennies du siècle, s'inscrit pleinement dans cette relecture du progrès social à la lumière de
l'imitation : la société se définit aussi à travers ces « similitudes étroites formées par l'éducation,
une des formes de la transmission imitative » (Tarde, 1993, p. 67).
Plus essentiellement, le risque de paralysie dans la répétition du même, et dans l'épuisement
des différences entre individus imités, est esquivé par l'introduction d'une forme d'évolution nisme inspirée du darwinisme : « Le progrès social comme le progrès industriel s'opère par deux
procédés, la substitution et l'accumulation ». Grâce à ce deuxième procédé, la substitution,
l'intensification de l'imitation s'accompagne d'une accélération des situations de confrontation
ou de duel entre des idées ou des comportements concurrents.
En somme, la perspective progressiste et presque positiviste de Gabriel Tarde ne peut
sauver la loi d'imitation qu'en la limitant par cette règle concurrente de substitution ; l'innovation relance le processus d'imitation et, tout en nourrissant la dynamique sociale, repousse
toujours plus loin l'horizon de l'uniformisation complète. Finalement, cette dialectique du
même et de l'autre dans les comportements rejoint la question de l'individualisme. Du côté de
l'individu en effet, réside la force d'innovation ; à la foule, ou à la société, revient le rôle de
propager ou de réfracter l'invention. Cette opération tout hégélienne de conciliation des
contraires permet à Gabriel Tarde, en pleine crise du positivisme, alors que Brunetière et
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La notion d'imitation dans les théories des foules à la fin du xixe siècle
d'autres proclament la faillite de la science et que Barrés célèbre dans ses romans le culte du moi,
de donner une deuxième vie à l'idéal républicain du progrès.
Imitation, contagion, décadence : la Psychologie des foules de
Gustave Le Bon
Tout autre est la perspective adoptée par Gustave Le Bon. Le phénomène de la constitution
des foules revêt en effet, chez ce spécialiste de la pathologie sociale, un aspect à la fois terrifiant
et éclairant. L'objectif avoué de la Psychologie des foules, parue en 1895, est de donner les clés
nécessaires à la maîtrise des débordements de violence selon lui systématiquement associés aux
phénomènes de masse : « Les foules sont un peu comme le sphinx de la fable antique : il faut
savoir résoudre les problèmes que leur psychologie nous pose, ou se résigner à être dévoré par
elles » (Le Bon, 1908, p. 90). On voit que le caractère collectif d'un temps démocratique est ici
objet d'effroi dès lors que la démocratie est « de masse ».
Si effrayant soit-il, un tel phénomène est aussi éclairant, car la foule est le révélateur de
différents aspects de la personnalité humaine, qui demeurent cachés en temps habituel. Aussi les
foules ont-elles pleinement droit à une psychologie à part entière ; Tarde et Le Bon se rejoignent
sur ce point, et Freud leur emboîtera le pas plus tard : la foule ne se réduit pas à l'agrégat
d'individus. Elle provoque l'émergence, au sein des individus réunis, de caractères spécifiques,
qui sont la manifestation de l'appartenance à une entité supra-individuelle. Ce que révèle en effet
l'homme-masse, c'est la permanence du collectif dans la formation de la personnalité individuelle. Dès lors que l'individu se trouve placé dans une situation de foule, l'intelligence, siège de
la culture et de l'éducation, cède le pas à l'instinct ; la personnalité consciente s'efface devant la
personnalité inconsciente. Or cette personnalité inconsciente, enfouie en quelque sorte, est par
essence collective : elle consiste, écrit Le Bon, en un « substratum qui renferme les innombrables
résidus ancestraux qui constituent l'âme de la race » (Le Bon, 1908, p. 16).
Parmi les trois caractères principaux relevés par Le Bon comme des constantes dans le
fonctionnement de la foule, deux au moins peuvent être directement rapportés à une transposition dans le domaine psychologique de la notion de mimesis, ici entendue au sens d'imitation
(et non de représentation) : il s'agit de la contagion et de la suggestivité. La contagion s'apparente à une forme d'hypnose : « Tout sentiment, tout acte est contagieux, [...] à ce point que
l'individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l'intérêt collectif» (Le Bon, 1908,
p. 18). Elle se décline, dans des situations extrêmes, en véritable hallucination collective.
La suggestivité quant à elle consiste en un phénomène d'ordre physiologique, dans lequel le
cerveau de l'individu se voit comme paralysé, au profit de la moelle épinière. Une telle
disposition le rend tout particulièrement sensible aux suggestions d'un opérateur, et le place
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Adeline Wrona
dans un état d'exaltation qui le conduit à transformer immédiatement en actes les idées
suggérées. Cette perméabilité singulière des sphères de la pensée et de l'action rend compte de
l'héroïsme propre aux foules, un héroïsme barbare en un sens, car il adopte les caractères qui
définissent pour Le Bon l'âge primitif (violence, spontanéité, férocité), mais qui est aussi l'un des
moteurs de l'histoire : « C'est avec cet héroïsme-là que se fait l'histoire » (Le Bon, 1908, p. 22).
Deux formes d'imitation coexistent donc ici : d'une part, l'imitation diffuse et polydirectionnelle de tout acte ou de toute pensée surgissant dans une situation de foule ; d'autre part, une
imitation que Gabriel Tarde désignerait comme unilatérale — celle du meneur (ou opérateur)
par la masse de ses subordonnés. C'est à cette deuxième forme d'imitation que se consacre avec
le plus d'attention Gustave Le Bon, préoccupé avant tout de former le nouveau Prince,
démagogue averti des formes de pouvoirs pertinentes en cette « ère des foules ». Un chapitre
entier de son essai se consacre ainsi aux moyens d'action des meneurs.
Or le meneur pertinent saura, pour dominer fermement la prédisposition à la suggestibilité
de la foule, employer une autre forme de mimesis, entendue cette fois au sens de représentation.
Il s'agit en effet d'user avec conséquence de la relation spécifique qu'entretiennent les masses
avec les images. Le propre de l'âme collective, explique-t-il, est d'être sensible aux images plus
qu'aux discours ou à toute forme d'articulation logique. Le réel ne l'affecte que pour autant qu'il
est médiatisé par une représentation à la fois simplificatrice et susceptible d'une généralisation
immédiate. L'affaiblissement de l'intelligence individuelle va en effet de pair avec l'exacerbation
de toutes les formes de la sensibilité. Inconscient et affectivité prennent le dessus : « L'idée n'agit
qu'une fois cette simplification opérée, et surtout, après qu'elle a pénétré l'inconscient et est
devenue un sentiment ».
L'image acquiert alors une puissance inédite, en raison de l'affaiblissement des critères de
distinction entre réel et irréel. La représentation du réel l'emporte en vivacité sur le réel
représenté, au point, rapporte Le Bon, qu'il est parfois nécessaire, au théâtre, de protéger contre
le public l'acteur qui tient le rôle du traître. Aussi les moyens recommandés au meneur de foule
s'apparentent-ils, sous certains aspects, à des « conseils à un jeune littérateur », pour reprendre
une formule de Baudelaire. Et l'on ne peut manquer de retrouver parmi eux certains des outils
stylistiques qui font la force des romans de Zola.
Le texte de la Psychologie des foules affiche avec de plus en plus de détermination, à mesure
qu'il progresse, une position à la fois anti-positiviste et conservatrice, voire réactionnaire. Le rôle
de la contagion et de la suggestibilité dans les réunions de foule mène en effet Le Bon à récuser
l'importance du savoir, de l'intelligence, et plus précisément de l'éducation. Toute forme de
culture cède le pas devant la foule, où seuls comptent les réflexes de l'inconscient collectif et les
hérédités sociales. L'auteur stigmatise ainsi l'inanité des décisions prises par toute forme de
réunion collective, qu'il s'agisse du vote (« les foules ont des opinions imposées, jamais des
opinions raisonnées »), des jugements rendus par les jurés en cour d'assises, ou des assemblées
parlementaires, susceptibles, comme toutes les assemblées, de devenir « troupeau mobile
obéissant à toutes les impulsions ». L'Histoire, faite par les foules comme on l'a vu, ne progresse
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La notion d'imitation dans les théories des foules à la fin du XIXe siècle
donc pas en fonction de l'accumulation des connaissances, mais suit un processus cyclique, fait
de révolutions sanglantes. L'idéologie des Lumières se voit ici atteinte dans ses fondements : « le
grand facteur de l'évolution des peuples, écrit Le Bon, n'a jamais été la vérité, mais bien
l'erreur ».
Ce rapide parcours amène finalement au constat suivant : le rôle de l'imitation, l'un des sens
possibles mais non exclusifs du terme mimesis, s'impose comme une donnée incontournable
dans les premières sociologies du siècle dernier. Mais cette notion dessine aussi une fracture
entre deux attitudes : celle qui consiste à analyser le phénomène pour faire progresser la
connaissance du champ social, et adapter le savoir aux nouvelles conditions de vie en collectivité.
Tarde élabore un nouveau système de valeur, fondé sur la quantité plus que sur la vérité, mais
dont l'objectif reste toujours le savoir et le progrès qui pourra en découler. L'autre attitude
consiste au contraire à dévoiler l'ampleur de l'inconnaissable et à récuser le rôle de toute
construction théorique : le savoir développé par Le Bon est essentiellement pragmatique, et sera
utilisé avec pertinence par des meneurs en mal de pouvoir. Alors l'objectif est moins de
connaissance que de puissance, et la mimesis entre en jeu dans un calcul d'ordre stratégique.
NOTES
1. Il y a comme un juste retour des choses dans le fait que l'enterrement de Victor Hugo, en 1885, ait donné lieu à
l'une des grandes scènes de foule des débuts de la III e République.
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