Texte complet - Yonne Lautre

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Thierry Brugvin
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LA SOCIALISATION DES BANQUES :
UNE ALTERNATIVE AU CAPITALISME FINANCIER
Contribution à l’atelier « « démocratiser l’argent », de l’université d’été 2012 d’Attac
Résoudre le problème de la dette suppose non seulement de réguler les marchés financiers, mais surtout
d’amorcer une sortie du capitalisme par la socialisation des banques. Dans la mesure ou dans un système
capitaliste, le pouvoir appartient principalement aux grandes entreprises capitalistes, les transnationales, cela
n’est pas cohérent. En effet, l’objection de croissance socialiste, suppose une baisse du productivisme et une
redistribution des richesses, or ce sont des orientations qui s’opposent aux intérêts des transnationales. C’est
pourquoi, rester dans un système capitaliste et décider politiquement et démocratiquement de s’engager dans
une à caractère sociale, ne tiendra jamais bien longtemps, car les transnationales capitalistes, reprendront
rapidement le dessus dans une société capitaliste, même régulée par des socialistes ou des écologistes.
La socialisation autogestionnaire débuterait par celle des banques, puis celle des grandes entreprises, dont
la gestion et les décisions sont assurées par les représentants de l'Etat, les syndicats, les usagers et les
associations parties prenantes (régulation tripartite) encadrées par la planification autogestionnaire locale,
nationale et internationale (fédéraliste).
La première des actions à entreprendre, pour dépasser le capitalisme, consiste dans l’appropriation
collective (la socialisation) des moyens de production financier, industriel, agricole, etc. Mais ceci, dans une
socialisation autogestionnaire, afin de ne pas reproduire les dérives du socialisme stalinien. Durant 30 ans, de
1950, à la fin des années 80, la Yougoslavie a expérimenté à l’échelle nationale, avec un relatif succès, ce
dispositif autogestionnaire. Mais son interruption s’explique, notamment, par le fait que la démocratie
autogestionnaire se limitait au secteur productif et ne concernait pas le plan politique. Quant à l’Espagne, la
coopérative Mandragon est une fédération de coopérative qui connaît une réussite spectaculaire, puisqu’elle
figurait parmi les 7 premières entreprises du pays en chiffre d’affaires en 2011 . Elle existe depuis 1956, à
Mondragon en Espagne. En 2009, elle comptait plus de 85 000 membres.
La socialisation des grandes entreprises est un élément commun au socialisme libertaire (ou mutuellisme
de Proudhon), à l’écosocialisme trotskyste et au communisme libertaire. Il ni y a d’ailleurs presque plus aucune
différence entre ces deux derniers systèmes économiques, en dehors de la phase de transition révolutionnaire
(concernant les méthodes d’organisation de la lutte). Or, ils s’ingénient à se combattre encore actuellement.
L’approche écosocialiste autogestionnaire distributive (ou écosocialisme redistributif) s’inscrit dans les grandes
lignes du socialisme libertaire, en socialisation l’ensemble des grandes entreprises et en transformant
l’ensemble des entreprises privées coopératives privées. En fonction des orientations plus ou moins
socialisantes, l’écosocialisme redistributif pourra éventuellement étendre la socialisation aux petites
entreprises, tel que le prône l’écosocialisme, le collectivisme libertaire et le communisme libertaire et adopter
d’autres propositions de ces différents courants, telle que la question du salaire égal ou différencié, mais limité.
Il existe 4 principales formes de propriété des moyens de production dont deux formes de
collectivisation (privée et publique). Généralement, les auteurs ne différencient pas précisément
collectivisation et socialisation. Selon Daniel Guérin en ce qui concerne la propriété, la différence entre le
communisme et la collectivisation, c’est que pour cette dernière l’appropriation collective de la propriété ne
concerne que les moyens de production. Tandis que dans le communisme, l’appropriation peut s’étendre aux
biens individuels privés non productifs (maison, vêtements, véhicules…) 1.
1
GUERIN Daniel, L’anarchisme, Folio Essais, 2009, p. 177-179.
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Nous pouvons définir la collectivisation de la production, comme une appropriation collective de la
propriété des moyens de production.
La collectivisation peut-être publique (la propriété revient à l’Etat ou à la fédération, dans le cadre de
coopérative publique autogérée), ou être privée, dans ce cas, la propriété revient aux travailleurs, comme dans
une coopérative privée. Si la propriété est une unité de production publique, mais qu’elle n’est pas autogérée,
dans ce cas il s’agit d’une nationalisation. Si la propriété est publique et autogérée, dans ce cas il s’agit d’une
socialisation.
Pour Proudhon, dans le cadre du mutuellisme (le socialisme libertaire) il s'agit de créer une société
fondée sur un double système de collectivisation privée et publique. C’est à dire une socialisation privée
autogérée, grâce à des coopératives avec une propriété privée des moyens de production d’un côté et de
l’autre une collectivisation publique autogérée (la socialisation des entreprises publiques). Ce double secteur
visant à responsabiliser les producteurs et surtout à leur laisser la libre initiative en matière d'objectif de
production.
Il existe 4 formes de propriété des moyens de production:
- La propriété privée individuelle (tel une entreprise avec un propriétaire ou un auto-entrepreneur), qui est une
propriété privée collective non autogérée (telles une SA ou une entreprise avec des actionnaires)
- La propriété privée collective autogérée, telles les coopératives privées, les associations, les banques
mutualistes privées, les mutuelles d’assurances. Il s’agit d’une collectivisation privée.
- La propriété publique autogérée, telle les coopératives publiques, appartenant à l’Etat ou à la fédération. Il
s’agit d’une socialisation, c'est-à-dire une collectivisation publique autogérée.
- La propriété publique centralisée (nationalisation, étatisation, telle une entreprise publique), c'est-à-dire une
collectivisation publique non autogérée.
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LES DIFFERENTES FORMES DE GESTION DE LA PROPRIETE DES MOYENS DE PRODUCTION (dont les banques)
COOPERATIVES
ENTREPRISES
AVEC UN SEUL
PROPRIETAIRE
SYSTEME ECONOMIQUE
Individuelle
PROPRIETE
PRIVEE
Capitaliste
(collectivisées par définition)
PUBLIQUES
(collectivisation
publique
autogérée=
Socialisation)
PUBLIQUES
(collectivisation
publique
autogérée=
Socialisation)
PUBLIQUES
(collectivisation
publique
autogérée=
Socialisation)
PRIVEES
(collectivisation
privée)
Capitaliste
Capitaliste social
et communisme
stalinien
Communisme
libertaire,
socialisme
libertaire et
écosocialisme
redistributif
socialisme
libertaire et
écosocialisme
redistributif
X
Collective partielle
(car salariés non propriétaires)
X
X
Collective totale
PROPRIETE
Par les seuls dirigeants
DECISIONS
X
Publique
Partiellement
collectives des
travailleurs de
l’unité de
production
Totalement
collectives des
travailleurs de
l’unité de
production
X
De leur
organisation
du travail
X
X
De leur objectif
de production
X
X
De leur
organisation
du travail
De leur objectif
de production
X
X
X
X
X
Mais c’est surtout le pouvoir de décision qui permet la démocratie, dans une entreprise privée (capitaliste)
la décision n’est pas partagée par tous, tandis que dans une coopérative, la décision est collective (du moins
pour les grandes lignes durant les Assemblées générales).
De plus, seuls les moyens de production collectivisés (coopératives privées et publiques) disposent de la
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capacité de décision totalement collective de l’organisation du travail de leur unité de production. Cependant,
seuls les coopératives privées disposent d’un pouvoir de décision totalement collectif de l’organisation du
travail en interne et de leur type et volume, c'est-à-dire d’objectif de production. Tandis que les unités de
production publique du communisme libertaire ou trotskyste ne disposent d’un pouvoir de décision partiel de la
production. Car dans ce système de gestion de l’économie les entreprises publiques et les coopératives
publiques, dépendent complètement de la planification publique en matière d’objectif de production. Dans le
système capitaliste, les salariés sont soumis à cette même limite, parce que les propriétaires n’associent les
salariés, ni à la décision de l’organisation interne du travail, ni aux objectifs de production de l’entreprise.
La différence entre le système mutuelliste et le système communiste autogestionnaire (libertaire ou
trotskyste) est que dans ce dernier les travailleurs ne décident des objectifs de production de leurs entreprises
que dans le cadre du vote pour le « mandat impératif » de production attribué à leurs délégués à la
planification. Le mandat de ces derniers consiste dans la détermination des objectifs de production dans le
cadre de la planification fédéraliste autogestionnaire, dans le cadre de la fédération territoriale des travailleurs.
Dans le mutuellisme ou l’écosocialisme redistributif, les travailleurs disposent du même pouvoir, mais en plus
ils peuvent exercer leur pouvoir de décision sur les objectifs de production, au sein même de leur coopérative.
En effet, celle-ci dispose d’un marge d’autonomie en terme d’objectif de production, car une par de la régulation
des objectifs de production est laissée au marché. Mais à ce stade se pose la question de la légitimité
démocratique des décideurs économiques.
La légitimité démocratique économique peut associer la légitimité du nombre et de l’adaptation.
Concernant la légitimité démocratique de la décision, exercé par les travailleurs, sur le plan de la décision des
objectifs de production il y a d’un côté la légitimité fondée sur le plus grand nombre et dans ce cas ce sont les
fédérations économiques de travailleurs, ou plus encore les fédérations communales ou politiques qui
disposent de la plus grande légitimité numérique ou quantitative. Mais de l’autre il y a la légitimité fondée sur la
démocratie économique, fondée sur la capacité de réponse, la capacité d’adaptation aux besoins de la base
par la base. C’est une des forces du marché dans le système capitaliste, ou dans les systèmes précapitalistes
dans lequel le marché est souvent celui du village. Il y a donc un conflit de légitimité entre la légitimité de la
démocratie économique par le bas, contre la légitimité de la démocratie économique par le plus grand nombre,
ou par la démocratie élective (par le haut).
Mais le problème, le plus grave, consiste dans le fait qu’ils ne parviendront pas -comme dans le cadre de
la planification centralisée stalinienne- à s’adapter aux besoins des populations et des coopératives, car la
seule planification fédéraliste de la production est total et rien n’est laissée à la démocratie économique par le
bas exercé par le marché. Ceci est un point d’achoppement fondamental entre les doctrines capitaliste,
mutuelliste, d’un côté et les doctrines communistes libertaire, trotskyste et stalinienne. L’écosocialisme
distributif, tente de sortir de cette opposition en associant une planification participative et une régulation par le
marché, dans le cadre d’un système de production fondée sur des coopératives privées et publiques
(collectivisation autogestionnaires privées et publiques).
Cependant, on assiste à un conflit de légitimité démocratique entre le communisme libertaire ou trotskyste
et le mutuellisme de Proudhon.
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LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE DÉMOCRATIE ÉCONOMIQUE
DANS LES DÉCISIONS DE L’OBJECTIF DE PRODUCTION (DU LOCAL AU GLOBAL)
DANS L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION DANS LES UNITES DE PRODUCTION (COOPÉRATIVES, ENTREPRISES).
TYPE DE PROPRIETE DES
MOYENS DE PRODUCTION
DECISION DE L’ORGANISATION
DU TRAVAIL DANS L’UNITE DE
PRODUCTION
DECISION DES OBJECTIFS DE
PRODUCTION (TYPE ET VOLUME)
L’UNITE DE PRODUCTION
Entreprises privées
(en grande majorité)
Par les dirigeants de l’entreprise
Par les dirigeants de l’entreprise
Entreprises publiques
(rares)
Par les dirigeants de l’entreprise
principalement
Par les dirigeants de l’entreprise
et les pouvoirs publics locaux ou nationaux
Coopératives privées
(rares)
Par les travailleurs (pour les
grandes lignes)
Autonomie totale avec parfois des incitations
financières (dans les économies de marché
légèrement régulées)
Communisme
Stalinien
Entreprises publiques
(nationalisées ou crées
telles quelles)
Par l’Etat (les bureaucrates
au service du parti politique)
Par l’Etat (les bureaucrates
au service du parti politique)
Communisme
autogestionnaire
ou libertaire
(Kropotkine) et
trotskyste
Coopératives publiques
(socialisation, car
collectivisation publique)
Par les travailleurs
(pour les grandes lignes)
Planification fédéraliste,
possibilité de négociation, ni autonomie des
travailleurs dans l’objectif de production de
leur unité de leur coopérative.
Coopératives privées
(collectivisation privée)
Par les travailleurs
(pour les grandes lignes) en
concertation avec les usagers
Planification fédéraliste de la production
appliquée par des incitations financières et
des obligations (pour une part), cependant la
négociation reste possible. Donc une large
part d'autonomie existe dans les objectifs de
production, comme dans l'agriculture
actuelle.
Coopératives publiques
(socialisation, car
collectivisation publique)
Par les travailleurs
(pour les grandes lignes) en
concertation avec les usagers
Planification fédéraliste de la production par
les fédérations économiques et politiques,
avec peu de possibilité de négociation des
travailleurs
TYPE DE SYSTEME
ECONOMIQUE
Capitalisme
Mutuellisme
(Proudhon) et
écosocialisme
distributif
«L'économie participaliste» (ou parecon) est un exemple de planification démocratique de
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l’économie. Elle a été conçue par Michael Albert et s’oppose « au marché capitaliste et à la planification
bureaucratique », c’est pourquoi elle accorde sa confiance à « l'auto-organisation des travailleurs et l'antiautoritarisme ». Dans le modèle de planification participative d'Albert, «les travailleurs et les consommateurs
déterminent en commun la production, en évaluant de façon approfondie toutes les conséquences. Les
instances d'assistance décisionnelle annoncent ensuite les indices des prix pour tous les produits, les facteurs
de production, dont la main d'œuvre et le capital fixe» 2. L’intérêt du modèle d’Albert réside dans lune prise en
compte précise de la complexité des processus de décisions.
Au niveau local, dans le cadre de l’écosocialisme distributif, les usagers des mutuelles, des banques et des
différentes entreprises ne participent à la gestion des objectifs de production et de l’organisation du travail au
niveau local, celui des unités de production.
Au niveau global, l’écosocialisme redistributif s’appuierait sur le modèle d’Albert dans le cadre d’une
planification mixte avec le marché. La planification serait donc participative, autogestionnaire et tripartite, ce
serait une planification fédéraliste autogestionnaire. C'est-à-dire qu’en plus de la fédération des usagers et de
la fédération économique des travailleurs, elle prendrait en compte en même temps, les représentants de la
fédération politique territoriale (communale nationale, internationale), dans les prises de décisions de
planification des objectifs de production. Malgré ces limites, les délégués de la fédération politiques restent
encore les plus légitimes représentants de l’intérêt général, lorsqu’ils sont élus par l’ensemble de la population.
Dans les mutuelles, l’idéal autogestionnaire pour perdurer doit laisser le pouvoir de décision en
priorité aux travailleurs.
Les mutuelles d’assurances et les mutuelles bancaires, tel le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, la Banque
Populaire ont conservé les statuts juridiques démocratiques permettant une autogestion démocratique, car
chaque sociétaire dispose du droit de vote. Cependant, après plus d’un siècle de fonctionnement, ces
mutuelles bancaires ont oublié l’esprit révolutionnaire du coopérativisme de leur début qui visait à parvenir à la
liberté et l’égalité, grâce à la démocratie interne. Il y a probablement plusieurs raisons à cela. D’une part
l’environnement capitaliste, exerce une pression sur les membres de ces mutuelles qui tend à leur faire oublier
cet idéal originel. Mais à l’inverse, certaines coopératives tel, la fédération de coopérative Mondragon (56 ans
en 2012), sont anciennes et conservent en large partie cet idéal.
Cela s’explique sans doute aussi par le fait que à l’inverse des coopératives dans lesquelles les sociétaires
sont tous travailleurs, dans les mutuelles il y a d’un côté des usagers et de l’autres des travailleurs. Même si
tous sont sociétaires, les usagers, sont moins concernés directement par la vie de la mutuelle, puisqu’ils n’y
travaillent pas au quotidien. Ainsi, soient ils ne viennent plus voter aux assemblées générales, soit ils votent
sans vraiment prêter attention aux enjeux économiques et démocratiques de leurs votes. Or, leur nombre est
généralement plus important que celui des travailleurs, dans les mutuelles bancaires ou d’assurance en
particulier. De plus ils disposent du droit de vote dominant, puisqu’ils sont plus nombreux. C’est pourquoi, il est
relativement facile aux travailleurs-cadres qui souhaitent accroître leur pouvoir sur les travailleurs subalternes,
de s’appuyer sur le vote des usagers peut informer, donc facilement manipulable. Ainsi, les travailleursdirigeants peuvent ainsi par exemple, s’octroyer des salaires de plus en plus conséquents, accroître les
règlements limitant le pouvoir des travailleurs-subalternes et même finalement celui des usagers qui ne
viennent peut à peu même plus voter, aux assemblées générales.
Cela signifie donc que dans les mutuelles, pour rester fidèle à l’idéal autogestionnaire, les nombres de voix
des sociétaires-travailleurs doit être supérieur au nombre des sociétaires-usagers pour, afin que les premiers
conservent leur capacité d’autonomie sur leur propre travail. En effet, l’idéal du socialisme autogestionnaire
vise à atteindre l’égalité et la liberté entre citoyens d’un territoire géographie donné, grâce à la démocratie
économique permise par le droit de décision des producteurs sur les moyens de production.
2
Michael Albert, Après Le Capitalisme - Eléments D'économie Participaliste, Agone, 2003, 190 p.
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Conclusion
Résoudre le problème de la dette est capital, sinon le gouvernement mondial des banques privées et du
FMI deviendra aussi puissant sur les gouvernements du Nord. Qu’il l’est depuis des années sur la majorité des
pays d’Afrique. Solutionner le problème de la suppose bien sur une meilleur régulation du capitalisme financier,
mais ne sera véritablement réglée, à long terme, que si les citoyens parviennent à imposer un changement de
système économique. C'est-à-dire passer du capitalisme à l’écosocialisme (autogestionnaire) distributif. Afin de
pouvoir socialiser, non seulement la dette mais les banques et finalement de parvenir à un système de
collectivisation autogestionnaire privée et publique de l’ensemble de l’économie capitaliste.
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