L'économie sociale et solidaire : une piste pour l'alternative ?
Sylvie Mayer
Introduction
Un nombre grandissant de travailleurs, de citoyens veulent maîtriser davantage leur travail, agir sur le
contrôle de leur épargne et son utilisation. Ils cherchent les voies d’une consommation écologiquement
et socialement plus responsable, des liens de proximité avec les producteurs. Ils inventent de nouveaux
circuits, une nouvelle façon d’agir, de nouvelles relations sociales. Cette quête de sens est
particulièrement visible dans les jeunes générations. L’utilisation d’Internet et des logiciels libres pour
gagner de l’autonomie et des liens sociaux en est un exemple.
Face à ces aspirations, le gouvernement, les institutions européennes, l’Organisation Mondiale du
Commerce imposent de plus en plus autoritairement des dérégulations économiques qui conduisent
aux gâchis écologiques, aux injustices sociales, à l’absence croissante de démocratie, dans les
territoires et les entreprises.
Un exemple récent concerne le lait. En effet, l'Europe et l'Etat français ont décidé d'interdire la
régulation des prix par la voie d'un accord interprofessionnel. La Loi de Modernisation de l'Economie
a livré les producteurs pieds et poings liés aux appétits des transformateurs et de la Grande
distribution. La révision de la PAC conduit à toujours plus de dérégulation, à toujours moins d'aides, le
tout dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce pour qui la loi de la jungle du commerce
doit régner partout.
Au moment où la crise financière sociale et écologique montre les limites, l’inefficacité et les
absurdités du système capitaliste, quelle voie alternative, éthique, responsable, citoyenne,
démocratique, allant vers la justice sociale peut on emprunter ? Refusant le tout Etat comme le tout
marché quel rôle joue et peut jouer l’Economie Sociale et Solidaire ?
Menaces sur l’Economie Sociale et Solidaire
L’ESS un grand secteur économique doublement menacé par son intégration dans le système
capitaliste et par les projets européens d’ultra libéralisation.
Intégration au système capitaliste, les dérives sont patentes, par création de filiales bancaires, certaines
banques coopératives ont joué l’aventure des subprimes, trois grandes assurances mutualistes ont créé
une holding commune, l’assurance se lance dans la banque, la banque dans l’assurance et leurs achats
dans l’immobilier complètent le tableau. Et ces banques et assurances coopératives et mutualistes
finissent par se faire concurrence !
Menaces également du fait des règles ultralibérales imposées au niveau mondial et européen. La
concurrence est le dogme unique totalement opposé à toute coopération. Des multinationales ont porté
plainte contre la fiscalité des SCOP (Sociétés coopératives de production) et des CUMA (Coopératives
d’unités de matériel agricole). Les résultats aux élections européennes font craindre le pire.
Revenir aux principes
Il y a donc besoin de réaffirmer les principes, valeurs, pratiques, règles de vie des organisations et
entreprises liées à l’économie sociale, de les renforcer pour viser clairement la transformation sociale.
Ainsi par exemple un premier objectif devrait être l’introduction de la démocratie participative
dans les banques et assurances coopératives et mutualistes. La très récente fusion Banque
Populaire Caisse d’épargne aurait pu être l’occasion de créer une grande banque coopérative
au service d’un mode de développement social et solidaire répondant aux intérêts du pays et de sa
population.
Viser la transformation sociale, cela signifie :
Non pas seulement l’encadrement palliatif de l’existant, mais la transformation des systèmes
d’échanges dans le sens de la justice sociale, de l’équité et de la solidarité,
Non pas une tentative de fuite hors de l’économie, mais une amorce de transformation de la vie
économique, en se dégageant clairement des pratiques du marché capitaliste,
Non pas une addition de correctifs isolés, mais une promotion de formes globalement nouvelles
d’activités, rendant aux femmes et aux hommes la maîtrise de leurs échanges et de leurs outils,
Non pas seulement promesses, pour le futur, de changements par l’action au sommet d’autorités
légitimes, mais amorce, dès aujourd’hui, de la promotion réelle de formes sociales nouvelles par
l’initiative des populations.
L’économie sociale est une partie de la réponse pour une autre façon :
- de produire (à travers les formes coopératives),
- de développer des services (à travers les formes mutualistes),
- d’échanger (selon les critères du commerce équitable),
- de financer l’activité économique travers les finances solidaires, les banques éthiques, un pôle
bancaire public et social)
L’économie sociale est avant tout une autre forme d’appropriation des moyens de
production et d’échanges.
Ni tout Etat, ni tout marché, elle a introduit des formes de propriété qui rendent les producteurs
maîtres de leur entreprise. (Dans les SCOP : Salariés sociétaires détenteurs de capital invariable,
réserves impartageables, une personne = une voie, élection des dirigeants de l’entreprise…)
Ces salariés n’ont-ils pas ainsi défini l’entreprise démocratique ?
La démocratie économique poussée au bout de sa logique ne devrait-elle pas inclure une nouvelle
forme de propriété, incluant le sociétariat et excluant l’actionnariat ? La nationalisation serait-elle en
ce cas une réponse suffisante ? A côté des grands systèmes santé formation, des grands réseaux
transports et énergie, ne peut-on imaginer des formes plus décentralisées plus autonomes, incluant
dans la propriété les salariés mais aussi dans certains cas, les territoires, les usagers ?
On peut prendre trois exemples pour l’illustrer :
-Les supermarchés dont la gestion quelle que soit leur statut, boursier ou non, est confiée à une
poignée de dirigeants alors qu’il s’agit d’enjeux multiples : santé et sécurité alimentaire ;
aménagement du territoire, justice sociale pour les salariés, pour les producteurs, pour les
consommateurs,
-Les régies ou services privés de l’eau qui les unes et les autres mettent face à face salariés et patrons
élus ou privés, et excluent les usagers.
-L’analyse qu’ont fait des salariés d’Aventis sur la marche de leur entreprise : « Dans notre entreprise
du médicament, à chaque menace, les salariés ont été présents pour résister, proposer, élaborer des
projets scientifiques et industriels, pour répondre aux besoins en santé humaine, animale et agricole.
Et ces buts déterminent quels doivent être les décideurs des orientations, des choix stratégiques de
l’entreprise : les salariés, leurs syndicats ; les collectivités en charge des territoires (ville,
département, région) ; les associations de malades ; les chercheurs (CNRS, INSERM, etc.) ; les
médecins, la Sécurité sociale ; les grands organismes comme l’OMS… Les choix de l’entreprise
doivent procéder d’une large consultation, à tous ces niveaux,…
Une fois les choix ainsi faits, les ressources devraient être parties et utilisées en conséquence :
recherche, coopération, emploi, environnement, rémunération des salariés, protection sociale,
formation
Pendant toutes ces années, en agissant ensemble, nous avons pris conscience que l’entreprise, c’est
d’abord nous, les salariés, seule composante qui croit à son avenir et à ses responsabilités sociales.
C’est l’intérêt de tous, de l’entreprise et de la société, que la place des salariés soit reconnue par des
pouvoirs décisionnels. »
En conclusion
Si l’économie sociale ne s'oppose pas à la responsabilité publique et n’a pas vocation à faire ce que
l’Etat voudrait abandonner, elle n’a pas plus à laisser tous les secteurs rentables aux sociétés de
capitaux. Elle est source de développement d'une production de biens et de services.
Si elle n’est pas un supplétif à la responsabilité publique, elle est aussi une voie de développement
originale, qui peut engager des personnes dans des activités en parallèle, en complément et en
partenariat, de certaines actions des collectivités locales (aide sociale, services à la personne, culture,
sports loisirs, cadre de vie, défense et amélioration de l'environnement développement d'emplois
locaux…).
Il est clair que de tels objectifs pour une véritable transformation sociale engage à des luttes
pour une toute autre construction économique, tant au niveau national qu’européen, basée non
sur la concurrence mais sur les coopérations.
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