1 [email protected] Sociologue SOCIALISATION, PLANIFICATION AUTOGESTIONNAIRE ET MARCHE Il existe des alternatives au capitalisme. Ce dernier, n’est pas la fin de l’histoire et il est possible d’échapper à la voie mortifère de la pensée unique. Ce qui caractérise le capitalisme, c’est principalement la propriété privée des moyens de production, limitée à une partie des membres. Cela permet à l’employeur, d’asseoir son pouvoir sur les salariés. Les dirigeants des transnationales disposent d’un pouvoir d’influence économique déterminant sur les élites politiques, qui est renforcé par des intérêts de classe. La véritable démocratie, suppose donc au préalable, une démocratie économique fondée sur la propriété collective (privée ou publique) des moyens de production, qui permet l’autogestion. Cette dernière, n’est pas une utopie. Il existe des milliers d’expériences réussies. Par exemple, en Espagne, la coopérative Mandragon est une fédération de coopérative qui connaît une réussite spectaculaire, puisqu’elle figurait parmi les 7 premières entreprises du pays en chiffre d’affaires en 2011. Elle existe depuis 1956, à Mondragon en Espagne. En 2009, elle comptait plus de 85 000 membres. Il y a de nombreuses formes d’écosocialisme, la majorité entend faire une synthèse de l’écologie et du socialisme autogestionnaire. L’écosocialisme redistributif est un type de socialisme autogestionnaire, mais plus proche du mutuellisme de Proudhon, car il y ajoute une redistribution des richesses au plan fédéral. L’écosocialisme redistributif entend ainsi faire une synthèse plus large en intégrant les dimensions écologique, socialiste, autogestionnaire, mutualiste, redistributive et fédéraliste. La propriété collective permet le pouvoir de décision qui à condition première de la démocratie. Dans une entreprise privée (capitaliste) la décision n’est pas partagée par tous, tandis que dans une coopérative, la décision est collective (du moins pour les grandes lignes durant les Assemblées générales. Il existe 4 formes de propriété des moyens de production - La propriété privée individuelle (telle une entreprise avec un propriétaire ou un auto-entrepreneur), qui est une propriété privée collective non autogérée (telles une SA ou une entreprise avec des actionnaires) - La propriété privée collective autogérée, telles les coopératives privées, les associations, les banques mutualistes privées, les mutuelles d’assurances. Il s’agit d’une collectivisation privée. - La propriété publique autogérée, telles les coopératives publiques, appartenant à l’Etat ou à la fédération. Il s’agit d’une socialisation, c'est-à-dire une collectivisation publique autogérée. - La propriété publique centralisée (nationalisation, étatisation, telle une entreprise publique), c'est-àdire une collectivisation publique non autogérée. La gestion de la propriété des moyens de production diffère dans les courants de politique économique : - La propriété privée individuelle ou collective (avec les actionnaires) des moyens de production (mais les salariés ne sont pas propriétaires dans le capitalisme). - La propriété privée et publique collective autogérée (le mutuellisme de Proudhon et l’écosocialisme redistributif). - La propriété publique autogérée (le communisme libertaire, ou le trotskisme contemporain). - La propriété publique centralisée (l’Etat providence ou le stalinisme). La différence entre le système mutuelliste et le système communiste autogestionnaire (libertaire ou trotskyste) est que dans ce dernier les travailleurs ne décident des objectifs de production de leurs entreprises 2 que dans le cadre du vote pour le « mandat impératif » de production attribué à leurs délégués à la planification. Le mandat de ces derniers consiste dans la détermination des objectifs de production dans le cadre de la planification fédéraliste autogestionnaire, dans le cadre de la fédération territoriale des travailleurs. Dans le mutuellisme ou l’écosocialisme redistributif, les travailleurs disposent du même pouvoir, mais en plus ils peuvent exercer leur pouvoir de décision sur les objectifs de production, au sein même de leur coopérative. En effet, celle-ci dispose d’une marge d’autonomie en terme d’objectif de production, car une par de la régulation des objectifs de production est laissée au marché. Le marché et la planification Le marché dérégulé est un des aspects du capitalisme mais n’est pas le cœur de ce système. Certaines formes de marché existaient avant la naissance du capitalisme. Une économie de marché ultralibéral, « c’est la liberté du renard dans le poulailler » comme l’affirmait Marx. A l’inverse, un marché régulé, permet au contraire de concilier des règles (sociales, économiques, écologiques…), une planification de la production et la liberté d’initiative. Cette dernière si elle n’est pas présente, conduit aux graves dérives de la bureaucratie, dont la caricature est le modèle soviétique, qui ne parvient jamais à répondre correctement aux besoins des populations et des producteurs, car les décideurs sont trop éloignés de la base et des besoins. Il s’agit alors, d’une régulation par le haut et non par le bas. Or, la subsidiarité, la démocratie par le bas est une des conditions de la démocratie réelle. «L'économie participaliste» (ou parecon) est un exemple de planification démocratique de l’économie. Elle a été conçue par Michael Albert et s’oppose « au marché capitaliste et à la planification bureaucratique », c’est pourquoi elle accorde sa confiance à « l'auto-organisation des travailleurs et l'anti-autoritarisme ». Dans le modèle de planification participative d'Albert, «les travailleurs et les consommateurs déterminent en commun la production, en évaluant de façon approfondie toutes les conséquences» 1. L’intérêt du modèle d’Albert réside dans lune prise en compte précise de la complexité des processus de décisions. Au niveau local, dans le cadre de l’écosocialisme redistributif, les usagers des mutuelles, des banques et des différentes entreprises participent à la gestion des objectifs de production et de l’organisation du travail au niveau local, celui des unités de production. Au niveau global, l’écosocialisme redistributif s’appuierait sur le modèle d’Albert dans le cadre d’une planification mixte avec le marché. La planification serait donc participative, autogestionnaire et tripartite, ce serait une planification fédéraliste autogestionnaire. C'est-à-dire qu’en plus de la fédération des usagers et de la fédération économique des travailleurs, elle prendrait en compte en même temps, les représentants de la fédération politique territoriale (communale nationale, internationale), dans les prises de décisions de planification des objectifs de production. Malgré ces limites, les délégués de la fédération politiques restent encore les plus légitimes représentants de l’intérêt général, lorsqu’ils sont élus par l’ensemble de la population. La régulation par le « marché » sera encadrée par la planification autogestionnaire dans le cadre de l’écosocialisme redistributif. Actuellement dans les systèmes capitalistes, le marché est régulé notamment par une planification publique des secteurs considérés comme vitaux pour l’économie, tel l’agriculture. La régulation par la demande, par le marché est néanmoins une des forces du libéralisme économique, car elle permet une régulation par le bas, qui est un des principes de la démocratie (mais il n’est pas le seul). En ce qui concerne les fédérations et les coopératives, Proudhon proposait de conserver une certaine concurrence en créant « la société économique fédérative des travailleurs ». Ce projet consistait dans « un ensemble de propriétés collectives d’entreprises concurrentes entre elles, mais associées en une fédération industrielle » (Bancal, 1967 : 17). Proudhon poursuit en affirmant « qu’assurément l’initiative individuelle, ne doit, ni ne peut 1 ALBERT Michael, Après Le Capitalisme - Eléments D'économie Participaliste, Agone, 2003, 190 p. 3 être oubliée »2. On le voit Proudhon insiste sur la nécessité de maintenir la propriété, la concurrence et surtout l’initiative individuelle, même dans un système socialisé et coopératif. En Yougoslavie, une expérience autogestionnaire s’est donc déroulée à l’échelle d’une nation et sur près d’une trentaine d’années, de 1950 à la fin des années 80. En Yougoslavie le système collectiviste centralisé par l’Etat était insuffisamment productif. « Dans un premier temps, en 1950, le gouvernement de Tito a donc choisi de passer à une économie autogérée dans les entreprises, mais fortement encadrée par les autorités centrales, sur le plan stratégique, des crédits, de l’investissement et des prix. Au début, c’est un succès, mais après une croissance de 10%, dans les années 1960, l’autogestion est étouffée par le plan » c'est-à-dire que la planification est inadaptée au besoin du marché explique J. Samary (1988 : 115). Dans un second temps, le gouvernement yougoslave, qui s’est tenu entre les années 60 à la fin des années 70, décide donc d’instaurer une concurrence généralisée entre entreprises autogérées, c'est-à-dire une autogestion régulée par le marché. Mais les plus petites entreprises s’écroulent sous la concurrence des plus puissantes, entraînant faillites et chômage et inflation. Une troisième phase est donc lancée, une planification autogestionnaire. C'est-à-dire que l’autogestion des entreprises est encadrée par une planification décentralisée et non plus centralisée comme dans la première phase. « Le marché subsiste, mais les rapports entre unités de base et pouvoirs publics, sont régulés par des contrats négociés, stipulants les principaux paramètres économiques » explique Coutrot (2005 : 156). Un certain équilibre a donc été trouvé, entre la planification et le marché. L’écosocialisme redistributif, entend donc reprendre les meilleurs de chaque système économique, afin de tenter d’en trouver une synthèse. Il intègre donc la dimension écologique, la socialisation, le mutuellisme et la redistribution, le fédéralisme économique et politique. Cependant, il faut y ajouter la dimension d’un nouveau paradigme culturelle, l’objection de croissance, nécessaire pour sortir du productivisme. PROUDHON Pierre Joseph, La réforme à opérer dans les chemins de fer, 1855, in Bancal Jean, Proudhon œuvres choisies, Idées NRF, Gallimard, 1967, p.117. 2 4 Tableau synthétique des comparaisons entre les systèmes de production écosocialiste, communiste et capitaliste Types de système économique Auteur principal Revenus du travail Propriété des unités de production (coopérative, entreprises...) Décision de la Décision de la Propriété des production production dans grandes unités dans les petites les grandes unités de production unités de de production production Au mérite (mais surtout Privée individuelle Privée individuelle Hayek au rapport de ou collective ou collective force) Au mérite ou Coopérative en égale, en Propriété privée Propriété privée système fonction du Autogestion libérale collective (aux collective (aux capitaliste vote des travailleurs) travailleurs) libéral travailleurspropriétaires Propriété privée collective (aux Socialisme libertaire, travailleurs), Publique Mutuellisme, Proudhon Au mérite mais (à la fédération Fédéralisme redistribution publique) autogestionnaire par les mutuelles Egal ou au Propriété privée mérite collective, mais Ecosocialisme mais le revenu limitation de la Publique autogestionnaire --du travail est taille (nombre des (à la fédération Redistributif limité par un salariés et des publique) maximum et ressources) et un minimum redistribution Capitalisme néolibéral (pur ou théorique) Communisme libertaire (anarcho-communisme) Communisme autoritaire Ecosocialisme et Trotskisme contemporain Kropotkine Abolition du salariat donc revenu égal (en théorie) Publique (à la fédération publique) Staline Abolition du salariat et revenu à chacun selon ses besoins A l'Etat (la collectivité) Trotski Revenu égal pour tous Publique (à la fédération publique) Par les propriétaires Par les privés et publics propriétaires et fondée sur l’offre et publics la demande Autogestion par Autogestion par les les travailleurs travailleurs fondée fondée sur l’offre sur le marché (l’offre et la demande et la demande) Par les travailleurs à travers les mutuelles pour les objectifs de production et par le marché Par les travailleurs, mais régulation par l’incitation dans le cadre d’une planification autogestionnaire Accord entre mutuelles et par le marché, sans planification autogestionnaire Par une planification fédéraliste autogestionnaire et par le marché Par une planification fédéraliste Par une autogestionnaire Publique planification (Alternative (à la fédération fédéraliste Libertaire y ajoute publique) autogestionnaire une part de marché pour la consommation, pas la production) A l'Etat (représentant théorique du peuple) Par l'Etat Par les représentants de l'Etat Par une Par une planification Publique planification fédéraliste (à la fédération fédéraliste autogestionnaire publique) autogestionnaire