Place du drainage biliaire avant chirurgie pour adénocarcinome de

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doi: 10.1684/hpg.2010.0410
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. c oncepts
et
p ratique
Place du drainage
biliaire avant chirurgie
pour adénocarcinome
de la tête du pancréas :
un plaidoyer pour opérer
rapidement
Preoperative biliary drainage for cancer
of the head of the pancreas: a plea
for rapid surgery
Frédérique Maire
Service de pancréatologiegastroentérologie, Hôpital Beaujon,
92118 Clichy cedex
e-mail : <[email protected]>
Référence
Van der Gaag NA, Rauws EA, van Eijck CH,
Bruno MJ, van der Harst E, Kubben FJ,
et al. Preoperative biliary drainage for
cancer of the head of the pancreas. N Engl
J Med 2010 ; 362 : 129-37.
a chirurgie chez un patient ictérique est associée à un risque
accru de complications postopératoires et de décès. Le drainage biliaire
préopératoire a donc été proposé
pour améliorer le pronostic de ces
patients en rétablissant de meilleures
fonctions hépatocellulaires. Des travaux chez l’animal puis des études
rétrospectives chez l’homme dans les
années 1970 ont rapporté que le drainage biliaire diminuait la mortalité
postopératoire. Cependant, dans les
années 1980 et 1990, des études randomisées ont montré que le drainage
biliaire préopératoire ne diminuait pas
la mortalité post-opératoire, voire
même était délétère en termes de
morbidité, avec principalement une
augmentation des complications
infectieuses [1]. Celles-ci résulteraient
d’une contamination du site opératoire par une bile colonisée lors du
drainage [2]. Malgré deux métaanalyses, la polémique persiste du
fait des limites méthodologiques
des études citées et de leur ancienneté
[3, 4].
Une large étude randomisée hollandaise, publiée très récemment dans
le New England Journal of Medicine,
compare le drainage biliaire endoscopique préopératoire à la chirurgie
L
d’emblée pour les patients ayant
un adénocarcinome de la tête du
pancréas [5].
Patients et méthodes
Critères d’inclusion
Cette étude s’adressait à des patients
ayant un cancer de la tête du pancréas
potentiellement résécable – défini
comme un engainement des vaisseaux porte et mésentérique inférieur
180° à la scanographie – et un ictère –
bilirubine entre 40 et 250 μmol/L.
Le délai entre la scanographie et la
randomisation devait être de moins
de quatre jours. Les patients ayant
déjà eu un drainage biliaire par voie
endoscopique ou percutanée et ceux
recevant une chimiothérapie néoadjuvante étaient exclus.
Randomisation
Les patients étaient randomisés pour
avoir un drainage biliaire endoscopique suivi par la chirurgie dans les
4 à 6 semaines, ou pour être opérés
d’emblée dans la semaine suivant le
diagnostic.
Le drainage biliaire consistait en la
mise en place d’une prothèse biliaire
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vol. 17 no 2, mars-avril 2010
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plastique par voie endoscopique. Une antibiothérapie
n’était pas systématiquement prescrite. En cas d’échec,
une seconde tentative était réalisée. L’abord percutané
était possible en cas d’échec de l’abord endoscopique.
Le succès du drainage biliaire était défini par une diminution
supérieure à 50 % de la bilirubinémie dans les deux semaines suivant le geste.
La chirurgie consistait en une duodéno-pancréatectomie
céphalique (DPC), avec antibiothérapie périopératoire
systématique et vitamine K et octréotide si besoin. La procédure était identique, que le patient soit ictérique ou non au
moment de l’intervention.
ment survenant au cours du suivi était réévalué en aveugle
par un comité indépendant.
Les critères secondaires d’évaluation étaient la mortalité et
la durée d’hospitalisation.
Les patients étaient évalués à la deuxième, sixième et
douzième semaines après leur sortie de l’hôpital.
L’analyse statistique était menée en intention de traiter.
L’hypothèse de travail était de montrer une non-infériorité
du traitement chirurgical d’emblée pour le critère principal,
et une supériorité pour les critères secondaires. Partant
d’un taux de complications évalué dans de précédents
travaux à 48 % dans le bras drainage endoscopique [3], il
fallait inclure 94 patients dans chaque bras.
Critères d’évaluation
Le critère principal d’évaluation était le taux de complications sévères dans les 120 jours suivant la randomisation
incluant toute complication des procédures endoscopiques
et chirurgicales nécessitant un traitement médical, endoscopique ou chirurgical, aboutissant à un allongement de
la durée d’hospitalisation ou à une réhospitalisation ou au
décès. Les manifestations en rapport avec une progression
de la maladie tumorale n’étaient pas considérées comme
des complications des traitements. Pour éviter tout biais
dans la définition des complications sévères, tout événe-
Résultats
Entre novembre 2003 et juin 208, 202 patients ont été randomisés. Finalement, 94 patients étaient inclus dans le
groupe chirurgie d’emblée et 102 dans le groupe drainage
préopératoire. Les caractéristiques initiales des patients
dans les deux groupes n’étaient pas significativement différentes, sauf pour le sexe (respectivement 70 % vs 52 %
d’hommes dans les bras chirurgie vs drainage) et l’index
Tableau 1. Événements survenant dans les 120 jours suivant la randomisation
dans les groupes chirurgie d’emblée et drainage préopératoire.
Groupe chirurgie d’emblée
(n = 94)
Groupe drainage préopératoire
(n = 102)
P
Complications (total)
39 %
74 %
S
Complications relatives au drainage biliaire
2%
46 %
Pancréatite
0
7%
Angiocholite
2%
26 %
Perforation
0
2%
Hémorragie
0
2%
Complications relatives à la chirurgie
164
37 %
47 %
Fistule pancréatique/biliaire
12 %/3 %
8 %/1 %
Hémorragie
4%
2%
Angiocholite
3%
3%
Retard de vidange gastrique
10 %
18 %
Infection cutanée
7%
13 %
Pneumonie
5%
9%
Décès
13 %
15 %
NS
Réhospitalisations
19 %
39 %
S
Durée d’hospitalisations (médiane en jours)
14
16
NS
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Concepts et pratique
Pourcentage de patients avec complications
100
Drainage pré-opératoire
80
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60
Chirurgie d’emblée
40
20
0
0
7
14
21
28
35
42
49
56
63
70
77
120
Jours après la randomisation
Figure 1. Taux cumulés de complications sévères survenant dans les 120 jours suivant la randomisation dans les groupes chirurgie
d’emblée (n = 94) et drainage biliaire préopératoire (n = 102).
de masse corporelle (respectivement 24 vs 25,2 dans les
bras chirurgie vs drainage).
Dans le groupe drainage préopératoire, celui-ci était efficace dès la première tentative dans 75 % des cas, sans
différence significative selon que la procédure soit réalisée
en hôpital général ou en centre universitaire (respectivement, 69 % et 83 %). Après une seconde tentative (avec
abord endoscopique ou percutané), le taux de succès du
drainage atteignait 94 %. Cinq patients du groupe chirurgie d’emblée (5 %) étaient en fait drainés en préopératoire,
soit en raison du délai trop long pour la chirurgie, soit du fait
de la survenue d’une angiocholite.
Le délai jusqu’à la chirurgie était de 1,2 semaine dans le
bras chirurgie d’emblée et de 5,2 semaines dans le bras
drainage préopératoire. Au total, 76 patients étaient récusés pour la DPC, autant dans chaque groupe, pour diverses
raisons (absence de tumeur, apparition de métastases,
refus du patient…).
Les taux de complications associées au drainage étaient de
2 % dans le groupe chirurgie d’emblée et 46 % dans le
groupe drainage biliaire, survenant dans un délai moyen
de 13 jours après le drainage (tableau 1). Les taux de complications associées à la chirurgie étaient de 37 % dans le
groupe chirurgie d’emblée et 47 % dans le groupe drainage biliaire (NS) (tableau 1). Au total, les taux de complications sévères étaient respectivement de 39 % et 74 %
dans les groupes chirurgie d’emblée et drainage préopératoire (RR 0,54, intervalle de confiance à 95 % :
0,41-0,71, P < 0,001) (figure 1).
Davantage de réhospitalisations étaient notées dans le
groupe drainage préopératoire, la durée d’hospitalisation
y était plus longue de 2 jours en moyenne (NS) (figure 2).
Il n’y avait pas de différence de mortalité entre les 2 bras
(figure 2).
Commentaires
Cette étude hollandaise avait pour but d’évaluer si un
drainage biliaire préopératoire doit être recommandé en
routine avant DPC pour adénocarcinome de la tête du
pancréas. La conclusion est que le drainage biliaire préopératoire est associé à une augmentation du risque de
complications.
“
Le drainage biliaire préopératoire est
associé à une augmentation du risque
de complications
”
Ce résultat s’ajoute donc aux conclusions des six études
randomisées précédemment publiées [1]. Deux métaanalyses sur ce sujet en 2002 et 2008 (n’incluant pas
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80
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Drainage biliaire pré-opératoire
Chirurgie d'emblée
60
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*
40
30
*
20
10
0
Complications
Décès
Réhospitalisations
Figure 2. Taux de complications, décès et réhospitalisations dans les 120 jours suivant la randomisation dans les groupes drainage
biliaire préopératoire (n = 102) et chirurgie d’emblée (n = 94).
* P < 0,05.
tout à fait les mêmes données) avaient conclu à une mortalité similaire mais à une augmentation de la morbidité
en cas de drainage préopératoire, avec une réserve quant
à la méthodologie des essais (biais de sélection, faibles
effectifs, hétérogénéité des patients ayant des sténoses
biliaires proximales ou distales) [3, 4]. De plus, seule une
étude comparait le drainage endoscopique à la chirurgie
d’emblée, les autres comparant le drainage percutané à
la chirurgie d’emblée. Le drainage endoscopique est associé à une moindre morbidité et mortalité que le drainage
percutané [6].
Par ailleurs, la durée optimale du drainage biliaire lorsqu’il
est réalisé en préopératoire n’est pas clairement définie.
Dans les essais randomisés déjà publiés, la durée moyenne
de drainage était de 7 à 18 jours, ce qui est probablement
insuffisant, puisqu’il a été montré que la restauration des
fonctions de synthèse et de clairance hépatocellulaires survenait dans les 4 à 6 semaines. Il est probable qu’un délai
plus long augmenterait le taux d’obstruction des prothèses
et le risque de progression tumorale, sans pour autant de
bénéfices en termes de fonctions hépatocellulaires. C’est
donc ce délai de 4 à 6 semaines, en théorie optimal, qui a
été choisi dans l’étude hollandaise.
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Cette étude a donc le mérite de comparer le drainage endoscopique (en première intention, la voie percutanée n’étant proposée qu’en cas d’échec) préopératoire
(avec un délai optimal de 4 à 6 semaines) à la chirurgie
d’emblée dans une large série de patients (~ 100 dans
chaque bras) ayant tous une sténose biliaire distale [5].
Dans ce travail, la mortalité n’était pas significativement
différente dans les deux bras, mais supérieure à celle
qui est rapportée dans les centres ayant l’expertise de la
DPC (< 5 %).
Le taux de complications post-opératoires était identique
dans les 2 bras (37 % vs 47 %), et comparable à ce qui
est rapporté dans la littérature (environ 40 %). Les complications post-drainage (pancréatites, hémorragies ou perforations) survenaient à une fréquence similaire à celle
habituellement décrite (< 10 %). En revanche, le taux
d’angiocholite après pose de prothèse était particulièrement élevé dans cette série (26 %), ce qui bien sûr pèse
lourd dans le résultat final (taux de complications globales
74 % vs 39 % ; P < 0,001) et amène à s’interroger sur la
qualité des procédures endoscopiques. On peut également
regretter qu’il n’y ait pas eu un sous-groupe de patients
drainés avec des prothèses métalliques courtes puisque
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Concepts et pratique
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le taux d’obstruction prothétique est moindre avec ces
dernières [6, 7]. La comparaison prothèse métallique non
couverte vs couverte serait aussi intéressante, même s’il
existe une augmentation (significative ou non selon les
séries) du taux de complications (à type de cholécystite,
pancréatite ou migration prothétique) avec les prothèses
couvertes [8].
“
Un patient ictérique (bilirubine < 250 μmol),
sans angiocholite, avec un cancer de la
tête du pancréas résécable ne doit pas avoir
de drainage biliaire préopératoire mais doit
être rapidement confié au chirurgien
”
moindre que l’abord percutané. Le type de prothèse à utiliser n’est pas défini. On sait qu’une prothèse métallique
courte s’obstrue moins fréquemment qu’une prothèse
plastique et ne contre-indique en rien la réalisation ultérieure d’une DPC.
Conflit d’intérêt. Aucun
Références
En conclusion, cette étude ne vient pas changer nos pratiques, mais les conforte avec un niveau de preuve satisfaisant. Un patient ictérique (bilirubine < 250 μmol/L), sans
angiocholite, avec un cancer de la tête du pancréas résécable ne doit pas avoir de drainage biliaire préopératoire,
mais doit être rapidement confié au chirurgien. Reste la
question ouverte de quoi faire en cas de taux de bilirubine
supérieur au seuil fixé dans ce travail. Au vu de cette étude
et des résultats de la littérature, il semble que les indications
pertinentes du drainage biliaire avant DPC soient l’angiocholite (mais finalement exceptionnelle en cas de cancer
pancréatique), le prurit invalidant, un délai d’intervention
chirurgicale trop long ou l’indication d’un traitement
néoadjuvant par chimio/radiothérapie. Dans ce cas, l’abord
endoscopique est souhaitable du fait d’une morbidité
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HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 17 no 2, mars-avril 2010
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