doi: 10.1684/hpg.2010.0410 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. . c oncepts et p ratique Place du drainage biliaire avant chirurgie pour adénocarcinome de la tête du pancréas : un plaidoyer pour opérer rapidement Preoperative biliary drainage for cancer of the head of the pancreas: a plea for rapid surgery Frédérique Maire Service de pancréatologiegastroentérologie, Hôpital Beaujon, 92118 Clichy cedex e-mail : <[email protected]> Référence Van der Gaag NA, Rauws EA, van Eijck CH, Bruno MJ, van der Harst E, Kubben FJ, et al. Preoperative biliary drainage for cancer of the head of the pancreas. N Engl J Med 2010 ; 362 : 129-37. a chirurgie chez un patient ictérique est associée à un risque accru de complications postopératoires et de décès. Le drainage biliaire préopératoire a donc été proposé pour améliorer le pronostic de ces patients en rétablissant de meilleures fonctions hépatocellulaires. Des travaux chez l’animal puis des études rétrospectives chez l’homme dans les années 1970 ont rapporté que le drainage biliaire diminuait la mortalité postopératoire. Cependant, dans les années 1980 et 1990, des études randomisées ont montré que le drainage biliaire préopératoire ne diminuait pas la mortalité post-opératoire, voire même était délétère en termes de morbidité, avec principalement une augmentation des complications infectieuses [1]. Celles-ci résulteraient d’une contamination du site opératoire par une bile colonisée lors du drainage [2]. Malgré deux métaanalyses, la polémique persiste du fait des limites méthodologiques des études citées et de leur ancienneté [3, 4]. Une large étude randomisée hollandaise, publiée très récemment dans le New England Journal of Medicine, compare le drainage biliaire endoscopique préopératoire à la chirurgie L d’emblée pour les patients ayant un adénocarcinome de la tête du pancréas [5]. Patients et méthodes Critères d’inclusion Cette étude s’adressait à des patients ayant un cancer de la tête du pancréas potentiellement résécable – défini comme un engainement des vaisseaux porte et mésentérique inférieur 180° à la scanographie – et un ictère – bilirubine entre 40 et 250 μmol/L. Le délai entre la scanographie et la randomisation devait être de moins de quatre jours. Les patients ayant déjà eu un drainage biliaire par voie endoscopique ou percutanée et ceux recevant une chimiothérapie néoadjuvante étaient exclus. Randomisation Les patients étaient randomisés pour avoir un drainage biliaire endoscopique suivi par la chirurgie dans les 4 à 6 semaines, ou pour être opérés d’emblée dans la semaine suivant le diagnostic. Le drainage biliaire consistait en la mise en place d’une prothèse biliaire HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 2, mars-avril 2010 163 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. plastique par voie endoscopique. Une antibiothérapie n’était pas systématiquement prescrite. En cas d’échec, une seconde tentative était réalisée. L’abord percutané était possible en cas d’échec de l’abord endoscopique. Le succès du drainage biliaire était défini par une diminution supérieure à 50 % de la bilirubinémie dans les deux semaines suivant le geste. La chirurgie consistait en une duodéno-pancréatectomie céphalique (DPC), avec antibiothérapie périopératoire systématique et vitamine K et octréotide si besoin. La procédure était identique, que le patient soit ictérique ou non au moment de l’intervention. ment survenant au cours du suivi était réévalué en aveugle par un comité indépendant. Les critères secondaires d’évaluation étaient la mortalité et la durée d’hospitalisation. Les patients étaient évalués à la deuxième, sixième et douzième semaines après leur sortie de l’hôpital. L’analyse statistique était menée en intention de traiter. L’hypothèse de travail était de montrer une non-infériorité du traitement chirurgical d’emblée pour le critère principal, et une supériorité pour les critères secondaires. Partant d’un taux de complications évalué dans de précédents travaux à 48 % dans le bras drainage endoscopique [3], il fallait inclure 94 patients dans chaque bras. Critères d’évaluation Le critère principal d’évaluation était le taux de complications sévères dans les 120 jours suivant la randomisation incluant toute complication des procédures endoscopiques et chirurgicales nécessitant un traitement médical, endoscopique ou chirurgical, aboutissant à un allongement de la durée d’hospitalisation ou à une réhospitalisation ou au décès. Les manifestations en rapport avec une progression de la maladie tumorale n’étaient pas considérées comme des complications des traitements. Pour éviter tout biais dans la définition des complications sévères, tout événe- Résultats Entre novembre 2003 et juin 208, 202 patients ont été randomisés. Finalement, 94 patients étaient inclus dans le groupe chirurgie d’emblée et 102 dans le groupe drainage préopératoire. Les caractéristiques initiales des patients dans les deux groupes n’étaient pas significativement différentes, sauf pour le sexe (respectivement 70 % vs 52 % d’hommes dans les bras chirurgie vs drainage) et l’index Tableau 1. Événements survenant dans les 120 jours suivant la randomisation dans les groupes chirurgie d’emblée et drainage préopératoire. Groupe chirurgie d’emblée (n = 94) Groupe drainage préopératoire (n = 102) P Complications (total) 39 % 74 % S Complications relatives au drainage biliaire 2% 46 % Pancréatite 0 7% Angiocholite 2% 26 % Perforation 0 2% Hémorragie 0 2% Complications relatives à la chirurgie 164 37 % 47 % Fistule pancréatique/biliaire 12 %/3 % 8 %/1 % Hémorragie 4% 2% Angiocholite 3% 3% Retard de vidange gastrique 10 % 18 % Infection cutanée 7% 13 % Pneumonie 5% 9% Décès 13 % 15 % NS Réhospitalisations 19 % 39 % S Durée d’hospitalisations (médiane en jours) 14 16 NS HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 2, mars-avril 2010 Concepts et pratique Pourcentage de patients avec complications 100 Drainage pré-opératoire 80 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 60 Chirurgie d’emblée 40 20 0 0 7 14 21 28 35 42 49 56 63 70 77 120 Jours après la randomisation Figure 1. Taux cumulés de complications sévères survenant dans les 120 jours suivant la randomisation dans les groupes chirurgie d’emblée (n = 94) et drainage biliaire préopératoire (n = 102). de masse corporelle (respectivement 24 vs 25,2 dans les bras chirurgie vs drainage). Dans le groupe drainage préopératoire, celui-ci était efficace dès la première tentative dans 75 % des cas, sans différence significative selon que la procédure soit réalisée en hôpital général ou en centre universitaire (respectivement, 69 % et 83 %). Après une seconde tentative (avec abord endoscopique ou percutané), le taux de succès du drainage atteignait 94 %. Cinq patients du groupe chirurgie d’emblée (5 %) étaient en fait drainés en préopératoire, soit en raison du délai trop long pour la chirurgie, soit du fait de la survenue d’une angiocholite. Le délai jusqu’à la chirurgie était de 1,2 semaine dans le bras chirurgie d’emblée et de 5,2 semaines dans le bras drainage préopératoire. Au total, 76 patients étaient récusés pour la DPC, autant dans chaque groupe, pour diverses raisons (absence de tumeur, apparition de métastases, refus du patient…). Les taux de complications associées au drainage étaient de 2 % dans le groupe chirurgie d’emblée et 46 % dans le groupe drainage biliaire, survenant dans un délai moyen de 13 jours après le drainage (tableau 1). Les taux de complications associées à la chirurgie étaient de 37 % dans le groupe chirurgie d’emblée et 47 % dans le groupe drainage biliaire (NS) (tableau 1). Au total, les taux de complications sévères étaient respectivement de 39 % et 74 % dans les groupes chirurgie d’emblée et drainage préopératoire (RR 0,54, intervalle de confiance à 95 % : 0,41-0,71, P < 0,001) (figure 1). Davantage de réhospitalisations étaient notées dans le groupe drainage préopératoire, la durée d’hospitalisation y était plus longue de 2 jours en moyenne (NS) (figure 2). Il n’y avait pas de différence de mortalité entre les 2 bras (figure 2). Commentaires Cette étude hollandaise avait pour but d’évaluer si un drainage biliaire préopératoire doit être recommandé en routine avant DPC pour adénocarcinome de la tête du pancréas. La conclusion est que le drainage biliaire préopératoire est associé à une augmentation du risque de complications. “ Le drainage biliaire préopératoire est associé à une augmentation du risque de complications ” Ce résultat s’ajoute donc aux conclusions des six études randomisées précédemment publiées [1]. Deux métaanalyses sur ce sujet en 2002 et 2008 (n’incluant pas HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 2, mars-avril 2010 165 80 70 Drainage biliaire pré-opératoire Chirurgie d'emblée 60 50 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. * 40 30 * 20 10 0 Complications Décès Réhospitalisations Figure 2. Taux de complications, décès et réhospitalisations dans les 120 jours suivant la randomisation dans les groupes drainage biliaire préopératoire (n = 102) et chirurgie d’emblée (n = 94). * P < 0,05. tout à fait les mêmes données) avaient conclu à une mortalité similaire mais à une augmentation de la morbidité en cas de drainage préopératoire, avec une réserve quant à la méthodologie des essais (biais de sélection, faibles effectifs, hétérogénéité des patients ayant des sténoses biliaires proximales ou distales) [3, 4]. De plus, seule une étude comparait le drainage endoscopique à la chirurgie d’emblée, les autres comparant le drainage percutané à la chirurgie d’emblée. Le drainage endoscopique est associé à une moindre morbidité et mortalité que le drainage percutané [6]. Par ailleurs, la durée optimale du drainage biliaire lorsqu’il est réalisé en préopératoire n’est pas clairement définie. Dans les essais randomisés déjà publiés, la durée moyenne de drainage était de 7 à 18 jours, ce qui est probablement insuffisant, puisqu’il a été montré que la restauration des fonctions de synthèse et de clairance hépatocellulaires survenait dans les 4 à 6 semaines. Il est probable qu’un délai plus long augmenterait le taux d’obstruction des prothèses et le risque de progression tumorale, sans pour autant de bénéfices en termes de fonctions hépatocellulaires. C’est donc ce délai de 4 à 6 semaines, en théorie optimal, qui a été choisi dans l’étude hollandaise. 166 Cette étude a donc le mérite de comparer le drainage endoscopique (en première intention, la voie percutanée n’étant proposée qu’en cas d’échec) préopératoire (avec un délai optimal de 4 à 6 semaines) à la chirurgie d’emblée dans une large série de patients (~ 100 dans chaque bras) ayant tous une sténose biliaire distale [5]. Dans ce travail, la mortalité n’était pas significativement différente dans les deux bras, mais supérieure à celle qui est rapportée dans les centres ayant l’expertise de la DPC (< 5 %). Le taux de complications post-opératoires était identique dans les 2 bras (37 % vs 47 %), et comparable à ce qui est rapporté dans la littérature (environ 40 %). Les complications post-drainage (pancréatites, hémorragies ou perforations) survenaient à une fréquence similaire à celle habituellement décrite (< 10 %). En revanche, le taux d’angiocholite après pose de prothèse était particulièrement élevé dans cette série (26 %), ce qui bien sûr pèse lourd dans le résultat final (taux de complications globales 74 % vs 39 % ; P < 0,001) et amène à s’interroger sur la qualité des procédures endoscopiques. On peut également regretter qu’il n’y ait pas eu un sous-groupe de patients drainés avec des prothèses métalliques courtes puisque HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 2, mars-avril 2010 Concepts et pratique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. le taux d’obstruction prothétique est moindre avec ces dernières [6, 7]. La comparaison prothèse métallique non couverte vs couverte serait aussi intéressante, même s’il existe une augmentation (significative ou non selon les séries) du taux de complications (à type de cholécystite, pancréatite ou migration prothétique) avec les prothèses couvertes [8]. “ Un patient ictérique (bilirubine < 250 μmol), sans angiocholite, avec un cancer de la tête du pancréas résécable ne doit pas avoir de drainage biliaire préopératoire mais doit être rapidement confié au chirurgien ” moindre que l’abord percutané. Le type de prothèse à utiliser n’est pas défini. On sait qu’une prothèse métallique courte s’obstrue moins fréquemment qu’une prothèse plastique et ne contre-indique en rien la réalisation ultérieure d’une DPC. Conflit d’intérêt. Aucun Références En conclusion, cette étude ne vient pas changer nos pratiques, mais les conforte avec un niveau de preuve satisfaisant. Un patient ictérique (bilirubine < 250 μmol/L), sans angiocholite, avec un cancer de la tête du pancréas résécable ne doit pas avoir de drainage biliaire préopératoire, mais doit être rapidement confié au chirurgien. Reste la question ouverte de quoi faire en cas de taux de bilirubine supérieur au seuil fixé dans ce travail. Au vu de cette étude et des résultats de la littérature, il semble que les indications pertinentes du drainage biliaire avant DPC soient l’angiocholite (mais finalement exceptionnelle en cas de cancer pancréatique), le prurit invalidant, un délai d’intervention chirurgicale trop long ou l’indication d’un traitement néoadjuvant par chimio/radiothérapie. Dans ce cas, l’abord endoscopique est souhaitable du fait d’une morbidité 1. Lai EC, Mok FP, Fan ST, Lo CM, Chu KM, Liu CL, et al. Preoperative endoscopic drainage for malignant obstructive jaundice. Br J Surg 1994 ; 81 : 1195-8. 2. Cortes A, Sauvanet A, Bert F, Janny S, Sockeel P, Kianmanesh R, et al. Effect of bile contamination on immediate outcomes after pancreaticoduodenectomy for tumor. J Am Coll Surg 2006 ; 202 : 93-9. 3. Sewnath ME, Karsten TM, Prins MH, Rauws EJ, Obertop H, Gouma DJ. A metaanalysis on the efficacy of preoperative biliary drainage for tumors causing obstructive jaundice. Ann Surg 2002 ; 236 : 17-27. 4. Wang Q, Gurusamy KS, Lin H, Xie X, Wang C. Preoperative biliary drainage for obstructive jaundice. Cochrane Database Syst Rev 2008 ; 3 : CD005444. 5. van der Gaag NA, Rauws EA, van Eijck CH, Bruno MJ, van der Harst E, Kubben FJ, et al. Preoperative biliary drainage for cancer of the head of the pancreas. N Engl J Med 2010 ; 362 : 129-37. 6. 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