Cas clinique Fièvre, éruption et adénopathies, puis pancréatite

Cas clinique
Fièvre, éruption
et adénopathies,
puis pancréatite aiguë
chez un malade traité
pour une hépatite C
Stéphane Obled
1
, Aurélie Du Thanh
2
, Claude Raffanel
1
,
Michel Dandurand
2
, Albert Sotto
3
, Laurent Meunier
2
,
Philippe Pouderoux
1
1
Service d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Caremeau, CHU Nîmes Place du Pr
Robert Debré, 30029 Nîmes Cedex 9
2
Service de Dermatologie, CHU Nîmes
3
Service de Médecine B, CHU Nîmes
Mots clés : sarcoïdose, interféron, hépatite C, pancréatite
Un homme de 41 ans suivi depuis 1993 pour une hépatite
chronique virale C était hospitalisé en juin 2003 pour une fièvre
à 40 °C évoluant depuis 7 jours associée à une éruption cutanée
et à des adénopathies superficielles. Le patient avait comme autre
antécédent des brûlures des membres supérieurs et inférieurs en 1995
traitées par greffes cutanées. L’hépatite C avait été découverte en 1993 à
l’occasion d’un don du sang, et traitée par interféron (IFN) a2b pendant
6 puis 12 mois en 1993 et en 1996, sans efficacité pérenne. En 1996,
l’examen de la biopsie hépatique montrait des lésions d’hépatite chroni-
que minime (Metavir A1F0). Le patient avait été ensuite perdu de vue
jusqu’en 2002, date à laquelle une seconde biopsie hépatique montrait
une aggravation des lésions (Metavir A2F2). La virémie était élevée
(> 800 000 UI/mL) et le génotype 1a.
En juin 2003, après 9 mois de traitement, le patient était hospitalisé pour
fièvre. L’examen clinique montrait une conjonctivite, une éruption photo-
distribuée, micro-papuleuse, inflammatoire et non prurigineuse du cou, du
décolleté, des avant-bras, des membres inférieurs et des mains avec un
phénomène de Koebner sur les cicatrices érythémato-squameuses des
brûlures sur les faces dorsales des mains et antéro-externes des jambes
(figure 1), une polyadénopathie superficielle inguinale bilatérale et axil-
laire gauche dépassant 8 cm de diamètre. L’auscultation pulmonaire était
normale. Biologiquement, les enzymes hépatiques et la calcémie étaient
normales. La recherche de l’ARN viral C était négative. L’intradermoréac-
tion à la tuberculine était négative et la radiographie de thorax était
normale. L’examen anatomopathologique des biopsies de moelle osseuse
(figure 2), des lésions cutanées (figure 3) et d’une adénopathie inguinale
réséquée (figure 4) montrait des granulomes épithélioïdes gigantocellulai-
res sans nécrose ni bacille, évoquant une sarcoïdose. La scintigraphie au
gallium montrait une fixation lacrymale et salivaire sans atteinte pulmo-
naire, médiastinale ou cardiaque. La tomodensitométrie thoraco-
abdomino-pelvienne, les explorations fonctionnelles respiratoires avec
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007
Tirés à part : S. Obled
165
doi: 10.1684/hpg.2007.0058
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
étude du transfert du CO ainsi que l’échographie
cardiaque étaient normales. L’enzyme de conversion
de l’angiotensine était à 95 U/mL (normale : 18-55).
Un mois après l’arrêt du traitement antiviral, décidé
devant l’apparition de cette symptomatologie, on cons-
tatait la disparition de la fièvre et une très nette dimi-
nution des adénopathies superficielles et des lésions
cutanées. Le 24 juillet 2003, quelques semaines après
la rémission des troubles, le patient était de nouveau
hospitalisé pour une pancréatite aiguë associée à un
coma acidocétosique révélateur d’un diabète de type I.
La tomodensitométrie abdominale montrait une
pancréatite aiguë œdémateuse sans adénopathie
profonde. Aucun argument en faveur d’une origine
alcoolique,biliaire,infectieuse,métaboliqueoumédica-
menteuse autre que le traitement antiviral précédem-
ment reçu n’était obtenu. L’évolution clinique était favo-
rable sous traitement symptomatique. En septembre
2003, soit 15 mois après la découverte de la sarcoï-
dose, le patient était de nouveau hospitalisé pour une
poussée cutanée de sarcoïdose de même localisation,
associée à un syndrome d’Heerfordt (uvéite, parotidite
A
B
Figure 1.Éruption vésiculeuse sarcoïdosique au niveau de greffes
cutanées de la face dorsale de la main gauche (A) et la face
antéro-externe de la jambe droite (B).
Figure 2.Coupe histologique d’une biopsie ostéomédullaire mon-
trant un granulome épithélioïde giganto-cellulaire sans nécrose ni
bacille.
Figure 3.Coupe histologique d’une biopsie cutanée montrant des
granulomes épithélioïdes gigantocellulaires sans nécrose ni bacille.
Cas clinique
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007
166
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
bilatérale et paralysie faciale gauche, figure 5).
L’administration de corticoïdes (méthylprednisolone
120 mg/j/3 J puis prednisone 70 mg/j, avec diminu-
tion progressive de 5 mg/mois) entraînait une amélio-
ration des symptômes. Cependant, le patient était
devenu corticodépendant avec une aggravation de la
symptomatologie cutanée au-dessous du seuil de
20 mg/jour de prednisone, malgré l’introduction d’un
traitement d’entretien par cyclophosphamide. Après
deux ans de suivi, l’ARN viral C restait indétectable.
Discussion
La sarcoïdose est une maladie systémique de cause
inconnue caractérisée par la présence de granulomes
composés de cellules épithélioïdes et géantes, entou-
rées d’une couronne de lymphocytes et de plasmocytes
[1]. Elle se révèle le plus fréquemment par des adéno-
pathies hilaires bilatérales associées à une infiltration
pulmonaire. Des atteintes cutanées, oculaires ou
d’autres organes sont fréquentes [2].
En 1987, Abdi et al. décrivaient le premier cas de
sarcoïdose observée chez une patiente traitée par
IFNapour un carcinome rénal [3]. Depuis, d’autres cas
ont été rapportés chez des patients porteurs d’hémo-
pathies malignes, de sarcomes de Kaposi, de scléro-
dermie systémique, d’hépatite chronique virale B et de
mélanomes. La majorité des cas concerne cependant
des patients porteurs d’une hépatite chronique virale C
(plus de 60 cas publiés) [4]. Cinquante pour cent ont
développé la maladie avec de l’IFN associé à la
ribavirine, 40 % sous IFN seul (aet/ou b) et 10 % sous
PEG-IFN et ribavirine. La sarcoïdose apparaît en
moyenne après 34 semaines de traitement par IFNa
(extrêmes 2-168 semaines) [4], chez des malades plus
âgés (50 ans contre 20-30 ans pour les sarcoïdoses
spontanées).
La moitié des patients ont des signes respiratoires et
70 % ont une atteinte pulmonaire au bilan d’extension
de la maladie, contre 90 % dans les sarcoïdoses
classiques. La peau est le deuxième organe le plus
souvent touché lors de la sarcoïdose post-IFN ; elle est
atteinte chez 60 % des patients contre 25 % dans les
sarcoïdoses spontanées. L’atteinte ganglionnaire
concerne 20 % des malades. Chez notre malade,
l’atteinte fut préférentiellement cutanée et ganglion-
naire, sans signes médiastino-pulmonaires, avec réci-
dive cutanée. Seuls 6 % des malades ayant une sarcoï-
dose sous interféron ont une atteinte de plus de 3
organes. Un retard diagnostique de plusieurs semaines
est fréquent, les symptômes d’appel (asthénie, ano-
rexie, amaigrissement, fièvre) étant facilement imputés
au traitement [4].
La sarcoïdose nécessite l’arrêt du traitement antiviral
dans 60 % des cas, associé à un traitement corticoïdes
dans 40 % des cas [5] ; l’amélioration ou la rémission
de la maladie est ainsi obtenue dans 83 % des cas. Au
moins 7 cas de résolution de la sarcoïdose malgré la
poursuite de l’interféron ont été rapportés [4]. Au
contraire, on constate une stabilisation dans 11 % et
une réactivation après rémission dans seulement 6 %
des cas. Dans la sarcoïdose classique, la guérison
survient spontanément dans 50 % des cas, et, en
Figure 4.Coupe histologique d’une adénopathie inguinale résé-
quée montrant des granulomes épithélioïdes gigantocellulaires sans
nécrose ni bacille.
Figure 5.Paralysie faciale gauche associée à une hypertrophie des
glandes parotidiennes témoins d’un syndrome d’Heerfordt.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007 167
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
moyenne, 70 à 80 % des patients seront guéris à 2
ans. La mortalité de cette affection est évaluée à 3 %.
Cela suggère une évolution et un pronostic comparable
entre les formes « primitives » et celles survenant sous
IFN.
La physiopathologie de survenue de la sarcoïdose
après traitement par PEG-IFN et ribavirine est mal
connue. L’hypothèse d’un dérèglement immunitaire
avec réaction inflammatoire chronique provoqué par
l’infection par le VHC et exacerbé par IFNaest la plus
vraisemblable. On peut penser que l’infection par le
VHC provoque une stimulation antigénique permettant
à l’IFNade faire développer la maladie chez des
patients génétiquement prédisposés [6]. En effet,
l’infection chronique virale C est associée à plusieurs
pathologies auto-immunes, mais la prévalence de
l’infection virale C ne semble pas plus élevée chez les
patients atteints de sarcoïdose que dans la population
générale [7]. Le très grand nombre de malades por-
teurs du VHC traités ainsi que ce rôle immunostimulant
expliquent probablement que la majorité des sarcoïdo-
ses sous IFN surviennent chez des malades porteurs du
VHC. Cela ne semble pas être le cas en cas d’infection
par le VHB, pour lequel un seul cas de sarcoïdose sous
IFN a été décrit, et où, au contraire, un autre où l’on
constatait une amélioration d’une sarcoïdose préexis-
tante. In vitro, l’IFNaest capable d’activer les lympho-
cytes T et d’entraîner la libération d’IFNcet d’IL2 [8]. Il
est donc possible de penser que l’IFNaest capable
d’induire ou de réactiver la sarcoïdose en provoquant
une réaction immunitaire médiée par les lymphocytes
CD4 Th-1, exacerbée dans cette maladie [9]. En ce qui
concerne la ribavirine, l’utilisation en association ne
permet pas d’être certain de son rôle dans la survenue
d’une sarcoïdose. Cependant, il a été suggéré qu’elle
pouvait majorer une réponse de type Th-1 et supprimer
une réponse de type Th-2, comme l’attestent les taux
des ARN messagers des cytokines impliquées dans les
deux types de réponse [10]. La survenue d’une sarcoï-
dose chez le présent patient sous IFN et ribavirine,
alors qu’il avait reçu à deux reprises de l’IFN seul sans
complication évoque un rôle notable de la ribavirine,
tout comme la forme pégylée de l’IFN, qui entraîne des
taux sanguins plus stables, et augmente ainsi la dose
reçue, suggérant un effet dose de l’interféron.
La présentation clinique de la sarcoïdose était particu-
lièrement sévère chez notre malade sous une forme
polyviscérale avec atteinte de la peau, des ganglions
superficiels, des glandes salivaires et de la moelle
osseuse, sans atteinte pulmonaire. Ensuite, malgré une
amélioration initiale après l’arrêt du traitement antivi-
ral, le patient a rechuté avec atteinte cutanée, glandu-
laire salivaire, ophtalmologique et neurologique péri-
phérique, nécessitant un traitement par corticoïdes et
immunosuppresseurs, sans sevrage possible après un
recul de 2 ans. De plus, la corticodépendance suggère
comme dans d’autres maladies auto-immunes une évo-
lution pour son propre compte du processus auto-
immun une fois déclenché, malgré l’arrêt de l’IFN et
l’éradication du VHC. La seconde particularité de ce
cas est la pancréatite aiguë développée entre les 2
poussées de sarcoïdose et compliquée de diabète
sucré. L’origine n’en étant ni alcoolique, ni biliaire, ni
médicamenteuse directe ou métabolique, une localisa-
tion sarcoïdosique est par conséquent envisageable.
La littérature recense près de 20 cas de pancréatite
sarcoïdosique dont aucune sous IFN ou chez un
malade infecté par le VHC. Elle se complique parfois
de diabète sucré [11] et peut avoir deux origines :
d’une part, inflammatoire, par infiltration granuloma-
teuse du parenchyme, et d’autre part métabolique par
hypercalcémie. La pancréatite aiguë est une complica-
tion rare du traitement par IFN et ribavirine (0,8 % des
malades porteurs d’une hépatite chronique virale C
traités par IFN et ribavirine dans une étude récente
[12]). Dans le cas présent, l’arrêt du traitement depuis
3 mois va contre cette éventualité et favorise l’origine
sarcoïdosique.
Dans le cas présent, la recherche de l’ARN du VHC
dans le sang est restée négative, malgré l’interruption
prématurée du traitement antiviral et l’administration
d’immunosuppresseurs. Cela confirme que les corticoï-
des et les immunosuppresseurs ne semblent pas entraî-
ner de risque supplémentaire de résurgence de la
maladie virale lorsqu’une réponse virologique durable
est obtenue.
En conclusion, l’apparition d’une sarcoïdose n’est pas
exceptionnelle chez les malades traités par interféron
pour une hépatite C. En cas d’apparition de signes
généraux, de symptômes respiratoires, d’adénopa-
thies ou de signes cutanés atypiques, il ne faut pas
hésiter à réaliser les investigations nécessaires afin de
diagnostiquer plus précocement cette affection. La
régression spontanée de la maladie est fréquente, mais
inconstante, après l’arrêt du traitement antiviral, qui
doit être discuté au cas par cas, en fonction de la
sévérité respective de l’hépatite C et de la sarcoïdose.
Références
1
. Mitchell DN, Scadding J-G. Sarcoidosis. Am Rev Respir Dis 1974 ;
110 : 774-802.
2
. James DG, Turiaf J, Hosada W. In : Siltzback LE, ed. Description of
sarcoidosis ; report of the subcommittee on classification and definition.
In Seventh International Conference on sarcoidosis and other granuloma-
tous disorders. New York : New York Academy of Sciences, 1976 ; (p.
742).
3
. Abdi EA, Nguyen GK, Ludwig RN, Dickout WJ. Pulmonary sarcoido-
sis following interferon therapy for advanced renal cell carcinoma.
Cancer 1987 ; 59 : 896-900.
Cas clinique
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007
168
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
4
. Alazemi S, Campos MA. Interferon-induced sarcoïdosis. Int J Clin
Pract 2006 ; 60 : 201-11.
5
. Ramos-Casals M, Mana J, Nardi N, Brito-Zeron P, Xaubet A,
Sanchez-Tapias JM, et al. Sarcoidosis in patients with chronic hepatitis C
virus infection : analysis of 68 cases. Medicine (Baltimore) 2005 ; 84 :
69-80.
6
. Tsimpoukas F, Goritsas C, Papadopoulos N, Trigidou R, Ferti A. Sar-
coidosis in untreated chronic hepatitis C virus infection. Scand J Gastroen-
terol 2004 ; 39 : 401-3.
7
. Mert A, Bilir M, Ozaras R, Karayel T, Demirci S, Senturk H. The pre-
valence of serum antibodies to hepatitis C virus is not increased in patients
with sarcoidosis. Respiration 2000 ; 67 : 592.
8
. Schattner A. Interferons and autoimmunity. Am J Med Sci 1988 ;
295 : 532-44.
9
. Hoffman RM, Jung MC, Motz R, et al. Sarcoidosis associated with
interferon-alpha therapy for chronic hepatitis C. J Hepatol 1998 ; 28 :
1058-63.
10
. Tam RC, Pai B, Bard J, Lim C, Averett DR, Phan UT, et al. Ribavirin
polarizes human T cell responses towards a type 1 cytokine profile.
J Hepatol 1999 ; 30 : 376-82.
11
. Sanchez-Lozada R, Soriano-Rosas J. Gutierrez-Vega. Acute pan-
creatitis, diabetes, and sarcoidosis. Case report and review of the
literature. Gac Med Mex 2004 ; 140 : 343-5.
12
. Chaudhari S, Park J, Anand BS, Pimstone NR, Dieterich DT,
Batash S, et al. Acute pancreatitis associated with interferon and ribavi-
rin therapy in patients with chronic hepatitis C. Dig Dis Sci 2004 ; 49 :
1000-6.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007 169
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !