Indépendance énergétique des États-Unis

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N°17
MAI 2013
ECONOTE
Société Générale
Département des études économiques
INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DES ÉTATS-UNIS

Issue, pour l'essentiel, de sources non-conventionnelles, la production
américaine de pétrole et de gaz a considérablement augmenté ces dernières
années. À l'horizon 2020, les États-Unis non seulement resteraient le premier
producteur gazier mondial, devant la Russie, mais ils deviendraient également
le premier producteur pétrolier, devant l'Arabie saoudite.

Si l'on exclut les importations canadiennes et mexicaines, les États-Unis
n’importeraient plus que 10 % de leur consommation de pétrole d'ici à 2020.
Grâce à cette baisse des importations d'énergie, mais aussi à un renouveau
industriel susceptible d'entraîner une hausse des exportations de produits
manufacturés et/ou un remplacement des importations par des marchandises
produites localement, le déficit du compte courant américain pourrait
s’amenuiser, quoique progressivement, dans les années à venir.

Exportatrice nette dans les années 1990, la Chine se procure
aujourd'hui environ la moitié de son pétrole auprès des pays du Golfe et sa
dépendance vis-à-vis de cette région devrait s'intensifier. On peut donc
s’attendre à ce que, à rebours des États-Unis, la Chine cherche à y
développer une présence économique et politique sur le long terme.

De son côté, l'Europe devra affronter deux défis de taille. Tout
d'abord, les entreprises de son secteur manufacturier pourraient subir
durablement un handicap compétitif par rapport à leurs concurrentes
américaines. Ensuite, l'Europe pourrait se retrouver davantage isolée et, par
conséquent, plus vulnérable, si la carte énergétique était redessinée autour
de deux axes interrégionaux : un axe intra-américain et un axe MoyenOrient/Asie. Ceci contribuerait d’ailleurs à renforcer de manière excessive sa
dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
PRODUCTION ÉNERGÉTIQUE DES ÉTATS-UNIS
140 2005= 100
135
130
125
120
115
110
105
100
95
90
2005
2006
2007
Gaz
2008
2009
2010
2011
2012
Pétrole
Sources : BP, EIA, SG
COLLARD Marc-Antoine
+33 1 57 29 62 28
[email protected]
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
Abréviations
Mtep
bpc
p/b
b/j
m b/j
MBtu
million de tonnes d’équivalent pétrole
billion de pieds cubes
par baril
baril par jour
million de barils par jour
million de British Thermal Unit
ENCADRÉ 1 - QUAND CONVIENT-IL D'EMPLOYER LE TERME « NON-CONVENTIONNEL » ?
L'appellation gaz « non-conventionnel » est un terme générique qui recouvre trois types de ressources
de gaz naturel : le gaz de schiste (shale gas), le gaz de réservoir compact (tight gas) et le gaz de
houille (coal bed methane). C'est la combinaison de deux techniques existantes, le forage horizontal
et la stimulation hydraulique, qui a permis le développement de la production de gaz nonconventionnel. De son côté, le terme de pétrole « non-conventionnel » fait référence au pétrole produit
ou extrait en utilisant des techniques autres que la méthode traditionnelle de puits pétroliers. Dans le
cas du pétrole, ce terme a commencé à être appliqué aux sables bitumeux canadiens et à la ceinture
de l'Orénoque au Venezuela.
Perméabilité décroissance
Une autre manière de distinguer le pétrole conventionnel du non-conventionnel consiste à recourir à
des cas de pétroles de plus en plus difficiles (viscosité plus forte) sur un axe et à des cas de roches
de plus en plus difficiles (perméabilité réduite) sur l'autre (cf. graphique suivant). Diverses
technologies sont appliquées à différentes combinaisons de roches et de fluides, et typiquement
celles jugées non-conventionnelles sont situées à l'extrémité d'un axe ou de l'autre. Pour le gaz, il
n'y aurait qu'un seul axe, celui impliquant la roche.
Shiste
Calcaire poreux
non-conventionnel
Conventionnel
(forage)
Brut
léger
Brut
moyen
non-conventionnel
Brut
lourd
Sables
bitumineux
Viscosité croissante
2
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
AUX ÉTATS-UNIS, LA PRODUCTION DE
PÉTROLE AUGMENTE ...
Après avoir baissé pendant près de 30 ans, la
production américaine de pétrole s'inscrit en hausse
depuis 2008, en raison principalement de la production
non-conventionnelle (cf. encadré 1). Les États-Unis ont
ainsi connu la plus forte hausse de production
mondiale en 2011 par rapport au niveau de 20081.
CROISSANCE PRODUCTION PÉTROLIÈRE
En m b/j
2008-2011
De plus, le Canada possède les troisièmes réserves de
pétrole au monde, derrière le Venezuela et l'Arabie
saoudite.
... DE MÊME QUE CELLE DU GAZ
L'exploitation du gaz de schiste s'est traduite par un
renouveau de la production de gaz aux États-Unis,
inversant une tendance baissière amorcée il y a dix
ans. Les États-Unis se sont ainsi imposés, devant la
Russie, comme premier producteur mondial de gaz et
devraient conserver cette première place au moins
jusqu'à la fin de cette décennie.
Canada
PRODUCTION DE GAZ
800
Colombie
En Mtep
(P)
700
Qatar
600
Irak
500
Arabie Saoudite
400
Russie
300
200
É.-U.
100
0,0
0,2
0,4
0,6
0,8
1,0
1,2
0
Sources : BP, SG
À l'horizon 2020, on estime que la production des ÉtatsUnis pourrait même dépasser celle de l'Arabie saoudite,
avec plus de 11m b/j. Pour la même période, la
production pétrolière du Canada devrait croître de 50 %
pour s'établir à pratiquement 5m b/j. Ainsi, d'ici à 2020, la
production pétrolière des États-Unis et du Canada
pourrait atteindre 16m b/j2.
16
En m b/j
PRODUCTION PÉTROLIÈRE
(P)
14
2001
2004
2007
2010
É.-U.
Canada
Iran
Chine
2013
2016
2019
Russie
Sources : BP, AIE SG
Selon l'EIA (Agence américaine d'information sur
l'énergie), le gaz de schiste deviendra une source de gaz
majeure, représentant environ 50 % de la production
totale de gaz d'ici à 2035 - contre environ 30 % en 2011.
Sans l'essor de la production des gaz de schiste, la
production de gaz des États-Unis aurait continué de se
replier sous l'effet de l'épuisement des gisements de gaz
traditionnels.
12
PRODUCTION DE GAZ DES É.-U.
10
30
8
En bpc
(P)
6
25
4
20
2
0
1965
15
1974
1983
1992
2001
2010
É.-U.
Canada
Irak
Arabie Saoudite
Russie
2019
10
5
Sources : BP, AIE, SG
1
Selon IHS CERA, la production du Dakota du Nord est passée de
100 k b/j en 2005 à 700 k b/j début 2012, ce qui en fait le deuxième
état producteur de pétrole, derrière le Texas.
0
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035
Autres
Gaz de schiste
Sources : US EIA, SG
2
Perspectives énergétiques mondiales (2012), Agence internationale
de l'énergie (AIE)
3
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
Aujourd'hui, la croissance de la production est tellement
forte que les États-Unis sont considérés comme un
possible exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) — un
concept impensable il y a quelques années seulement3.
OBSTACLE À SURMONTER POUR
MAINTENIR LA CROISSANCE DE LA
PRODUCTION
Tandis que la production de pétrole et de gaz aux ÉtatsUnis a rapidement augmenté, le maintien de la croissance
dépendra essentiellement de trois facteurs : [1] les prix, [2]
la construction de nouvelles infrastructures de transport et
[3] les préoccupations de l'opinion publique en matière
d'environnement.
PRIX
Depuis un siècle et demi, l'industrie pétrolière alterne
les cycles d'expansion et de ralentissement. Si le
succès nord-américain devait être suivi par un boom
de la production énergétique au niveau mondial, les
prix pourraient alors baisser et mettre en péril le
développement de certains projets pétroliers.
En effet, pour que l’extraction de pétrole nonconventionnelle soit rentable, diverses sources
donnent des estimations allant de 50 à 80 USD le baril,
en fonction d'un certain nombre de facteurs,
notamment l'accès aux technologies d’extraction, les
caractéristiques du site de production et l'accès
physique aux marchés.
Ces estimations ont de plus été revues à la hausse,
dans la mesure où les coûts augmentent sous l'effet de
la demande croissante des facteurs de production
(main d'œuvre et services, appareils de forage et autres
équipements physiques). Cela étant, les indices de
coût, qui avaient augmenté en flèche à des taux
annuels de pratiquement 10 % durant les années de
forte croissance (2002-2008) se sont inscrits en baisse
pour s'établir en deçà de 5 % depuis.
Il convient de souligner que deux forces opposées
émanent de l'Organisation des pays exportateurs de
pétrole (OPEP). D'une part, les gouvernements du
Moyen-Orient, ayant fortement augmenté leurs
dépenses afin d’apaiser les tensions sociales, ont pris
conscience de la nécessité d'avoir des prix du pétrole
beaucoup plus élevés qu’auparavant pour conserver
l’équilibre budgétaire4. Ainsi, en défendant un prix
plancher d'au moins 80 USD le baril, l'OPEP atténue le
risque d'un effondrement des prix du pétrole.
D'autre part, des prix élevés présentent des risques
pour deux raisons : ils compromettent la croissance
économique et, plus important sur le long terme, ils
encouragent le développement de nouvelles énergies
et mettent en péril l'hégémonie du cartel.
De plus, le renouveau attendu du secteur pétrolier en
Iraq mettra une pression à la hausse sur la production
pétrolière de l'OPEP. L'Iraq est déjà le troisième
exportateur mondial de pétrole et sa production
pourrait doubler pour s'établir à 6,1m de b/j à l'horizon
2020.
Aussi, même si en dehors de l'Amérique du Nord, il est
peu probable que la production de pétrole nonconventionnelle contribue de façon notable à l'offre
mondiale de pétrole avant 2020, il existe de toute
évidence un potentiel haussier5.
Par ailleurs, des mesures visant à promouvoir une
utilisation plus efficace du pétrole et le recours à d'autres
combustibles dans les pays de l’OCDE contribueront à
compenser la croissance de la demande provenant des
pays non-membres de l'OCDE. En outre, les prévisions en
matière de croissance de la demande reposent en grande
partie sur un pays – la Chine –, ce qui ne fait qu'accroître
les incertitudes sur ce front.
CROISSANCE DEMANDE PÉTROLE
En m b/j
2011-2020
OCDE Europe
INDICE DE COÛT DE PRODUCTION PÉTROLE
OCDE Amériques
É.-U. 2000=100
OCDE Asie Océanie
Europe Est/Eurasie
Afrique
Amérique Latine
Autre Asie
Inde
Moyen-Orient
Chine
-2
-1
0
1
2
3
4
Sources : AIE, SG
Sources : IIF, IHS Cera, SG
4
Fin 2011, l’Arabie saoudite a indiqué que son gouvernement
était tout à fait à l'aise avec un prix du pétrole à 100 USD le baril,
contre 70-80 USD le baril précédemment.
5
3
Cf. ÉcoNote No 18 « États-Unis : Un exportateur gazier en
devenir », publié prochainement.
Selon l'AIE, le bassin de Neuquén en Argentine est prometteur,
tandis que la Russie disposerait de ressources importantes, en
particulier en Sibérie occidentale.
4
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
En résumé, la croissance potentiellement plus lente de
la demande et la croissance plus rapide de l'offre
pourraient peser sur les prix du pétrole et ralentir
l'évolution du secteur pétrolier américain.
Du côté du gaz, un grand nombre de recherches ont
conclu qu'un prix plancher de 4 USD/MBtu était
nécessaire pour assurer la profitabilité des
producteurs. Bien évidemment, des événements
inattendus peuvent provoquer des écarts à court
terme, mais les réactions du marché devraient, en règle
générale, ramener les prix vers leur niveau d'équilibre
de long terme.
INFRASTRUCTURES
Malgré la hausse du potentiel de production de pétrole,
les infrastructures permettant de les acheminer vers les
raffineries dans la région du golfe du Mexique
demeurent insuffisantes. Pour régler cette question, le
déploiement d'une capacité de plus de 2m b/j est prévu
d’ici 2015, mais ces mesures resteront toutefois
insuffisantes au regard des hausses de production
prévues.
Par ailleurs, les infrastructures pétrolières américaines
sont plutôt déconnectées. En effet, la Californie, le
Midwest et la côte Est sont de facto des marchés
séparés puisqu'il n'existe aucun oléoduc est-ouest pour
relier ces régions.
Outre les embuches reliées au transport terrestre du
pétrole, le transport par voie navigable est également
problématique. Par exemple, la loi Jones complique
l’acheminement par bateau de pétrole de la région du
golfe du Mexique vers la côte Est6.
promouvoir la sécurité de la fracturation hydraulique.
Or, certains États ont déjà décidé d’en limiter l'usage
alors que d’autres, comme le Vermont, l’ont même
banni de leur territoire.
EFFETS MACROECONOMIQUES :
REDRESSEMENT DU SECTEUR
MANUFACTURIER ET BAISSE DU DÉFICIT
DU COMPTE COURANT
En 2011, les États-Unis et la zone euro ont consacré
plus de 2 % de leur PIB aux importations de pétrole
brut et autres produits pétroliers, contre plus de 3 %
pour le Japon et plus de 3,5 % pour le reste de l'Asie.
Le boom énergétique aux États-Unis pourrait donner
lieu à une divergence des balances commerciales entre
les États-Unis, l'Europe et l'Asie.
UNE BAISSE DES IMPORTATIONS D'ÉNERGIE...
L'envolée de la production de gaz s'est traduite par une
baisse des importations aux États-Unis qui, comme
nous l'avons mentionné, sont considérés comme un
exportateur potentiel de GNL. La situation américaine
s'inscrit en contraste avec celle de l'Europe qui importe
aujourd'hui plus de 40 % de son gaz, la Russie
conservant sa position de principal fournisseur. Quant à
la Chine, elle est passée du statut d'exportateur à celui
d'importateur au cours des dix dernières années. Dans
les deux cas, leur dépendance vis-à-vis du gaz importé
est appelée à augmenter dans les années à venir.
IMPORTATIONS DE GAZ
80
Contrairement au pétrole, le réseau américain de
distribution de gaz est hautement intégré et permet le
transport du gaz à destination ou en provenance de
n'importe quel site dans le pays. Cependant, avec une
croissance rapide attendue de la production, le réseau
de gaz pourrait être fragilisé.
70
OBJECTIONS SUR LE PLAN ENVIRONNEMENTAL
20
En plus des inquiétudes quant aux infrastructures et au
prix, les objections environnementales croissantes sont
sujettes à freiner la croissance de la production
d’hydrocarbures.
10
La fracturation hydraulique utilisée pour la production
d'énergie non-conventionnelle requiert d'importantes
quantités d'eau et utilise des additifs potentiellement
nocifs. L'utilisation de l'eau dans la fracturation est
suspectée de pouvoir contaminer les eaux souterraines
et de surface.
L'EPA (Agence américaine de protection de
l'environnement) réalise actuellement une étude sur les
effets de la fracturation hydraulique sur les ressources
en eau potable, dont les conclusions sont attendues en
2014, tandis que l'industrie a mené des études visant à
En % de la consommation
(P)
60
50
40
30
0
-10
-20
2001
2004
2007
É.-U.
2010
2013
Europe
2016
2019
Chine
Sources : BP, AIE, SG
Du côté du pétrole, les importations américaines n'ont
cessé de baisser depuis 2005. De plus, si l'on exclut
les importations canadiennes et mexicaines, les ÉtatsUnis n’importeraient pas plus de 10 % de leur
consommation d'ici à fin 2020. Si tel est le cas, cette
tendance aura des incidences géopolitiques que nous
évoquerons dans la prochaine section.
6
La Loi Jones exige que le transport entre des ports américains se
fasse par des navires battant pavillon américain, construits aux ÉtatsUnis et servis principalement par des équipages américains, ce qui
accroît considérablement les coûts de transport.
5
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
grande échelle entre le pétrole et le gaz dans le
domaine du transport est peu probable étant donné
l’importance des infrastructures actuelles consacrées
au pétrole8.
IMPORTATIONS DE PÉTROLE
100
En % de la consommation
(P)
90
80
CONSOMMATION DE PÉTROLE PAR
SECTEUR EN 2011
70
60
Commercial et résidentiel
Industriel
Transport
Centrale électrique
50
40
30
20
10
0
2001
2004
2007
2010
2013
É.-U.
É.-U. ex Canada+Mexique
Europe
Chine
2016
2019
Sources : BP, AIE, SG
Le rebond de la production pétrolière américaine n'est
pas le seul facteur expliquant la baisse attendue des
importations de pétrole aux États-Unis. En effet, la
faiblesse du prix du gaz – et les différences de prix de
l'énergie qu'elle a fait apparaître7 – pourrait encourager
la transition vers des voitures et des poids-lourds
utilisant le gaz comme carburant.
PRIX DE L'ÉNERGIE
160
En USD/baril
En USD/MBtu
160
140
140
120
120
100
100
80
80
60
60
40
40
20
20
0
0
1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012
Prix pétrole (WTI)
Prix gaz équivalent-énergie (HH)
Sources : Datas tream, SG
Il convient de souligner que le secteur des transports
représente pratiquement 70 % de la consommation
américaine totale de pétrole, ce qui montre l'ampleur
du potentiel de baisse des importations américaines de
pétrole.
Le remplacement par le gaz pourrait intervenir en
premier lieu lorsque des infrastructures centrales
d'approvisionnement en carburant le permettent – par
exemple, pour les bus et les camions à ordures
municipaux. Cependant, une substitution rapide et à
7
Il existe une règle empirique simple, l'Energy Content Rule, qui
consiste à comparer le Btu d'un baril de pétrole (5,825 MBtu) à un
MBtu de gaz. A l'heure actuelle, pour la même quantité d'énergie,
le gaz est quatre fois moins cher que le pétrole.
Sources : US EIA, SG
Le secteur résidentiel et commercial évolue également
vers une moindre consommation de pétrole. Le fioul
domestique (mazout), utilisé comme combustible
traditionnel pour le chauffage domestique, en
particulier dans le nord-est des États-Unis, est
remplacé par le gaz lorsque les infrastructures le
permettent.
... ET UNE HAUSSE
AMÉRICAINES…
DES
EXPORTATIONS
Grâce à l'essor du gaz, les États-Unis affichent les
coûts du gaz les plus faibles au monde, à l'exception
possible du Qatar. Des opportunités d'investissement
apparaissent ainsi dans des industries à forte intensité
énergétique.
L'industrie chimique utilise le gaz non seulement pour
chauffer et alimenter en électricité ses installations,
mais également comme intrant à la production. Cette
industrie – la deuxième plus importante en termes de
livraisons manufacturières – est ainsi l'une des
premières à bénéficier des prix bas du gaz. C’est
pourquoi nous assistons au démarrage de nouveaux
projets d’investissement9.
8
Selon les dernières données communiquées par l'EIA, on a
dénombré moins de 100 000 véhicules roulant au gaz, contre
environ 240 millions de véhicules classiques.
9
En mars 2012, Shell a annoncé la construction d'une usine
pétrochimique de plusieurs milliards de USD en Pennsylvanie qui
emploiera 10 000 personnes pendant les travaux. En juillet 2012,
Dow Chemical a fait part de son projet de construction d'une
nouvelle usine de propylène au Texas. Ces projets sont
idéalement localisés pour tirer profit du gaz de schiste qui sera la
matière première principale des deux usines.
6
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
CONSOMMATION DE GAZ
LIVRAISONS MANUFACTURIÈRES É.-U.
En % de la consommation
totale d'énergie
Produits pétroliers
Produits
chimiques
Produits chimiques
Transport
Produits
pétroliers
Aliments
Machinerie
1ère transformation
des métaux
Produits
métalliques
Plastique et
caoutchouc
Papier
Machinerie
Équipements
de transport
Produits
métalliques
Autres
0
20
40
Sources : US Cens us , SG
Selon l'American Chemistry Council, l'essor de la
production de gaz non-conventionnel devrait se
traduire par une hausse de 25 % de la capacité
pétrochimique des États-Unis et par une augmentation
de la production de 32,9 Mds USD dans l'industrie
chimique. En plus des effets directs, les effets indirects
et induits liés à ces nouvelles capacités de production
devraient conduire à un gain supplémentaire de
50,6 Mds USD dans d'autres secteurs de l'économie et
créer plus de 17 000 emplois directement dans
l'industrie chimique10.
De plus, on estime qu'environ 85 % de la production
d'éthane aux États-Unis est obtenue à partir du gaz,
contre seulement 30 % en Europe et en Asie où elle est
obtenue à partir du pétrole. Par conséquent, les
sociétés américaines qui produisent de l'éthane à partir
du gaz bénéficieront de prix plus bas que leurs
concurrents internationaux qui dépendent de pétrole
ou de gaz non produits aux États-Unis, plus onéreux.
Dans la mesure où le gaz constitue également une
matière première essentielle pour la production
d'ammoniac et d'azote, les fabricants d'engrais
américains deviendront eux-aussi plus compétitifs
grâce à des prix plus bas.
60
80
Sources : EIA, Citi, SG
Dans l'ensemble, comparativement à l'Europe, la
différence du prix du gaz – qui est aujourd'hui
d'environ 7 USD/MBtu – correspond à une réduction
des coûts de production pour les industries
américaines de l’ordre de 120 Mds USD par an11. Cela
ne fait qu'accroître la compétitivité du secteur
manufacturier américain, déjà avantagé par l’évolution
de leurs coûts unitaires de main d'œuvre.
COÛT UNITAIRE MAIN D'OEUVRE
140
2002=100
130
120
110
100
90
80
70
2002
2004
2006
2008
2010
D'autres industries devraient également profiter du
boom dans le secteur énergétique américain. Par
exemple, les industries spécialisées dans la fabrication
de machines et de produits métalliques enregistrent
une hausse de leurs livraisons, puisqu'elles fournissent
les sociétés pétrolières et gazières, notamment en
pipelines et en équipements de forage. De plus,
environ 50% de leur consommation d'énergie provient
du gaz. De ce fait, elles améliorent non seulement leurs
revenus, mais elles bénéficient également de la baisse
des coûts de l'énergie.
En somme, un renouveau industriel bâti sur un renouveau
énergétique pourrait donner lieu à une augmentation des
exportations et favoriser un remplacement des
importations par des marchandises produites localement.
10
11
Cf. : « Shale Gas and New Petrochemicals Investment: Benefits
for the Economy, Jobs, and US Manufacturing », American
Chemistry Council, 2011
É.-U.
France
R.-U.
Italie
Allemagne
Sources : US BLS, SG
Par ailleurs, la croissance économique américaine
bénéficiera de la hausse des importations énergétiques
en provenance de l’Amérique du Nord au détriment
des producteurs du Moyen-Orient. En effet, un dollar
dépensé pour acheter davantage de pétrole en
provenance du Canada est plus susceptible de revenir
La consommation de gaz des industries américaines est
d'environ 3 milliards de barils équivalent pétrole, soit environ
17,5 MBtu.
7
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
aux États-Unis qu'un dollar consacré à l'achat de
pétrole irakien ou saoudien.
COMPTE COURANT DES É.-U.
0
... MAIS PAS D’IMPACT DE GRANDE AMPLEUR SUR
LE DÉFICIT DU COMPTE COURANT
-1
À titre de rappel, le compte courant d'un pays est la
somme de sa balance des biens et services, de ses
revenus du capital (intérêts et dividendes) et des
paiements de transfert nets (aide internationale). Aux
États-Unis, les revenus positifs du capital et l'excédent
de la balance des services sont contrebalancés par les
soldes négatifs de la balance des biens et des
paiements de transfert. Dans la mesure où il est peu
probable que le déficit commercial non-pétrolier se
résorbe rapidement, une réduction majeure du déficit
du compte courant américain est limitée.
En effet, la croissance économique aux États-Unis étant
actuellement plus soutenue que dans bien d'autres
régions du monde, la vigueur de la demande intérieure
pourrait conduire à une lente amélioration du déficit
commercial non-pétrolier. En outre, l'élasticité des
importations américaines par rapport à la croissance de la
demande intérieure est sensiblement supérieure à
l'élasticité des exportations américaines par rapport à la
demande étrangère.
COMPTE COURANT DES É.-U.
2
1
0
-1
-2
-3
-4
-5
2002
2004
2006
2008
2010
Revenus
Transferts
Biens non petroliers
Biens pétroliers
Services
(P)
-2
-3
-4
-5
-6
-7
2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018
Scénario alternatif
FMI 2013 WEO
Sources : FMI, SG
RÉPERCUSSIONS GÉOPOLITIQUES
Dans l'ensemble, l'Amérique du Nord réduira sa
dépendance vis-à-vis des importations de pétrole non
seulement grâce à la croissance de sa production
pétrolière, mais également grâce à la contraction de sa
demande de pétrole13.
Or, la dépendance vis-à-vis du pétrole du MoyenOrient a souvent influencé les politiques étrangères, de
sécurité nationale et défense américaines au cours des
cinquante dernières années14. Le rapprochement avec
le Canada, qui s'impose comme premier allié
énergétique des États-Unis, contraste avec l'abandon
du pétrole du Moyen-Orient. Cela étant, cette région
continuera d'influer sur la politique étrangère des ÉtatsUnis, en raison notamment de son emprise persistante
sur les marchés pétroliers mondiaux et parce que les
États-Unis ont tout intérêt à ce que ces marchés
demeurent stables15.
Balance, en % du PIB
2000
En % du PIB
Sources : Datas tream, SG
Bref, avec une baisse anticipée des importations
d'énergie et une augmentation potentielle des
exportations de biens et de services, le déficit du compte
courant est tout de même appelé à reculer dans les
années à venir, s'écartant ainsi du consensus admis d'un
accroissement du déficit12.
En outre, la nouvelle production de pétrole aux États-Unis
sera constituée, pour l'essentiel, de pétrole brut léger peu
sulfureux (light sweet oil). Ce phénomène représente un
défi considérable pour les raffineries américaines situées
sur la côte du golfe du Mexique. Ces dernières ont atteint,
pour la plupart, un degré de complexité élevé au fil des
années à travers des investissements massifs réalisés
pour accroître leur capacité à traiter du pétrole brut lourd
sulfuré (heavy sour oil), qui représente la majorité des
importations de pétrole des États-Unis. La probabilité que
les États-Unis continuent d'importer du pétrole en raison
des contraintes liées aux raffineries est donc élevée.
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Au remplacement graduel du pétrole par le gaz dans le secteur
du transport s’ajoute l'utilisation de moteurs de voiture plus
performants et l'offre croissante de carburants renouvelables.
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12
Selon nos prévisions, le déficit commercial pétrolier sera réduit
de moitié, tandis que le déficit commercial non-pétrolier ne
s'améliorera que légèrement. Les autres composantes sont
supposées constantes.
Participation active des États-Unis au processus de paix israélopalestinien, rapprochement avec les monarchies du Golfe persique,
intervention militaire en Irak après son invasion du Koweït,
établissement et maintien d'une présence militaire dans la région.
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Sur un front plus politique, la présence des États-Unis dans la
région est également à prévoir en raison des liens qui l'unissent à
Israël.
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ECONOTE | N°17 – MAI 2013
Alors que les États-Unis évoluent vers une plus grande
indépendance pétrolière, la Chine dépend plus que
jamais des importations pétrolières et pourrait
s'imposer, devant les États-Unis, comme premier
importateur pétrolier au monde. Exportatrice nette
dans les années 1990, la Chine se procure aujourd'hui
environ la moitié de son pétrole auprès des pays du
Golfe et sa dépendance vis-à-vis de cette région
devrait s'intensifier. On peut donc s’attendre à ce que
la Chine y assoit une présence économique et politique
sur le long terme.
Il faut néanmoins noter que la Chine pourrait ne pas
partager la volonté des États-Unis de promouvoir la
stabilité politique de cette région. En effet, la Chine
pourrait estimer ne pas avoir la capacité d'améliorer
sensiblement la stabilité de la région, ou encore que les
efforts déployés par les États-Unis à cet égard sont, et
resteront, suffisants pour préserver les intérêts de la
Chine.
S'agissant de l'Europe, la baisse de la production
pétrolière au cours des dix dernières années a été
beaucoup plus rapide que la contraction de la
demande, ce qui s'est traduit par une dépendance
accrue vis-à-vis de la Russie et de ses satellites
(Kazakhstan) et, dans une certaine mesure, du MoyenOrient.
CONCLUSION
Tout bien considéré, la nouvelle hausse de la
production de pétrole et de gaz non-conventionnels
constitue une évolution positive non seulement pour
les États-Unis, mais aussi pour l'économie mondiale.
Le renforcement et la diversification des sources
d'approvisionnement atténueront les contraintes
énergétiques mondiales et amélioreront ainsi l'arbitrage
entre croissance mondiale et inflation.
Cependant, les avantages ne seront pas répartis
uniformément à travers le monde et de nouveaux
risques pourraient faire leur apparition. L'Europe devra
affronter deux défis de taille. Tout d'abord, son secteur
manufacturier
pourrait
subir
un
handicap
supplémentaire en termes de coûts par rapport à ses
concurrents américains. De plus, s'agissant de sa
dépendance énergétique, l'Europe va se retrouver
encore plus isolée et, par conséquent, plus vulnérable,
si la carte énergétique est redessinée autour de deux
axes interrégionaux : un axe intra-américain et un axe
Moyen-Orient/Asie. Cette réorganisation pourrait
contribuer à renforcer de manière excessive sa
dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
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ECONOTE | N°17 – MAI 2013
NUMÉROS PRÉCÉDENTS ECONOTE
N°1 – Le dollar : la monnaie des américains, leur problème ?
Benoît HEITZ (31 mars 2011)
N°2 – Vers un décollage africain ?
Clément GILLET (10 mai 2011)
N°3 – États-Unis : États fédérés et collectivités locales, un frein à la reprise économique
Clémentine GALLES, Kim MARCH (9 juin 2011)
N°4 – Chine : l'internationalisation sans convertibilité du renminbi
Sopanha SA, Meno MIYAKE (décembre 2011)
N°5 – L’ajustement letton est-il un bon exemple pour les pays de la périphérie de la zone euro ?
Anna SIENKIEWICZ, Ariel EMIRIAN (janvier 2012)
N°6 – Royaume-Uni : Retour du spectre de l’inflation ?
Marc-Antoine COLLARD (février 2012)
N°7 – Chine : Investissements directs à l’étranger : beaucoup de bruit pour rien
Sopanha SA, Meno MIYAKE (mai 2012)
N°8 – Turquie : Une politique monétaire atypique mais dépendante
Régis GALLAND (juillet 2012)
N°9 – Le «Quantitative Easing» britannique : plus d’inflation mais pas plus d’activité ?
Benoît HEITZ (juillet 2012)
N°10 – Marché immobilier et politiques macro-prudentielles : le Canada est-il synonyme de réussite ?
Marc-Antoine COLLARD (août 2012)
N°11 – Zone euro : une crise unique
Marie-Hélène DUPRAT (septembre 2012)
N°12 – La performance à l’exportation de l’Allemagne : analyse comparative avec ses pairs européens
Marc FRISO (décembre 2012)
N°13 – Le financement de la dette des États : vecteur de (dés-)intégration de la zone euro ?
Léa DAUPHAS, Clémentine GALLÈS (février 2013)
N°14 – Chine : Prix immobiliers : l’arbre ne doit pas cacher la forêt
Sopanha SA (avril 2013)
N°15 – Chine : Débat sur la croissance
Olivier DE BOYSSON, Sopanha SA (avril 2013)
N°16 – Pays développés : Qui détient la dette publique ?
Audrey GASTEUIL-ROUGIER (avril 2013)
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ECONOTE | N°17 – MAI 2013
DÉPARTEMENT DES
ÉTUDES ÉCONOMIQUES
CONTACTS
Olivier GARNIER
Chef économiste du Groupe
+33 1 42 14 88 16
[email protected]
Olivier de BOYSSON
Adjoint et chef économiste Pays
Émergents
+33 1 42 14 41 46
[email protected]
Marie-Hélène DUPRAT
Conseiller auprès du chef économiste
+33 1 42 14 16 04
[email protected]
Ariel EMIRIAN
Études risques-pays / Pays CEI
+33 1 42 13 08 49
[email protected]
Clémentine GALLÈS
Études macro-financières / États-Unis
+33 1 57 29 57 75
[email protected]
Benoît HEITZ
Prévisions économiques mondiales /
zone euro et Europe
+33 1 58 98 74 26
[email protected]
Constance BOUBLIL
Europe centrale et du sud-est
+33 1 42 13 08 29
[email protected]
Marc-Antoine COLLARD
Pays du Golfe, Amérique Latine,
Matières Premières
+33 1 57 29 62 28
[email protected]
Marc FRISO
Zone euro, Europe du nord et Afrique
Subsaharienne
Isabelle AIT EL HOCINE
+33 1 42 14 74 49
Assistante
[email protected]
+33 1 42 14 55 56
[email protected]
Régis GALLAND
Bassin Méditerranéen et Asie Centrale
+33 1 58 98 72 37
[email protected]
Audrey GASTEUIL-ROUGIER
OCDE hors zone euro et Études macrofinancières
+33 1 57 29 52 26
[email protected]
Sopanha SA
Asie
+33 1 58 98 76 31
[email protected]
Valérie TOSCAS
Assistante
+33 1 42 13 18 88
[email protected]
Sigrid MILLEREUX-BEZIAUD
Documentaliste
+33 1 42 14 46 45
[email protected]
Tiphaine CAPPE de BAILLON
Études statistiques et édition
+33 1 42 14 00 25
[email protected]
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