N°17
MAI 2013
ECONOTE
Société Générale
Département des études économiques
I
NDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DES
É
TATS
-U
NIS
Issue, pour l'essentiel, de sources non-conventionnelles, la production
aricaine de pétrole et de gaz a considérablement augmenté ces dernres
années. À l'horizon 2020, les États-Unis non seulement resteraient le premier
producteur gazier mondial, devant la Russie, mais ils deviendraient également
le premier producteur trolier, devant l'Arabie saoudite.
Si l'on exclut les importations canadiennes et mexicaines, les États-Unis
n’importeraient plus que 10 % de leur consommation de pétrole d'ici à 2020.
Grâce à cette baisse des importations d'énergie, mais aussi à un renouveau
industriel susceptible d'entraîner une hausse des exportations de produits
manufacturés et/ou un remplacement des importations par des marchandises
produites localement, le ficit du compte courant américain pourrait
s’amenuiser, quoique progressivement, dans les années à venir.
Exportatrice nette dans les années 1990, la Chine se procure
aujourd'hui environ la moitié de son pétrole auprès des pays du Golfe et sa
dépendance vis-à-vis de cette région devrait s'intensifier. On peut donc
s’attendre à ce que, à rebours des États-Unis, la Chine cherche à y
développer une présence économique et politique sur le long terme.
De son côté, l'Europe devra affronter deux défis de taille. Tout
d'abord, les entreprises de son secteur manufacturier pourraient subir
durablement un handicap compétitif par rapport à leurs concurrentes
américaines. Ensuite, l'Europe pourrait se retrouver davantage isolée et, par
conséquent, plus vulnérable, si la carte énergétique était redessinée autour
de deux axes interrégionaux : un axe intra-américain et un axe Moyen-
Orient/Asie. Ceci contribuerait d’ailleurs à renforcer de manière excessive sa
dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
PRODUCTION ÉNERGÉTIQUE DES ÉTATS-UNIS
90
95
100
105
110
115
120
125
130
135
140
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
2005= 100
Gaz Pétrole
Sources : BP, EIA, SG
COLLARD Marc-Antoine
+33 1 57 29 62 28
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
2
Abréviations
Mtep
million de tonnes d’équivalent pétrole
bpc
billion de pieds cubes
p/b
par baril
b/j
m b/j
million de barils par jour
MBtu
million de British Thermal Unit
ENCADRÉ 1 - QUAND CONVIENT-IL D'EMPLOYER LE TERME « NON-CONVENTIONNEL » ?
L'appellation gaz « non-conventionnel » est un terme générique qui recouvre trois types de ressources
de gaz naturel : le gaz de schiste (
shale gas
), le gaz de réservoir compact (
tight gas
) et le gaz de
houille (
coal bed methane
). C'est la combinaison de deux techniques existantes, le forage horizontal
et la stimulation hydraulique, qui a permis le veloppement de la production de gaz non-
conventionnel. De son côté, le terme de pétrole « non-conventionnel » faitférence autrole produit
ou extrait en utilisant des techniques autres que la thode traditionnelle de puits pétroliers. Dans le
cas du pétrole, ce terme a commen à être appliqué aux sables bitumeux canadiens et à la ceinture
de l'Orénoque au Venezuela.
Une autre manière de distinguer le pétrole conventionnel du non-conventionnel consiste à recourir à
des cas de pétroles de plus en plus difficiles (viscosité plus forte) sur un axe et à des cas de roches
de plus en plus difficiles (perméabilité duite) sur l'autre (cf. graphique suivant). Diverses
technologies sont appliquées à différentes combinaisons de roches et de fluides, et typiquement
celles jugées non-conventionnelles sont situées à l'extrémité d'un axe ou de l'autre. Pour le gaz, il
n'y aurait qu'un seul axe, celui impliquant la roche.
Brut
léger
Brut
lourd
Sables
bitumineux
Viscosité croissante
Perméabilité décroissance
Calcaire poreux
Shiste
non-conventionnel
Conventionnel
(forage)
Brut
moyen
non-conventionnel
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
3
AUX ÉTATS-UNIS, LA PRODUCTION DE
PÉTROLE AUGMENTE ...
Après avoir baissé pendant près de 30 ans, la
production américaine de pétrole s'inscrit en hausse
depuis 2008, en raison principalement de la production
non-conventionnelle (cf. encadré 1). Les États-Unis ont
ainsi connu la plus forte hausse de production
mondiale en 2011 par rapport au niveau de 2008
1
.
0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2
É.-U.
Russie
Arabie Saoudite
Irak
Qatar
Colombie
Canada
En m b/j
Sources : BP, SG
CROISSANCE PRODUCTION PÉTROLIÈRE
2008-2011
À l'horizon 2020, on estime que la production des États-
Unis pourrait même passer celle de l'Arabie saoudite,
avec plus de 11m b/j. Pour la même période, la
production trolière du Canada devrait croître de 50 %
pour s'établir à pratiquement 5m b/j. Ainsi, d'ici à 2020, la
production trolière des États-Unis et du Canada
pourrait atteindre 16m b/j
2
.
PRODUCTION PÉTROLIÈRE
0
2
4
6
8
10
12
14
16
1965 1974 1983 1992 2001 2010
2019
En m b/j
É.-U. Canada
Irak Arabie Saoudite
Russie Sources : BP, AIE, SG
(P)
1
Selon IHS CERA, la production du Dakota du Nord est pase de
100 k b/j en 2005 à 700 k b/j but 2012, ce qui en fait le deuxième
état producteur de pétrole, derrre le Texas.
2
Perspectives énergétiques mondiales (2012), Agence internationale
de lnergie (AIE)
De plus, le Canada possède les troisièmes réserves de
pétrole au monde, derrière le Venezuela et l'Arabie
saoudite.
... DE MÊME QUE CELLE DU GAZ
L'exploitation du gaz de schiste s'est traduite par un
renouveau de la production de gaz aux États-Unis,
inversant une tendance baissière amorcée il y a dix
ans. Les États-Unis se sont ainsi imposés, devant la
Russie, comme premier producteur mondial de gaz et
devraient conserver cette première place au moins
jusqu'à la fin de cette décennie.
PRODUCTION DE GAZ
0
100
200
300
400
500
600
700
800
2001 2004 2007 2010 2013 2016 2019
En Mtep
É.-U. Canada Russie
Iran Chine
Sources : BP, AIE SG
(P)
Selon l'EIA (Agence américaine d'information sur
l'énergie), le gaz de schiste deviendra une source de gaz
majeure, représentant environ 50 % de la production
totale de gaz d'ici à 2035 - contre environ 30 % en 2011.
Sans l'essor de la production des gaz de schiste, la
production de gaz des États-Unis aurait continde se
replier sous l'effet de l'épuisement des gisements de gaz
traditionnels.
PRODUCTION DE GAZ DES É.-U.
0
5
10
15
20
25
30
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035
En bpc
Autres Gaz de schiste
Sources : US EIA, SG
(P)
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
4
Aujourd'hui, la croissance de la production est tellement
forte que les États-Unis sont considérés comme un
possible exportateur de gaz naturel liquéf (GNL) un
concept impensable il y a quelques années seulement
3
.
OBSTACLE À SURMONTER POUR
MAINTENIR LA CROISSANCE DE LA
PRODUCTION
Tandis que la production de trole et de gaz aux États-
Unis a rapidement augmenté, le maintien de la croissance
pendra essentiellement de trois facteurs : [1] les prix, [2]
la construction de nouvelles infrastructures de transport et
[3] les préoccupations de l'opinion publique en matière
d'environnement.
P
RIX
Depuis un siècle et demi, l'industrie pétrolière alterne
les cycles d'expansion et de ralentissement. Si le
succès nord-américain devait être suivi par un boom
de la production énergétique au niveau mondial, les
prix pourraient alors baisser et mettre en péril le
développement de certains projets pétroliers.
En effet, pour que l’extraction de pétrole non-
conventionnelle soit rentable, diverses sources
donnent des estimations allant de 50 à 80 USD le baril,
en fonction d'un certain nombre de facteurs,
notamment l'accès aux technologies d’extraction, les
caractéristiques du site de production et l'accès
physique aux marchés.
Ces estimations ont de plus été revues à la hausse,
dans la mesure où les coûts augmentent sous l'effet de
la demande croissante des facteurs de production
(main d'œuvre et services, appareils de forage et autres
équipements physiques). Cela étant, les indices de
coût, qui avaient augmenté en flèche à des taux
annuels de pratiquement 10 % durant les années de
forte croissance (2002-2008) se sont inscrits en baisse
pour s'établir en deçà de 5 % depuis.
Sources : IIF, IHS Cera, SG
INDICE DE COÛT DE PRODUCTION PÉTROLE
É.-U. 2000=100
3
Cf. ÉcoNote N
o
18 « États-Unis : Un exportateur gazier en
devenir », publié prochainement.
Il convient de souligner que deux forces opposées
émanent de l'Organisation des pays exportateurs de
pétrole (OPEP). D'une part, les gouvernements du
Moyen-Orient, ayant fortement augmenté leurs
dépenses afin d’apaiser les tensions sociales, ont pris
conscience de la nécessité d'avoir des prix du pétrole
beaucoup plus élevés qu’auparavant pour conserver
l’équilibre budgétaire
4
. Ainsi, en défendant un prix
plancher d'au moins 80 USD le baril, l'OPEP atténue le
risque d'un effondrement des prix du pétrole.
D'autre part, des prix élevés présentent des risques
pour deux raisons : ils compromettent la croissance
économique et, plus important sur le long terme, ils
encouragent le développement de nouvelles énergies
et mettent en péril l'hégémonie du cartel.
De plus, le renouveau attendu du secteur pétrolier en
Iraq mettra une pression à la hausse sur la production
pétrolière de l'OPEP. L'Iraq est déjà le troisième
exportateur mondial de pétrole et sa production
pourrait doubler pour s'établir à 6,1m de b/j à l'horizon
2020.
Aussi, même si en dehors de l'Amérique du Nord, il est
peu probable que la production de pétrole non-
conventionnelle contribue de façon notable à l'offre
mondiale de pétrole avant 2020, il existe de toute
évidence un potentiel haussier
5
.
Par ailleurs, des mesures visant à promouvoir une
utilisation plus efficace du trole et le recours à d'autres
combustibles dans les pays de l’OCDE contribueront à
compenser la croissance de la demande provenant des
pays non-membres de l'OCDE. En outre, les prévisions en
matière de croissance de la demande reposent en grande
partie sur un pays – la Chine , ce qui ne fait qu'accrtre
les incertitudes sur ce front.
CROISSANCE DEMANDE PÉTROLE
2011-2020
-2 -1 0 1 2 3 4
Chine
Moyen-Orient
Inde
Autre Asie
Amérique Latine
Afrique
Europe Est/Eurasie
OCDE Asie Océanie
OCDE Amériques
OCDE Europe
En m b/j
Sources : AIE, SG
4
Fin 2011, l’Arabie saoudite a indiqué que son gouvernement
était tout à fait à l'aise avec un prix du pétrole à 100 USD le baril,
contre 70-80 USD le baril précédemment.
5
Selon l'AIE, le bassin de Neuquén en Argentine est prometteur,
tandis que la Russie disposerait de ressources importantes, en
particulier en Sibérie occidentale.
ECONOTE | N°17 – MAI 2013
5
En résumé, la croissance potentiellement plus lente de
la demande et la croissance plus rapide de l'offre
pourraient peser sur les prix du pétrole et ralentir
l'évolution du secteur pétrolier américain.
Du côté du gaz, un grand nombre de recherches ont
conclu qu'un prix plancher de 4 USD/MBtu était
nécessaire pour assurer la profitabilité des
producteurs. Bien évidemment, des événements
inattendus peuvent provoquer des écarts à court
terme, mais les réactions du marché devraient, en règle
générale, ramener les prix vers leur niveau d'équilibre
de long terme.
I
NFRASTRUCTURES
Malgré la hausse du potentiel de production de pétrole,
les infrastructures permettant de les acheminer vers les
raffineries dans la région du golfe du Mexique
demeurent insuffisantes. Pour régler cette question, le
ploiement d'une capacité de plus de 2m b/j est prévu
d’ici 2015, mais ces mesures resteront toutefois
insuffisantes au regard des hausses de production
prévues.
Par ailleurs, les infrastructures pétrolières américaines
sont plutôt déconnectées. En effet, la Californie, le
Midwest et la côte Est sont de facto des marchés
séparés puisqu'il n'existe aucun oléoduc est-ouest pour
relier ces régions.
Outre les embuches reliées au transport terrestre du
trole, le transport par voie navigable est également
problématique. Par exemple, la loi Jones complique
l’acheminement par bateau de pétrole de la gion du
golfe du Mexique vers la côte Est
6
.
Contrairement au pétrole, le réseau américain de
distribution de gaz est hautement intégré et permet le
transport du gaz à destination ou en provenance de
n'importe quel site dans le pays. Cependant, avec une
croissance rapide attendue de la production, le réseau
de gaz pourrait être fragilisé.
O
BJECTIONS SUR LE PLAN ENVIRONNEMENTAL
En plus des inquiétudes quant aux infrastructures et au
prix, les objections environnementales croissantes sont
sujettes à freiner la croissance de la production
d’hydrocarbures.
La fracturation hydraulique utilisée pour la production
d'énergie non-conventionnelle requiert d'importantes
quantités d'eau et utilise des additifs potentiellement
nocifs. L'utilisation de l'eau dans la fracturation est
suspectée de pouvoir contaminer les eaux souterraines
et de surface.
L'EPA (Agence américaine de protection de
l'environnement) réalise actuellement une étude sur les
effets de la fracturation hydraulique sur les ressources
en eau potable, dont les conclusions sont attendues en
2014, tandis que l'industrie a mené des études visant à
6
La Loi Jones exige que le transport entre des ports américains se
fasse par des navires battant pavillon américain, construits aux États-
Unis et servis principalement par des équipages américains, ce qui
accroît considérablement les coûts de transport.
promouvoir la sécurité de la fracturation hydraulique.
Or, certains États ont déjà décidé d’en limiter l'usage
alors que d’autres, comme le Vermont, l’ont même
banni de leur territoire.
EFFETS MACROECONOMIQUES :
REDRESSEMENT DU SECTEUR
MANUFACTURIER ET BAISSE DU DÉFICIT
DU COMPTE COURANT
En 2011, les États-Unis et la zone euro ont consacré
plus de 2 % de leur PIB aux importations de pétrole
brut et autres produits pétroliers, contre plus de 3 %
pour le Japon et plus de 3,5 % pour le reste de l'Asie.
Le boom énergétique aux États-Unis pourrait donner
lieu à une divergence des balances commerciales entre
les États-Unis, l'Europe et l'Asie.
U
NE BAISSE DES IMPORTATIONS D
'
ÉNERGIE
...
L'envolée de la production de gaz s'est traduite par une
baisse des importations aux États-Unis qui, comme
nous l'avons mentionné, sont considérés comme un
exportateur potentiel de GNL. La situation américaine
s'inscrit en contraste avec celle de l'Europe qui importe
aujourd'hui plus de 40 % de son gaz, la Russie
conservant sa position de principal fournisseur. Quant à
la Chine, elle est passée du statut d'exportateur à celui
d'importateur au cours des dix dernières années. Dans
les deux cas, leur pendance vis-à-vis du gaz importé
est appelée à augmenter dans les années à venir.
IMPORTATIONS DE GAZ
-20
-10
0
10
20
30
40
50
60
70
80
2001 2004 2007 2010 2013 2016 2019
É.-U. Europe Chine
Sources : BP, AIE, SG
(P)
En % de la consommation
Du côté du pétrole, les importations américaines n'ont
cessé de baisser depuis 2005. De plus, si l'on exclut
les importations canadiennes et mexicaines, les États-
Unis n’importeraient pas plus de 10 % de leur
consommation d'ici à fin 2020. Si tel est le cas, cette
tendance aura des incidences géopolitiques que nous
évoquerons dans la prochaine section.
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