tome 136
|
n° 5
|
MAI 2014
Le ConCoURS méDICAL
|
359
Dr Camille Taillé
Hôpital Bichat, Paris
Conseillère scientifique
Asthme de l’adulte
Le contrôle optimal
fondé sur une médecine personnalisée
PARCOURS DE SOINS
DR
Dossier coordonné par Brigitte Némirovsky
360. Le contrôle, le contrôle et encore le contrôle !
Dr Camille Taillé
361. Le diagnostic, pas toujours si simple
Dr Gilles Garcia
366. L’enquête allergologique doit être systématique
Dr Marion Gouitaa
368. Quand évoquer un asthme professionnel ?
Dr Jean-Pierre L’Huillier
370. La recherche d’une pathologie ORL s’intègre
dans le bilan
Dr Jean-François Papon
1
étape
376. Après une exacerbation : prévenir les récidives
Dr Sergio Salmeron, Dr Jean-Luc Jagot, Dr Christine Beuzelin,
Dr Stéphane Jouveshomme, Dr Claire Gazaniol, Dr Vincent Fallet
379. La grossesse : une raison de plus pour contrôler
l’asthme
Dr Anne Prudhomme
381. Tous concernés par l’éducation thérapeutique
Pr François-Xavier Blanc
2
suite
{
388. Médecine personnalisée pour objectif
« zéro exacerbation »
Entretien avec le Pr Pascal Chanez
{
385. Asthme difficile : particularités du suivi
sur le long terme
Pr Gilles Devouassoux
3
étape
373. Évaluer le contrôle de l’asthme pour ajuster
le traitement
Pr Chantal Raherison-Semjen
2
étape
Tous droits reservés - Le Concours médical
360
|
Le ConCoURS méDICAL
tome 136
|
n° 5
|
MAI 2014
Asthme de l’adulte
PARCOURS DE SOINS
La prise en charge de l’asthme de l’adulte
en France est presque un paradoxe : alors
que l’on dispose d’un panel très large de
molécules, de dosages et de dispositifs d’inhala-
tion, la proportion de patients dont le traitement
est adapté (permettant de contrôler les symp-
tômes) est de seulement 40 %(1). À l’inverse, la
baisse continue de la mortalité et des hospitali-
sations pour asthme depuis quinze ans(2) démon-
tre que la prise en charge s’améliore et que ces
traitements sont très efficaces pour l’immense
majorité des asthmatiques. Alors serait-on trop
ambitieux à vouloir à tout prix ce « contrôle op-
timal », tel que toutes les recommandations des
sociétés savantes le définissent ? Certainement
non. Contrôler l’asthme, cela veut dire pour un
asthmatique avoir une activité normale, ne pas
tousser, faire du sport, bien dormir, tout ce qui
contribue à la qualité de vie. Cela veut dire aussi
réduire l’absentéisme professionnel, les visites
aux urgences, les hospitalisations et peut-être
atteindre l’objectif de « zéro mort par asthme ».
Les traitements de l’asthme représentaient en
2010 la quatrième classe de dépenses de rem-
boursement*, pour une pathologie qui touche
6 % de la population adulte. Alors vouloir viser
le contrôle optimal, cela veut-il dire encore aug-
menter la consommation de médicaments ? Pas
forcément. Certes, dans l’étude de l’IRDES, la
proportion de patients non traités (sans traite-
ment de fond par corticoïdes inhalés) parmi les
non-contrôlés était de 25 %, et de 57 % parmi les
partiellement contrôlés**, ce qui signifie qu’une
première étape dans l’amélioration dans la prise
en charge repose, d’une part, sur la promotion
et la reconnaissance de l’éducation thérapeuti-
que pour favoriser l’observance du traitement de
fond et, d’autre part, sur un meilleur diagnostic.
En effet, le sous-diagnostic, notamment chez les
adolescents et les sujets de plus de 50 ans(3), est
fréquent. À l’inverse, au Canada, près de 30 %
des adultes qui se considéraient comme asthma-
tiques n’avaient en réalité pas d’asthme(4). Sou-
lignons que la symptomatologie de l’asthme n’a
rien de spécifique tout ce qui siffle n’est pas
de l’asthme ») et qu’une preuve de la variabilité
de l’obstruction bronchique est indispensable au
diagnostic.
Prescrire un traitement de fond, c’est ensuite
intégrer l’extrême variabilité de l’expression de
la maladie dans le temps : la saison pollinique,
les infections virales, les changements hormo-
naux, le stress et les émotions… contribuent à
la majoration transitoire des symptômes. C’est
l’alternance de ces phases d’activité et de phases
plus calmes, voire même de phases de rémission,
qui fait la particularité de l’asthme et constitue
la base de cette prise en charge fondée sur le
contrôle. Le traitement n’est pas prescrit « une
fois pour toutes », il doit suivre l’évolution de
la maladie, renforcé dans les périodes d’activité
mais surtout réduit jusqu’à la dose la plus fai-
ble possible de corticoïdes inhalés pendant les
périodes de calme. Tout comme on surveille la
glycémie d’un diabétique, on doit utiliser un
score de contrôle pour prescrire le traitement
de l’asthmatique. Cette stratégie, qui nécessite
un suivi régulier et du recul sur l’histoire d’un
patient, permet de réduire des prescriptions inu-
tiles, notamment d’associations fixes non justi-
fiées. Les futures recommandations sur la prise
en charge de l’asthme en cours de rédaction par
la Société de pneumologie de langue française
ne diront sans doute pas autre chose.
L’auteure déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles : essais cliniques pour
les laboratoires GSK, Roche, AstraZeneca, Stallergènes ; activités de conseil ou conférences pour les
laboratoires Novartis, Boehringer Ingelheim, Chiesi, Pierre Fabre, Mundi Pharma, MSD, Takeda, Teva,
et avoir été prise en charge (transport, hôtel, repas), à l’occasion de déplacements pour congrès par
les laboratoires Novartis, GSK et AstraZeneca.
Le contrôle, le contrôle, et encore
le contrôle !
Dr Camille Taillé ([email protected]), service de pneumologie et centre de
compétence des maladies pulmonaires rares, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, département
hospitalo-universitaire Fire, hôpital Bichat, université Paris-Diderot, Inserm U700, Paris
Le traitement n’est pas prescrit
« une fois pour toutes »
* Medic’am 2008-2010 (Ameli,
régime général - hors sections locales
mutualistes - Métropole).
** Afrite A, et al. L’asthme en
France en 2006 : prévalence,
contrôle et déterminants. IRDES
Janvier 2011, 1820.
1. Demoly P, Annunziata K,
Gubba E, et al. Repeated cross-
sectional survey of patient-reported
asthma control in Europe in the
past 5 years. Eur Respir Rev
2012;21(123):66-74.
2. Tual S, Godard P, Bousquet J,
Annesi-Maesano I. Diminution de
la mortalité par asthme en France.
Rev Mal Respir 2008;25:814–20.
3. Gibson PG, McDonald VM,
Marks GB. Asthma in older adults.
Lancet 2010;376(9743):803-13.
4. Aaron SD, Vandemheen KL, Boulet
LP, et al. Overdiagnosis of asthma in
obese and nonobese adults. CMAJ
2008;179(11):1121-31.
Tous droits reservés - Le Concours médical
tome 136
|
n° 5
|
MAI 2014
Le ConCoURS méDICAL
|
361
Asthme de l’adulte
2
3
1
Afin d’améliorer le diagnostic et la prise
en charge de l’asthme, plusieurs sociétés
savantes ont proposé des définitions de
l’asthme, maladie que l’on s’accorde maintenant à
définir par l’association de trois éléments fonda-
mentaux : la clinique, l’inflammation bronchique
et l’hyperréactivité bronchique(5).
Savoir évoquer le diagnostic d’asthme,
maladie symptomatique et maladie
inflammatoire bronchique
• Une maladie symptomatique
Il n’y a pas de diagnostic d’asthme sans symptô-
mes respiratoires. Ces symptômes sont variables
d’un patient à l’autre et doivent être clairement
identifiés et répertoriés chez chaque patient. On
retrouve le plus souvent la toux, soit chronique
soit dans le cadre de quintes de toux incoerci-
bles, les sifflements respiratoires, l’oppression
thoracique (qui va d’une simple gêne inspiratoire
à une oppression thoracique douloureuse, parfois
prise à tort pour une douleur d’origine cardia-
que), et bien sûr l’essoufflement. Ces symptômes
sont stéréotypés, paroxystiques et récurrents
chez un patient mais peuvent être d’intensité
différente. Ils sont également stéréotypés en ce
qui concerne le facteur déclenchant (allergènes
respiratoires ou alimentaires, rire, exercice, pics
de pollution...). Ils cèdent le plus souvent sponta-
nément en quelques heures ou plus rapidement
grâce à l’utilisation du traitement de secours par
Dr Gilles Garcia ([email protected]), université Paris-Sud, faculté de médecine, Le Kremlin-Bicêtre ; AP-HP, centre national de référence de l’hyper-
tension pulmonaire sévère, département hospitalo-universitaire Thorax Innovation, service de pneumologie, service des explorations fonctionnelles respiratoires,
hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre ; UMRS 999, INSERM, universi Paris-Sud, laboratoire d’excellence en recherche sur le dicament et l’innovation
thérapeutique, centre chirurgical Marie-Lannelongue, Le Plessis-Robinson
Le diagnostic, pas toujours si simple
1
étape
La prévalence de l’asthme et des maladies allergiques augmente régulièrement en France depuis quarante
ans. On estime que l’asthme touche plus de 3,5 millions de personnes en France, dont environ un tiers
ont moins de 15 ans ; environ 7 à 8 % des adultes et 10 à 15 % des enfants et des adolescents sont
asthmatiques*. L’asthme, qui reste sous-diagnostiqué et sous-traité (encadrés 1 et 2), est à l’origine d’un
coût en dépenses de santé (hospitalisations ou absentéisme professionnel) estimé à plus de 1 milliard
d’euros. Environ 1 000 personnes par an, dont plus du tiers sont des adolescents, décèdent encore d’asthme
en France, et ce malgré des traitements efficaces.
bêta-2-mimétique. Ces symptômes sont aigus
(moins de 24 heures), et sont souvent rapportés
sous le terme général de « crise ». Les patients
peuvent également présenter des exacerbations
(souvent étiquetées bronchites ou « bronchites
asthmatiformes ») qui correspondent à une dés-
tabilisation progressive du contrôle des symptômes
Dans le cadre de l’étude Health Behaviour of School-Aged Children (HBSC), un ques-
tionnaire de santé a été soumis à des adolescents de six pays européens, dont la France
(8 185 participants)(1). Les résultats de cette enquête soulignent le sous-diagnostic
dans la population adolescente. Au cours des douze mois prédant l’enquête, 19,2 %
des élèves interrogés ont ressenti des sifements dans la poitrine au repos et 22,8 %
à l’effort, 23,5 % ont présenté une toux sèche nocturne hors période d’infection, alors
que 14,9 % des élèves déclaraient avoir été diagnostiqués comme asthmatiques par
un médecin. Ces données font également apparaître que le sous-diagnostic est encore
plus important dans la population des jeunes lles, et cela surtout en France. L’asthme
est également sous-diagnostiqué chez le sujet âgé, on estime que 50 % des patients
asthmatiques âgés ne sont pas diagnostiqués(2). Le sous-diagnostic de l’asthme est
donc fréquent dans toutes les tranches d’âge et toutes les catégories sociales.
1. Une maladie sous-diagnostiquée
2. Une maladie sous-traitée
Seul 1 asthmatique sur 3 possède une ordonnance en rapport avec l’importance de
ses symptômes d’asthme, et seuls 4 asthmatiques sur 10 prennent correctement
leur traitement. Les sultats de l’étude AIRE (Asthma Insight and Reality in Europe)
ont mis en évidence qu’à peine 5 % des asthmatiques européens étaient soignés
selon les recommandations internationales(3). En France, environ 60 % des patients
présentent un asthme dont les symptômes sont insufsamment contrôlés(4).
Tous droits reservés - Le Concours médical
362
|
Le ConCoURS méDICAL
tome 136
|
n° 5
|
MAI 2014
Asthme de l’adulte
PARCOURS DE SOINS
de l’asthme (voir article p. 376). La plainte de
certains patients se résume parfois à une grande
fatigue.
• Une maladie inammatoire
Lasthme est une pathologie bronchique chronique
inflammatoire associant plusieurs processus inflam-
matoires, immunologiques ou non, qui concou-
rent à une diminution progressive du diamètre
des bronches. Il n’y a pas un seul mécanisme, mais
des voies différentes de l’inflammation qui vont
plus ou moins s’exprimer d’un patient à l’autre.
La majoration des symptômes d’asthme (« crise »)
s’accompagne d’une majoration de l’inflamma-
tion bronchique entraînant une diminution aiguë
du calibre des bronches. Les processus inflam-
matoires chroniques des voies aériennes de
l’asthmatique mettent en jeu les cellules inflam-
matoires résidentes du poumon (encadré 3a) et
les cellules de structure des voies aériennes. Les
remaniements structuraux (encadré 3b), -
nommés remodelage bronchique, sont le reflet
du caractère chronique de l’asthme et partici-
pent à la pérennité de l’hyperréactivité bronchi-
que non spécifique(6).
Une maladie parfois difficile à reconnaître
et « tout ce qui siffle n’est pas asthme »
Il est parfois difficile de reconnaître les symp-
tômes respiratoires qui doivent faire évoquer le
diagnostic d’asthme. L’interrogatoire précis est
fondamental, et des questions simples doivent
être systématiquement posées à tous les adultes
(et à tous les enfants) lors d’une consultation pour
essoufflement, sifflements ou « bronchites réci-
divantes » (encadré 4) ; il convient de souligner
qu’un asthme peut débuter même après 65 ans.
« Tout ce qui siffle n’est pas de l’asthme » : les
diagnostics différentiels de l’asthme (encadré 5)
sont ceux d’une dyspnée sifflante. Il faut savoir
évoquer le diagnostic d’asthme mais également
savoir le remettre en question lorsqu’il existe des
éléments discordants : une histoire clinique aty-
pique, des manifestations cliniques atypiques ou
extrarespiratoires associées, une asymétrie aus-
cultatoire, un aspect en plateau de la courbe expi-
ratoire ou inspiratoire de la courbe débit-volume.
Certaines maladies se manifestent, comme
l’asthme, par des sifflements. Chez un asthmati-
que fumeur, le premier diagnostic à éliminer est
celui d’une bronchopneumopathie chronique obs-
tructive (BPCO) (tableau ci-contre). Chez l’adul-
te jeune, la dysfonction des cordes vocales et le
syndrome d’hyperventilation peuvent mimer des
symptômes d’asthme. Ce sont deux pathologies
fréquentes, difficiles à diagnostiquer, qui peuvent
longtemps être prises à tort pour de l’asthme. Il
faut également évoquer les diagnostics différen-
tiels classiques que sont la tumeur bronchique
trachéale, la bronchiolite oblitérante et l’insuffi-
sance cardiaque diastolique du sujet âgé.
- Les lymphocytes T : ils modulent la réponse inammatoire en inuençant les réponses
des autres cellules des voies aériennes par la sécrétion de cytokines (IL5, IL4, IL13).
- Le polynucléaire éosinophile : cellule majeure de l’inammation dans l’asthme, elle est
capable de sécréter de nombreux médiateurs entretenant l’inammation bronchique.
- Les mastocytes : ils libèrent également des nombreux médiateurs.
3 b. Cellules de structure des voies aériennes
et remodelage bronchique associé à l’asthme
- Lépithélium bronchique est fragiliet desquamé. Sa composition est modiée (rap-
port cellules ciliées/cellules caliciformes), ce qui favorise l’accès de l’agresseur inhalé
dans la sous-muqueuse bronchique, la mise à nu des terminaisons nerveuses sensi-
tives et la pérennité de l’inammation.
- La perméabilité de la paroi vasculaire est augmentée, entraînant un œdème de la mu-
queuse.
- Il existe une hypercrétion bronchique de mucus.
- Une hyperplasie et une hypertrophie musculaire lisse sont à l’origine d’une contractilité
exagérée du muscle lisse bronchique en réponse aux agressions bronchiques.
3 a. Cellules inflammatoires pulmonaires
impliquées dans l’asthme
4. Questions simples à poser en consultation permettant
dévoquer un asthme chez un patient se plaignant
de sifflements respiratoires ou d’essoufflement
Gêne au cours de certaines activités, comme la pratique d’un sport ou courir après
un bus par exemple, à la maison ou au travail ?
Essoufement ou oppression thoracique lors de la montée de deux ou trois étages
ou lors de la marche ou au repos ?
Réveils nocturnes ou plus tôt que d’habitude par : toux, essoufement, oppression,
sifements, douleur dans la poitrine ?
Utilisation fréquente de l’inhalateur de bronchodilatateur ?
Fatigue fréquente pour des efforts peu importants ?
Gêne au téléphone intriguant les interlocuteurs : « C’est bizarre, tu as l’air essoufé » ?
Présence d’une ou plusieurs bronchites qui se prolongent par une toux ou des quintes
de toux pendant plusieurs semaines ?
Tous droits reservés - Le Concours médical
1 / 31 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!