SANTE EN MATIERE DE REPRODEUCTION ET DROITS DE LA PERSONNE HUMAI NE (Problématique) Introduction La volonté de dissocier l’acte sexuel de la procréation et de la récréation date des temps les plus anciens. Le développement des connaissances scientifiques sur les mécanismes de la conception a permis d’accroître l’efficacité des méthodes contraceptives d’une part; les progrès de la médecine et de la biologie permettent actuellement de résoudre de nombreux problèmes de stérilité ou d’infertilité d’autre part. La procréation chez les êtres humains est caractérisée par une situation paradoxale qui ne peut pas être facilement réduite à des interprétations simplistes. Elle paraît à première vue comme la chose la plus simple du monde, mais si l’on change de point de vue, on verra qu’elle est organisée par des mécanismes et jugements culturels extrêmement variés, autant dans le temps que dans l’espace géographique de cette terre. Intérêt du sujet Pendant plusieurs décennies, la procréation était exercée dans des conditions de grande hétéronomie et de non-liberté, car il n’y avait pas de possibilités efficaces de contrôler la fécondité autant chez l’homme que chez la femme. Cette situation était une réalité tant dans les pays fortement industrialisés que dans les pays du Sud. La stérilité était alors assumée comme un signe négatif qu’on ne pouvait pas combattre par des moyens techniques. La découverte qu’il existe une possibilité de disposer des gamètes, c’est-à-dire des cellules sexuelles: spermatozoïdes de l’homme et ovocytes de la femme, de les maintenir fonctionnels in vitro (hors du corps humain) et d’optimiser leurs conditions de fécondation dans le corps mais aussi hors du corps a permis d’aboutir à la mise en place de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler l’assistance médicale à la procréation. La banalisation des techniques de procréation artificielle n’a pas été sans soulever le risque d’élargissement de leurs indications médicales à des indications de convenance dont les praticiens ont été les premiers à dénoncer le risque ; à celui-ci s’est rajouté la multiplication et la rapidité des avancées accomplies : elles ont posé et continuent de poser la question «éthicoscientifique» puis «éthicojuridique» de l’embryon humain. De plus en plus prévaut aujourd’hui l’assistance médicale à la procréation qui regroupe les pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert de l’embryon et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique apte à vaincre la stérilité. D’un autre côté l’accès aux techniques contraceptives est vécu comme une possibilité supplémentaire à l’intérieur d’un mécanisme déjà contrôlé par des choix antécédents qui touchent simultanément au plan de vie individuel, de couple et de société. La situation actuelle est donc caractérisée par un vrai saut qualitatif qui, sans vouloir par cela anticiper aucun jugement moral, doit être examinée avec soin en vue d’une interprétation adéquate. Ce changement dans les faits et dans les mentalités est relativement indépendant du fait que des couples de ces mêmes pays aient recours à des moyens ,,naturels” ou ,,artificiels” de contraception. En effet, le simple fait de vouloir recourir à la procréation pendant une période plus limitée que celle d’une possible fertilité biologique constitue déjà en soi-même une sorte de ,,révolution culturelle”. Une prise de position éthique dans ce domaine doit avant tout partir de l’hypothèse de travail que la stérilité ne peut être interprétée comme l’expression d’une prétendue "volonté de Dieu” sur le couple concerné. Une telle volonté, même si, de façon absurde, elle pouvait être démontrée, enlèverait toute cette sphère d’action de la responsabilité morale de l’homme. La stérilité doit donc être perçue comme un " manque” auquel il est licite de chercher une réponse efficace. Elle fait partie de ces réalités qui ne sont pas, par définition, soustraites à l’intervention de l’homme, intervention qui peut aller dans le sens de la correction ou de la substitution. La tâche de l’éthique consiste dans la recherche d’une forme adéquate qu’il faut essayer de donner à cette légitimité de fonds en tenant compte de la valeur expressive des actions humaines, des intérêts en jeu, soit de la part du couple stérile, soit de celui ou celle qui va naître, soit aussi de la société qui met à disposition les ressources nécessaires et, en même temps, ressent les effets d’une telle intervention. La première concrétisation d’une telle tâche de l’éthique consiste dans la recherche et dans la légitimation d’une catégorie fondamentale qui puisse "porter” le poids normatif des techniques procréatiques. Le débat contemporain se meut, à cet égard, entre les deux extrêmes qui tendent à voir dans ces techniques d’une part seulement un désir et d’autre part un vrai droit. Ces deux perspectives, si elles sont soutenues sans aucune intervention qui vise à les limiter, peuvent porter à des situations grotesques. Ainsi celui qui tend à voir dans toutes conditions de stérilité une réalité à laquelle l’homme ne peut pas accéder et changer, cherchera à faire du désir de maternité ou paternité un " désir futile” ou une expression qui ne pourra être consolée que par des moyens non techniques. Dans ce cas le droit devra interdire l’accès à des moyens qui touchent à la sphère de la reproduction biologique de l’Homme. Dans l’autre cas extrême, celui qui est touché par l’impossibilité de procréer pourra exiger qu’on mette en oeuvre tous les efforts techniquement possibles pour ,,garantir” un "droit à la fertilité” Dans ce cas le droit devra être le plus permissif possible, afin qu’on puisse parler vraiment de la garantie et de la promotion d’un vrai droit. Promouvoir la santé et les droits en matière de reproduction demeure un sujet qui suscite la controverse dans la plupart des pays, car il fait intervenir les problèmes délicats de la sexualité et des droits et devoirs parentaux. Il importe que les lignes de force d’un monument législatif universel soient clairement articulées, de sorte que les développements futurs puissent s’inscrire harmonieusement dans leur cadre, obéir à leur principe. Clarification conceptuelle La procréation est l’acte de concevoir, d’engendrer, lorsqu’il s’agit des enfants. Acte purement physiologique, acte de la vie familiale, la procréation reste traditionnellement attachée à l’espace de secret qui entoure l’intimité de la vie privée. Par santé en matière de reproduction, on entend le bien-être général, tant physique que mental et social, de la personne humaine et non pas seulement l’absence de maladies ou d’infirmité; cela implique qu’hommes et femmes sont en mesure d’avoir une vie sexuelle satisfaisante et sans danger, qu ils sont en mesure de se reproduire et ont la liberté de décider de l’opportunité et du moment de le faire, ainsi que du nombre de leurs enfants. La santé en matière de sexualité vise à améliorer la qualité de vie et les relations interpersonnelles, les services de santé en matière de sexualité ne doivent pas consister seulement à dispenser conseils et soins relatifs à la reproduction et aux infections sexuellement transmissibles. Le droit à la santé de la reproduction s’étend sur le droit d’accéder à des services de santé qui permettent aux femmes de mener à terme la grossesse et l’accouchement et donne aux couples toutes les chances d’avoir un enfant en bonne santé. Les droits en matière de reproduction embrassent des droits de la personne déjà reconnus dans les instruments nationaux et internationaux: a) le droit fondamental de tous les couples et de tous individus de décider librement et en toute responsabilité du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances; b) le droit d’accéder aux meilleures normes possibles en matière de santé sexuelle et reproductive ; c) le droit de prendre des décisions en matière de reproduction sans être en butte à la discrimination, à la coercition et à la violence5. Tandis que les droits en matière de reproduction, dans le cadre des droits humains internationaux sont composés d’un certain nombre de droits humains distincts dont: i) le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité; ii) le droit de décider du nombre de ses enfants et de l’espacement de leur naissance ; iii) le droit de se marier et de fonder une famille ; iv) le droit à la vie privée. Les principales méthodes biomédicales qui permettent de lutter contre l’infécondité chez les deux sexes sont nombreuses. L’insémination artificielle (IAC, IAD) : technique par laquelle on introduit des spermatozoïdes dans les voies génitales féminines hors du rapport sexuel. L’IAC est réalisée avec le sperme du conjoint et l’IAD avec celui d’un donneur ; en somme le transfert d’embryon et l’insémination artificielle, procédés de conservation du sperme dans l’azote en vue de féconder l’ovule, sont des moyens de remédier à la stérilité masculine. La fécondation in vitro et le transfert d’embryon (FIVET) : technique qui consiste à obtenir un oeuf fécondé hors du corps en associant ovule et spermatozoïdes au laboratoire. L’embryon ainsi obtenu est transféré dans les voies génitales féminines (utérus ou trompe) de un à cinq jours après la fécondation, quand il a atteint le stade de 8 cellules. La conception in vitro, destinée à remédier à l’infécondité féminine, consiste alors à prélever l’ovule puis à le féconder en laboratoire avant l’implantation de l’embryon dans l’utérus d’une femme. L’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI) : technique qui modifie de façon plus radicale le procès de fécondation car elle comporte l’introduction par microinjection des spermatozoïdes directement dans le cytoplasme de l’ovule. Depuis ses débuts en 1992, l’ICSI a eu une très large diffusion due au fait que cette technique permet d’utiliser pour la microinjection des spermatides (précurseurs des gamètes mâles, avant la maturation) à la place des spermatozoïdes en donnant ainsi la possibilité aux hommes stériles de procréer sans avoir recours à un donneur de sperme. Dans son acception la plus large, le droit à la sécurité équivaut au droit au bien-être et coïncide avec la définition de la santé donnée par l’OMS. La santé contribue à la sécurité qui est elle-même un élément important de la santé. Dans les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, les éléments pris en considération pour évaluer la sécurité comprennent la possibilité d’effectuer un choix éclairé. La sécurité est évoquée en termes très clairs dans la première phrase de l’article 7 du Pacte Politique, où il est dit: « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». De plus la dernière phrase de l’article 7 montre comment cette disposition s’applique aux interventions médicales et au fait d’être privé des soins médicaux: «En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son consentement à une expérience médicale ou scientifique ». Même sans parler d’expérimentation, le fait de se voir dénier des soins de santé et de se voir imposer un état de santé non désiré apparaissent comme une cruauté. Le droit à la santé et aux soins de santé: Aux termes de l’article 12(2) du Pacte Economique, les Etats Parties «reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». Par la ratification des conventions internationales sur les droits de la personne et par leur constitution et leur législation nationales, les gouvernements s’engagent à protéger le droit de leur population aux soins de santé. Le droit aux soins de santé est compromis quand la protection du bien-être des populations est entravée par les obstacles liés à l’action ou à l’inaction du pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire. Aux termes de l’article 15(l)(b) du Pacte économique, les Etats Parties reconnaissent à chacun le droit « de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ». De plus, selon l’article 15(3), les Etats Parties « s’engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique... >> En France, la loi du 29 juillet 1994 a préféré le terme d’assistance médicale à la procréation (AMP) à celui de procréation médicalement assistée pour désigner l’ensemble des procédures médicales cliniques et biologiques permettant de « répondre à la demande parentale d’un couple », la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que toutes les techniques d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel (art. L. 152-1). Rappelons brièvement que la fécondation in vitro permet à des couples stériles de concevoir hors du corps: - dans la stérilité féminine, elle supplée par exemple à la déficience d’une fécondation devenue impossible par défaut de rencontre des spermatozoïdes et des ovocytes dans la trompe, - dans la stérilité masculine aujourd’hui, c’est la possibilité de micro injecter un spermatozoïde à l’intérieur de l’ovocyte et d’éviter à près de 80% des couples le seul recours qu’ils avaient hier encore, à savoir celui d’une procréation avec les spermatozoïdes d’un tiers donneur. Le clonage: de quoi s’agit-il? Le clonage est une technique courante de reproduction dans le monde végétal. Celui qui dispose d’un jardin ou d’un potager sait que de nombreuses plantes se multiplient de manière clonale par le stolon pour le fraisier, le tubercule pour la pomme de terre, le bouturage pour les géraniums... L’ancien terme grec klôn désignait des jeunes pousses molles et flexibles. Mais aujourd’hui, le clonage évoque bien autre chose que les plaisirs du jardinage. Après avoir été expérimenté sur les batraciens puis sur les mammifères, on en est à s’interroger sur son application à l’espèce humaine. Problématique La vitesse à laquelle les connaissances scientifiques concernant la génétique et la biologie de la reproduction ont progressé dans les deux dernières décennies a favorisé un développement technologique de portée inattendue qui, à son tour, a accéléré l’évolution de la science. Il est connu que les enfants sont issus de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule. Ce qui donne un oeuf fécondé, un embryon, un fœtus et un nouveau-né, si tout se passe bien et si on laisse se développer tout le processus dans le ventre de la femme. Grâce à leurs recherches, les biologistes savent maintenant réaliser cette fusion en dehors du corps féminin, dans un laboratoire, dans une éprouvette, sous l’œil du microscope. Il est possible à l’heure actuelle: -de prélever sperme et ovules et de les conserver par congélation; -d’injecter du sperme à une femme pour la rendre enceinte -d’installer un ovule “chez” une femme (qui n’en produit pas) afin qu’elle soit fécondée ensuite ; - de “fabriquer” des embryons en faisant fusionner du sperme et des ovules prélevés auparavant; - d’implanter ou de congeler ce ou ces embryons ainsi conçus dans le sein de la femme voulue. Désormais, les embryons peuvent donc se concevoir en laboratoire. En outre, certains scientifiques disent qu’il est parfaitement réaliste d’envisager des grossesses masculines (dans l’abdomen, les bourses, qu’importe). La fécondation n’est plus tributaire des rapports sexuels entre un homme et une femme ni du bon état de fonctionnement des organes nécessaires à la reproduction humaine. Théoriquement, n’importe qui peut obtenir son enfant grâce à l’assistance médicale à la procréation. Ce qui ne va pas manquer de créer des problèmes sociaux. La circularité entre science et technologie a permis la mise en oeuvre d’une technologie reproductive, c’est-à-dire d’une reconstruction biotechnologique de la procréation humaine, qui confère à l’homme un pouvoir nouveau sur son semblable. La bio médecine prétend maîtriser la fécondité : de quels moyens pourra se servir la société pour maîtriser cette maîtrise? La recherche sur la fécondation in vitro et la transplantation d’embryon offre la possibilité de dons d’ovules, de sperme et d’embryons, de telle sorte que les donneurs biologiques peuvent ne pas être les parents de l’enfant né de cette procédure. Cette utilisation de gamètes ou d’embryons donnés peut être à l’origine d’importants problèmes juridiques, moraux et éthiques, tant pour les parents que pour les médecins concernés par la fécondation in vitro et la transplantation d’embryon. Comment se prononcer sur une situation où une mère qui engendre le fils de sa fille ?, une femme qui engendre le fils d’un inconnu?, un homme qui engendre des enfants qu’il ne rencontrera jamais?, des femmes qui hébergent dans leur corps des enfants destinés à d’autres?, des enfants conçus et nés après la mort de l’un ou l’autre de leurs parents? L’importance des mutations culturelles induites par la procréation assistée (bouleversement de l’essence de l’engendrement humain, transformation des repères fondateurs de l’individu, tels que les notions d’identité et de filiation, de mère, de père, de vie et de mort) et la nature de certaines applications des nouvelles technologies reproductives pourraient entraîner le risque de commercialisation et dinstrumentalisation du corps de la femme ainsi que du corps humain en général. Ces tendances posent d’importantes questions qui font surgir la notion de "conscience des limites “. Dès lors que de nouvelles technologies reproductives touchent aux origines mêmes de la vie, il est de la plus haute importance d’établir les limites morales de ces technologies et de les respecter. Parmi beaucoup d’autres questions, la procréation artificielle pose aussi celle de l’accès à la procréation médicalement assistée’. La question du choix d’écouter sa période génésique par un contrôle stricte de sa fécondité ou de rechercher les possibilités modernes afin de résoudre un problème d’infécondité est à la quête d’une réponse éthique de principe. On pourrait pendant un moment postuler en principe trois types de réponses Une première stratégie pourrait consister dans la complète délégation de toute la problématique à une instance ou autorité censée être crédible pour tout le monde. Un deuxième type de réponses pourrait se trouver dans la réduction de tout le problème à une "affaire privée” qui, comme telle, n’a pas besoin de justifications rationnelles ou de mécanismes de consensus collectif. Une troisième stratégie considère les problèmes et conflits liés à la reproduction humaine comme objet de discussion publique et argumentée, dans laquelle certains choix devront rester du ressort de la sphère privée et d’autres devront recevoir un minimum de réglementation publique. Cette dernière devra être légitimée par des arguments qui, s’ils ne peuvent pas recueillir l’approbation de tout le monde, devront au moins pouvoir être objet d’un consensus qualifié. Devant ces trois solutions qui s’excluent mutuellement, seule la troisième peut offrir des garanties en vue d’une réponse éthique cohérente, autant pour les individus que pour les couples et une société donnée. La première réponse pourrait gagner quelques sympathies, elle serait impraticable dans une société qui se veut démocratique et donc minimalement pluraliste. La deuxième réponse paraît aussi partiellement insoutenable, surtout dans sa version radicale, car toute société a un intérêt bien fondé à considérer les questions de procréation comme ayant aussi une pertinence sociale. Le fait que quelques techniques de procréation assistée fassent appel aux structures sanitaires collectives rend cet argument encore plus plausible. Toutes ces considérations ne constituent pas encore une réponse à l’interrogation initiale, mais elles veulent indiquer le cadre à l’intérieur duquel une telle réponse devra être donnée. Ce cadre est donné par le territoire intermédiaire entre les convictions personnelles d’une part et les réglementations sociales d’autre part. “Bondolfi A. Pour une appréciation éthique des techniques de procréation assistée, Matweb, p.2.