Introduction aux nanomatériaux Jean-François HOCHEPIED (résumé de l’exposé du 20 octobre 2000) Le fort engouement suscité par les nanomatériaux s’explique par la convergence de plusieurs facteurs : 1) les progrès des techniques de microscopie (électronique à transmission, à effet tunnel, à force atomique…) ont permis de mieux « voir » les objets nanométriques, c’est-àdire de rendre leur réalité plus palpable, ce qui s’avère décisif par exemple dans le cas d’études de cristaux colloïdaux 2) les physiciens se sont passionnés pour les propriétés spécifiques des nanomatériaux, liées au faible nombre d’atomes constitutifs des objets, ce qui constitue un état de la matière intermédiaire entre le moléculaire et le massif 3) Les espoirs d’application des nanomatériaux sont immenses notamment en biologie et en médecine : marqueurs, transporteurs de principes actifs….Les nanomatériaux ont aussi l’énorme avantage de pouvoir être dispersés facilement dans différentes matrices, ce qui permet d’imaginer des propriétés mixtes (exemple : ferrofluides). Nous allons décrire d’abord quelques propriétés spécifiques des nanomatériaux, puis évoquer les perspectives accompagnant l’émergence de la nanotechnologie. I) Propriétés spécifiques des nanomatériaux Les propriétés physiques d’un matériau peuvent changer considérablement lorsqu’on passe de l’état massif à l’état nanométrique. On peut distinguer l’influence de deux paramètres : la réduction du volume V et l’augmentation du rapport surface/volume S/V. Effet de la réduction du volume V. Cet effet est illustré de manière spectaculaire par l’évolution des propriétés optiques de nanoparticules de semiconducteurs en fonction de la taille des nanocristaux. Le « confinement quantique » a pour conséquence de discrétiser les bandes et d’augmenter la largeur de bande interdite. On peut aussi considérer que lors de l’absorption d’un photon, l’exciton créé est équivalent à une pseudoparticule (dont on peut définir une masse effective m) qui serait dans un puits délimité par le rayon a de la particule. La résolution générale dans un modèle 1D de la particule dans sa boîte donne pour une barrière infinie des niveaux d’énergie En quantifiés de la manière suivante : 2 1 -a 0 h 2π 2 2 En = n 8ma 2 a Le niveau E1 donne la valeur de la transition excitonique. La loi en 1/a2 donne une idée de la forte augmentation de cette énergie quand la taille de l’objet diminue. Un exemple expérimental de l’effet de confinement quantique est donné par l’évolution de l’absorption et de la fluorescence de nanoparticules de CdSe (groupe de Bawendi) : la fluorescence se décale du rouge au bleu quand la taille des particules diminue de 80Å à 12Å. L’effet de réduction du volume modifie aussi les propriétés magnétiques des matériaux : à l’échelle nanométrique, l’énergie d’anisotropie magnétocristalline, étant proportionnelle au volume, peut ne plus être largement prépondérante devant l’énergie thermique kT. La fréquence f de relaxation du moment magnétique le long de son axe facile peut alors devenir élevée, ce qui entraîne une perte d’information magnétique. M f = Aexp(-KV/kT) Axe de facile aimantation Selon IBM, les matériaux employés actuellement pour l’enregistrement magnétique sur disque dur vont se heurter à la limite physique du superparamagnétisme vers 2005. Effet de l’augmentation du rapport surface/volume S/V. Par un petit modèle, dit de la goutte, on peut estimer que pour une particule sphérique contenant N atomes la fraction F d’atomes en surface vaut : F = 4/N1/3 Ainsi une particule contenant 1000 atomes en a 40% en surface. Cela correspond par exemple dans le cas du fer à une particule de 2,8nm de diamètre. Cet effet peut être particulièrement avantageux en catalyse, mais aussi être gênant, par exemple si la surface a tendance à se polluer, se déformer, s’oxyder (cas des métaux)….Les propriétés du matériau risquent alors d’être altérées (propriétés magnétiques…) voire masquées par les effets de surface. Pour y remédier des précautions ou des traitements peuvent s’avérer nécessaires, comme l’enrobage de particules métalliques magnétiques (exemple : enrobage de particules de cobalt ou de nickel par du graphite, groupe V.P. Dravid à Northwestern University). II) Des nanomatériaux aux nanotechnologies Si on parvient à manipuler et agencer (sans efforts démesurés) des nanoobjets, alors on passe de la fabrication et l’étude de nanomatériaux à une nouvelle technologie, la nanotechnologie, dont le Graal (la miniaturisation ultime) ouvre en fait la porte à une domestication totale de la matière. La nanotechnologie est pour l’instant balbutiante, mais elle dispose déjà de quelques pistes pour se développer. La NASA envisage sérieusement d’utiliser des nanotubes de carbones (enroulements de graphite dessinant des cylindres nanométriques) comme éléments conducteurs des composants électroniques du futur, sous réserve d’arriver à créer des jonctions satisfaisantes. Les chercheurs d’IBM parviennent à faire des réseaux bidimensionnels de nanoparticules de métaux ou alliages magnétiques, ce qui annonce peutêtre le dernier stade de l’augmentation de la densité d’enregistrement magnétique. Dans le domaine du stockage de l’information,verra-t-on un jour, comme l’imagine la NASA, la lithographie utilisant comme « stylet » un nanotube de carbone et comme « plaque d’argile » du diamant, en codant l’information au niveau atomique par un greffage différent d’atomes en surface (fluor ou hydrogène) ? Entre les possibilités sérieuses et les rêves délirants inspirés de la science-fiction, la frontière semble un peu floue. Quel crédit accorder pour l’instant aux nanomachines, qui n’existent que dans l’imagination de leurs « inventeurs » ? Les problèmes qui devront être résolus avant d’arriver aux nanomachines (autoréplication, interaction intelligente avec le milieu) sont-ils à notre portée ? Seul un avenir peut-être plus lointain que certains le voudraient permettra de distinguer les fumistes des visionnaires. Vous retrouverez toutes les références et les liens cités ici (NASA, IBM, Universités…) et bien d’autres choses encore sur www.nano-tek .org .