Les relations entre le traitement
temporel et les systèmes mnésiques :
un domaine encore peu exploré dans
l’épilepsie du lobe temporal
Le traitement temporel et les processus mnésiques interagis-
sent étroitement : le jugement des durées fait intervenir les pro-
cessus mnésiques et, inversement, la mémorisation d’un événe-
ment implique un traitement de sa durée. Le traitement
temporel revêt une fonction capitale dans nos activités quoti-
diennes. En fonction des activités dans lesquelles nous sommes
engagés, différents types de durées pourront être concernés et
impliquer préférentiellement l’un des systèmes mnésiques.
On reconnaît classiquement qu’il n’existe pas une mémoire mais
des mémoires qui peuvent être dissociées sur une base tempo-
relle et sur la nature des informations à conserver. A titre d’exem-
ple, réagir rapidement à un stimulus sensoriel sera sollicité par le
traitement des millisecondes ou des secondes et fera appel à un
stockage à court terme des durées, tel que la mémoire de travail
impliquée dans le maintien temporaire actif des informations.
Se préparer pour se rendre à un rendez-vous pourra nécessiter le
traitement des minutes et impliquera un stockage en mémoire à
plus long terme, comme la mémoire épisodique qui permet le
stockage et la récupération des informations en relation avec leur
contexte temporel et spatial d’acquisition. Enfin, la récupération
de souvenirs personnels dans notre mémoire autobiographique
reposera plutôt sur un référentiel temporel qui peut s’étendre sur
des années. La mémoire autobiographique contient en effet une
part épisodique constituée des souvenirs d’événements spécifi-
ques situés dans le temps et l’espace alors que la part sémantique
regroupe les connaissances générales du passé personnel
(Conway et Pleydell-Pearce, 2000
; Kopelman et al., 1989 ;
Piolino et al., 2002, 2006 ; Tulving et al., 1988). Les souvenirs
épisodiques sont associés à un état de conscience dit autonoé-
tique qui offre à l’individu la capacité de voyager mentalement
dans le temps, de se représenter lui-même consciemment dans
des événements passés sous la forme de reviviscence, et de les
intégrer à un projet futur.
Les troubles de la mémoire figurent parmi les déficits cogni-
tifs les plus souvent mis en avant et en particulier dans le cas des
épilepsies temporales pharmacorésistantes. Compte tenu du
rôle bien connu des lobes temporaux dans les processus mnési-
ques, il est prévisible que des dysfonctionnements mnésiques
soient décrits en présence d’une épilepsie ayant pour origine le
lobe temporal ou après traitement chirurgical d’épilepsies tem-
porales pharmacorésistantes. De nombreux travaux ont ainsi
permis de caractériser les troubles mnésiques chez les patients
en phase pré- et post-chirurgicale. Les troubles concernent prin-
cipalement la mémoire à long terme, tout particulièrement la
mémoire épisodique, mais ils peuvent aussi affecter la mémoire
de travail. De telles observations sont en effet compatibles avec
la remise en cause de la dissociation entre mémoire à court
terme et mémoire à long terme à la lumière de données récentes
suggérant plutôt une continuité et l’implication conjointe du
lobe temporal mésial et des structures frontales dans le maintien
des informations (Ranganath et Blumenfeld, 2005). Compara-
tivement aux fonctions mnésiques, le traitement temporel et les
relations qu’il entretient avec ces dernières restent encore peu
explorés chez les patients. De même, les outils cliniques visant à
objectiver les troubles de jugement temporel chez les patients
sont pauvres voire inexistants. Comme nous le verrons, les
données présentes à ce jour encouragent pourtant à approfon-
dir cette problématique, notamment du fait de l’importance
que revêt cette habileté dans la vie quotidienne et des relations
qu’elle entretient avec la mémoire à divers degrés.
Contribution des structures temporales
mésiales dans les relations entre traitement
temporel et systèmes mnésiques
Si l’impact de lésions des structures temporales mésiales sur
les processus mnésiques est classiquement reconnu, il doit être
déterminé concernant le traitement temporel. Sur le plan mné-
sique, le débat a en effet longtemps porté sur l’étendue de la
lésion nécessaire et suffisante pour induire des troubles mnési-
ques. Les études menées chez l’animal ont permis de montrer
que l’amygdale ne jouait pas directement un rôle sur la forma-
tion de nouveaux souvenirs. Elles ont de plus révélé que les
cortex adjacents à l’hippocampe (cortex entorhinal, périrhinal
et parahippocampique) ainsi que le pôle temporal (incluant le
cortex temporopolaire) pouvaient jouer un rôle déterminant
dans les processus mnésiques. Les études anatomiques ont
montré que l’hippocampe entretient des projections denses et
réciproques avec ces différents cortex qui forment ensemble une
boucle hippocampo-corticale (figure 1). Les modèles dominants
de la littérature proposent que cet ensemble de structures serve
de support à la mémoire épisodique (Brown et Aggleton, 2001 ;
Eichenbaum, 2002 ; Squire, 2004 ; Squire et Zola-Morgan,
1991). Le rôle de l’hippocampe serait de combiner les différents
composants de souvenirs apportés initialement par les différen-
tes voies corticales convergeant d’abord vers les cortex péri-
rhinal et parahippocampique, puis vers le cortex entorhinal
avant de rejoindre l’hippocampe et retourner en empruntant
un chemin inverse, vers les cortex sensoriels et associatifs
d’origine, permettant ainsi l’acquisition rapide de nouvelles
informations. Par ailleurs, la fimbria-fornix, l’autre voie
d’entrée/sortie, met en relation l’hippocampe avec le cortex
préfrontal et les structures diencéphaliques. Le rôle prédomi-
nant du cortex préfrontal dans les processus de recherche épi-
sodique indique que cette structure cérébrale, largement
connectée avec le lobe temporal mésial, fait en effet partie du
réseau structural sous-jacent à la mémoire épisodique (Buckner
et Wheeler, 2001 ; Sakai, 2003). De nombreuses études en neu-
ropsychologie (par ex. Cipolotti et al., 2001 ; Lambrey et al.,
2008 ; Noulhiane et al., 2007bc ; Ploner et al., 2000) et en
imagerie cérébrale (par ex., Barbeau et al., 2005 ; Daselaar et al.,
2004 ; Fernandez et al., 1999a, 1999b ; Greicius et al.,2003;
Strange et al., 2002) au cours de ces dernières années sont
venues confirmer la participation des structures adjacentes
(cortex entorhinal, périrhinal et parahippocampique) dans les
processus mnésiques. Comme cela a déjà été souligné dans la
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´pilepsies, vol. 20, n° 3, juillet, août, septembre 2008
Temps, mémoire, épilepsie du lobe temporal
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