Revue Hématologie 2007 ; 13 (4) : 235-42 Cellules souches mésenchymateuses et immunotolérance : vers quelles applications cliniques ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Mesenchymal stromal cells and immune tolerance: towards clinical applications? Danièle Noël1,2,3 Farida Djouad2,3,4 Dominique Mrugala2,3 Carine Bouffi2,3 Christian Jorgensen2,3,5 1 Inserm, U844, 34091 Montpellier, France 2 Université montpellier 1, UFR de médecine, 34000 Montpellier, France 3 Unité de thérapie cellulaire et génique, Hôpital Saint-Eloi, 34295 Montpellier, France <[email protected]> 4 Adresse actuelle : Cartilage Biology and Orthopaedics Branch, NIH, Bethesda, USA 5 Service d’immuno-rhumatologie, Hôpital Lapeyronie, 34295 Montpellier, France Résumé. Les cellules stromales mésenchymateuses multipotentielles, ou cellules souches mésenchymateuses (CSM), sont isolées principalement de la moelle osseuse et du tissu adipeux mais elles ont été identifiées dans d’autres tissus tels que le synovium, le périoste ou le placenta. Elles se caractérisent par leur propriété d’adhérence au plastique, leur phénotype et leur capacité de différenciation en trois lignages cellulaires (chondrocytes, ostéoblastes et adipocytes). Plus récemment, ces cellules ont montré leur capacité à échapper à la reconnaissance immunitaire et à inhiber les réponses immunes. Les CSM peuvent moduler la fonction de la majorité des populations de cellules immunitaires, incluant les cellules présentant l’antigène, les cellules T, les cellules B et les cellules natural killer. Le but de cette revue est de faire le point sur les mécanismes moléculaires, encore mal connus, qui sont responsables de l’effet immunosuppresseur induit par les CSM. Enfin, une présentation des données obtenues in vivo dans différents modèles expérimentaux ainsi que les applications thérapeutiques potentielles sont également décrites. Mots clés : cellule souche mésenchymateuse, immunosuppression, caractérisation Abstract. Multipotent mesenchymal stromal cells, or mesenchymal stem cells (MSC), are isolated mainly from bone marrow and adipose tissue but are identified in other tissues such as synovium, periosteum or placenta. They are characterized by their property to adhere to plastic, their phenotype and their ability to differentiate into three lineages (chondrocytes, osteoblasts and adipocytes). More recently, these cells were shown to escape immune recognition and inhibit immune responses. MSC may modulate the function of the major immune cell populations, including antigen-presenting cells, T cells, B cells and natural killer cells. The aim of this review is to focus on the molecular mechanisms, still poorly understood, which are responsible of the immunosuppressive effects mediated by the MSC. Finally, the data obtained from in vivo experimentation in various animal models as well as potential therapeutic applications will be presented. doi: 10.1684/hma.2007.0161 Key words: mesenchymal stem cell, immunosuppression, characterization Tirés à part : D. Noël Hématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 235 Définition de la cellule stromale mésenchymateuse multipotentielle Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les CSM ont tout d’abord été identifiées en 1966 dans le compartiment stromal de la moelle osseuse [1]. Elles ont été également isolées de nombreux tissus, en particulier du tissu adipeux, de la membrane synoviale, du cartilage, du périoste, du placenta et du sang de cordon [2]. Depuis, d’autres types de cellules souches adultes possédant un potentiel de différenciation plus étendu ont été identifiées dans la moelle osseuse. Il s’agit notamment des cellules progénitrices adultes multipotentielles (MAPC) et des cellules multipotentielles inductibles isolées de la moelle adulte (MIAMI) [3, 4]. Les CSM sont les cellules souches les plus étudiées et les mieux caractérisées bien que, selon les laboratoires, différentes méthodes d’isolement, d’amplification et de caractérisation sont utilisées. Les méthodes d’isolement les plus couramment utilisées font appel à la culture des cellules mononucléées de la moelle osseuse sur boîte de culture soit directement sans lyse des érythrocytes soit après une étape de centrifugation sur gradient de ficoll. Certaines équipes procèdent à une sélection positive des CSM à partir de la moelle totale grâce à l’expression de marqueurs de surface, tels que STRO-1 ou le nerve growth factor receptor (NGFR)/CD271 [5, 6]. Ainsi, dans un souci de clarification de la nomenclature et pour favoriser le développement d’études comparatives entre laboratoires, la Société Internationale pour la Thérapie Cellulaire (ISCT) a récemment proposé une définition de la CSM [7]. La CSM est définie selon trois critères : – ses propriétés d’adhérence au plastique, – son phénotype : CD14- ou CD11b-, CD19- ou CD79a-, CD34-, CD45-, HLA-DR-, CD73+, CD90+, CD105+, – sa capacité à se différencier en trois lignages : chondrocyte, ostéoblaste et adipocyte. Par ailleurs, les CSM sont caractérisées par l’expression, ou l’absence d’expression, de nombreux autres marqueurs de surface (tableau 1). Caractéristiques de la cellule stromale mésenchymateuse multipotentielle La capacité de différenciation des CSM en os, cartilage et tissu adipeux a été décrite et caractérisée dans de nombreux Tableau 1 Caractérisation phénotypique des cellules stromales mésenchymateuses multipotentielles : principaux marqueurs utilisés Nom usuel ALCAM ICAM-1 ICAM-2 ICAM-3 NCAM HCAM VCAM ITG-a1 ITG-a2 ITG-a3 ITG-a4 ITG-a5 ITG-a6 Chaîne CR4a Mac1 Tetraspanne récepteur LPS Leucocyte common antigen B7-1/B7-2 HB-15 Thy-1 Endogline MUC18 BST-1 NGFR - CD CD166 CD54 CD102 CD50 CD56 CD44 CD106 CD49a CD49b CD49c CD49d CD49e CD49f CD11c CD11b CD9 CD14 CD19 CD34 CD45 CD80/CD86 CD83 CD90 CD105 CD146 CD157 CD271 STRO-1 Détection + + + + + + + + + + + + + + + + + + + 236 Hématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. laboratoires [2]. Même si les CSM sont définies par leur capacité à se différencier vers ces trois lignages cellulaires, elles possèdent un potentiel de différenciation plus large. Ainsi, les CSM ont également été décrites pour leur capacité à se différencier en tendinocytes et ligamentocytes [8]. La différenciation myogénique des CSM est possible après culture en présence d’azacytidine pendant 24 heures. Au bout de 7 jours des myotubes multinucléés sont visibles dans la boîte de culture [9]. Lorsque les CSM sont traitées à l’azacytidine, au basic fibroblast growth factor (bFGF) et à l’amphotéricine, les cellules expriment les marqueurs spécifiques du cardiomyocyte (la desmine, l’a-actine cardiaque, la chaîne lourde de la myosine et la troponine T cardiaque) et se mettent à battre spontanément en culture [10]. Elles peuvent aussi former des cellules neuronales en présence de glial cell line-derived neurotrophic factor (GDNF) et d’interleukine (IL)-1b et exprimer les marqueurs caractéristiques des neurones différenciés tels que la neuron-specific enolase (NSE), la nestine, la microtubule-associated protein 2A (MAP-2a) et la tyrosine hydroxylase (TH) [11, 12]. Dans une large majorité des cas, ces études réalisées sur des populations cellulaires ne permettent pas de conclure sur la multipotentialité des CSM. Cependant, quelques données sur la nature et l’état d’engagement de clones non-immortalisés de CSM sont disponibles. Ainsi, dans une première étude, seuls 30 % des clones présentent un potentiel de différenciation vers les trois lignages (ostéoblaste, chondrocyte et adipocyte), les 70 % restants ne possédant qu’un potentiel ostéoblastique/ chondrocytaire ou uniquement ostéoblastique [13]. Plus récemment, une autre étude a montré que 17 % des clones de CSM ont la capacité à se différencier vers les trois lignages alors que 60 et 23 % des clones se différencient, respectivement, vers deux ou un seul lignage [14]. Dans cette étude, les clones de CSM se différencient non seulement en chondrocyte, adipocyte et ostéoblaste mais également en cellules neuronales. Au-delà des critères définis par l’ISCT, les CSM présentent d’autres propriétés caractéristiques. Ce sont des cellules de soutien de l’hématopoïèse en fournissant aussi bien un support physique aux cellules souches hématopoïétiques (CSH) que les cytokines nécessaires à leur différenciation [15]. Les CSM synthétisent de très nombreux facteurs de croissance tels que le stem cell factor (CSF), l’IL-6, le lymphocyte inhibitory factor (LIF), actifs sur les précurseurs hématopoïétiques les plus primitifs, ou le granulocyte macrophage-colony stimulating factor (GM-CSF), le G-CSF ou le M-CSF agissant sur les progéniteurs hématopoïétiques ou la thrombopoïétine active sur les cellules plus matures. Elles produisent également des régulateurs négatifs de l’hématopoïèse tels que l’IL-8, le macrophage inflammatory protein (MIP)-1a, le transforming growth factor (TGF)-b et des cytokines induisant la synthèse et la sécrétion d’autres cytokines par les macrophages (au premier chef, les cytokines pro-inflammatoires IL-1 et tumor necrosis factor (TNF)-a. En fait, ces cytokines ont souvent des rôles multiples : elles agissent à différents niveaux de l’hémaHématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 topoïèse, sont à la fois régulateurs négatifs et facteurs de croissance (TGFb, MIP-1a) selon la cible et actifs sur les cellules hématopoïétiques mais aussi sur les cellules stromales, dont elles contrôlent la prolifération (M-CSF, IL-6, TGFb, IL-1, TNFa). D’autres cytokines telles que le fibroblast growth factor (FGF) basique, produites par les cellules stromales, sont avant tout des facteurs de croissance mésenchymateux, encore que des effets sur l’hématopoïèse ont également été décrits [16]. Les CSM produisent aussi des molécules d’adhésion qui sont des médiateurs impliqués dans le contrôle de l’hématopoïèse par le stroma : elles peuvent être membranaires ou extracellulaires. Les molécules d’adhésion membranaires sont de différents types. Il peut s’agir de cytokines liées soit directement à la membrane telles que l’isoforme transmembranaire du SCF, soit à des molécules membranaires, tel que le sulfate d’héparane liant l’IL-3 et le GM-CSF. Il peut également s’agir de molécules d’adhésion membranaires proprement dites appartenant à la classe des intégrines (a1b1, a5b1), à la superfamille des immunoglobulines (ICAM-1, VCAM-1, HCA) ou du CD44, ligand de l’acide hyaluronique, ou d’autres molécules de la matrice extracellulaire (MEC). Par ailleurs, les cellules stromales synthétisent et assemblent de nombreuses molécules de la MEC : fibronectines, laminines, collagènes, tenascines, glycosaminoglycanes. Les molécules de la MEC donnent à la couche adhérente une architecture permettant l’ancrage des CSH et servent de réservoir pour un grand nombre de cytokines (SCF, IL-3, GM-CSF, M-CSF, TGFb, bFGF, MIP-1a). Les CSM sont identifiées par leur potentiel clonogénique déterminé par le test des Fibroblast colony forming units (CFU-F). Ces CFU-F cultivées à partir de prélèvements de moelle osseuse ont une fréquence moyenne d’une cellule pour 104-105 cellules mononucléées [17, 18]. Le pourcentage de cellules mononucléées de la moelle capables de former des CFU-F diminue avec l’âge du donneur [19]. De plus, comme pour la majorité des cellules souches adultes, chaque division cellulaire des CSM est accompagnée d’un raccourcissement des télomères qui atteignent avec l’âge une taille critique au-delà de laquelle surviennent des anomalies de la division. Enfin, plus récemment, ces cellules ont montré leur capacité à échapper à la reconnaissance immunitaire et à inhiber les réponses immunes. Immunotolérance in vitro Réaction lymphocytaire mixte La réaction lymphocytaire mixte ou MLR, basée sur la prolifération de lymphocytes T allogéniques, est le test le plus utilisé pour mettre en évidence l’effet immunosuppresseur des CSM. Ce test consiste à mettre en présence des cellules répondeuses (lymphocytes T) et des cellules stimulatrices (cellules présentatrices d’antigènes telles que les cellules dendritiques 237 (DC) et les macrophages). Ces cellules peuvent être purifiées ou présentes au sein de populations cellulaires mixtes telles que les splénocytes ou les cellules mononucléées du sang périphérique. En réponse à l’activation par les cellules stimulatrices, les cellules répondeuses secrètent de l’IL-2, de l’IFN-c et prolifèrent. La prolifération cellulaire est détectée par des mesures d’incorporation de 3H thymidine ou de quantification du nombre de cellules viables par mesure de l’ATP (directement proportionnel au nombre de cellules) au bout de 3-4 jours de culture. L’addition de CSM dans la MLR permet de mettre en évidence leur effet sur la prolifération des cellules répondeuses. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Inhibition de la réponse immunitaire Les CSM inhibent la prolifération des lymphocytes T induite par des antigènes allogéniques (MLR), des mitogènes (phytohémagglutinine ou concavaline A) ou des anticorps anti-CD3 ou CD28. Les CSM inhibent la prolifération de toutes les sous-populations lymphocytaires T : CD3+, CD4+ ou CD8+. Elles expriment de base uniquement les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I mais les molécules de classe II peuvent être induites après stimulation par l’IFN-c [20-22]. L’augmentation de l’expression des molécules CMH de classe II par l’IFN-c ne semble pas stimuler une réponse proliférative [20, 21, 23] mais ces données sont controversées [24, 25]. Le rôle immunomodulateur des CSM est indépendant de la présence de ces molécules et des CSM qui expriment ces deux types d’antigènes ou qui en sont dépourvues, sont tout aussi capables d’inhiber l’activation et la prolifération des lymphocytes T [23, 26]. Plusieurs études ont montré que l’effet immunosuppresseur des CSM franchit la barrière d’espèce puisque des CSM humaines ou murines peuvent supprimer la réponse prolifératrice de lymphocytes T allo- ou xénogéniques [27]. L’effet suppresseur des CSM est dose-dépendant, diminuant avec des quantités décroissantes de CSM dans la MLR mais une faible concentration de CSM aurait un effet stimulateur de la prolifération des cellules T [23, 28]. La suppression de la réponse immunitaire est liée à la présence d’un facteur soluble, sécrété par les CSM après leur stimulation par des lymphocytes. Il semble que l’IL-1b sécrété par les cellules CD14+ et/ou l’IFN-c produit par les lymphocytes T activés ou les cellules NK sont responsables de l’activation des CSM [20, 29]. L’identité du facteur soluble produit par les CSM stimulées ainsi que le mécanisme d’action de ces cellules sont encore l’objet de controverses. 238 Outre les lymphocytes T, les CSM inhibent la prolifération des lymphocytes B, stimulés par l’addition d’un mitogène [30]. Le rôle inhibiteur des CSM sur la prolifération des lymphocytes B a été confirmé après avoir ajouté dans le milieu de culture de l’IL-4 et des anticorps anti-CD40 [31]. En outre, une étude récente montre que la prolifération des cellules B est inhibée au travers de l’arrêt des cellules au stade G0/G1 du cycle cellulaire [32]. Les natural killers (NK) et les lymphocytes T cytotoxiques (CTL) CD8+ sont des cellules effectrices possédant des propriétés cytotoxiques importantes pour l’élimination des cellules transformées ou infectées. Les lymphocytes T cytotoxiques (CTL) CD8+ sont activés après interaction avec les peptides présentés par les molécules du CMH de classe I. Les CSM semblent insensibles à la lyse des CTL mais sont capables de supprimer la cytotoxicité des CTL de manière dose dépendante lorsqu’elles sont présentes au moment du priming des CTL dans la MLR [33, 34]. Les cellules NK sont constitutivement cytotoxiques contre les cellules qui n’expriment pas les molécules du CMH de classe I ou lorsque celles-ci ne croisent pas avec les récepteurs killer de type immunoglobuline (KIR) des cellules NK. Bien que les CSM ne soient pas lysées par les cellules NK non activées [34], elles inhibent la production d’IFN-c par des cellules NK stimulées par l’IL-2 [35] et sont sensibles à la lyse par des cellules NK activées en IL-2 [36, 37]. Enfin, les CSM modulent la fonction des cellules présentatrices d’antigènes en inhibant l’augmentation des molécules de costimulation, telles que CD1a, CD40, CD80, CD86 et HLA-DR lors de la maturation des cellules dendritiques (voir plus loin, Mécanismes d’action des CSM) [38, 39]. Facteurs solubles sécrétés par les CSM Parmi les facteurs solubles présentant des propriétés immunosuppressives, le TGF-b et l’hepatocyte growth factor (HGF) ont été largement étudiés. Bien que des résultats contradictoires aient été rapportés dans la littérature, liés probablement aux différents types de cellules répondeuses et de mitogènes utilisés, il semble que le TGF-b seul n’ait aucun rôle inhibiteur mais il pourrait agir en synergie avec l’HGF [40]. Un rôle possible d’autres cytokines telles que l’IL-10 ou l’IL-6 a également été décrit [40]. L’IL-6 est sécrétée à des taux élevés par les CSM après leur stimulation dans une MLR (Djouad et al., manuscrit en correction) et l’addition d’anticorps recombinants restore partiellement la prolifération lymphocytaire [38, 39]. La prostaglandine E2 (PGE2) joue un rôle dans de nombreuses fonctions immunitaires, incluant l’activation des lymphocytes B et l’induction de cellules T régulatrices. Les CSM expriment les deux isoformes de la cyclooxygénase, COX-1 et COX-2, responsable de la synthèse de PGE2. Il en résulte une production constitutive de PGE2 qui peut être inhibée par l’indométhacine. L’inhibition de la synthèse de PGE2 restore partiellement la prolifération de cellules T en présence de CSM d’origine humaine ou murine [35], suggérant un rôle probable mais pas essentiel de cette molécule. Mécanismes d’action des CSM Plusieurs mécanismes d’action des CSM ont été proposés. Induction d’une activité IDO L’indoléamine 2,3-dioxygénase (IDO), induite par l’IFN-c, catalyse la conversion du tryptophane en kynurénine, provoquant d’une part, la déplétion du milieu extracellulaire en cet Hématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 acide aminé essentiel pour la prolifération lymphocytaire et d’autre part, l’accumulation de composés de dégradation de la kynurénine, toxiques pour les cellules. Une première étude a montré que cette enzyme est exprimée par les CSM et qu’elle est fonctionnelle après activation par l’IFN-c [41]. Des études plus récentes apportent des données contradictoires. Ainsi, selon la nature des CSM ou les tests fonctionnels utilisés, l’implication d’une activité IDO est proposée ou exclue [21, 42, 43]. Toutefois, un rôle partiel mais probable de l’IDO est suggéré par une majorité des études. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Induction de l’anergie des lymphocytes T En réponse à une stimulation antigénique, les lymphocytes T naïfs sont activés par un premier signal (interaction entre le récepteur des cellules T et les molécules de CMH présentant l’antigène) et un deuxième signal de co-stimulation (interaction entre le récepteur CD28 et les molécules B7). En l’absence de signal de co-stimulation, le lymphocyte T devient anergique, c’est-à-dire qu’il ne peut pas proliférer ni sécréter de l’IL-2 en réponse à la stimulation antigénique. L’anergie peut cependant être levée par addition d’IL-2 exogène. Les CSM n’exprimant pas de molécules de co-stimulation (CD40, CD80, CD86) pourraient induire l’anergie des lymphocytes T [44, 45]. Toutefois, Glennie et al. ont montré qu’après retrait des CSM, la production d’IFN-c mais pas la prolifération des lymphocytes T est restaurée et ce, même après addition d’IL-2 [30]. En fait, ces auteurs suggèrent un blocage de la prolifération des lymphocytes T aux stades G0/G1 du cycle cellulaire. Induction de l’apoptose des lymphocytes T Un mécanisme possible d’inhibition de la prolifération lymphocytaire pourrait être l’induction de la mort cellulaire par apoptose. Ainsi, récemment, Plumas et al. ont montré que les CSM inhibent la prolifération cellulaire en induisant l’apoptose des lymphocytes T activés [46]. Dans leurs conditions, l’apoptose est associée à la présence d’une activité IDO. Plusieurs études, cependant, contredisent ces résultats [21, 44, 45]. Induction de cellules T régulatrices Les cellules T régulatrices jouent un rôle fondamental dans la suppression des réponses immunes, notamment dans le cas des pathologies auto-immunes. Il a été montré que les CSM augmentent le nombre de cellules T régulatrices CD4+/CD25+ dans une MLR [35, 47] alors qu’une autre étude montre que la déplétion en cellules CD4+/CD25+ avant stimulation antigénique n’a aucun effet sur la suppression induite par les CSM [48]. Dans un autre modèle, notre équipe a montré que l’inhibition de la prolifération de splénocytes induite par des cellules allogéniques est liée à une population de cellules T régulatrices CD8+ [27]. La divergence entre ces données de la littérature suggère que les CSM puissent contribuer à l’expansion d’une population de cellules T régulatrices sans induire une nouvelle population régulatrice à partir de cellules T naïves. Hématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 Action sur les cellules présentatrices d’antigènes Les CSM inhibent la génération de DC matures à partir des monocytes ou des cellules progénitrices de la moelle osseuse et elles peuvent induire la réversion du phénotype des DC vers un stade moins mature en diminuant l’expression des molécules du CMH de classe II et de co-stimulation (CD40, CD80, CD86) [38, 39]. Ces DC possèdent une capacité réduite à stimuler la prolifération lymphocytaire dans une MLR et dans ces conditions, une diminution de la production des cytokines pro-inflammatoires IFN-c, TNF-a, IL-2 est également observée. Un des mécanismes d’action des CSM serait donc d’orienter la maturation des DC vers un phénotype suppresseur afin d’atténuer la réponse des cellules T. L’ensemble des données récentes de la littérature suggère donc qu’après activation par des cytokines telles que l’IFN-c et l’IL-1b, les CSM exercent leur effet immunosuppresseur en sécrétant des facteurs solubles (cytokines, PGE2) (figure 1). Ceux-ci orienteraient les DC vers un phénotype suppresseur responsable de la diminution de la prolifération lymphocytaire T probablement associée à la génération de cellules T régulatrices. Néanmoins, ces mécanismes ne sont que partiellement responsables de l’immunomodulation des CSM puisque ces cellules peuvent agir indépendamment de la présence des DC. L’activité IDO pourrait également jouer un rôle partiel dans l’effet suppresseur des CSM. Immunosuppression in vivo Les capacités immunosuppressives des CSM ont également été évaluées dans des modèles animaux. Bartholomew et al. ont été parmi les premiers à montrer que l’injection intraveineuse de CSM prolonge la survie d’une greffe de peau allogénique chez des babouins [49]. Ultérieurement, notre équipe a montré d’une part, que des CSM allogéniques ne sont pas rejetées après implantation chez une souris immunocompétente et d’autre part, que l’injection systémique de CSM permet la prolifération de cellules tumorales allogéniques, selon un mécanisme certainement très proche d’une allogreffe [27]. Plus récemment, Zappia et al. ont rapporté l’intérêt des CSM dans le modèle murin de la sclérose en plaques, l’encéphalomyélite auto-immune expérimentale (EAE) [45]. Les CSM diminuent les signes cliniques attribués à la démyélinisation (ataxie, paralysie d’un ou plusieurs membres) lorsqu’elles sont injectées avant ou au moment de l’apparition des symptômes. Par contre, aucun effet thérapeutique n’est observé quand l’injection a lieu après stabilisation de la maladie. Une autre équipe a montré que l’injection de CSM autologues ou allogéniques chez le primate, associée à une greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH), permet une récupération hématopoïétique plus rapide selon un effet dose-dépendant [50]. Cependant, deux études récentes viennent tempérer ces résultats. Dans un premier modèle de greffe allogénique de CSH chez la souris, les auteurs montrent que si les CSM du receveur améliorent la greffe à long terme, quand les CSM proviennent du donneur, 239 Prolifération Production IFN- γ Production IFN- γ Prolifération Cellule NK Monocyte Induction de CTL IL-1β Lymphocyte T Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. IFN- γ Prolifération Tryptophane IDO CSM Kynurénine PGE2 Lymphocyte B TGFβ , HGF VEGF, IL-10 Progéniteur DC immature DC mature Figure 1. Effet immunosuppresseur des CSM : principaux mécanismes d’action. elles augmentent significativement le rejet des cellules de moelle [51]. De la même manière, dans un modèle murin de maladie du greffon contre l’hôte (GVHD), l’injection de CSM qui proviennent du donneur n’apporte aucun effet bénéfique sur l’incidence ou la sévérité de la GVHD [52]. Applications thérapeutiques Les capacités immunosuppressives des CSM peuvent présenter un intérêt dans plusieurs applications cliniques. Transplantation de cellules souches hématopoïétiques 240 Les premières études de faisabilité de l’infusion intraveineuse de CSM humaines autologues, en combinaison avec une greffe de cellules hématopoïétiques autologues, ont montré l’absence d’effets indésirables sans formation ectopique d’os ou de cartilage [53, 54]. De plus, l’amélioration de la reconstitution hématopoïétique a été observée chez ces patientes atteintes de cancer du sein [53]. Plus récemment, Lazarus et al. ont décrit un taux de survie à 2 ans chez 53 % de patients atteints d’hémopathie maligne et allogreffés par des CSH et des CSM de donneurs haplo-identiques, sans effets secondaires associés aux CSM [55]. Les résultats de ces données cliniques obtenues lors d’essais de phase I doivent cependant être confirmés à plus large échelle et en double aveugle afin de démontrer le bénéfice apporté par les CSM par rapport aux traitements conventionnels utilisés jusqu’à présent. Maladie du greffon contre l’hôte Cette maladie du greffon contre l’hôte (GVHD) se caractérise par la réaction des cellules immunocompétentes du greffon contre les antigènes présentés par les APC de l’hôte et l’activation des cellules T du donneur pouvant aboutir dans ses formes les plus sévères à la mort du patient. Les résultats les plus intéressants proviennent de l’étude de Le Blanc et al. décrivant le traitement d’un patient atteint de GVHD sévère du foie et des intestins, réfractaire à tous les traitements immunosuppresseurs [56]. L’injection de CSM haploidentiques associée à un traitement immunosuppresseur a Hématologie, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007 permis d’améliorer rapidement les signes cliniques de la pathologie. L’efficacité du traitement est probablement due à l’effet modulateur des CSM sur les lymphocytes de l’hôte mais aussi à la sécrétion de facteurs associés à la régénération des tissus lésés ainsi que l’a montré la présence des cellules du donneur dans l’intestin du receveur. Plusieurs essais cliniques de traitement de la GVHD sont en cours. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Autres pathologies L’utilisation des CSM devrait trouver des applications dans d’autres pathologies où la réponse immunitaire de l’hôte n’est pas désirable ou n’est plus contrôlée. On pense bien sûr en premier lieu aux maladies auto-immunes, telles que la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques ou le diabète, mais aussi aux allotransplantations pour la régénération tissulaire lorsque les CSM de l’hôte ne peuvent pas être injectées. C’est le cas de certaines maladies génétiques comme par exemple l’ostéogenèse imparfaite. L’injection de moelle osseuse totale a déjà été utilisée avec succès chez trois enfants pour lesquels des cellules du donneur ont été identifiées dans la moelle et les os des patients [57], suggérant que l’utilisation de CSM pourrait être efficace. ■ RÉFÉRENCES 1. Friedenstein AJ, Piatetzky II S, Petrakova KV. Osteogenesis in transplants of bone marrow cells. J Embryol Exp Morphol 1966 ; 16 : 381-90. 2. Barry FP, Murphy JM. 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