Synthèse
Les faux souvenirs:àlafrontière
du normal et du pathologique
False memories: an interface
between normal memory and pathology
ANNE GUYARD
PASCALE PIOLINO
Laboratoire cognition et
comportement associé
au CNRS, Université René
Descartes, Paris 5
Tirésàpart:
P. Piolino
Résumé. L’un des aspects les plus inattendus de notre mémoire est l’existence de faux
souvenirs. Ce phénomène désigne le rappel ou la reconnaissance d’événements qui n’ont
jamais eu lieu. Depuis quelques années, l’étude des faux souvenirs est devenue un
domaine de recherche particulièrement actif de la psychologie et de la neuropsychologie.
L’objectif de cette revue est de parcourir les différentes études menées sur les faux souve-
nirs, en s’intéressant plus spécifiquement à l’influence de l’âge et de la maladie d’Alzheimer
sur leur production. Nous discutons ensuite les mécanismes d’apparition des faux souve-
nirs chez les sujets sains et les patients cérébrolésés en passant en revue les hypothèses
liées à l’organisation de la mémoire sémantique et aux fonctions exécutives.
Mots clés : mémoire épisodique, faux souvenir, fausse reconnaissance, vieillissement,
maladie d’Alzheimer
Abstract. One of the most unexpected aspects of our memory is the existence of false
memories. This phenomenon concerns the recall or recognition of events that never took
place. Since a few years, the study of false memories became a field of research particularly
active in psychology and neuropsychology. The objective of this review is to examine the
various studies undertaken on false memories, while being interested more specifically by
the influence of age and Alzheimer’s disease on their production. We discuss then the
mechanisms of production of false memories reviewing the assumptions related to the
organization of semantic memory and to executive functions.
Key words:episodic memory, false memory, false recognition, aging, Alzheimer’s disease
La mémoire épisodique est définie comme la
mémoire des événements personnellement
vécus, situés dans leur contexte spatio-
temporel et social d’acquisition [1]. Contrairement aux
autres systèmes de mémoire à long terme (e.g.
mémoire sémantique ou mémoire procédurale) qui
restent orientés vers le présent, la mémoire épisodique
permet de voyager mentalement dans le temps, c’est-
à-dire de revivre les expériences passées et de se pro-
jeter vers l’avenir. L’un des aspects les plus inattendus
de cette forme de mémoire est l’existence de faux sou-
venirs, soit le rappel ou la reconnaissance d’événe-
ments qui n’ont jamais eu lieu. Ce phénomène soulève
la question particulièrement délicate et passionnante
de la frontière du normal et du pathologique dans la
distorsion des souvenirs.
Les dysfonctionnements de la mémoire épisodique
présents chez les patients cérébrolésés impliquent non
seulement des déficits d’encodage, de récupération ou
des oublis, mais également la création de faux souve-
nirs. Ceux-ci peuvent se manifester par des fabulations
ou bien des intrusions et des fausses reconnaissances
dans les épreuves classiques de mémoire épisodique
comme le test de Grober et Buschke. Si les recherches
en neuropsychologie se sont surtout centrées sur
l’étude des symptômes négatifs qui accompagnent les
désordres mnésiques liés aux pathologies cérébrales
(déficit de rappel ou de reconnaissance d’une informa-
tion étudiée), un intérêt croissant se porte depuis ces
dernières années sur l’étude des symptômes positifs
(faux rappel ou fausse reconnaissance). Pourtant, il
existe aussi des faux souvenirs chez le sujet sain, cer-
tains pouvant entraîner des faux témoignages par
exemple. De plus, tout souvenir contient une part de
déformations puisque par essence il est une recons-
truction plus ou moins approximative de la réalité à
Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2006;4(2):127-34
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partir de ce que nous connaissons de nous même et de
souvenirs de détails vécus, et c’est un phénomène nor-
mal [2]. Les faux souvenirs ne sont donc pas l’apanage
des patients souffrant de troubles de mémoire. Étudier
ces distorsions mnésiques s’avère être d’un intérêt
multiple, puisqu’elles permettent de donner des infor-
mations sur le fonctionnement normal de la mémoire
et sa fragilité, ainsi que de caractériser les désordres
mnésiques liés aux pathologies cérébrales.
La plupart des études de laboratoire menées en
neuropsychologie des faux souvenirs se sont appuyées
sur le paradigme novateur du « DRM » du nom des
auteurs Deese, Roediger et McDermott. Favorisant
l’émergence de fausses reconnaissances chez les
sujets sains comme chez les sujets atteints de déficits
mnésiques, cette procédure permet de mieux cerner
les effets des lésions cérébrales sur la création de faux
souvenirs, notamment dans le cadre de la maladie
d’Alzheimer. Après une description succincte des diffé-
rentes formes de faux souvenirs explorées dans la litté-
rature et des mécanismes mis en jeu lors de leur pro-
duction, notamment lors des fausses reconnaissances,
nous soulignerons plus spécifiquement la manière
dont le vieillissement normal et la maladie d’Alzheimer
influencent ces faux souvenirs.
Souvenirs et faux souvenirs
L’essor des études sur les faux souvenirs remonte
aux années 1990 avec les débats tumultueux aux États-
Unis concernant la véracité des reviviscences précises
de souvenirs traumatiques d’abus sexuels lors de psy-
chothérapies [3]. C’est dans le contexte de ces discus-
sions que le terme de « faux souvenirs » est entré dans
l’usage commun des recherches en psychologie sur la
nature des processus mnésiques. Ces travaux ont per-
mis aux chercheurs en psychologie de ne plus entre-
voir les systèmes mnésiques d’une façon réductrice et
largement influencée par l’aspect quantitatif de la per-
formance mnésique du sujet. Motivés par les distor-
sions mnésiques observées dans la vie quotidienne, de
nombreux travaux ont souligné l’intérêt de s’attacher à
l’aspect qualitatif de la performance mnésique, afin de
faire le lien entre les phénomènes de fausses mémoi-
res chez le sujet sain et les distorsions mnésiques ou
illusions de mémoire observées dans les pathologies
cérébrales.
La mémoire est vraisemblablement la fonction psy-
chologique qui nous est la plus familière, puisqu’elle
intervient dans toutes nos activités quotidiennes. Des
expériences ou des événements datant de dix ans peu-
vent être remémorés avec force de détails, si bien que
nous avons l’impression de pouvoir les revivre. Cepen-
dant, notre mémoire n’est pas infaillible. Notre cerveau
n’est pas comparable au disque dur d’un ordinateur, où
les détails sont inscrits, stockés, puis récupérés avec
une fiabilité absolue. La mémoire est un processus
créateur, tout comme la perception visuelle. Les souve-
nirs peuvent être sujets à la transformation, au
mélange, à l’imagination, à l’altération ainsi qu’à
l’oubli. Certaines descriptions d’événements que nous
n’avons pourtant pas vécus peuvent être acceptées
comme des représentations réelles de nos propres
expériences [4]. Nos souvenirs sont sensibles aux sug-
gestions des autres, ainsi qu’à leurs questions dirigées.
Différents facteurs affectant les phases d’encodage
et de récupération sont impliqués dans les distorsions
des souvenirs autobiographiques [3, 5]. La mémoire
autobiographique est une mémoire sélective qui voit la
réalité à travers un prisme, celui de notre modèle
d’identité. Ce modèle (le self) détermine ce qui est
encodé, stocké ou récupéré au gré des intérêts, des
croyances et des désirs présents. Si l’encodage peut
être défini comme le processus permettant le traite-
ment et la conversion des caractéristiques d’un événe-
ment en traces mnésiques, il s’agit déjà d’un processus
subjectif qui guide notre attention sur les éléments à
encoder. Notre savoir préexistant peut aussi envahir et
corrompre nos nouveaux souvenirs. La plupart des
événements quotidiens sont oubliés rapidement dans
les jours qui suivent leur encodage, seuls certains évé-
nements sont maintenus en mémoire autobiographi-
que et stockés durablement. Cette consolidation est, là
aussi, le fruit d’un processus de sélection guidé par
notre subjectivité. Lors de la récupération en mémoire,
les souvenirs autobiographiques mettent en jeu des
processus mnésiques complexes de reconstruction :
les souvenirs ne sont pas des copies conformes mais
ils évoquent en les modifiant les événements vécus ; ils
dépendent des connaissances autobiographiques de
base, du modèle d’intégrité et de cohérence du sujet (le
self) et impliquent des processus de contrôle attentio-
nel pour trouver un indice, rechercher et vérifier le
souvenir. Ce processus rend compte de la déformation
des souvenirs puisque le souvenir est reconstruit et
interprété chaque fois en fonction du self actuel du
sujet. Ainsi, l’événement récupéré est une interpréta-
tion propre au sujet. L’expérience du souvenir émerge
de la cohérence du self actuel avec le self passé per-
mettant de revivre des détails perceptivo-sensoriels et
cognitifs (affect, perceptions, pensées...) de nos expé-
riences passées à partir de connaissances plus généra-
les autobiographiques. L’acte de récupérer des souve-
A. Guyard, P. Piolino
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nirs particuliers participe à la consolidation des
souvenirs à long terme. Quand nous répétons une
information inexacte qui a infiltré nos restitutions pen-
dant que nous essayons de combler les brèches de
souvenirs fragmentaires, nous pouvons sans le vouloir
créer des croyances erronées concernant le passé. La
répétition de versions légèrement différentes du souve-
nir l’altère de façon inconsciente, créant un souvenir
faussé. Ce dernier reste alors solidement ancré dans
notre mémoire.
De nombreux exemples de souvenirs déformés
démontrent que la restitution relativement fidèle
d’informations dépend surtout de notre mémoire de la
source, soit de notre capacité à rappeler précisément
quand, où et comment un événement est survenu.
Cette mémoire fait donc appel au contexte de l’enco-
dage. Le terme source fait référence à un certain nom-
bre de caractéristiques qui, ensemble, spécifient les
conditions dans lesquelles la mémorisation de l’infor-
mation s’effectue, comme le contexte spatial, temporel
et social de l’événement. Le contrôle de la source
(source monitoring) est essentiel pour distinguer ce
que nous avons réellement vécu de ce que nous avons
pu imaginer. La mémoire de la source contribue ainsi à
notre capacité à exercer un contrôle sur nos souvenirs.
Elle s’avère néanmoins être particulièrement sensible
aux phénomènes de faux souvenirs.
Les travaux en neuropsychologie ont également
examiné les illusions de mémoire en centrant leur inté-
rêt sur trois phénomènes de distorsions affectant le pro-
cessus de reconstitution mnésique chez les patients :
les fabulations, les intrusions, ainsi que les fausses
reconnaissances.
Les fabulations font l’objet de multiples définitions.
Décrites dans des contextes divers et variés, leurs par-
ticularités et leurs mécanismes restent encore très dis-
cutés. D’une manière générale, la fabulation peut
s’entrevoir comme « un mensonge honnête » [6]. Cette
production narrative est une affirmation verbale inco-
hérente avec l’histoire du sujet, son passé et sa situa-
tion actuelle [7]. Par exemple, lorsqu’on l’interroge sur
son emploi du temps, le sujet répond en fonction de
routines bien établies, de ses habitudes, sans que
celles-ci correspondent forcément au moment présent.
Il arrive également que les préoccupations ou les moti-
vations d’un sujet influencent le contenu de leur fabula-
tion. Cette falsification de la mémoire est un symptôme
fréquemment observé chez les patients amnésiques,
mais elle a tout d’abord été décrite chez les patients
atteints du syndrome de Korsakoff. Les fabulations
peuvent également être observées chez les patients
présentant une tumeur cérébrale, une rupture d’ané-
vrisme de l’artère communicante antérieure, une cin-
gulectomie, un traumatisme crânien, une schizophré-
nie [8] ou dans la maladie d’Alzheimer [9]. Les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer sont sensibles à la
création de fabulation lorsqu’on leur demande de
retrouver un souvenir autobiographique ou d’élaborer
un projet personnel.
La fabulation est produite de façon inconsciente et
donc à différencier du mensonge. Le menteur, cons-
cient de ses dires, a pour finalité de tromper l’autre,
alors que le fabulateur est dupé lui-même. Deux formes
de fabulation sont actuellement décrites dans la littéra-
ture. On distingue les fabulations provoquées des fabu-
lations spontanées [10]. Les premières expriment la
tendance du patient à enrichir ses souvenirs en
réponse à une question posée. Elles peuvent émerger
par exemple lors de la passation de tests mnésiques.
Les deuxièmes, quant à elles, se présentent comme
des épisodes réels ou imaginés, déplacés dans le
temps, ou au contenu parfois incongru. Ces dernières
sont souvent résistantes et simples à détecter de par la
contradiction, la bizarrerie et l’improbabilité des répon-
ses fournies par le sujet. Les auteurs restent cependant
encore très imprécis sur la différenciation des mécanis-
mes entre ces deux types de fabulation. Plusieurs
hypothèses ont été proposées pour expliquer l’origine
de ces phénomènes mnésiques. Elles soulignent le rôle
du dysfonctionnement des fonctions exécutives, des
processus de contrôle en mémoire, du niveau de cons-
cience et de la temporalité ou des déficits multiples [8].
Néanmoins, toutes s’accordent sur le fait que la pro-
duction de fabulation survient souvent après des
lésions des régions frontales ventromédianes. Cette
vision localisationiste nous permet alors de mieux
appréhender le fait que, contrairement à d’autres for-
mes de faux souvenirs telles que les intrusions ou les
fausses reconnaissances, les sujets âgés sains sont
moins enclins à la création de fabulations.
Étudier les faux souvenirs
en laboratoire
Les travaux neuropsychologiques ayant exploré la
création de faux souvenirs en situation de laboratoire
se sont principalement attachés à l’étude des intrusions
et des fausses reconnaissances. Les intrusions peuvent
être définies par la production d’items non étudiés
dans des tâches de rappel libre ou indicé. Dans une
procédure de mémoire épisodique verbale similaire à
celle du test de Gröber et Buschke, Desgranges et al.
Les faux souvenirs
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[11] ont mis en évidence que la phase de rappel libre
engendre moins d’intrusions que la phase de rappel
indicé chez les patients atteints de la maladie d’Alzhei-
mer. Cette étude suggère donc que les intrusions pro-
duites sont de nature différente en fonction de la condi-
tion du rappel. Des corrélations étroites ont été mises
en évidence entre intrusions en rappel libre et hypomé-
tabolisme au niveau du cortex préfrontal droit et de la
formation hippocampique gauche. La production
d’intrusion en rappel indicé, quant à elle, est liée aux
dysfonctionnements du cortex entorhinal gauche.
Les fausses reconnaissances apparaissent quand
les sujets pensent, de façon incorrecte, avoir encodé
préalablement un mot nouveau ou un nouvel événe-
ment. Ces dernières renvoient donc à la reconnais-
sance d’items non étudiés. Plusieurs paradigmes expé-
rimentaux nous permettent d’observer ces différentes
distorsions mnésiques, mais le plus utilisé reste la pro-
cédure DRM. Ce paradigme original développé par
Deese [12], revu et modifié par Roediger et McDermott
[13], a permis de montrer que l’on peut prévoir l’occur-
rence de faux souvenirs lors d’une épreuve de rappel
libre et d’une épreuve de reconnaissance. Dans cette
expérience, les sujets sains sont soumis à l’apprentis-
sage de listes de mots sémantiquement associés (par
exemple pour une des listes : lit, repos, éveillé, fatigue,
rêve, sommeiller, réveil, couverture, somnoler, couché,
ronflement, sieste) tous liés à un seul mot (l’item criti-
que : dormir) qui n’est jamais présenté. L’item critique
peut donc être défini comme un mot très fortement
associé au thème sémantique de la liste, mais qui n’en
fait pas partie. Les auteurs découvrent ainsi que certai-
nes listes amènent souvent les sujets à citer l’item
critique lors de la tâche de rappel libre immédiat et à
créer de nombreuses fausses reconnaissances sur ces
items en tâche de reconnaissance. La tâche de recon-
naissance est également accompagnée du paradigme
R/K(«Jemesouviens » ou « remember » / « Je sais »
ou « know »). Née d’une proposition de Tulving [14] et
développée ultérieurement par Gardiner et al. [15, 16],
cette procédure permet d’appréhender l’expérience
phénoménologique des sujets lors de fausses recon-
naissances. Par une approche de nature introspective,
ces auteurs demandent directement aux sujets de don-
ner une indication qualitative sur la nature des opéra-
tions mentales effectuées au moment de la reconnais-
sance de l’item. Ainsi, les sujets classent les items
reconnus en réponse « Je me souviens », lorsque la
reconnaissance est accompagnée du souvenir cons-
cient de la représentation élaborée au moment de
l’encodage (par exemple une image mentale ou une
association d’idée) ; et en réponse « Je sais » lorsque la
reconnaissance est effectuée sur la base d’un senti-
ment de familiarité, en dehors de tout accès conscient à
l’information relative au contexte d’apprentissage. Tul-
ving [14] associe la notion « Je me souviens » à celle de
conscience autonoétique, qui renvoie à la capacité d’un
sujet de se souvenir d’un événement passé en voya-
geant mentalement dans le temps, afin de revivre cet
événement particulier. La conscience autonoétique est
donc étroitement liée au système de mémoire épisodi-
que. À l’opposé, la notion « Je sais » est associée à
l’état de conscience noétique qui reflète une cons-
cience abstraite et décontextualisée du passé, et qui est
liée au système de mémoire sémantique. Les résultats
obtenus par Roediger et McDermott [13] montrent que
les faux souvenirs, c’est-à-dire la restitution d’items
critiques, sont associés à des jugements « Je me sou-
viens ». Pour ces auteurs, ces faux souvenirs sont donc
basés sur un sentiment de certitude et de reviviscence
erroné du contexte d’apprentissage, soit une erreur de
mémoire de la source.
Les fausses reconnaissances s’expliquent principa-
lement par deux théories. Selon l’hypothèse de « la
réponse associative implicite » d’Underwood [17], il y
aurait une propagation de l’activation entre les items
appartenant à une même catégorie sémantique. Les
faux souvenirs résulteraient ainsi d’une confusion de la
source d’apprentissage entre l’information générée
personnellement par le sujet, qui réalise une associa-
tion avec l’item critique, et l’information externe réelle.
La théorie de « la confusion de la trace » de Reyna et
Brainerd [18] propose quant à elle, que l’encodage d’un
mot nécessite de mémoriser son idée générale (gist
information) et sa spécificité (verbatim information).
L’apprentissage d’une liste de mots engendrerait la
création de faux souvenirs dès lors qu’il y a perte de la
spécificité des mots au profit de la prépondérance de
l’idée générale.
Depuis quelques années, nous assistons à un
regain d’intérêt de la neuropsychologie cognitive pour
l’émergence de faux souvenirs chez les sujets âgés et
dans la maladie d’Alzheimer. De nombreuses études
inspirées du paradigme DRM s’interrogent actuelle-
ment sur l’étiologie et sur les différents mécanismes
sous-jacents aux phénomènes de fausse mémoire.
Notre objectif est donc de dresser un bilan des différen-
tes études menées sur les faux souvenirs ces dernières
années, en précisant plus spécifiquement les influen-
ces du vieillissement normal et de la maladie d’Alzhei-
mer sur la création de faux souvenirs, tels que les
fausses reconnaissances. Nous essaierons également
A. Guyard, P. Piolino
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de déterminer les mécanismes mis en jeu lors de ces
productions et d’observer les effets de la maladie
d’Alzheimer sur ces distorsions mnésiques, comparati-
vement à d’autres pathologies neurologiques comme
le syndrome amnésique.
Faux souvenirs, vieillissement
et maladie d’Alzheimer
Le vieillissement peut être défini comme le déclin
lié à l’âge de la performance dans plusieurs épreuves
censées mesurer le fonctionnement cognitif. Dans cette
perspective développementale, un grand nombre
d’études se sont intéressées aux capacités mnésiques
du sujet vieillissant et à la fragilité de sa mémoire.
Plusieurs travaux ont confirmé que les sujets âgés ont
des capacités de mémoire épisodique amoindries et
sont plus enclins aux distorsions mnésiques que des
adultes jeunes [19]. Les études basées sur le para-
digme DRM montrent en effet que les sujets âgés sont
plus susceptibles de produire des intrusions et des
fausses reconnaissances sur les items critiques que ne
le sont les sujets jeunes [20, 21]. Ces distorsions témoi-
gneraient d’une mémoire de la source déficitaire par
rapport à celle des sujets jeunes, puisque les sujets
âgés auraient des difficultés à se rappeler des détails de
l’apprentissage, comme par exemple la modalité de
présentation d’un mot.
L’atteinte de la mémoire épisodique est importante
chez les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer
dès les premiers stades de la maladie, ce qui laisse
supposer qu’ils sont particulièrement sensibles au phé-
nomène des faux souvenirs. Dans cette perspective de
recherche, Balota et al. [20] ont utilisé le paradigme
DRM et observé les performances de sujets jeunes, de
sujets âgés sains, de sujets sains très âgés, de sujets
atteints d’une maladie d’Alzheimer débutante et de
sujets atteints d’une maladie d’Alzheimer à un stade un
peu plus sévère. Les résultats indiquent que le nombre
de rappels et de reconnaissances corrects diminue de
façon significative avec l’avancée en âge des partici-
pants et en fonction du degré de sévérité de la
démence. Parallèlement, les intrusions et surtout les
fausses reconnaissances d’items critiques augmentent
en fonction de l’âge. En revanche, les intrusions
d’items critiques ne semblent pas être influencées par
le degré de gravité de la démence et, de façon surpre-
nante, les fausses reconnaissances pour les items criti-
ques diminuent nettement chez les patients atteints
d’une maladie d’Alzheimer. Bien qu’inattendu, ce der-
nier résultat a été retrouvé dans plusieurs études
[22, 23].
Toutefois, Budson et al. [23] ont obtenu des résul-
tats différents en utilisant une procédure d’apprentis-
sage avec plusieurs essais (5 essais). L’analyse des
performances révèlait que, comparativement aux adul-
tes âgés sains, les patients Alzheimer créaient moins
de fausses reconnaissances sur les items critiques
après une seule présentation des listes mais, après
essais répétés, ils devenaient plus sensibles à la créa-
tion de ces fausses reconnaissances que ne l’étaient les
sujets âgés sains. Cette condition de passation semble
encourager les sujets sains, contrairement aux
patients, à faire appel à leur mémoire de la source,
diminuant ainsi la production de faux souvenirs. En
effet, la répétition des listes permet d’accroître la sépa-
ration entre les mots sémantiquement liés du fait d’un
meilleur apprentissage des caractéristiques distincti-
ves de chacun à mesure de la répétition des phases
d’études et de test. Cette distinction plus nette entre les
mots aiderait les sujets sains à différencier plus aisé-
ment les mots étudiés des items critiques. En revanche,
chez les patients Alzheimer, comme le soulignent
Schacter et al. [24] pour les patients amnésiques
atteints d’un syndrome de Korsakoff, la phase d’étude
des listes par essais multiples crée une représentation
robuste de l’idée générale qui permet d’augmenter le
nombre de reconnaissances correctes mais produit un
accroissement des fausses reconnaissances d’items
critiques. Il est à noter que dans des procédures expéri-
mentales similaires au paradigme DRM, des résultats
du même ordre ont également été obtenus chez les
patients amnésiques [25, 26] avec de nouveaux types
de matériel comme des listes de mots semblables à un
niveau perceptif [27] (par exemple : fade, fame, face et
fake...) ou des séries d’objets abstraits [28].
Mécanismes de création
des faux souvenirs
Les principales données de cette revue de littérature
sur le paradigme DRM révèlent la présence de faux
souvenirs chez tous les sujets qu’il s’agisse de sujets
jeunes, de sujets âgés, et de patients atteints de la
maladie d’Alzheimer. Ces résultats peuvent s’expliquer
au regard des théories actuellement proposées pour
expliquer la création de faux souvenirs avec le para-
digme DRM. La hausse des fausses reconnaissances
critiques chez les sujets âgés ou leur baisse chez les
patients Alzheimer semblent pouvoir s’expliquer par la
théorie de la confusion de la trace [18]. Celle-ci suggère
que l’encodage et la reconnaissance d’un mot
Les faux souvenirs
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