MEMOIRE ET HISTOIRE-‐ Textes 1-‐ Définitions La mémoire est un

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MEMOIRE ET HISTOIRE-­‐ Textes 1-­‐ Définitions La mémoire est un ensemble de souvenirs individuels et de représentations collectives du passé. L’histoire, quant à elle, est un discours critique sur le passé : une reconstitution des faits et des événements écoulés visant leur examen contextuel et leur interprétation. On peut sans doute reconnaître à la mémoire un caractère matriciel bien antérieur à la prétention de l’histoire à devenir une science. Se concevant comme un récit objectif du passé élaboré selon des règles, l’histoire s’est émancipée de la mémoire, tantôt en la rejetant comme un obstacle (les souvenirs éphémères et trompeurs soigneusement écartés par les fétichistes de l’archive), tantôt en lui attribuant un statut de source susceptible d’être exploitée avec la rigueur et la distance critique propre à tout travail scientifique. La mémoire est donc ainsi devenue un des nombreux chantiers de l’historien ; l’étude de la mémoire collective s’est progressivement constituée en véritable discipline historique. Les relations entre la mémoire et l’histoire sont devenues plus complexes, parfois difficiles, mais leur distinction n’a jamais été remise en cause et reste, au sein des sciences sociales, un acquis méthodologique essentiel. Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille, La découverte, 2011 Les rapports histoire/mémoire d’après Pierre Nora. « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire, une représentation du passé. Parce qu’elle est affective et magique, la mémoire ne s’accommode que de détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projections. L’histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire l’en débusque, elle prosaïse toujours. La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude, ce qui revient à dire, comme Halbwachs l’a fait, qu’il y a autant de mémoires que de groupes ; qu’elle est, par nature, multiple et démultipliée, collective, et individualisée. L’histoire, au contraire, appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l’universel. La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste, l’image et l’objet. L’histoire ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le relatif. Au cœur de l’histoire, travaille un criticisme destructeur de la mémoire spontanée. La mémoire est toujours suspecte à l’histoire dont la mission vraie est de la détruire et de la refouler. L’histoire est délégitimation du passé vécu » Pierre Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », in Les lieux de mémoire, I. La
République, (Pierre Nora dir.), Paris, NRF/Gallimard, collection « Bibliothèque illustrée des histoires
», 1984, p XIX-XX. 2-­‐ Les différentes formes de mémoire : mémoire individuelle et mémoire collective « La mémoire est donc une représentation du passé qui se construit dans le présent. Elle est le résultat d’un processus dans lequel interagissent plusieurs éléments dont le rôle, l’importance et les dimensions varient selon les circonstances. Ces vecteurs de mémoire ne s’articulent pas dans une structure hiérarchique, mais coexistent et se transforment par leurs relations réciproques. Il s’agit tout d’abord des souvenirs personnels qui forment une mémoire subjective non pas figée, mais souvent altérée par le temps et filtrée par les expériences cumulées. Les individus changent ; leurs souvenirs perdent ou acquièrent une importance nouvelle selon les contextes, les sensibilités et les expériences acquises. Il y a ensuite la mémoire collective, qui, selon Halbwachs, se perpétue au sein de « cadres sociaux » plus ou moins stables, comme une culture héritée et partagée.(…)Mais d’autres vecteurs très puissants interviennent dans ce processus en remodelant les mémoires collectives, parfois en en forgeant de nouvelles. Il s’agit bien sûr des représentations du passé qui sont fabriquées par les médias et l’industrie culturelle, lieux privilégiés d’une véritable réification de l’histoire, ainsi transformée en un inépuisable réservoir d’images à tout moment accessibles et consommables. » Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille, La découverte, 2011 3-­‐ A quoi sert la mémoire ? « La mémoire est une véritable construction mentale qui utilise l’oubli comme matière première. En d’autres termes, la mémoire se définit soit par ce qu’elle rejette soit parce qu’elle le juge insignifiant, soit parce qu’elle n’en veut pas, autant que par ce qu’elle retient. Elle se définit aussi par sa capacité de recours au symbolique et par son aptitude à créer des mythes, mythes qui ne sont pas des visions fausses de la réalité, mais une autre façon de décrire le réel, une autre forme de vérité.(…) Ce qui est trop souvent considéré comme faiblesse du témoignage oral en constitue une de ses grandes richesses et nous en apprend autant que les renseignements exacts qu’ils contiennent aussi en abondance. » Philippe Joutard in Quand les mémoires déstabilisent l’école, sous la direction de Sophie Ernst, INRP, 2008 4-­‐ Pour écrire l’histoire Pour penser historiquement le passé, même le plus proche, nous devons le mettre à distance comme une expérience close. C’est la condition pour le distinguer du présent, même si c’est toujours au présent qu’on écrit l’histoire. Il faut (…) une demande sociale de connaissance qui suggère aux chercheurs des objets d’investigation. C’est grâce à un aller retour incessant entre histoire et mémoire qu’une représentation du passé se forge au sein de l’espace public. Cela fait de l’historiographie beaucoup plus qu’un lieu de production des savoirs car elle peut aussi devenir un miroir des trous de mémoire, des zones d’ombre, des silences et des refoulements de nos sociétés. Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille, La découverte, 2011 
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