PRB 99-9F
Direction de la recherche parlementaire Julie Cusson Le 12 juillet 1999
Bibliothèque du Parlement
Une union monétaire avec les États-Unis :
Le pour et le contre
Introduction
Ces derniers mois, il a été beaucoup question de la
possibilité d’une union monétaire entre le Canada et
les États-Unis. Divers scénarios ont été proposés
pour mettre un tel changement en œuvre.
Cependant, le public est souvent déconcerté car les
spécialistes passent, sans le préciser, de l’un à
l’autre des différents concepts d’union monétaire.
Une union monétaire avec les États-Unis
nécessiterait strictement la création d’une nouvelle
monnaie, comme « l’améro » proposé par le
professeur Herbert Grubel, qui serait appelée à
remplacer les dollars américain et canadien actuels.
Cette option est généralement jugée irréaliste, étant
donné le profond attachement des Américains à leur
billet vert. Les deux pays pourraient cependant
trouver une autre façon d’utiliser la même monnaie
grâce à la « dollarisation ». Brièvement, cela veut
dire que le Canada adopterait le dollar américain,
comme certains pays (Panama et Liberia) l’ont déjà
fait ou comme certains autres songent à le faire
(Argentine). La dollarisation entraînerait la plus
grande perte de souveraineté sur la politique
monétaire canadienne.
La monnaie remplit trois fonctions : elle constitue
une unité de compte, un intermédiaire pour les
échanges et une réserve de valeur. Des régimes
monétaires différents ont donc des effets différents
sur ces fonctions.
Arguments en faveur d’une union monétaire
entre le Canada et les États-Unis
Le Canada et les États-Unis ont déjà conclu un
accord sur les échanges commerciaux appelé
l’Accord de libre-échange (ALÉ), qui englobe
maintenant le Mexique (ALÉNA). Cet accord,
conjointement avec le développement d’une
intégration économique très poussée entre les deux
pays, a énormément accru le volume des échanges
au cours des dix dernières années. Une monnaie
commune éliminerait de nombreux irritants et
l’incertitude liée au taux de change flottant; elle
contribuerait par conséquent à réduire les coûts
découlant de cette incertitude. En fait, beaucoup
soutiennent qu’une monnaie commune serait un bon
complément à l’ALÉNA et qu’elle accroîtrait les
avantages de cet accord.
Les industries canadiennes qui commercent avec
leurs équivalents américains doivent, en plus
d’assumer les coûts découlant de l’incertitude,
porter les coûts des opérations de change. John
Murray, le chef du département des relations
internationales à la Banque du Canada, a évalué ces
coûts à près de trois milliards de dollars par année.
Utiliser la même monnaie que les États-Unis ferait
donc épargner beaucoup d’argent à ces industries.
Éliminer le risque associé au taux de change
contribuerait également à réduire les taux d’intérêt
sur la dette, surtout les obligations à long terme, en
raison principalement de la réduction de la prime de
risque. Les taux d’intérêt canadiens sont
maintenant plus bas que les taux américains, en
raison surtout du taux d’inflation moins élevé au
Canada; toutefois, les taux d’intérêt réels canadiens
ont encore tendance à être plus élevés que les taux
américains. Une monnaie commune ferait baisser
les taux d’intérêt, ce qui stimulerait les
investissements et serait bénéfique pour l’économie
grâce à une productivité accrue.
Sous le régime d’une monnaie commune, les prix
au Canada et aux États-Unis seraient plus faciles à
comparer. Cette facilité de comparaison faciliterait
l’application des lois antidumping et réduirait la
tension entre les deux pays. Cela contribuerait en
outre à accroître la compétitivité et l’efficacité. De
nombreuses entreprises font valoir que, puisqu’il
leur faut déjà annoncer leurs marchandises et leurs
services en dollars américains, il serait logique de
« dollariser » l’économie dès que possible.
En concluant une union monétaire avec les États-
Unis, le Canada devrait cesser de recourir à la
dévaluation de sa monnaie, un outil qu’il a employé
dans le passé. Beaucoup soutiennent qu’un dollar
plus faible dissimule une productivité plus faible.
Les industries ne ressentent pas le besoin
d’effectuer d’importants changements structurels
pour s’adapter aux changements sur le marché, ce
qui se traduit par une baisse de compétitivité à
moyen et long terme. Utiliser le dollar américain
empêcherait une telle chose de se produire.
Un autre argument en faveur d’une union monétaire
avec les États-Unis réside dans le besoin d’une
défense contre l’euro; adopter le dollar américain
ferait peut-être contrepoids à l’incidence de la zone
euro sur l’économie canadienne. Cette réaction
politique éviterait la marginalisation du dollar
canadien dans un monde où trois grandes zones
monétaires pourraient apparaître : celle de l’euro en
Europe, celle du yen en Asie et celle du dollar dans
l’hémisphère occidental. En effet, les partisans
d’une monnaie commune considèrent cela
inévitable et croient que le Canada devrait entamer
rapidement des négociations tandis qu’il dispose
encore d’une certaine marge de manœuvre.
Les économistes ont également observé que, durant
la crise économique de l’année dernière en Asie, les
capitaux à court terme ont afflué massivement dans
des investissements libellés en dollars américains.
Cela n’a été étonné personne car le dollar américain
représente une valeur refuge bien connue pour les
investisseurs. Adopter la monnaie américaine
mettrait par conséquent le Canada à l’abri des
assauts de la spéculation durant les périodes de
fortes turbulences.
Enfin, les politiques monétaires américaines ont, par
le passé, mieux réussi à contrôler l’inflation que les
politiques canadiennes, bien que cela ne soit pas
vrai aujourd’hui.
Arguments contre une union monétaire entre le
Canada et les États-Unis
En théorie, pour qu’une union monétaire
fonctionne, les pays doivent se trouver dans une
« zone monétaire optimale ». Les pays participants
doivent avoir des structures économiques similaires
ainsi qu’une pleine mobilité des facteurs de
production (capitaux et main-d’œuvre). Beaucoup
affirment que ce n’est pas le cas pour le Canada et
les États-Unis. L’économie du Canada est encore
fortement basée sur les ressources naturelles et donc
très différente de celle de son voisin. Comme le
Canada et les États-Unis ne représentent pas une
zone monétaire optimale, une union monétaire entre
les deux ne serait pas optimale, surtout pour le
Canada.
Les réactions aux chocs externes qui s’effectuent
présentement au moyen des fluctuations du taux de
change canadien devraient s’effectuer au moyen
de la politique budgétaire, des mouvements de
capitaux et de main-d’œuvre et des changements
dans les prix des facteurs de production. Étant
donné la rigidité des prix des facteurs de production
au Canada, cela se traduirait pas une production
plus faible et par une diminution des emplois. La
capacité d’amortisseur du taux de change
actuellement flexible serait complètement perdue.
Gordon Thiessen, le gouverneur de la Banque du
Canada, a soutenu que, sans un système de taux de
change flexible, nous aurions pu connaître une
profonde récession au cours de l’année dernière.
Autre argument important, sous le régime d’une
monnaie commune, le Canada serait dominé de
façon écrasante par les États-Unis. Inévitablement,
le Canada perdrait un degré considérable de
contrôle sur sa politique monétaire. Le Canada ne
pourrait pas aspirer à être davantage qu’un treizième
district de la Réserve fédérale américaine dans le
meilleur des cas. Les Américains se
préoccuperaient de leurs propres intérêts, malgré la
présence du Canada. De plus, comme il y a
plusieurs différences structurelles entre les deux
économies, les décisions américaines pourraient
nuire à l’économie canadienne. Nous observons
déjà quelque chose de similaire; beaucoup de gens
prétendent que la Banque du Canada mène sa
politique monétaire pour répondre aux besoins de
l’Ontario et que la Colombie-Britannique, par
exemple, tirerait profit d’une politique monétaire
plus expansionniste. Sous le régime d’un accord de
monnaie commune avec les États-Unis, la situation
pourrait devenir encore pire pour les petites
économies provinciales fondées sur les ressources
naturelles comme celles du Nouveau-Brunswick, de
la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve.
Enfin, un tel accord entre les deux pays entraînerait
une diminution annuelle de 1,4 milliard de dollars
des recettes du gouvernement canadien qui résultent
du seigneuriage national (le droit de battre
monnaie).
Conclusion
Il y a autant d’arguments en faveur que d’arguments
contre une union monétaire entre le Canada et les
États-Unis. Il est difficile de dire lesquels sont les
meilleurs. Ce qui n’est présentement qu’un débat
d’idées pourrait bientôt en devenir un à caractère
politique et financier. Le débat est en cours, et les
Canadiens en sont maintenant saisis par le
truchement des journaux ainsi que des politiciens et
des analystes favorables à une union monétaire avec
les États-Unis. Compte tenu de ses aspects
nationalistes et de ses incidences sur la vie de tous
les jours des Canadiens, le débat promet d’être
encore plus important et plus controversé que celui
qu’a suscité l’accord de libre-échange.
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