Bienfaisance et non-maléficience (principes de) Le bien du patient a été de tout temps le principe directeur de l'action médicale et de la relation médecin-patient (cf. le Serment d'Hippocrate): la médecine est, en quelque sorte "là pour ça". Ce principe représente donc le moteur, l'énergie morale qui soustend toute action de soigner. De plus, il a de tout temps été reconnu que l'action médicale au bénéfice du patient est inévitablement liée à des risques, d'où le principe de non-maléficience souvent évoqué par la maxime primum non nocere (tout d'abord, ne pas nuire). Ces deux principes sont donc le plus souvent à considérer ensemble. Il enjoignent de considérer soigneusement le rapport bénéfice-risque et bénéficefardeau associé à l'acte médical. Le principe de bienfaisance commande de considérer en premier le bien et l’intérêt du patient. Il est premier dans l’ordre des enjeux éthiques de la relation médecin-malade en ce sens qu’il correspond le plus directement à ce que nous avons défini comme le point d’entrée dans la réflexion d’éthique, à savoir la question du « know-why » (cf. Ethique : essai d’une définition). Beaucoup de dilemmes d’éthique médicale commencent par une interrogation et une perplexité face à la finalité, au sens de ce qu’on fait ou qu’on envisage de faire. Et souvent, la réponse générale « servir le bien du patient » ne met pas fin à l’interrogation car le bien du patient est un objectif essentiellement multidimensionnel: - sauver la vie; - renverser le cours de la maladie; guérir; - ralentir/atténuer le cours de la maladie; - prolonger la vie; - soulager la douleur et la souffrance; - améliorer le confort; - surmonter le handicap, rééduquer; - conseiller le patient sur sa santé; - écouter, être présent; ...tout cela peut constituer le « bien du patient » dans une situation concrète donnée. On interprète beaucoup de dilemmes éthiques comme résultant d'un conflit entre les principes de bienfaisance et d'autonomie (exemple: faut-il parler avec franchise de son diagnostic à un patient dépressif atteint d'un cancer avancé ? Le faire, c'est respecter son autonomie, mais la vérité fera peut-être mal, tout au moins sur le moment: quel est alors l'enjeu éthique à privilégier?, cf. principes prima facie). Mais il est souvent plus constructif de considérer que l'impératif de bienfaisance inhérent à l'action de soigner doit être interprété à la lumière du principe d'autonomie. Ainsi, les bénéfices et les fardeaux associés à un traitement doivent être évalués en fonction de l'individualité du patient (Exemple: une transfusion sanguine qui représente un fardeau minime pour la plupart des gens peut être un fardeau considérable pour un témoin de Jéhovah qui juge que c’est sa destinée spirituelle qui est en jeu). Une considération raisonnée des bénéfices, risques et fardeaux, met en lumière le caractère probabiliste de la décision médicale (la médecine est un "art stochastique" disaient déjà les Anciens). Alex Mauron, 1996, 2004 Le principe de bienfaisance impose également à la médecine et aux médecins de se donner les moyens d'être "bienfaisants" (nécessité de la recherche, devoir de formation continue, d'entretenir et de développer son savoir et son savoir-faire). La relation de confiance et l’alliance thérapeutique entre médecin et patient reposent sur le principe de bienfaisance lequel, traditionnellement, crée une sorte de partialité du médecin en faveur de son patient, ici et maintenant. Le contenu et les limites de cette partialité sont un domaine controversé de la bioéthique contemporaine (cf. Justice), mais en tout état de cause, l’impératif de ne pas nuire (p. de non-maléficience) vaut prima facie (cf. Principes prima facie) vis-à-vis de toute personne affectée par les actions du médecin et pas uniquement vis-à-vis du patient. C’est pour cette raison que les éthiciens actuels en font un principe distinct. Ainsi par exemple, le patient séropositif VIH qui refuse de révéler son état à son conjoint et ne prend aucune précaution pose un vrai dilemme d’éthique à son médecin. En effet, celui-ci est certes lié par des devoirs spécifiques à son patient (respect de la confidentialité) mais l’impératif de ne pas nuire existe bel et bien vis-à-vis du conjoint, même se celui-ci est inconnu du médecin. Le principe de non-maléficience, comme d’ailleurs le principe de justice, est donc un correctif au caractère partial du principe de bienfaisance dans la conception traditionnelle de la relation médecin-patient. Comme la maxime primum non nocere est souvent considérée comme le fondement de l’éthique médicale, il convient d’en préciser le sens. En effet, cette maxime est née dans un contexte médical ancien et très différent du nôtre. Cela n’implique pas qu’elle soit obsolète mais qu’elle est à interpréter en fonction des caractéristiques propres de la médecine scientifique moderne. En particulier, elle ne doit pas donner à penser qu'une médecine dépourvue de risques ou d’inconvénients est possible. Elle signifie que les risques, inconvénients et fardeaux pour le patient ne sont acceptables qu'à proportion du bien qu'ils permettent d'atteindre. Elle implique donc un devoir de diligence et de prudence, qui ne doit cependant pas verser dans le nihilisme thérapeutique. Alex Mauron, 1996, 2004